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Kitabı oku: «Essai historique sur l'origine des Hongrois», sayfa 3

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§ 2
TRADITIONS HONGROISES

À quelle race appartiennent les Magyars?

Il m'arriva un jour de soulever cette question devant un Hongrois et un Allemand que je savais être d'avis opposé. J'avais dit à peine quelques mots que la discussion commença entre eux: c'était précisément ce que je voulais; de ce choc d'idées j'espérais tirer quelques lumières. À la fin l'Allemand, poussé à bout, s'écria: «Mais, si vous n'êtes pas Finnois, qu'êtes-vous donc?» – «Nous sommes, repartit son adversaire, ce que nous avons toujours été, et ce que nous serions encore à vos yeux, si vos savants s'en rapportaient à nous, des Huns.»

Répétons ici avec tous les historiens nationaux, et avec les traditions que les deux cent mille Sicules de Transylvanie conservent depuis treize siècles dans leurs montagnes, que les Hongrois sont des Huns28.

La tradition qu'ils étaient frères des Huns s'est conservée chez les Magyars de la Hongrie jusque après le moyen âge, jusqu'au moment où la monarchie hongroise tomba à Mohács et que les glorieux souvenirs s'effacèrent. Il n'est pas un écrivain hongrois avant cette époque, où il était encore possible de consulter les documents originaux et de recueillir les traditions, il n'est pas un écrivain qui, en parlant de l'histoire de son pays, ne confonde toujours à dessein les Huns et les Hongrois. Le Notaire Anonyme et Kéza, qui vivaient au treizième siècle, ne laissent pas de doute à cet égard. Thuróczi et Bonfinio, qui écrivirent sous Mathias Corvin, commencent l'histoire des Hongrois à Attila. Le Cujas de la Hongrie, Verböczi29, va chercher le germe des institutions hongroises jusque sous les tentes des Hongrois et des Huns: Hungari sive Hunni, dit-il.

Les écrivains postérieurs à cette époque n'avaient pas les ressources de leurs prédécesseurs: ils ont répété ce qu'avaient dit leurs devanciers, ou se sont attachés à raconter les faits présents qui avaient un intérêt immense. Car depuis le commencement de la domination autrichienne jusqu'à Joseph II, la Hongrie a été le continuel champ de bataille où les empereurs et les sultans mesurèrent leur ambition et leur force, pour le malheur des Hongrois, sur lesquels pesaient toutes les victoires. À la fin du siècle dernier, des écrivains distingués par leur science ont donné pour la première fois quelques histoires critiques de la Hongrie, à l'aide des vieilles chroniques et des mémoires écrits dans les temps modernes par des hommes qui avaient pris part aux événements. Il faut tenir compte sans doute de leurs travaux; mais par cela même que ces histoires sont critiques, raisonnées, elles sont faites sous l'influence de certaines idées. Pray lui-même a été souvent induit en erreur par les écrivains allemands. Ce n'est donc pas dans les historiens modernes que nous chercherons les traditions hongroises, car ils ont souvent puisé à des sources étrangères, et d'ailleurs ils ne pouvaient rien ajouter aux données des premiers chroniqueurs.

En même temps que ceux qui écrivaient l'histoire, préoccupés des événements qui s'accomplissaient sous leurs yeux, laissaient de côté les origines des Hongrois, les vieilles traditions, les vieux souvenirs s'effaçaient dans le peuple, en présence des calamités terribles qui l'accablaient et qui frappaient les esprits bien autrement que les récits des temps passés. On m'a assuré, en Transylvanie, que les Magyars de la Hongrie (j'entends ici les paysans) répètent le nom d'Attila comme celui d'un ancien vezér. Je n'ai pu vérifier ce fait, ayant non pas habité mais seulement traversé la contrée qu'ils habitent. Cependant je suis porté à croire que les souvenirs sont on peu affaiblis dans la Hongrie même, car parmi les ouvrages qui ont paru à Pesth et à Presbourg en réponse à ceux des écrivains allemands, il y en a plusieurs qui contiennent sur l'origine des Hongrois des idées contraires aux vieilles traditions comme aux récits des historiens. Il est très concevable, en effet, que les accusations dont les historiens nationaux ont été l'objet aient élevé certains doutes dans l'esprit de quelques Magyars, et que ces derniers, s'abstenant de les consulter, aient suppléé par des conjectures aux renseignements qui leur manquaient.

C'est là un mauvais système. Il ne faut pas rejeter les écrivains nationaux parce qu'on les a accusés. On doit au contraire s'en rapporter à eux, puisque leurs récits suffisent pour démentir une opinion évidemment fausse: c'est une première preuve qu'ils disent vrai. Si les traditions manquent en Hongrie, on les trouve vivantes en Transylvanie, parmi les Sicules. La force des souvenirs est si grande chez cette fraction du peuple magyar, que, dans le siècle où nous vivons, bien qu'il y ait quatorze cents ans que leurs pères ont quitté l'Asie, trois hommes sont partis courageusement, seuls, à pied, pour chercher le berceau des Hongrois, ou, comme ils disaient, des Huns, et sont allés jusqu'en Perse, jusqu'au Thibet. L'un était Csoma de Körös, qui est mort à la peine. Les deux autres, qui sont moins connus, MM. de Szemere et ***, sont retournés en Transylvanie, où ils vivent encore.

Il est naturel que les traditions se soient conservées dans toute leur force chez les Sicules. Débris des Huns, comme on le verra tout à l'heure, poursuivis par les nations autrefois soumises, les Sicules, pour se soustraire à leur vengeance, se retirèrent dans le pays qu'ils occupent encore aujourd'hui: il paraît même qu'ils y furent subjugués. Isolé, au milieu de hordes ennemies qui le pressaient de toutes parts, un jour vainqueur et maître, le lendemain vaincu et dompté, ce peuple a dû cruellement souffrir et se renfermer plus encore dans sa nationalité. Relevé un instant par l'apparition de cette seconde armée de Huns qu'on appela Avars ou Abars, puis enfin par l'arrivée des Hongrois, qui domptèrent à leur tour les possesseurs de la Dacie, les Sicules ne s'unirent pas aux nouveaux arrivants, qui se répandirent sur l'Occident pendant près d'un siècle. Tandis que les Magyars ajoutaient à la liste de leurs exploits les courses aventureuses qu'ils firent presque annuellement en Allemagne, en France et en Italie, les Sicules restaient dans leurs montagnes avec leurs souvenirs, qu'ils se sont fidèlement transmis jusqu'à cette heure. Quoiqu'ils aient le cœur hongrois et qu'ils ressentent pour la patrie commune cet ardent amour qui anime tout Magyar, cependant il est resté en eux un certain esprit de tribu, reste de l'ancien esprit de nationalité, qui les a soutenus dans l'adversité. Rappelant la position qu'ils occupent dans une contrée reculée, qui ne nourrit pas d'hommes de race étrangère, et faisant allusion à la situation des autres Hongrois qui sont environnés de nations diverses, les Sicules disent avec fierté: «Les vrais Magyars, c'est nous; ceux du reste de la Transylvanie sont des Valaques, et ceux de la Hongrie, des Allemands.»

Or, qui se sentira le droit de dire à une tribu sans mélange: Vos traditions perpétuées depuis treize siècles affirment que vous êtes des Huns. On doit les regarder comme certaines, car vous habitez un pays éloigné où rien d'étranger ne pénètre. Elles s'accordent merveilleusement avec les récits des historiens nationaux et ceux des historiens étrangers qui parlent de la Dacie du cinquième siècle. Cependant j'affirme que vous êtes dans l'erreur depuis treize cents ans, et c'est à moi de vous apprendre qui vous êtes.

Ou qui osera dire à cette tribu: Je reconnais que vous êtes des Huns, mais je n'admets pas que vous soyez Hongrois. Il m'est impossible d'expliquer pourquoi, après avoir gardé si fièrement votre nationalité depuis la mort d'Attila, vous êtes devenus tout à coup Hongrois; pourquoi, dans cette Dacie où chacun parlait et parle encore sa langue, vous avez subitement quitté la vôtre et adopté celle des nouveaux arrivants, qui n'ont pas pénétré jusqu'à vous, et par quel hasard vous avez précisément le même caractère et la même physionomie que les Magyars. Cependant j'affirme que vous n'êtes pas Hongrois.

Il faudrait un courage surnaturel pour tenir l'un ou l'autre de ces discours. Que si l'on préfère s'abstenir, la question est singulièrement simplifiée, car elle acquiert une précision mathématique.

En effet, s'il est constaté que les Sicules sont à la fois des Hongrois et des Huns, on en conclura que les Huns et les Hongrois ne forment qu'un seul peuple.

§ 3
RELATIONS DES HISTORIENS NATIONAUX

Combinons les récits de Kéza, du Notaire Anonyme, de Thuróczi et de Bonfinio; et, en corrigeant ces historiens l'un par l'autre, recherchons quels furent les commencements des Hongrois30.

Sans remonter à la confusion des langues, comme les chroniqueurs dont je parle, disons seulement que les Huns entrent en Europe par le Caucase et la mer d'Azow (374). Ils paraissent en Dacie (376), en Pannonie (378), et livrent près de Polentiana (380) une bataille où périssent, selon Thuróczi, cent vingt-cinq mille Huns et deux cent dix mille Romains.

Maîtres de la Pannonie, les Huns ont une suite de chefs, puis choisissent ce guerrier fameux que les Hongrois ont appelé Ethele et les Occidentaux Attila. Kéza parle en détail de ce héros national. Il vante sa force, sa bravoure, sa générosité, voire même sa propreté et sa courtoisie. Il décrit ses habitations, dont l'une, décorée avec un goût extraordinaire, était ornée de colonnes dorées enrichies de pierres précieuses. Les harnais de ses chevaux étaient superbes; sa table, magnifiquement parée. Il avait sur sa bannière un aigle couronné, armes que les Hongrois ont gardé jusqu'au temps de Geyza. Enfin Attila était le plus grand roi du monde.

Nous ne suivrons pas les chroniqueurs hongrois dans le récit des victoires d'Attila, dont l'histoire est trop connue. Rappelons seulement qu'il était né, disent quelques uns, en Transylvanie, à Enyed, et qu'il partagea d'abord le pouvoir avec Buda ou Bléda, son frère: il le tua en 445.

(Les Sicules de la Transylvanie ont religieusement gardé les noms et les autres souvenirs de cette glorieuse époque. Ils affectionnent la ville d'Udvarhely, parce que la tradition rapporte qu'Attila y a campé. Ils nomment une montagne située près de cette ville, Bud' vára, «fort de Buda», parce que le frère d'Attila y a construit des retranchements qui se voient encore. Ils appellent Kadcisfalva, «village de Kadicsa», un village voisin, fondé par Kadicsa, un des quatre chefs sous lesquels les Huns entrèrent en Europe. Attila n'est pas seulement un héros national pour les historiens hongrois: il l'est encore aujourd'hui pour les Sicules31.)

Il m'est arrivé un jour de regarder une copie de ce tableau de Rubens ou de Rembrandt que l'on appelle, si je ne me trompe, le Porte-Étendard, en présence d'un paysan sicule, qui certes n'était pas savant. Ce paysan me voyant en face du tableau, s'écria: Attila, Székely király, «Attila, roi des Sicules». En effet, le nom d'Attila se lisait à côté du drapeau. Ce nom seul disait beaucoup. Je fus charmé d'entendre cet homme parler ainsi, et, pour le mettre à l'épreuve, je haussai les épaules en disant: Attila nem vólt Székely, «Attila n'était pas Sicule». -Nem? «non?»… répliqua-t-il aussitôt. Attila Magyar király. «Attila, roi des Hongrois», cria-t-il alors, pensant que que je lui accorderais cela plus facilement; et il me regarda fixement, pour deviner ma réponse, de l'air d'un homme auquel on a fait tort.

Après la défaite de Châlons et la destruction d'Aquilée, Attila revient dans ses états-la Hongrie et la Transylvanie-et meurt. Dès cette époque les Huns s'affaiblissent. Leur puissance va bientôt tomber.

Attila laisse trois fils: Ellak, qui du vivant de son père était roi des Acatzes, près de la mer Noire; Dengezisch et Irnak.

(Les historiens parlent encore d'un Chaba ou Kaba qui serait le quatrième fils d'Attila. C'est une erreur. Kaba et Dengezisch ne sont qu'un seul personnage. Les Huns donnèrent à Dengezisch le surnom de Kaba, à cause de ses guerres malheureuses. Kába veut dire en hongrois «fou, étourdi»32.)

Les fils d'Attila se disputent le pouvoir. Les nations soumises profitent de ces discordes pour se révolter. Ellak est battu et tué par les Gépides. Dengezisch, qui lui succède, est vaincu par les Goths. Une partie des Huns gagne la Petite-Scythie: l'autre se fait battre par les Grecs. Dengezisch, à la tête de ce qui reste de Huns, attaque les Goths: vaincu, il se jette sur les Grecs, éprouve une seconde défaite et trouve la mort. Les Huns se dispersent, ils mettent à leur tête Kuturg Ur et Uturg Ur. Ceux qui obéissent à Uturg restent dans la Scythie, où s'était établi Irnak, troisième fils d'Attila.

(La Scythie prend alors le nom d'Hunnivár33, qui signifie en hongrois «citadelle des Huns».)

Les guerriers de Kuturg vont au delà de la mer d'Azow. Les uns et les autres s'unissent aux Avars, qui ne tardent pas à arriver. De là on les appelle Hunni-Avares.

(La dernière expédition de Dengezisch en Grèce a donné lieu à un proverbe hongrois bien remarquable. Pour exprimer un temps qui ne doit jamais venir, on dit: «Quand Kaba reviendra de Grèce.» Je ne sais si ce proverbe est encore usité aujourd'hui, mais il l'était au temps de Mathias Corvin, comme on le voit par ce passage de Bonfinio34. Hi Chabam In Græcia interiisse reputarunt; unde orta proverbialis oratio, adhuc per Ungarorum ora vagatur: Tum redeas quando Chaba e Græcia revertetur.)

Un petit nombre de Huns préfère rester en Dacie, selon le témoignage de Jornandès, plutôt que de s'aventurer dans de nouvelles courses. Ils occupent les vallées de la Maros et de l'Aluta. «Ceux-là, ajoutent les historiens nationaux, sont aujourd'hui nos Sicules.» ils habitent toujours les mêmes lieux. Ils les conservèrent encore après l'invasion des Avars; aussi quelques écrivains les font-ils venir avec ces derniers. Ces écrivains ont été induits en erreur par ce fait que Sicules et Avars étaient des hommes de même race. Les Sicules paraissent être restés en Dacie sous deux chefs, Elmedz Ur et Ultindz Ur.

(Les historiens modernes écrivent à tort Kuturgur, Uturgur… d'où on a fait ces noms de peuple Kuturgures, Uturgures, etc. Il faut écrire Kuturg Ur, Uturg Ur, Elmedz Ur, Ultindz Ur, Kotrig Ur, Utrig Ur, etc. Le mot ur qui se trouve après les noms huns se met en hongrois à la suite des noms propres, et signifie «seigneur». D'ordinaire les Hongrois disent simplement les noms de personnes. Mais quand ils veulent marquer une certaine déférence pour celui dont ils parlent, ils ajoutent le mot úr à son nom. Andrási úr, par exemple, se traduira mot à mot «Andrási, seigneur», et pourra se rendre à peu près par «Monsieur Andrási». C'est la coutume de tous les peuples orientaux de mettre après le nom de la personne son titre ou sa dignité. On dit encore en hongrois: Mátyás Király, «le roi Mathias»; Biró kapitány, «le capitaine Biró». Les Turcs disent également Ibrahim pacha, Sélim bey.)

Les Sicules se retirèrent dans les montagnes qu'ils occupent encore aujourd'hui, soit pour se soustraire aux persécutions des Goths et des Gépides, soit parce que les Huns pendant leurs expéditions laissaient dans ces lieux leurs femmes et leurs enfants. Ils devinrent tributaires des Gépides.

(La tradition sicule assurait depuis treize siècles que le reste du trésor d'Attila, formé des tributs payés par les rois vaincus, était caché au pied d'une montagne. Eh bien! elle disait vrai. Il y a moins de dix ans que ce trésor a été trouvé au cœur du pays des Sicules, près de Korond. Il se composait surtout de pièces d'or de Bysance35.)

En 583, les Avars affranchissent les Sicules en battant les Gépides, de concert avec les Lombards. Ceux-ci sont appelés en Italie par l'eunuque Narsès. Les Avars restent seuls maîtres de la Dacie. Un certain nombre de Huns qui s'étaient fixés en Illyrie viennent les rejoindre. Tous ensemble attaquent l'empire d'Orient. Leur roi ou kagan meurt, et est remplacé par Kursz ou Kársz, qui fonde la ville de Kársz király árka36.

(Ce nom veut dire en hongrois «Fossé du roi Kársz». On se rappelle quels étaient les retranchements des Avars. Évidemment ce sont les Avars qui ont donné à la ville ce nom, que les Hongrois ont trouvé et conservé.)

Kársz fait une guerre sanglante contre Maurice, empereur d'Orient. Les Avars assiégent Constantinople en 626. Le chan Bajan, leur chef, succombe dans une grande bataille. Dès lors ils décroissent, et Charlemagne les dompte en 803. L'arrivée des Hongrois, qui viennent, comme les Huns et les Avars, par le Caucase et la mer d'Azow, assure l'indépendance des Avars et des Sicules. Ceux-ci restent dans leurs montagnes; mais les premiers unissent leurs bandes à celles des Hongrois. Tout à l'heure ils étaient appelés dans les chroniques latines Hunni-Avares: ils prennent maintenant le nom hongrois d'Abar-Magyarok.

Les Hongrois se dirigent vers la Pannonie, simplement pour suivre la trace des Huns. Tunc elegerunt sibi quærere terram Pannoniæ, quam audiverant, fama volante, terram Athilæ regis esse, de cujus progenie dux Almus, pater Arpad, descenderat37. À leur approche les peuples qui ont connu les Huns s'empressent de faire leur soumission. Sclavi vero, habitatores terræ, audientes adventum eorum, timuerunt valde, et sponte sua Almo duci se subjugaverunt, eo quod audiverant Almum ducem de genere Athilæ regis descendisse38. Tous les habitants apportent des vivres à l'armée envahissante, s'efforcent de captiver la bienveillance des chefs, leur racontent ce qui est arrivé après la mort d'Attila, car ils retrouvent dans les nouveaux venus ces mêmes Huns qui ont laissé une si terrible mémoire39.

(La tradition sicule consacre aujourd'hui encore ce fait que, en apprenant l'arrivée d'hommes qui parlaient leur langue, les Sicules marchèrent au devant d'eux pour les guider, et les conduisirent en Dacie. Cette tradition subsistait encore chez les Magyars de la Hongrie au temps de Mathias Corvin. Je cite encore Bonfinio40. Multi Siculos qui extremam Daciæ partem cum Attila occuparunt et hucusque tenerant, quam Transsilvaniam nunc appellant, his in Roxolanos usque, audito cognatorum adventu, et Amaxobios, quos nunc Ruthenos Rossiosve dicunt, occurrisse referunt.)

Les Hongrois s'emparent de la Pannonie et se jettent sur l'Occident. Pendant près d'un siècle ils ravagent sans relâche l'Allemagne, la France et l'Italie. Ce n'est pas ici le lieu de retracer leurs incursions. J'emprunterai cependant un fait à M. Dussieux, qui a écrit l'histoire des invasions hongroises. Les Hongrois sont battus près d'Augsbourg par l'empereur d'Allemagne Henri l'Oiseleur. «Parmi les prisonniers étaient Leel et Bolchu, célèbres par leur naissance et par leur courage. L'empereur voulut voir ces deux guerriers, et leur demanda quel outrage ils avaient reçu des chrétiens pour venir ainsi dévaster leurs terres. «Nous sommes, dirent-ils, comme le fut Attila, les fléaux de Dieu.» Enfin les Hongrois quittent la vie aventureuse, sous Gejza, et entrent dans la grande famille européenne. C'est ici que je dois m'arrêter.

On a vu, dans ce résumé succinct qui vient d'être fait, que les Hun-Abar-Magyarok, pour parler comme les Hongrois, sont venus par le même chemin, à intervalles réguliers, et ont conquis tour à tour les mêmes contrées. Ils marchent tous sous la conduite de chefs librement élus. Ces chefs ont souvent les mêmes noms. Le nom de Béla, porté par plusieurs rois hongrois, est celui d'un chef des Huns. Attila a pour frère Buda: c'est un Buda qui s'arrête près du Danube à la tête des Hongrois, et fonde la ville de Bude. Les débris des armées dispersées recherchent avec empressement celles qui arrivent. Les Huns accourent de l'Illyrie pour s'unir aux Abars. Ceux-ci, ainsi que les Sicules, marchent au devant des Hongrois. Les nations vaincues par les Huns reconnaissent des Huns dans les Hongrois, et se soumettent à l'avance. De leur côté les Hongrois ne sont conduits en Pannonie que par le souvenir d'Attila, dont ils veulent reconquérir le royaume, et c'est encore le souvenir d'Attila qui les lance sur l'Allemagne, l'Italie et la France.

Je demande s'il est rien de plus simple, de plus naturel, de plus conséquent que les relations des chroniqueurs hongrois. Il fallait vraiment qu'il y eût un parti pris de les réfuter, pour mettre leur véracité en doute. Certes, il y a bien des faits avérés historiquement qui ne sont pas confirmés par des preuves aussi fortes. Et quand les récits des historiens nationaux sont si clairs et si simples, où est la nécessité d'aller chercher si loin, pour les Hongrois, une origine à laquelle ils n'ont jamais songé, et de les convertir en Lapons, en Esthoniens, en Kalmoucks, en Baschkirs, en Groënlandais, etc., etc., etc., car on a peine à suivre l'imagination teutonique dans toutes les régions où il lui a plu de s'égarer. Il faut avoir visité l'Allemagne pour comprendre comment certaines erreurs naissent et prennent consistance dans cette docte et studieuse contrée. Il faut avoir vu les hommes de talent, vivant dispersés dans de petites villes, au milieu d'un cercle de partisans, et s'attachant d'autant plus à leurs opinions qu'elles sont moins contestées autour d'eux.

Admettons donc ce premier point: en disant que les Hongrois sont des Huns, les historiens nationaux sont appuyés par les traditions hongroises. Il reste à démontrer qu'ils sont également d'accord avec les historiens étrangers. Mais avant de sortir des preuves tirées des monuments hongrois, essayons de répondre à ceux qui les ont repoussées.

On s'est attaqué principalement aux Sicules: car, s'il faut reconnaître en eux les restes des Huns, l'origine des Hongrois n'est plus douteuse. Quelques érudits ont nié qu'ils aient habité la Transylvanie dès le cinquième siècle, comme débris des Huns. Ils ont osé dire à des hommes dont l'amour national est le plus fort des sentiments que leur attachement à la mémoire des Huns était chose fort absurde, par l'excellente raison qu'ils étaient d'avis, eux écrivains, que les Huns et les Sicules n'avaient aucune espèce de parenté.

Un jésuite allemand, Fasching41, rappelant ce passage des historiens nationaux qui porte à trois mille le nombre des Huns restés en Transylvanie, trouve impossible que trois mille hommes aient occupé la Dacie, quand les Romains, avec toutes leurs forces, ne purent la conserver. Il suppose que les Sicules sont simplement des Jazyges, placés par Béla IV aux frontières, dans le treizième siècle, pour défendre le pays contre les Tatars.

En niant qu'un petit nombre de Huns soient restés en Dacie, Fasching n'est pas seulement en contradiction avec les chroniqueurs hongrois, il l'est encore avec Jornandès, dont il faut se méfier quand il parle des Goths, mais dont la véracité du reste est des mieux constatées, et il l'est de plus avec tous les écrivains sicules, qui ont constamment affirmé le même fait. En outre Kéza et Thuróczi, en donnant ce chiffre de trois mille, font entendre qu'il s'agit seulement des guerriers. Or ces guerriers avaient leurs femmes et leurs enfants, ce qui porte à quinze mille environ le nombre des Huns restés en Dacie. Est-il donc absurde de croire que ces quinze mille individus, qui, suivant Kéza, absorbèrent les Valaques qui se trouvaient parmi eux, aient pu vivre dans des montagnes reculées, jusqu'à l'arrivée des Avars et des Hongrois, et qu'ils se soient multipliés en treize siècles au point de former une tribu à part de deux cent mille âmes? Fasching trouve impossible que trois mille Huns occupent la Dacie, que les Romains avec toutes leurs forces ne purent conserver. Il a certes parfaitement raison. Mais, loin de le supposer, nous disons au contraire qu'ils se retirèrent dans les montagnes pour se faire oublier, qu'ils payèrent un tribut aux Gépides, et qu'ils ne furent délivrés que par l'arrivée de leurs compatriotes. Enfin Fasching, en avançant que les Sicules ont été placés aux frontières par Béla IV, commet une erreur très grave. En effet, saint Étienne, qui fonda le royaume de Hongrie et divisa en comitats le territoire hongrois, ne compte tout le pays occupé par les Sicules que comme un seul comitat. De là le titre de comes Siculorum que portèrent après lui les rois de Hongrie, et que portent de nos jours les empereurs d'Autriche. Cela est constaté dans les lois hongroises. Ce fait montre qu'au temps de saint Étienne les Sicules avaient déjà le pays qui porte leur nom et qu'ils occupent toujours. Est-il besoin d'ajouter que saint Étienne a vécu au commencement du onzième siècle, et que par conséquent les Sicules n'ont pu être postés aux frontières sous Béla IV dans le courant du treizième?

La plupart des écrivains qui n'ont pas voulu reconnaître dans les Sicules les débris des Huns se sont accordés à dire qu'ils n'étaient autre chose qu'une fraction de Cumans, lesquels s'emparèrent de la Moldavie (Atelkouzou) dans le même temps que les Magyars d'Árpád se rendaient maîtres de la Pannonie. On a supposé que plusieurs milliers de Cumans avaient passé les montagnes de la Moldavie et étaient venus s'établir en Transylvanie sous le nom de Sicules. Engel, en sa qualité d'Allemand un peu magyarisé, arrange toute une histoire en s'appuyant sur la langue hongroise. Mais cette opinion n'est pas fondée. D'abord on ne trouve dans aucun historien ni dans aucun document quelconque cette transmigration de Cumans. De plus, une pareille hypothèse est en contradiction avec les faits.

Les différentes tribus hongroises qui marchèrent vers l'Europe se firent en chemin la guerre. Cela est arrivé au reste à toutes les tribus des grandes nations. Elles se sont toujours battues entre elles, soit dans la patrie même, quand la population devenait trop nombreuse, soit en route, quand elles se disputaient un nouveau sol. Les tribus hongroises se combattirent dès l'Asie, et continuèrent à se faire la guerre en Europe. Les Cumans, par exemple, défendirent la ville russe de Kiew contre les Magyars. Il est vrai qu'ils s'unirent le lendemain de la bataille. Après que le royaume de Hongrie fut fondé, l'esprit de tribu dura encore. Les Magyars, qui marchaient sous Árpád, avaient pris plus d'importance que les autres tribus, et le pays s'était appelé «royaume Magyar», Magyar ország. Tous ne formaient plus qu'un seul peuple. Mais il restait encore dans chaque bande un esprit de tribu, et des révoltes éclatèrent parmi ceux qui n'étaient pas Magyars. Les Cumans se soulevèrent sous Ladislas IV, vers la fin du treizième siècle. Ils habitaient plusieurs points du royaume. Partout et en même temps ils prirent les armes, car ils obéissaient tous à cet esprit de tribu qui était alors dans toute sa force et qui n'a pas entièrement disparu de nos jours. Or, entre les Hongrois restés fidèles, quels furent ceux qui se levèrent les premiers pour comprimer la révolte? Les Sicules, que l'on veut confondre avec les Cumans; les Sicules, qui se révoltèrent aussi de leur côté, à d'autres époques. Voici le commencement d'une charte accordée le 17 septembre 1289 aux Sicules par Ladislas IV, laquelle fait complètement justice de l'opinion que nous combattons en ce moment:

Consideratis fidelitatibus et meritorum servitiis Siculorum nostrorum quæ primo Domino Regi Stephano, patri nostro carissimo, et per consequens nobis, cum summo ardore fidelitatis laudabiliter exhibuerunt: – nam, cum Comani, versi in perfidiam, ausu temerario elevato vexillo, crimen læsæ majestatis non formidantem in Houd42 contra personam nostram insurrexerant, convenerant; iidem Siculi, dubios eventus fortunæ non verentes, nobis cernentibus, contra ipsos Comanos, et aciem eorumdem, se viriliter et laudabiliter opposuerunt, et in eodem prælio nobis multipliciter meruerunt complacere43

Il faut remarquer avec quelle assurance les écrivains allemands avancent que les Sicules sont tantôt des Cumans, tantôt des Jazyges, et cela sans aucune espèce de preuves. On ne s'étonnera pas alors qu'Engel, marchant sur les traces de ses devanciers, ait composé une véritable histoire. Dans l'année 893, dit-il, les Magyars se trouvaient dans la grande Moravie, où Arnoulf les avait appelés; ils avaient laissé leurs vieillards dans la Moldavie supérieure, sous la garde de quelques guerriers, quand les Bulgares et les Petchénègues fondirent sur leurs terres. Les guerriers s'enfuirent et se réfugièrent dans les montagnes qui séparent la Transylvanie de la Moldavie. Telle est l'origine des Sicules. Les Magyars les retrouvèrent quand ils vinrent en Transylvanie, et, comme ils étaient prodigues de sobriquets, il est probable qu'ils les nommèrent Székely (de szökni, fuir). C'est pour cette raison qu'ils furent condamnés à marcher à l'avant-garde des armées hongroises, et qu'ils furent appelés dans les annales nequissimi et vilissimi44.

Aucune preuve ne vient appuyer le récit d'Engel: il est au contraire démenti par plusieurs faits. Les Sicules ont reçu quelquefois des épithètes peu flatteuses, à cause de leurs révoltes, et de l'envie qu'excitaient leurs priviléges; mais tous les documents hongrois signalent leur bravoure. Ils sont appelés dans le décret Tripartit45 rerum bellicarum expertissimi, et dans le Diplôme de Léopold46 genus hominum bellicosissimum. Pour mettre à profit leur humeur belliqueuse, les rois de Hongrie leur imposèrent le service militaire, en les exemptant de toute autre charge. Ce service consistait à marcher à l'avant-garde des armées hongroises pendant la guerre, et à garder les frontières pendant la paix. Il est étrange qu'Engel, oubliant l'histoire, trouve cette singulière explication aux devoirs militaires des Sicules. Les Hongrois d'ailleurs n'auraient pas commis l'imprudence de mettre à l'avant-garde les hommes les plus lâches de l'armée.

Voilà les objections qui ont été faites aux Sicules. Ils répondent, ce nous semble, suffisamment. De la discussion historique qui précède ressort ce fait que les Sicules occupent la Transylvanie dès le cinquième siècle, fait qu'il est impossible d'expliquer si on repousse les écrivains hongrois.

Nous arrivons donc, en étudiant l'histoire, aux mêmes conclusions qu'en consultant la tradition, à savoir que, les Sicules étant reconnus pour des Huns et pour des Hongrois, il en résulte que les Hongrois sont des Huns.

28.Il était généralement reconnu que les Hongrois étaient frères des Huns, quand parurent les ouvrages de Fischer et de Beyer. Leurs idées furent combattues; et, l'élan étant donné aux esprits, on vit se former une foule de systèmes, dont j'ai indiqué en commençant les plus raisonnables. Les premiers écrivains avancèrent que les Hongrois étaient étrangers aux Huns, et se rattachaient à la race finnoise. Depuis, quelques auteurs ont admis que les Huns appartenaient également à cette race: cependant leur opinion était démentie à l'avance par l'ouvrage de Deguignes.
29.Mort en 1542.
30.Il faut tenir compte des exagérations et des confusions que ces chroniqueurs n'ont pu éviter. Cette réserve est nécessaire quand on consulte les premiers historiens d'un peuple, dans quelque langue et dans quelque pays qu'ils aient écrit.
31.Il y a même une famille, les barons Apor, qui passe aux yeux de tous pour tirer son origine d'Attila.
32.Transsilvania, sive magnus Transsilvaniæ principatus, olim Dacia Mediterranea dictus, auctore Josépho Benkö, Transsilvano-Siculo. Claudiopoli, edit. sec., 1834.
33.Du Buat, Hist. anc. des peuples de l'Europe, t. 8, ch. 3.
34.Decad. 1, lib. 7.
35.Les laboureurs qui l'ont découvert se sont enrichis en le vendant en détail. Celui qui écrit ces lignes a pu encore se procurer une des dernières pièces.
36.Benkö, Transsilvania.
37.Anonymus Belæ Regis Notarius, cap. 5.
38.Anonymus Belæ Regis Notarius, cap, 12.
39.Id., ibid.
40.Dec. 1, lib. 9.
41.Je cite avec quelques détails les opinions de Fasching et d'Engel, parce qu'elles ont été généralement adoptées. Ce fut après eux que les écrivains allemands développèrent hardiment leur système.
42.Vieux mot hongrois pour Had, «guerre».
43.Benkö, Transsilvania.
44.Les Sicules sont appelés en hongrois Székely, parce que, dit-on, les Huns laissaient leurs femmes et leurs enfants dans les montagnes qu'ils occupent aujourd'hui, et qui furent appelées Szék hely, «lieu de la demeure». D'autres pensent que les Magyars, trouvant l'administration sicule toute organisée, appelèrent le pays des Sicules Szék hely, ce qui veut dire aussi «lieu de siéges». Le jésuite Timon prétend que Székely dans le vieux hongrois signifiait «gardien», et que les Sicules reçurent ce nom parce qu'ils gardaient les frontières. Verböczi écrit que les Sicules sont appelée ainsi par corruption de Scythules (Scythuli), parce qu'ils étaient venus de la Scythie, comme tous les Huns.
45.Livre de lois hongroises.
46.Charte de Transylvanie.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
132 s. 21 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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