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Kitabı oku: «Les mystères d'Udolphe», sayfa 30

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Le comte hésita, et se tut; Emilie, presque hors d'état de se soutenir, attendait dans un trouble toujours croissant ce qu'il avait encore à dire. Il se fit un très-long silence; le comte, visiblement agité, dit enfin:—Ce serait une délicatesse cruelle que de persister à me taire; je dois vous dire que deux fois les extravagances du chevalier l'ont fait conduire dans les prisons de Paris; il en a été retiré, m'ont dit des personnes dignes de foi, par une certaine comtesse bien connue, et avec laquelle il vivait encore quand j'ai quitté Paris.

Le comte cessa de parler; et regardant Emilie, il s'aperçut qu'elle tombait de son siége: il la soutint; elle était évanouie; il éleva la voix pour appeler du secours: ils étaient fort loin du château; il craignait de la laisser pour aller chercher du monde; c'était pourtant le seul parti à prendre. Voyant enfin une fontaine assez proche, il s'efforça d'appuyer Emilie contre l'arbre, pendant qu'il irait chercher de l'eau. Il était fort embarrassé, n'ayant rien pour apporter cette eau; mais tandis qu'il la considérait avec une extrême inquiétude, il crut voir dans ses traits qu'elle commençait à respirer.

Il se passa néanmoins beaucoup de temps avant qu'elle reprît connaissance; alors elle se trouva soutenue, non par le comte, mais par Valancourt; il observait tous ses mouvements avec un regard effrayé, et lui adressait la parole d'une voix tremblante. Au son de cette voix si connue, Emilie rouvrit les yeux; mais à l'instant elle les referma, et perdit encore connaissance.

Le comte, avec un regard sévère, fit signe à Valancourt de se retirer. Celui-ci ne fit que soupirer et nommer Emilie; il lui présentait l'eau qu'on avait apportée. Le comte répéta son geste, et l'accompagna de quelques paroles; Valancourt répondit par un regard plein d'un profond ressentiment; il refusa de quitter la place jusqu'à ce qu'Emilie fût remise, et ne permit plus que personne s'approchât: mais à l'instant sa conscience parut l'informer de ce qui avait fait le sujet de l'entretien du comte et d'Emilie; l'indignation enflamma ses yeux; l'expression d'une profonde douleur la réprima bientôt; et le comte en le remarquant sentit plus de pitié que de colère. Emilie, qui avait repris ses sens, en fut tellement touchée, qu'elle se mit à pleurer amèrement: elle tâcha de retenir ses larmes; et, rassemblant son courage, elle remercia le comte et Henri, avec qui Valancourt était entré dans le parc, et elle reprit le chemin du château sans rien dire à Valancourt.

Emilie se détermina secrètement à retourner au couvent, pour y passer un jour ou deux. Dans l'état où elle était, la société, surtout celle de la comtesse et de mademoiselle Béarn, lui devenait insupportable. Elle espérait que la solitude du cloître et la bonté de l'abbesse l'aideraient à reprendre un peu d'empire sur elle-même, et à soutenir le dénoûment qu'elle ne prévoyait que trop.

CHAPITRE XXXVII

On vint avertir Emilie que le comte de Villefort demandait à la voir. Elle devina que Valancourt était chez lui. En approchant de la bibliothèque, où elle imaginait qu'il devait être, son émotion devint si forte, que, n'osant encore paraître, elle retourna dans le vestibule pour calmer son agitation. S'étant enfin remise, elle entra dans le cabinet, et trouva Valancourt assis avec le comte. Ils se levèrent tous deux. Elle n'osait regarder Valancourt. Le comte se retira.

Emilie restait les yeux baissés, ne pouvant parler, et respirant à peine. Valancourt se jeta sur une chaise auprès d'elle; il soupirait et gardait le silence. Enfin d'une voix tremblante il lui dit:—J'ai désiré vous voir ce soir pour sortir au moins de l'horrible incertitude où m'a plongé votre changement. Quelques paroles du comte viennent de m'en éclaircir une partie. Je m'aperçois que j'ai des ennemis, Emilie, des ennemis envieux de mon bonheur, et qui sont acharnés à le détruire. Je m'aperçois aussi que le temps et l'absence ont affaibli vos sentiments pour moi.

Ces derniers mots expirèrent sur ses lèvres. Emilie ne put répondre. Il ajouta:—Cruelle Emilie, ne me parlerez-vous point?

Il couvrit son visage d'une main, comme pour cacher son émotion, et prit celle d'Emilie, qui ne la retira pas. Elle ne put retenir ses larmes. Il s'en aperçut. Toute sa tendresse revint; un rayon d'espérance pénétra rapidement au fond de son âme.—Eh quoi! vous me plaignez, s'écria-t-il; vous m'aimez encore! vous êtes toujours mon Emilie! souffrez que j'en croie vos larmes.—Oui, je vous plains, lui dit-elle: mais dois-je encore vous aimer? Croyez-vous être encore ce même Valancourt estimable que j'aimais autrefois?—Que vous aimiez autrefois! s'écria-t-il. Le même! le même! Il s'arrêta dans l'excès de son émotion et reprit douloureusement:—Non, je ne suis plus le même; je suis perdu, je ne suis plus digne de vous!

Il couvrit encore son visage. Emilie était trop touchée d'un aveu si sincère pour pouvoir répondre aussitôt. Elle luttait contre son cœur; elle sentait le danger de se fier longtemps à sa résolution en la présence de Valancourt. Elle était empressée de terminer une entrevue qui les désolait tous les deux. Cependant quand elle pensait que ce serait probablement la dernière, tout son courage l'abandonnait; elle ne sentait plus que sa tendresse et sa douleur.

Valancourt, pendant ce temps, dévoré de remords et de chagrin, n'avait ni le pouvoir ni la volonté d'exprimer tout ce qui l'agitait. A peine paraissait-il sensible à la présence d'Emilie. Son visage était caché, sa poitrine soulevée de sanglots.

–Epargnez-moi, lui dit Emilie, le chagrin de revenir sur les détails de votre conduite, qui m'obligent de rompre avec vous; il faut nous séparer, et je vous vois pour la dernière fois.—Non, s'écria Valancourt, vous ne pouvez penser ce que vous dites; vous ne pouvez pas penser à me rejeter de vous pour toujours.—Il faut nous séparer, répéta Emilie, et pour toujours; votre conduite nous en fait une nécessité.—C'est la décision du comte, reprit-il avec fierté, ce n'est pas la vôtre; et je saurai de quel droit il se met entre nous. Il se leva à ces mots, et parcourut la chambre à pas précipités.—Laissez-moi vous désabuser, dit Emilie non moins émue; la décision est de moi; mon repos l'exige. Serais-je excusable, dit-elle, en vous confiant le repos de ma vie? Comment me le conseilleriez-vous si je vous étais chère?—Si vous m'étiez chère! s'écria Valancourt. Est-il possible que vous doutiez de mon amour? Mais oui, vous avez raison d'en douter, puisque je suis moins disposé à l'horreur de me séparer de vous qu'à celle de vous envelopper dans ma ruine. Oui, je suis ruiné, ruiné sans ressource; je suis accablé de dettes, et je ne saurais les acquitter. Les yeux de Valancourt étaient égarés quand il disait ces mots; ils prirent à l'instant l'expression d'un affreux désespoir. Emilie fut forcée d'admirer sa franchise; elle sembla, durant quelques minutes, résister à sa propre douleur et lutter contre elle-même. Je ne prolongerai pas, dit-elle enfin, un entretien dont l'issue ne saurait être heureuse. Valancourt, adieu.—Non, vous ne partirez pas, dit-il impétueusement; vous ne me laisserez pas ainsi; vous ne m'abandonnerez pas avant que mon esprit ait recueilli la force dont il a besoin pour soutenir ma perte. Emilie, effrayée par le feu sombre de ses regards, lui dit d'une voix douce:—Vous avez reconnu vous-même que nous devions nous séparer; si vous désirez me faire croire que vous m'aimez, vous le reconnaîtrez encore.—Jamais, jamais! s'écria-t-il. J'étais un insensé quand j'avouais… Emilie, c'en est trop: vous ne vous trompez pas sur mes fautes, mais le comte est la barrière qui nous sépare, il ne sera pas longtemps un obstacle à ma félicité.—C'est à présent, dit Emilie, que vous parlez en insensé: le comte n'est pas votre ennemi, Valancourt; il est mon ami, cette considération seule devrait vous le faire regarder comme le vôtre.—Votre ami! dit vivement Valancourt: depuis quel temps est-il donc votre ami pour vous faire si promptement oublier votre amant? Est-il votre ami, celui qui vous a demandé de préférer M. Dupont; Dupont qui, dites-vous, vous a ramenée d'Italie, Dupont qui, je le dis, moi, m'a ravi votre cœur? Mais je n'ai pas le droit de vous interroger: vous êtes maîtresse de vous-même; ce Dupont peut-être ne triomphera pas longtemps de mon malheur. Emilie, plus épouvantée que jamais de la fureur de Valancourt, lui dit:—Au nom du ciel, soyez raisonnable! Calmez-vous! M. Dupont n'est pas votre rival, le comte n'est pas son défenseur: vous n'avez point de rival, vous n'avez d'ennemi que vous-même: je vois plus que jamais que vous n'êtes plus ce Valancourt que j'ai tant aimé.

Il ne répondit point: les bras appuyés sur la table, il gardait un morne silence. Emilie restait muette et tremblante, et n'osait le quitter.

–Malheureux! s'écria-t-il soudain, je ne puis me plaindre sans m'accuser! Pourquoi fus-je entraîné dans Paris? pourquoi ne me suis-je pas défendu des séductions qui devaient à jamais me rendre méprisable? Il se tourna vers elle, il prit sa main, et lui dit d'une voix tendre:—Emilie, pouvez-vous supporter que nous nous séparions! pouvez-vous abandonner un cœur qui vous aime, comme le mien, un cœur qui, malgré ses erreurs, n'appartiendra jamais qu'à vous! Emilie ne répondit que par ses larmes.—Je n'avais pas, ajouta-t-il, une pensée que je voulusse vous cacher, pas un goût, pas un plaisir, auxquels vous ne pussiez prendre part. Je pars, Emilie, je vais vous quitter, et pour toujours. A ces mots, sa voix s'affaiblit: il retomba sur sa chaise avec abattement. Emilie ne pouvait ni sortir, ni lui dire adieu. Toutes ses folies étaient presque effacées de son esprit, elle ne sentait que sa douleur et sa pitié.

–Dites au moins, reprit Valancourt, que vous me verrez encore une fois. Le cœur d'Emilie fut en quelque sorte soulagé par cette prière: elle s'efforça de croire qu'elle ne devait pas s'y refuser; néanmoins elle éprouvait de l'embarras en songeant qu'elle était chez le comte, et qu'il pourrait s'offenser du retour de Valancourt; elle consentit pourtant, à condition qu'il ne verrait ni dans le comte un ennemi, ni dans Dupont un rival. Alors il sortit tellement consolé par les deux mots d'Emilie, qu'il perdit le premier sentiment de son malheur.

Valancourt, pendant ce temps, endurait les angoisses du désespoir. La vue d'Emilie avait renouvelé toute l'ardeur de son premier amour; l'absence, les distractions d'une vie tumultueuse, ne l'avaient affaiblie que passagèrement. Quand, en recevant sa lettre, il était parti pour le Languedoc, il savait bien que sa folie l'avait ruiné, et il n'avait aucun projet de le cacher à Emilie: il s'affligeait seulement du retard que sa mauvaise conduite pourrait causer à leur mariage, et ne prévoyait pas que cette information pourrait la conduire à briser tous leurs nœuds. Accablé par l'idée de cette éternelle séparation, et le cœur pénétré de remords, il attendait cette seconde entrevue dans un état qui approchait de l'égarement; il espérait pourtant encore obtenir d'elle par ses prières, quelque changement de résolution.

Le matin, il fit demander à quelle heure elle le recevrait. Emilie, quand on lui remit ce billet, était avec le comte, et ce fut pour celui-ci un prétexte nouveau pour lui parler de Valancourt. Il voyait le désespoir de sa jeune amie, et redoutait plus que jamais que son courage ne l'abandonnât. Emilie répondit au billet, et le comte revint sur le sujet de la dernière conversation. Il parut craindre les sollicitations de Valancourt, et il lui peignit les malheurs auxquels elle s'exposait pour l'avenir, si elle ne résistait à un chagrin actuel et passager: ces représentations répétées pouvaient seules la prémunir contre l'effet de son affection, et elle résolut de suivre ses conseils.

L'heure de l'entrevue à la fin arriva. Emilie se présenta avec un extérieur composé; mais Valancourt, trop agité, fut quelques minutes sans pouvoir parler; ses premières phrases furent tour à tour plaintes, prières, reproches contre lui-même; ensuite il dit:—Emilie, je vous ai aimée, je vous aime plus que ma vie; je suis ruiné par ma faute, et cependant je ne peux nier que je n'aimasse mieux vous entraîner dans une union malheureuse de misère, que d'endurer, en vous perdant, la punition que je mérite. Je suis un malheureux, mais je ne veux plus être un lâche; je ne chercherai plus à ébranler vos résolutions par les instances d'une passion égoïste. Je renonce à vous, Emilie, et je tâcherai de me consoler en songeant que, si je suis infortuné, vous pouvez au moins être heureuse. Je n'ai pas, il est vrai, le mérite du sacrifice; et je n'eusse jamais eu la force de vous rendre à vous-même, si votre prudence ne l'eût exigé.

Il s'arrêta un moment. Emilie tâchait de retenir ses larmes; elle était prête à lui dire:—Vous parlez à présent comme vous parliez autrefois. Mais elle garda le silence.—Pardonnez-moi, Emilie, reprit-il, toutes les souffrances que je vous ai causées. Pensez quelquefois à l'infortuné Valancourt; souvenez-vous que sa seule consolation sera de savoir que sa folie ne vous a pas rendue malheureuse. Les larmes inondaient les joues d'Emilie. Il allait retomber dans les accès du désespoir. Emilie s'efforça de rappeler son courage, et de terminer une entrevue qui augmentait leur commune affliction. Valancourt vit ses pleurs, il la vit se lever; il fit un nouvel effort pour maîtriser ses sentiments et calmer ceux d'Emilie.—Le souvenir de ce douloureux moment, lui dit-il, sera pour l'avenir ma sauvegarde. Oh! jamais l'exemple, la tentation, ne pourront ni me séduire ni m'entraîner. Le souvenir de ces pleurs que vous versez pour moi élèvera mon âme au-dessus du danger.

Emilie, un peu consolée par cette assurance, répondit:—Nous nous séparons pour toujours. Mais si mon bonheur vous est cher, souvenez-vous à jamais que rien ne peut y contribuer davantage, que de savoir que vous avez recouvré votre propre estime. Valancourt prit sa main; il avait les yeux couverts de larmes, et l'adieu qu'il voulait lui dire était étouffé par ses soupirs. Après quelques moments, Emilie prononça avec difficulté et émotion:—Adieu, Valancourt, puissiez-vous être heureux! adieu, répéta-t-elle.

–Adieu, Emilie, dit Valancourt. Et il se précipita dehors.

Emilie resta dans le fauteuil où il l'avait laissée, le cœur si oppressé qu'elle ne respirait plus; elle entendait ses pas, dont le bruit s'affaiblissait à mesure qu'ils s'éloignaient. Elle fut tirée de cet état par la voix de la comtesse qui parlait dans le jardin. En revenant à elle, le premier objet qui frappa sa vue fut le fauteuil vide sur lequel Valancourt avait été assis. Le saisissement et son départ avaient comme suspendu ses larmes; elles revinrent alors la soulager, et elle reprit la force de regagner sa chambre.

Retournons à Montoni, dont la rage et la surprise firent bientôt place à de plus pressants intérêts. Ses excès et ses déprédations s'étaient tellement multipliés, que le sénat de Venise, alors composé de négociants, malgré sa faiblesse et l'utilité que dans l'occasion il aurait pu tirer de Montoni, ne put plus longtemps les supporter. Il fut arrêté qu'on travaillerait à anéantir ses forces et à punir ses brigandages. La célérité, la facilité de cette expédition, prévinrent l'éclat et la rumeur publique. Emilie, en Languedoc, ignora la défaite et l'humiliation de ce cruel persécuteur.

Son esprit était si accablé par ses chagrins, qu'aucun effort de sa raison ne pouvait en surmonter l'effet. Le comte de Villefort essaya tous les moyens de consolation. Il se passa bien du temps avant qu'Emilie pût se distraire assez de Valancourt pour écouter l'histoire que la vieille Dorothée lui avait promise.

Parmi les étrangers qui étaient venus voir le comte dans son château, étaient le baron de Sainte-Foix, son ancien ami, et son fils le chevalier de Sainte-Foix. C'était un jeune homme aimable et sensible. Il avait connu Blanche à Paris l'année précédente, et avait conçu pour elle une véritable passion. L'ancienne amitié du comte pour son père, les convenances mutuelles de cette alliance, avaient intérieurement fait désirer au comte qu'elle s'accomplît. Mais trouvant alors sa fille trop jeune pour fixer le choix de sa vie; voulant d'ailleurs éprouver la constance du chevalier, il avait différé d'agréer sa demande, sans pourtant lui ôter l'espoir. Ce jeune homme arrivait avec le baron, son père, pour réclamer le prix de sa persévérance; le comte l'accorda, et Blanche ne s'y opposa pas.

Le château, si bien habité, devint aussi riant que magnifique. Le pavillon, dans les bois, était fort souvent visité; on y soupait quand le temps était beau, et la soirée se terminait ordinairement par un concert. Le comte et la comtesse étaient bons musiciens. Henri, le jeune Sainte-Foix, Blanche, Emilie, avaient tous de la voix, et le goût suppléait en eux à la méthode. Plusieurs des domestiques du comte, avec des cors et d'autres instruments à vent, étaient placés dans le bois, et répondaient par leur douce harmonie à celle qui venait du pavillon.

Dans tout autre temps, ces parties eussent été délicieuses pour Emilie; trop accablée alors par sa mélancolie, elle trouvait que rien de ce qu'on nomme amusement n'avait le pouvoir de la distraire, et très-souvent elle observait que la touchante mélodie de ces concerts augmentait sa tristesse à un degré insupportable.

Elle préférait de se promener seule dans les bois qui ombrageaient le promontoire.

Un soir elle y resta fort tard. Assise sur les marches de ce vieux bâtiment, elle observait, dans une mélancolie tranquille, le progrès des ombres sur l'espace étendu devant elle. Peu à peu la lune, qui vint à se lever, monta sur l'horizon et revêtit successivement de sa douce lumière les flots, les bois et la tour elle-même. Emilie, pensive, contemplait et rêvait. Tout à coup un son frappe son oreille; c'était la voix et la musique dont quelquefois, à minuit, elle avait entendu les accords. L'émotion qu'elle sentit ne fut pas sans mélange de terreur, quand elle considéra son isolement. Les sons se rapprochèrent. Elle se serait levée, mais ils semblaient venir par le chemin qu'il lui fallait prendre, et, toute tremblante, elle attendit l'événement: les sons se rapprochèrent pendant quelque temps, puis ils cessèrent. Emilie écoutait, regardait, et ne pouvait faire aucun mouvement. Tout à coup elle vit une figure sortir des bois et passer fort près d'elle. La figure passa vite, et l'émotion d'Emilie fut si grande, qu'en la voyant, elle ne distingua presque rien.

Ce léger événement avait produit une impression profonde sur son esprit. Retirée chez elle, il lui rappela si bien l'autre circonstance effrayante dont tout récemment elle avait été témoin, qu'à peine elle se sentit le courage de rester seule. Elle veilla fort longtemps; aucun bruit ne renouvela ses craintes, et elle chercha à goûter un peu de repos. Il fut court; un bruit affreux et singulier sembla s'élever du corridor; des gémissements se firent entendre distinctement; un corps pesant frappa contre la porte, et la violence du coup faillit l'ouvrir. Elle appela pour savoir ce que c'était, on ne lui répondit point: mais, par moments, elle entendait des gémissements sourds. La frayeur la priva d'abord de l'usage de ses facultés; mais quand ensuite elle entendit des pas dans la galerie, elle appela encore plus haut. Les pas s'arrêtèrent à sa porte; elle distingua les voix de quelques servantes, et toutes semblaient trop occupées pour pouvoir répondre à ses cris. Annette entra cependant pour prendre de l'eau; Emilie comprit alors qu'une des servantes se trouvait mal; elle la fit apporter chez elle, et travailla à la secourir. Quand cette fille eut recouvré la voix, elle affirma qu'en montant l'escalier, pour aller à sa chambre, elle avait vu un fantôme sur le second carré. Elle tenait, disait-elle, sa lampe fort bas, à cause du mauvais état des marches. En relevant les yeux, elle avait vu le revenant. Ce fantôme, d'abord, était resté immobile dans un coin, puis s'était glissé dans l'escalier, et s'était enfin évanoui à la porte de l'appartement qu'Emilie avait visité dernièrement. Un son lugubre avait succédé à ce prodige.

–Le diable, sans doute, ajouta Dorothée, a pris une clef de cet appartement; ce ne peut être que lui; j'ai fermé la porte moi-même.

La fille avait redescendu l'escalier, avait couru en faisant un cri, et était tombée éperdue à la porte d'Emilie.

Emilie la reprit doucement de la peur qu'elle lui avait faite, et essaya de lui faire honte de son effroi. La fille persista à soutenir qu'elle avait vu une véritable apparition. Toutes les servantes l'accompagnèrent dans sa chambre, excepté Dorothée, qu'Emilie retint pour la nuit. Emilie était dans l'embarras; Dorothée, dans la plus grande terreur, racontait d'anciennes circonstances qui appuyaient l'excès de sa superstition. De ce nombre était une semblable apparition qu'elle avait vue dans le même lieu; ce souvenir l'avait fait hésiter avant de monter l'escalier, et avait augmenté sa répugnance pour ouvrir l'appartement du nord. Quelle que fût sur ce point l'opinion d'Emilie, elle s'abstint de la communiquer; elle écouta Dorothée attentivement, et n'en eut que plus d'inquiétude.

Depuis cette nuit, la terreur des domestiques s'accrut au point qu'elle en détermina une partie à quitter le château et à demander leur congé. Si le comte ajoutait foi à leurs alarmes, il avait soin de le dissimuler; et, voulant prévenir l'inconvénient qui le menaçait, il employait le ridicule et le raisonnement pour détruire ces craintes et ces frayeurs surnaturelles. La peur avait rendu tous les esprits inaccessibles à la raison. Ludovico prit ce moment pour prouver à la fois son courage et toute la reconnaissance que lui causaient les bons traitements du comte. Il offrit de passer une nuit dans la partie de ce château qu'on prétendait habitée par les revenants; il ne craignait, assurait-il, aucun esprit; et si quelque figure vivante paraissait, il ferait voir qu'il ne la craignait pas davantage.

Le comte réfléchit à cette proposition; les domestiques qui l'entendirent se regardaient l'un l'autre, dans le doute et dans la surprise. Annette, effrayée pour la sûreté de Ludovico, employait larmes et prières pour le dissuader de son dessein.

–Vous êtes un brave garçon, dit le comte en souriant. Pensez bien à votre entreprise avant de vous y livrer. Si vous persévérez, j'accepte, et une telle intrépidité ne demeurera pas sans récompense.—Je ne désire point de récompense, Excellence, reprit Ludovico, mais votre approbation. Votre Excellence a déjà eu trop de bontés pour moi. Je désire seulement d'avoir des armes, pour être en état de répondre à l'ennemi, s'il paraît.—Une épée ne vous défendra pas contre un esprit, dit le comte en regardant ironiquement ses serviteurs; ils ne craignent ni barrières, ni verrous: un revenant, vous le savez, se glisse par le trou d'une serrure, comme par une porte ouverte.—Donnez-moi une épée, monsieur le comte, reprit Ludovico, et je me charge d'envoyer dans la mer Rouge tous les esprits qui voudront m'attaquer.—Eh bien, dit le comte, vous aurez une épée, et, de plus, un bon souper. Vos camarades, peut-être, auront le courage de demeurer encore une nuit dans le château. Il est certain que, du moins pour cette nuit, votre hardiesse attirera sur vous seul tous les maléfices du spectre.

Une extrême curiosité luttait alors avec la crainte dans l'esprit des auditeurs. Ils résolurent d'attendre l'événement qui allait suivre la témérité de Ludovico.

Après le souper Ludovico suivit le comte dans son cabinet: ils y restèrent une demi-heure, et le comte en sortant lui remit une épée.—Elle a servi dans des combats entre des mortels, dit le comte en riant, vous en ferez sans doute un usage honorable dans une querelle toute spirituelle; et j'apprendrai probablement demain qu'il ne reste pas un revenant dans le château.—Ludovico reçut l'épée avec un salut respectueux: Vous serez obéi, monsieur, répliqua-t-il, et je m'engage à ce qu'aucun spectre ne puisse troubler dorénavant le repos de cette demeure.

Ils se rendirent à la salle où les hôtes du comte l'attendaient pour l'accompagner jusqu'à l'appartement du nord: on demanda les clefs à Dorothée, elle les remit à Ludovico, et il se mit en chemin, suivi par la plupart des habitants de ce château. Arrivés au bas de l'escalier, plusieurs des domestiques effrayés refusèrent d'aller plus loin; les autres montèrent jusqu'au palier: Ludovico mit la clef dans la serrure, et, pendant ce temps, tous le regardaient avec autant de curiosité que s'il eût travaillé à quelque opération magique.

Ludovico, ne connaissant pas la serrure, ne pouvait faire tourner la clef; Dorothée restait par derrière: on la rappela, elle ouvrit lentement; mais quand ses regards eurent pénétré dans l'intérieur obscur de la chambre, elle fit un cri, et se retira. A ce signal d'alarme, la plus grande partie de la foule s'enfuit en bas des escaliers; le comte, Henri et Ludovico, restés seuls, entrèrent dans l'appartement; Ludovico tenait son épée nue, le comte portait une lampe, et Henri une corbeille remplie des provisions du brave aventurier.

Ayant jeté les yeux à la hâte sur la pièce d'entrée où rien ne justifiait les alarmes, ils passèrent dans la seconde; un calme profond y régnait; ils avancèrent moins précipitamment dans la troisième. Le comte eut alors le loisir de rire du trouble qui l'avait surpris lui-même. Il demanda à Ludovico dans quelle chambre il comptait s'établir.

–Il y en a encore d'autres, Excellence, lui dit Ludovico; on dit que dans l'une il y a un lit, c'est là que je passerai la nuit pour y dormir, si je me trouve fatigué.

Ludovico ouvrit la chambre à coucher, et le comte en entrant fut frappé en voyant l'air funéraire que conservait l'ameublement; il s'approcha du lit avec émotion, et le trouvant couvert d'un velours noir:—Que signifie ceci? dit-il.—J'ai ouï dire, monsieur, lui répondit Ludovico, que madame la marquise de Villeroi était morte en ce lieu même, et qu'on l'y avait déposée jusqu'à l'heure de son enterrement. Ce drap de velours couvrait sans doute le cercueil.

Le comte ne répondit rien; mais il devint rêveur et parut fort ému; se tournant ensuite vers Ludovico, il lui demanda d'un ton sérieux si réellement il aurait le courage de demeurer là toute la nuit. Si vous craignez, ajouta le comte, ne rougissez pas d'en faire l'aveu, je vous relèverai de vos engagements sans que vous soyez exposé aux railleries de vos camarades.

Ludovico garda le silence. L'orgueil et quelque peu d'effroi semblaient partager son âme. L'orgueil à la fin l'emporta; il rougit, et n'hésita plus.

–Non, monsieur, non, dit-il, j'achèverai ce que j'ai commencé, et je suis pénétré de votre attention. Je vais faire du feu dans la cheminée, et, avec les provisions de la corbeille, je compte fort bien passer mon temps.—Soit, dit le comte; mais comment soutiendrez-vous l'ennui si vous ne dormez pas?—Quand je serai fatigué, monsieur, reprit Ludovico, je n'aurai pas peur de dormir; mais d'ailleurs j'ai un livre qui m'amusera.—Bon, dit le comte; j'espère que rien ne vous troublera. Mais si pendant la nuit vous aviez de plus sérieuses craintes, venez me trouver à mon appartement. J'ai trop de confiance dans votre raison et votre courage pour craindre de vous voir épouvanté par quelque crainte frivole. Cette chambre, son obscurité, son isolement, ne vous causeront pas de fausses terreurs. Demain j'aurai à vous remercier d'un important service. On ouvrira l'appartement, et tous mes gens seront convaincus de leur sottise. Bonne nuit, Ludovico; venez me voir de bon matin, et souvenez-vous de ce que je vous ai dit.—Oui, monsieur, je m'en souviendrai. Bonsoir, Excellence; laissez-moi vous éclairer.

Il éclaira le comte et Henri jusqu'à la dernière porte. Un des domestiques, dans son effroi, avait laissé une lampe sur le palier. Henri la prit, et donna le bonsoir à Ludovico. Celui-ci répondit respectueusement, referma la porte, et rentra. En retournant à la chambre à coucher, il examina avec plus de soin toutes les pièces qu'il fallait traverser. Il craignait que quelqu'un ne s'y cachât pour l'effrayer. Personne, excepté lui, ne s'y trouvait. Il laissa les portes ouvertes, et parvint au grand salon dont la muette obscurité le glaça. Il tourna ses regards sur la longue enfilade qu'il venait de parcourir. En se retournant, il aperçut une lumière et sa figure que réfléchissait un miroir; il tressaillit. D'autres objets se peignaient obscurément sur la même glace; il ne s'arrêta pas à les examiner. S'avançant promptement dans la chambre à coucher, il remarqua la porte de l'oratoire. Il l'ouvrit. Tout était tranquille. Ses yeux se portèrent sur le portrait de la feue marquise; il le considéra longtemps avec surprise et attention. Il parcourut ensuite le cabinet, et rentra dans la chambre. Il alluma un bon feu. La flamme pétillante ranima ses esprits, qui commençaient à s'affaiblir par l'obscurité et le silence. On n'entendait alors que le vent qui sifflait à la fenêtre. Ludovico prit une chaise, mit une table auprès du feu, prit une bouteille de vin, quelques provisions de sa corbeille, et commença à manger. Quand il eut fait son repas, il mit son épée sur la table; et, n'étant pas disposé à dormir, il tira de sa poche le livre dont il avait parlé. C'était un recueil de vieux contes provençaux. Ludovico raccommoda son feu, moucha sa lampe, rapprocha sa chaise, et se mit à lire. L'histoire sur laquelle il tomba captiva bientôt toute son attention.

La chambre mystérieuse.


Le comte, pendant ce temps, était retourné dans la salle à manger, où tout le monde l'attendait. Chacun s'était retiré au cri perçant de Dorothée; et l'on fit mille questions sur l'état de l'appartement. Le comte railla les uns et les autres de leur retraite précipitée et de leur faiblesse superstitieuse; et l'on en vint à cette question: Si les âmes séparées des corps ont le pouvoir de revenir sur la terre, si même dans ce cas les esprits peuvent devenir visibles? Le baron était d'opinion que le premier effet était probable, et que le second était possible.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
03 ağustos 2018
Hacim:
624 s. 25 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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