Kitabı oku: «Les mystères d'Udolphe», sayfa 31
CHAPITRE XXXVIII
Le comte avait très-peu dormi; il se leva de bonne heure; et, pressé d'entretenir Ludovico, il courut à l'appartement du nord. La première porte était fermée en dedans; il fut donc obligé de frapper très-fort, mais ni ses coups ni sa voix ne furent entendus. Il considéra l'intervalle qui séparait cette porte de la chambre à coucher, et pensa que Ludovico, las de veiller, était tombé sans doute dans un profond sommeil. Le comte, peu surpris de ne recevoir aucune réponse, se retira et alla se promener.
Le temps était sombre; le soleil, qui se levait sur la Provence, ne répandait qu'une faible lumière; ses rayons combattaient contre les vapeurs qui s'élevaient de la mer et qui promenaient leurs lourdes masses sur le sommet des bois, qu'ornaient alors les teintes variées dont l'automne enrichit le feuillage. La tempête était passée, mais la mer, toujours agitée, mugissait encore. Le comte, à qui ce jour grisâtre et vaporeux ne déplaisait pas, entra dans les bois et s'y promena, enseveli dans une profonde méditation.
Emilie s'était aussi levée de bonne heure, et avait dirigé sa promenade vers le promontoire escarpé d'où on découvrait l'Océan. Les événements du château occupaient son esprit, et Valancourt était aussi l'objet de ses tristes pensées. Elle ne pouvait encore songer à lui avec indifférence; sa raison lui reprochait continuellement une tendresse qui survivait dans son cœur à l'estime. Elle se rappelait l'expression qu'avaient ses regards au moment où il l'avait quittée, le ton de sa voix lorsqu'il lui dit adieu; et si quelque hasard augmentait l'énergie de ses souvenirs elle versait des larmes amères.
Arrivée à la vieille tour, elle se reposa sur ses marches ruinées et se livra à sa mélancolie. Elle observait les vagues à demi cachées par la vapeur, qui venaient en roulant au rivage et répandaient leur mousse légère autour du rocher sur lequel elles se brisaient. Leur bruit monotone et les nuages obscurs qui se balançaient sur les rochers rendaient la scène plus mystérieuse et plus analogue à l'état de son cœur. Cet état devint trop pénible. Emilie se leva brusquement; elle traversa quelques ruines de la tour, et vit des lettres gravées sur une muraille. Elle s'approcha pour les examiner; ces caractères paraissaient grossièrement gravés avec la pointe d'un canif; mais Emilie les connaissait trop bien: c'était la main de Valancourt, et elle les lut en tremblant.
Il était bien constant que Valancourt avait visité cette tour; il était même probable que c'était la nuit précédente, puisqu'elle avait été orageuse et que les vers décrivaient un naufrage. Il fallait même qu'il n'eût quitté que depuis peu ces ruines. Le soleil ne faisait que de paraître, et il avait fallu du jour pour tracer les caractères tels qu'ils étaient. Il était donc encore bien vraisemblable que Valancourt n'était pas loin.
Pendant que ces idées parcouraient avec rapidité l'imagination d'Emilie, tant d'émotions la combattirent, qu'elle en fut presque accablée; mais son premier mouvement fut d'éviter une rencontre, et elle reprit à la hâte le chemin qui menait au château.
En rentrant au château, Emilie se retira chez elle, et le comte alla à l'appartement du nord. La porte était encore fermée. Déterminé à réveiller Ludovico, le comte appela d'une voix plus forte. Un morne silence succéda. Le comte appela ses gens, et leur demanda s'ils avaient vu ou entendu Ludovico; tous répondirent avec effroi que depuis la nuit aucun d'eux n'avait approché de l'appartement du nord.
–Il dort profondément, dit le comte; il est si éloigné de la porte d'entrée, qu'on ne peut se faire entendre: il faudra l'enfoncer. Apportez quelques masses, et suivez-moi.
Les domestiques restèrent muets et interdits; il fallut que toute la maison s'assemblât pour que le comte fût obéi. Dorothée en même temps parla d'une autre porte qui ouvrait sur la galerie du grand escalier, donnait sur l'antichambre du salon, et se trouvait conséquemment beaucoup plus près de la chambre à coucher. Il était naturel que Ludovico fût plutôt éveillé par cette porte. Le comte s'y rendit; mais ses efforts furent également inutiles. Il commença à craindre sérieusement, et se disposait lui-même à enfoncer la porte; mais les beautés qu'il y remarquait retinrent son coup; elle lui parut d'ébène, tant son poli était noir et son grain serré; mais elle n'était que de mélèse; et la Provence, dans ce temps, était citée pour ses forêts de ce bois. Le comte, en faveur de son prix et de la délicatesse de ses sculptures, épargna cette porte. Il retourna à celle de l'escalier; on l'enfonça. Il entra le premier; Henri le suivit avec quelques-uns des plus courageux; les autres attendirent sur l'escalier.
Le silence régnait dans tout l'appartement. Arrivé au salon, le comte appela Ludovico; et, ne recevant pas de réponse, il ouvrit lui-même et entra.
Le silence absolu confirma ses craintes pour Ludovico; aucun bruit, aucune respiration n'annonçait que quelqu'un sommeillât en ce lieu; mais son incertitude durait encore. Tous les volets étaient fermés, et la chambre était trop obscure pour que l'on y distinguât rien.
Le comte commanda à un de ses gens d'ouvrir une des fenêtres. En traversant la chambre pour obéir, il se heurta, tomba par terre; et le cri perçant qu'il poussa ayant fait enfuir aussitôt les braves qui s'étaient hasardés jusque-là, Henri et le comte restèrent seuls pour achever l'aventure.
Henri ouvrit un des volets, et s'aperçut que le domestique avait donné contre le fauteuil même dans lequel Ludovico avait été assis. Celui-ci n'y était plus, et la faible lumière qui se répandait dans la chambre ne le montrait en aucun endroit. Le comte, alarmé, ouvrit d'autres volets pour mieux voir. Ludovico ne parut point. Il resta un moment en suspens et craignit de s'en fier à ses sens. Il vit le lit et s'approcha pour voir si Ludovico ne s'y était pas couché: il n'y trouva personne. Il pénétra dans l'oratoire; tout était rangé comme la veille, et Ludovico n'y était point.
Le comte pourtant contint l'excès de sa surprise. Ludovico, sans doute frappé par la terreur, était sorti pendant la nuit d'un appartement désert et dont on racontait tant d'effrayantes particularités. Mais dans ce cas même, il eût cherché la société; et tous ses camarades déclaraient ne l'avoir pas vu. La porte de l'appartement était d'ailleurs fermée par dedans: il était impossible qu'il fût sorti par là, et toutes les portes extérieures étaient de même verrouillées en dedans, fermées à double tour: toutes les clefs étaient dans les serrures. Porté à croire que Ludovico s'était échappé par une fenêtre, le comte les examina mieux: mais celles qui étaient assez larges pour que le corps d'un homme y passât étaient grillées de barreaux de fer, et n'avaient pu fournir d'issue. D'ailleurs, quelle apparence que Ludovico eût risqué sa vie en passant par une fenêtre, quand il pouvait sortir avec sécurité par une porte?
L'étonnement du comte ne peut s'exprimer; il rentra dans la chambre à coucher: tout y était en ordre, excepté le fauteuil qu'on venait de renverser. On trouva la petite table, et sur cette table l'épée, la lampe, le livre et la moitié d'un verre de vin. Au pied de la table était la corbeille, un reste de provisions et du bois.
Le comte lui-même aida à lever la tapisserie de toutes les pièces, pour découvrir si elle cachait une ouverture. On n'en reconnut aucune, et le comte se retira après avoir fermé la première chambre, et mit la clef dans sa poche. Il donna des ordres pressants pour qu'on cherchât Ludovico jusque dans le voisinage, et se retira dans son cabinet avec Henri; ils y restèrent longtemps. Quel qu'eût été le sujet de cette conférence, Henri, de ce moment, perdit beaucoup de sa gaieté; il devenait grave et réservé quand on traitait le sujet qui alarmait toute la famille.
Les recherches les plus exactes sur le sort de Ludovico furent inutiles. Après plusieurs journées employées sans relâche, la pauvre Annette s'abandonna au désespoir, et la surprise générale fut au comble.
Emilie, dont l'esprit avait été vivement ému par le sort désastreux de la marquise et par la mystérieuse liaison qu'elle imaginait avoir existé entre elle et Saint-Aubert, était particulièrement frappée d'un événement si extraordinaire. Elle était de plus consternée de la perte de Ludovico, dont la probité, la fidélité, les services, méritaient son estime et sa reconnaissance. Elle désirait de se retrouver dans la paisible retraite de son couvent; mais chaque ouverture qu'elle en faisait était reçue avec tristesse par la jeune Blanche, et tendrement écartée par le comte. Elle sentait pour lui l'affection, le respect, l'admiration d'une fille; et Dorothée consentit enfin à ce qu'elle pût l'informer de l'apparition qu'elle avait vue dans l'appartement de la marquise. En tout autre moment, il eût souri de sa relation, et aurait jugé que le fantôme n'existait que dans l'imagination du témoin. Alors il écouta Emilie sérieusement; et quand elle eut fini, il lui demanda le plus profond secret.—Quelle que puisse être la cause de ces événements singuliers, dit le comte, le temps seul peut les expliquer. Je veillerai avec soin sur tout ce qui se passera au château, et j'emploierai tous les moyens possibles pour découvrir le destin de Ludovico. Pendant ce temps, soyons prudents et circonspects. J'irai veiller moi-même dans ces appartements; mais jusqu'à ce que j'en détermine l'instant, je veux que tout le monde l'ignore.
La semaine d'après, tous les hôtes du comte partirent, excepté le baron, son fils et Emilie. Cette dernière eut bientôt l'embarras et le chagrin d'une autre visite. M. Dupont revint, et elle se décida à retourner aussitôt au couvent. La joie que manifestait Dupont en la voyant lui fit juger qu'il rapportait cette même ardeur qui l'avait bannie du château de Blangy. Les manières d'Emilie envers lui furent réservées; le comte le reçut avec plaisir, le lui présenta en souriant, et sembla tirer un bon augure de l'embarras qu'elle éprouvait.
M. Dupont le comprit mieux; il perdit soudain sa gaieté, et tomba dans la langueur et dans le découragement.
Le jour suivant, néanmoins, il chercha l'occasion d'expliquer le motif de sa visite, et il renouvela sa demande. Cette déclaration fut reçue par Emilie avec un véritable chagrin. Elle tâcha de diminuer la peine que pouvait causer un second refus par l'assurance réitérée de son amitié et de son estime. Elle le laissa, malgré elle, dans un état qui méritait et qui obtint la plus tendre pitié. Plus frappée que jamais de l'inconvenance d'un plus long séjour au château, elle alla aussitôt chercher le comte et l'instruire de son intention.
–Souffrez que j'interprète votre cœur, répondit le comte avec un léger sourire: si vous me faites l'honneur de suivre mes avis sur le reste, je pardonnerai votre incrédulité sur votre conduite future envers M. Dupont. Je ne vous presserai pas de rester ici plus longtemps que votre satisfaction ne le permet. Mais, en m'abstenant aujourd'hui de m'opposer à votre retraite, je réclame de votre amitié quelques visites à l'avenir.
Des larmes de reconnaissance s'unirent à celles d'un tendre regret. Emilie remercia le comte de ses témoignages d'amitié; elle promit de suivre ses avis sur tous les points, excepté un seul, et l'assura du plaisir avec lequel elle profiterait de son invitation et de celle de la comtesse, lorsque M. Dupont ne serait plus au château.
Le comte sourit de cette condition.
–J'y consens, lui dit-il; le couvent est ici près: ma fille et moi nous pourrons vous voir bien souvent. Si quelquefois nous osons introduire un compagnon de promenade, nous le pardonnerez-vous?
Emilie parut affligée, et garda un profond silence.
–Eh bien! reprit le comte, je n'en dirai pas davantage, et je vous demande pardon d'avoir été si loin. Rendez-moi la justice de croire que mon unique motif est un intérêt bien réel pour votre bonheur, et pour celui de mon aimable ami M. Dupont.
Emilie, en quittant le comte, alla informer la comtesse de ses projets, et la comtesse lui en exprima ses regrets avec des expressions polies; elle écrivit ensuite à l'abbesse, et partit le soir du jour suivant. M. Dupont la vit partir avec un extrême chagrin; le comte tâcha de le soutenir par l'espérance qu'un jour Emilie lui serait plus favorable.
Emilie fut contente de se retrouver dans la retraite paisible du couvent; elle y éprouva un renouvellement de bonté maternelle de la part de l'abbesse, et d'amitié fraternelle de la part des religieuses. Elles savaient déjà l'événement extraordinaire du château, et le soir même, après souper, on en parla dans la salle du couvent. On pria Emilie d'en raconter les détails; elle le fit avec circonspection, et s'étendit fort peu sur la disparition de Ludovico. Toutes celles qui l'écoutaient se réunirent à lui prêter une cause surnaturelle.
–On a cru fort longtemps, dit une religieuse appelée sœur Françoise, que le château était fréquenté par des esprits; et je fus surprise quand j'appris que le comte aurait la témérité de l'habiter. L'ancien propriétaire avait, je crois, quelque chose sur la conscience à expier; espérons que les vertus du possesseur actuel pourront le préserver du châtiment réservé aux torts du premier, si réellement il était criminel.—De quel crime le soupçonne-t-on? dit une demoiselle Feydeau, pensionnaire du couvent.—Prions pour son âme, reprit une religieuse, qui jusque-là avait gardé le silence. S'il était criminel, sa punition dans ce monde a été suffisante.
Il y avait dans le ton de ses paroles un mélange de sérieux et de singularité qui frappa singulièrement Emilie. Mademoiselle Feydeau répéta la question, sans prendre garde à l'entretien de la religieuse.
–Je n'ose pas dire quel fut son crime, répliqua la sœur Françoise. J'ai entendu des récits fort étranges au sujet du marquis de Villeroi. On dit, entre autres, qu'après la mort de son épouse, il quitta le château de Blangy et ne revint plus.—Je n'étais pas ici dans ce temps-là, je n'en puis parler que sur des rapports; il y avait très-longtemps que la marquise était morte, et la plupart de nos sœurs n'en pourraient pas dire davantage.—Moi, je le pourrais, reprit la religieuse qui déjà avait parlé, et qu'on nommait la sœur Agnès.—Vous savez donc, dit mademoiselle Feydeau, des circonstances qui vous font juger s'il est criminel ou non, et quel crime on lui imputait?—Oui, dit la religieuse; mais qui oserait scruter mes pensées? Qui osera s'immiscer dans le secret de mes opinions? Dieu seul est son juge, et il a rejoint ce juge terrible.
Emilie regarda la sœur Françoise avec surprise, et elle en reçut un regard expressif.
–Je demandais seulement votre opinion, dit mademoiselle Feydeau d'un ton doux; si le sujet vous est désagréable, j'en changerai.—Désagréable? reprit la religieuse avec affectation. Nous parlons au hasard, et ne sentons guère la valeur de nos termes. Désagréable est une misérable expression. Je vais prier Dieu.
Le comte de Villefort reçut enfin une lettre de l'avocat d'Aix, qui encourageait Emilie à presser ses réclamations sur les biens de madame Montoni. A peu près vers le même temps un avis semblable vint de M. Quesnel; mais le secours de la loi ne paraissait plus nécessaire, puisque la seule personne qui eût pu s'opposer à la prise de possession d'Emilie n'était plus. Un ami de M. Quesnel, qui résidait à Venise, lui avait envoyé le détail de la mort de Montoni; on l'avait mis en jugement avec Orsino, comme complice supposé de l'assassinat du noble vénitien. Orsino fut trouvé coupable, condamne et exécuté sur la roue; rien ne se trouva à la charge de Montoni et de ses amis; on les relâcha tous, excepté Montoni. Le sénat vit en lui un homme fort dangereux, et, pour divers motifs, on le retint en prison. Il y mourut d'une manière fort secrète, et l'on soupçonna que le poison avait hâté la fin de sa vie. La personne dont M. Quesnel avait reçu cette information ne lui laissait aucun doute sur sa sincérité. Celui-ci disait donc à Emilie qu'il suffisait de réclamer les biens de sa tante pour se les assurer, et ajoutait qu'il l'aiderait à ne négliger aucune formalité. Le terme du bail de la vallée était presque expiré; il le lui apprenait, et lui donnait le conseil de se rendre à Toulouse.
Ce qu'elle avait le plus de plaisir à apprendre était que la vallée, lieu si cher à son cœur par les souvenirs de son enfance et par la constante résidence que ses parents y avaient faite, serait bientôt remise entre ses mains; elle résolut de s'y fixer. La charmante situation de cette demeure, les souvenirs qui y étaient attachés, avaient sur son cœur un privilége qu'elle ne voulait point sacrifier à l'ostentation et à la magnificence de Toulouse. Elle écrivit à M. Quesnel pour le remercier de l'intérêt actif qu'il lui témoignait, et l'assurer qu'elle serait à Toulouse au temps indiqué.
Quand le comte de Villefort vint avec Blanche remettre à Emilie la consultation de l'avocat, il apprit le contenu de la lettre de M. Quesnel, et il en félicita sincèrement Emilie; mais cette impression de satisfaction eut bientôt abandonné ses traits, et Emilie y remarqua une tristesse extraordinaire: elle n'hésita pas à en demander la cause.
–Le sujet n'en est pas nouveau, dit le comte: je suis fatigué, excédé du trouble et de la confusion où des folies superstitieuses ont jeté tous ceux qui m'entourent; les rapports les plus ridicules m'obsèdent, je ne puis les croire vrais, et je n'en puis démontrer la fausseté; je suis aussi très-inquiet de ce pauvre Ludovico, je n'ai pu rien découvrir à son égard. On a épuisé les retraites du château et celles du voisinage, on ne peut en faire davantage; et j'ai offert de fortes récompenses pour le plus léger renseignement; j'ai depuis sa disparition gardé sur moi les clefs de l'appartement du nord, et je veux moi-même y veiller cette nuit.
Emilie, sérieusement alarmée pour le comte, unit ses prières à celles de Blanche pour l'en détourner.
–Qu'ai-je à craindre? dit-il, je ne crois pas avoir à combattre d'ennemis surnaturels; et quant aux attaques des hommes, je serai préparé à les recevoir. D'ailleurs, je vous promets de ne pas veiller seul.—Et qui donc, monsieur, reprit Emilie, aura le courage de veiller avec vous?—Mon fils, répondit le comte. Si je ne suis pas enlevé cette nuit, ajouta-t-il en souriant, demain vous apprendrez le résultat de mon aventure.
Le comte et Blanche, bientôt après, prirent congé d'Emilie et retournèrent au château. Le comte fit part à Henri de son projet, et ce ne fut pas sans répugnance que celui-ci consentit à y prendre part. Lorsqu'après le souper cette intention fut connue, la comtesse fut épouvantée: le baron et M. Dupont conjurèrent le comte de ne pas courir le risque d'éprouver le même sort que le malheureux Ludovico.—Nous ne connaissons, dit le baron, ni la nature, ni le pouvoir d'un esprit diabolique. On ne peut, je crois, douter qu'un esprit de cette espèce ne fréquente cet appartement. Prenez garde, monsieur, de provoquer sa vengeance; il a déjà donné un exemple terrible de sa malice. J'accorde que les esprits des morts ne puissent revenir sur la terre que pour des occasions importantes: mais n'en est-ce pas une que votre mort?
Le comte ne put s'empêcher de sourire.
–Je sais que vous êtes un incrédule, interrompit le baron.
Le comte prit congé de la famille avec une gaieté empruntée qui dissimulait mal le trouble de son esprit. Il prit le chemin de l'appartement du nord, accompagné de son fils, et suivi du baron, de M. Dupont et de quelques domestiques, qui tous leur souhaitèrent le bonsoir à la porte. Tout, dans l'appartement, était comme on l'avait laissé, même dans la chambre à coucher. Le comte alluma lui-même son feu; aucun de ses gens n'avait voulu s'aventurer si loin. Il examina soigneusement la chambre et l'oratoire, et prit, ainsi qu'Henri, une chaise auprès de la cheminée. Ils mirent du vin et une lampe auprès d'eux; posèrent leurs épées sur la table, firent étinceler la flamme, et commencèrent à s'entretenir sur différents sujets. Henri était souvent distrait et silencieux; il jetait un regard défiant et curieux sur les parties obscures de la chambre. Le comte cessa peu à peu de parler, et ne sortit de sa rêverie que pour ouvrir un volume de Tacite qu'il avait eu la précaution de prendre.