Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.
Kitabı oku: «Essai historique sur l'origine des Hongrois», sayfa 4
§ 4
RELATIONS DES HISTORIENS ÉTRANGERS
Consultons maintenant les chroniques des différentes nations qui ont eu successivement à se défendre contre les Huns, les Avars et les Hongrois. N'ont-elles pas reconnu les mêmes ennemis dans les armées qui les attaquaient sous ces trois noms?
Voyons d'abord les historiens bysantins. Jean Malala et Théophane appellent les Avars un peuple hunnique. Simocatta écrit d'eux, après les avoir nommés Avars: «Ces Huns, voisins du Danube, forment le plus fourbe et le plus avide des peuples nomades.»
Léon Diacre, en parlant des Hongrois qui firent en 961 la guerre à l'empire, dit: «Ils portent le nom de Huns.» Cinname et Théophane donnent continuellement le nom de Huns aux Hongrois. Nicéphore Grégoras, en racontant l'irruption mongole de 1224, qui mit le royaume de Hongrie à deux doigts de sa perte, dit que les peuples qui habitaient alors près du Danube «s'appellent Huns et Cumans». Enfin Ducas, qui écrit au quinzième siècle, désigne encore les Hongrois sous le nom de Huns.
Que les premiers annalistes, au moment de l'apparition des Magyars, aient écrit des erreurs sur leur origine, il n'y a personne qui s'en étonne. Qu'un certain nombre d'écrivains bysantins aient donné à ces nouveaux venus le nom de Turcs, c'est encore ce que l'on peut expliquer: les Grecs appelaient ainsi tous les peuples nomades47. Mais au quinzième siècle, au temps de Jean Hunyade, quand les relations entre Bude et Constantinople étaient si fréquentes, des écrivains pouvaient-ils commettre une erreur aussi grossière? Et s'ils se servaient précisément du nom de Huns, n'était-ce pas parce qu'ils se savaient bien informés?
Les historiens occidentaux ne sont pas moins clairs que les écrivains bysantins. Ouvrons les recueils de dom Bouquet pour la France, de Pertz pour l'Allemagne, de Muratori pour l'Italie, et voyons si les occidentaux avaient retrouvé des Huns dans les Avars.
La Chronique de Verdun, les Annales d'Eginhard, les Annales Pétaviennes, les fragments d'Annales de 768 à 806, donnent toujours aux Avars le nom de Huns. Dans les Annales de Fulde, la Chronique de Sigebert, les Annales Francorum de 714 à 817, nous trouvons tantôt le nom de Huns, tantôt celui d'Avars. Les auteurs de ces chroniques ne commettent ici aucune confusion. C'est toujours de ce peuple habitant la Pannonie, au milieu des Slaves, qu'ils veulent parler. Quelquefois ils nous avertissent qu'il porte les deux noms. La Chronique d'Herman, par exemple, nous dit: Hunni, qui et Avares, a Caroli vincuntur exercitu. Nous lisons dans Paul Diacre: Alboin vero cum Avaribus, qui primum Huni, postea a regis proprii nomine Avares appellati sunt… Au troisième livre des Gestes des Français d'Aimoin, on trouve: Tunc temporis Huni, qui et Avares dicuntur, a Pannonia egressi, in Thoringam bella gravissima cum Francis gesserunt. Qu'on ne s'imagine pas que les annalistes aient été induits en erreur parce que les Huns et les Avars venaient de la Pannonie. Ils les distinguaient précisément des autres peuples qui ont possédé cette contrée entre les diverses invasions hunniques.
Il n'est pas nécessaire de multiplier les citations. Disons seulement que les Annales de Saint-Gall, les Annales Francorum de 761 à 814, les Annales de Metz, la Vie de saint Rudpert, les vers de Théodulfe, ceux du poëte Saxon, et d'autres écrits encore, constatent ce fait, avec les chroniques déjà citées, que les Avars étaient reconnus pour des Huns. Il en est de même des Hongrois.
L'auteur des Gestes de Louis le Débonnaire, après avoir dit que l'empereur passa le Rhin «pour yverner en un lieu qui en Tyois est apelez Franquenoforth», ajoute: «Là fist assembler un parlement de toutes les nations qui de là le Rim obéissent au roiaume de France: ovec les princes dou païs ordena en ce parlement de toutes les choses qui apartenaient au porfit de la terre. En ce parlement oï et congea dui manières de messages des Normans et des Avares, qui or sont apelé Hongre, si com aucun volent dire.» Remarquez combien notre chroniqueur est exact. Ces événements se passent en 822: aussi a-t-il conservé le nom d'Avars. Mais comme au temps où il écrit les Avars sont oubliés et remplacés par les Hongrois, il prévient son lecteur, pour plus d'éclaircissements, que les deux peuples n'en font qu'un. Le chroniqueur du monastère de Saint-Wandrille donne des détails aussi circonstanciés. Il dit positivement que les Huns, les Avars et les Hongrois, ne sont qu'un seul peuple. Quand il raconte le partage de l'empire français entre les fils de Louis, Ludovicus, dit-il, præter Noricam, id est Bajoariam, quam habebat, tenuit regna quæ pater suus illi dederat, id est Alemanniam, Turingiam, Austrasiam, Saxoniam, et Avarorum, id est Hunnorum seu Ungarorum, regnum. Les Annales de Fulde appellent toujours les Magyars «des Avars auxquels on donne le nom de Hongrois», Avari qui dicuntur Hungari.
J'abrège et ne fais pas mention des chroniqueurs ni des poëtes qui emploient les mots Hunni ou Avares quand ils parlent des Hongrois. Il y en a beaucoup48.
Les écrivains que nous venons de citer ont commis, il est vrai, bien des fautes par ignorance. Mais ils nous paraissent bien informés quand ils confondent à dessein les Huns, les Avars et les Hongrois. Il est impossible de comprendre comment les chroniqueurs français, allemands et italiens, écrivant dans des temps et des pays divers, commettraient précisément les mêmes erreurs que les annalistes hongrois et bysantins, dont ils étaient fort éloignés. Si tous s'accordent, c'est parce qu'ils disent vrai.
§ 5
PARALLÈLE ENTRE LES HUNS, LES AVARS ET LES HONGROIS
Aux citations qui viennent d'être reproduites nous joindrons quelques remarques qui les complètent et qui aideront à faire connaître les peuples hunniques.
Nous avons dit que les Huns et les Hongrois avaient les mêmes étendards. De plus, ils maniaient les mêmes armes, arcus, cultros et lanceas, disent les chroniques. Les soldats qui composaient ces grandes armées émigrantes avaient pour costume le pantalon flottant de toile blanche, qui était porté de temps immémorial par certains peuples de l'Asie (les Persans entre autres), la courte chemise, les bottes, chaussure ordinaire des cavaliers, et une peau d'animal: c'est absolument de cette façon que s'habillent aujourd'hui les paysans magyars49. Quant aux vezérs, ils avaient les bottines, particulières aux chefs asiatiques, et cet habit serré au corps qui descend jusqu'aux genoux et s'attache sur la poitrine, que portent même aujourd'hui les gentilshommes hongrois, et qu'on appelle encore, d'un bout de la Hongrie à l'autre, un attila; ils jetaient sur l'épaule la mente ou une peau de tigre. Répandez l'or et les pierreries sur cet habit de guerrier et de chasseur, et vous avez ce magnifique costume hongrois dont l'éclat frappait les Grecs raffinés de Constantinople, et qu'on peut voir, en ce moment même, à la diète de Presbourg.
On a remarqué que, si un nom de Hun ou un nom avar a un sens quelconque, c'est à l'aide de la langue hongroise qu'on peut l'expliquer. Nous ajouterons que les Huns et les Hongrois avaient le même alphabet. L'alphabet connu sous le nom de huno-scythe, qui est reproduit dans les ouvrages de Mathias Bel, de Gyarmathi et de Besse, était, les savants l'ont dit, l'alphabet des Huns. Or il rend parfaitement tous les sons de la langue hongroise et n'en rend pas d'autres. Personne n'ignore que les premiers rois chrétiens de Hongrie s'empressèrent d'adopter les lettres envoyées de Rome, et de faire disparaître la vieille écriture magyare. Ce fut surtout chez les Sicules que l'écriture nationale se conserva. Gyarmathi, dans son premier ouvrage, a donné une inscription hongroise du treizième siècle qui se trouvait gravée sur une église du siége sicule de Csik. Cette inscription consiste purement en lettres empruntées à l'alphabet des Huns, et Gyarmathi, avec la clef de cet alphabet, est parvenu à la déchiffrer.
Nous pouvons reconnaître que les peuples hunniques sont venus de l'Asie, à ce fait qu'ils apparaissent en Europe par hordes immenses de cavaliers fougueux, parcourant l'espace avec une rapidité incroyable. Comme les autres peuples asiatiques, ils estimaient peu les richesses qu'ils conquirent si rapidement: ils ne furent pas amollis par le luxe. Les Grecs s'étonnaient de retrouver toujours aussi intrépides des guerriers qui couvraient de plaques d'or et de pierres précieuses leurs habits, leurs selles et les harnais de leurs chevaux. Ce furent les dissensions intestines qui perdirent les Huns, les Avars, et qui firent tomber le royaume de Hongrie.
L'organisation des bandes était la même chez les Huns et chez les Hongrois. «L'empire des Huns était gouverné par vingt-quatre principaux officiers qui commandaient chacun un corps de dix mille cavaliers. Ils avaient sous leurs ordres des chefs de mille hommes, de cent hommes, de dix hommes50». Telle est la base de l'administration établie en Hongrie par saint Étienne. Le législateur n'organisa si vite son royaume que parce qu'il appliqua à la formation de l'état les règles qui régissaient son armée.
Note 62: (retour)
En parlant de la religion des Huns, Deguignes écrit: «Tous les jours le Tanjou ou chef sortait de son camp, le matin pour adorer le soleil, et le soir la lune…»51. Ménandre rapporte ainsi le serment prononcé par le Chagan des Abars: «Si je manque à ma parole, que le glaive m'extermine, moi et ma nation; que le dieu Feu, qui est dans le Ciel, nous frappe…»52. Les Hongrois avaient les mêmes croyances. Venus après les Huns et les Avars, ils apportèrent seulement des idées plus pures. Suivant Cornides, ils adorèrent d'abord le soleil, puis ne virent en cet astre qu'un symbole de la divinité, et furent amenés ainsi à reconnaître l'unité de Dieu. En effet, on ne peut douter que les Hongrois n'aient adoré le soleil, si on remarque que leurs croyances religieuses se rapprochaient de celles des Persans. Comme eux, ils sacrifiaient des chevaux blancs à leur divinité. Le nom même qu'ils donnaient à Dieu, Isten, dérive du persan Iesdân. Aujourd'hui encore nous appelons Isdaniens les peuples guèbres de la mer Caspienne.
Ces analogies, à défaut des chroniques, suffiraient pour établir la communauté de race entre les Huns, les Avars et les Hongrois.
Il nous semble enfin qu'on pourrait adresser une question fort difficile à ceux qui repoussent les traditions hongroises et les relations de tous les historiens. Les armées qui ravagèrent l'Occident sous Attila n'étaient pas seulement composées de Huns. Les Huns ne fournissaient qu'un certain nombre de cavaliers, particulièrement dévoués à Attila, mais qui ne formaient pas même la moitié des combattants. Le reste était composé de Gépides et autres barbares que les Huns entraînaient avec eux. Ce fait est non seulement prouvé par le rapport des historiens, mais il sera évident pour quiconque se souviendra qu'aussitôt après la mort d'Attila le vaste empire des Huns disparut. Pour expliquer cette disparition subite et complète, il faut admettre que les Huns se retirent, et que chacun des peuples qui, de gré ou de force, suivaient Attila, reprend son indépendance.
Maintenant peut-on supposer que les Huns, qui occupaient, suivant Deguignes, un empire étendu, et formaient un des peuples les plus formidables de l'Asie, disparaissent complétement de la terre parce que les guerriers d'Attila ont péri? Qu'on exagère les chiffres des historiens, qu'on admette que plus d'un million de soldats obéissaient à Attila, on n'osera pourtant pas avancer que la moitié ou le tiers de cette armée fût tout ce qui restait de ce peuple formidable. En lisant attentivement l'histoire des Huns, en observant les vicissitudes de cette nation, qui a joué un si grand rôle en Asie, on se dit malgré soi que tout n'est pas fini, que la déroute d'Attila n'est qu'une affaire d'avant-garde, et on pressent l'arrivée de ces bandes innombrables qui, du sixième au dixième siècle, viennent sous des noms différents se retrouver en Pannonie.
On a dit que les Huns, les Avars et les Hongrois, n'eussent eu qu'un même nom s'ils avaient formé un seul peuple. Avant d'examiner la valeur de cette remarque, peut-être n'est-il pas hors de propos d'indiquer les étymologies que l'on a données à ces différents noms.
Les Huns sont appelés par quelques écrivains Chuni, Urgi, Ugri, Massagetæ. Philippe Melanchton pensait que le mot Hun venait de l'hébreu hana, «camper». C'est un nom purement hongrois: Hun, au pluriel Hunok. Les Cumans, en hongrois, se nomment Kun, Kunok53. Les Avars ont été ainsi appelés, selon les uns, à cause de leurs fameux retranchements. En hongrois, vár signifie «forteresse», comme en hébreu. Selon d'autres cette dénomination vient du nom d'un de leurs chefs, Var. Nombre d'écrivains les appellent Varchuni (peut-être «Huns des forteresses»?). On a aussi écrit que les Bohêmes les nommaient Obor, «géants», à cause de leur grande taille. Enfin on dit encore que les Avars se nommèrent ainsi, parce qu'ils étaient la réserve des Huns, des Huns tués et dispersés: Avar, en hongrois, signifie l'herbe qui reste sur la prairie et qu'on ne coupe pas. Le nom de Magyar est hongrois. Quant à celui de Hungari, qui a été reproduit avec une foule de variantes, le Notaire Anonyme le fait venir de la ville de Hungu. Fessler pense que ce nom a été adopté par les Européens parce que les Ostiaks appelèrent les Magyars Ogur, Ugor, à cause de leur taille élancée; ce qui correspond à l'Obor des Slaves. Il y a une quantité d'explications différentes.
Voilà bien des noms en effet. Mais n'avons-nous pas vu que les Hongrois qui ont conquis la Pannonie étaient divisés en tribus, lesquelles avaient chacune leur nom distinct? D'ailleurs il est très naturel que des hordes étrangères qui vinrent, à plusieurs époques, ravager nombre de contrées, aient reçu des uns et des autres une foule de noms différents. Plus de vingt ou vingt-cinq noms divers ont été donnés aux Hongrois seuls, grâce aux confusions et à l'ignorance des chroniqueurs. Ce peuple qui depuis tant de siècles occupe le centre de l'Europe, et qui dans sa langue se nomme deutsch, est appelé par les Français allemand, par les Anglais german, par les Italiens tedesco, par les Hongrois német, par les Turcs nemtze, etc.
La différence de noms ne serait donc pas ici une objection. Mais cette différence n'existe pas. Bien au contraire, entre tous les noms que nous avons énumérés il y a un certain rapport qui indique entre chaque membre de la grande nation une parenté évidente. Dans tous se trouve le nom Hun ou Kun, sous lequel sans doute fut désignée cette nation orientale. Les Huns n'en ont pas d'autre. Les Cumans, je le répète, s'appellent Kunok. Les Avars sont aussi nommés Varchuni. Enfin cette fraction qui, dans sa langue, porte le nom de Magyar, a reçu de tous les étrangers celui de Hungari. Ce nom, dit Lebeau, marque leur descendance des Huns.
Engel avance que décidément les Hongrois sont étrangers aux Huns, parce que les Huns étaient «trop laids». L'objection est singulièrement flatteuse pour les Hongrois; mais nous la combattrons, car on l'a prise au sérieux. On a parlé du type «particulier» des Huns, on a rappelé ce qu'a écrit Ammien Marcellin: «Leurs membres gros et courts, avec un petit col fort épais, donnent à tout leur corps une apparence si grossière, qu'on les prendrait pour des monstres à deux pieds, ou pour des poteaux grossièrement taillés…»
Nous avons dit plus haut que les Huns ne formaient qu'une partie de l'armée d'Attila. Il est certain que tous les peuples de l'Asie se trouvaient dans son camp. La description d'Ammien Marcellin peut s'appliquer à plusieurs d'entre eux.
Sait-on d'ailleurs quelle description certains auteurs ont faite des Hongrois du dixième siècle? On possède la date précise à laquelle les Hongrois ont mis fin à leurs expéditions aventureuses dans l'Occident. On connaît exactement le sol où vivent aujourd'hui leurs fils: c'est ce qu'on nomme les Puszta, les Steppes. On sait en outre que les Hongrois ne se sont pas mêlés aux vaincus, puisqu'ils ont pris possession des plaines, fidèles aux goûts qu'ils apportèrent de l'Asie, et que ceux-ci se sont réfugiés dans les montagnes. Vous rencontrerez donc en Hongrie les véritables descendants de ces guerriers qui dans le courant du dixième siècle jetèrent l'épouvante dans nos contrées. Voyez-les. Vous ne tarderez pas à reconnaître que les Magyars forment une des plus belles races qui existent. Puis, avant que vos impressions s'effacent, lisez ce que nos écrivains du moyen âge ont écrit de leurs pères. «Ces chroniques nous représentent les Hongrois comme des hommes de petite taille, mais d'une vivacité extraordinaire, ayant la tête entièrement rasée, pour ne donner aucune prise à leurs ennemis, les yeux enfoncés et étincelants, le teint jaune et basané. Leur seul aspect épouvante, car leur visage, véritable amas d'os, est couvert de cicatrices et de difformités; les mères, disait-on, pour habituer leurs enfants à la douleur et les rendre terribles à voir, les frappent et les mordent au visage dès qu'ils sont nés»54. Ajoutons, avec les légendes allemandes, qu'elles se livraient à cet exercice à l'aide d'une grosse dent, semblable à une défense de sanglier, qui leur pendait au côté gauche de la bouche…
Si l'on peut rejeter les portraits que les chroniqueurs ont tracés des Hongrois, est-il permis de prendre au sérieux les descriptions qu'ils nous ont données des Huns?
Les peuples attaqués par les Huns et par les Hongrois ont dû les regarder avec terreur. En les voyant sur le champ de bataille ou dans la ville prise, couverts du sang de leurs frères massacrés, ils ont eu pour eux une horreur profonde. Joignez à ces sentiments ce qu'ajoutaient la renommée et l'imagination, et vous vous étonnerez que les Huns et les Hongrois ne nous apparaissent pas plus hideux encore. L'ennemi est toujours affreux.
Il est également fort concevable que les vaincus nous les représentent comme une horde de brigands, vivant sans Dieu, sans lois, et n'ayant d'autre jouissance que celle d'égorger: Hungarorum gentem cupidam, audacem, omnipotentis Dei ignaram, scelerum omnium non insciam, cædis et omnium rapinarum solummodo avidam55… Aussi n'est-ce pas dans nos annales que nous étudierons les mœurs des peuples hunniques. En effet, tandis que nos auteurs du moyen âge ne parlent qu'avec une sainte horreur
des Hongres, que Dieu puist maléir!
plusieurs historiens grecs et arabes les peignent comme un des peuples les plus policés56 .
Sans doute, en leur qualité de peuple nomade et guerrier, ils vivaient du fruit de leurs victoires. Ils pillaient, ils cherchaient à s'emparer du sol. C'en était assez pour qu'ils devinssent odieux aux nations de l'Europe. Mais faut-il, sur le simple rapport de nos annalistes, les regarder comme des barbares placés au dernier degré de la civilisation? Faut-il oublier qu'ils ne marchaient jamais sans chefs librement élus par eux? qu'ils avaient tous droit à délibérer dans les diètes générales que les Vezérs convoquaient chaque fois qu'une décision importante était à prendre? qu'ils avaient des lois, dont l'exécution était confiée à certains guerriers revêtus d'un caractère presque sacré? que les disputes étaient promptement terminées et les vols sévèrement punis par ces magistrats? Faut-il oublier que leurs croyances religieuses étaient beaucoup plus belles que celles des Grecs et des Romains, puisqu'ils adoraient un seul Dieu? Quand ils pénétrèrent en Pannonie, ils envoyèrent un de leurs guerriers à la découverte. Le messager revint au camp, au bout de plusieurs jours, portant un peu de terre et une corne remplie d'eau du Danube. Árpád montra à ses soldats l'eau et la terre, qui furent trouvées bonnes; puis, s'adressant au Dieu des Hongrois, il lui sacrifia un cheval blanc, en le priant d'accorder à ses serviteurs la possession de ce sol fertile.
Nos chroniqueurs, en parlant des Magyars, omettent ces faits ou les expliquent d'une manière étrange, car ils sont sous l'impression des récits exagérés qu'ils entendent. Après avoir dit que le vol était sévèrement puni parmi les Hongrois, «qu'adviendrait-il, en effet, s'ils se volaient entre eux?», ajoutent-ils. Nullum scelus apud eos furto gravius; quippe sine tecti munimento pecora et armenta alimentaque habentibus, quid præter sylvas superesset, si furari liceret57? L'explication n'est pas sérieuse. Il serait arrivé ce qui a été vu chez tous les peuples nomades que ne régissaient pas certaines lois. Après avoir pillé les vaincus, les vainqueurs se disputaient le butin. C'est ce que font de nos jours les Arabes que nous combattons en Algérie.
Ceux même qui ne veulent ajouter foi qu'à nos annalistes devraient avoir une certaine réserve. Qui ne sentira quelque doute en lisant ce que Régino a écrit des Hongrois? Vivunt non hominum sed belluarum more, carnibus (ut fama est) crudis vescuntur, sanguinem bibunt, corda hominum quos capiunt particulatim dividentes, veluti pro remedio devorant, nulla miseratione flectuntur, nullis pietatis visceribus commoventur… Ut fama est, dit Régino. Eh! qui a jamais cru la renommée? C'est la renommée qui a appris aux paysans hongrois que les Tatars n'avaient pas un visage d'homme: de là l'inévitable épithète Kutya fejü Tatár, «Tatar à tête de chien». Aujourd'hui encore, dans nos chaumières de la Champagne, la renommée répète d'étranges choses sur les Cosaques de 1815.
En supposant que les Hongrois étaient les plus grossiers des barbares, les historiens modernes n'ont pas remarqué qu'ils se posaient un problème insoluble. En effet, aussitôt que la lumière du christianisme pénètre parmi les Hongrois, et qu'ils renoncent à la vie nomade, nous les voyons former une société régulière, soumis à une administration bien supérieure au régime féodal58, et se placer tout d'abord au premier rang des nations. Ce progrès s'opère en quelques années. Comment expliquer que ces mêmes hommes, qu'on nous représente comme des espèces de brutes, aient pu, en un quart de siècle, former un état et une société semblables, s'ils n'avaient déjà une certaine civilisation? Ce changement prodigieux devient facile à concevoir si on s'en rapporte aux écrivains grecs et arabes que nous avons cités plus haut. Il suffit de dire que les lois qui régissaient les bandes errantes gouvernent aussi la nation devenue européenne, et qu'au lieu de vivre de pillage, les Hongrois commencent à cultiver le sol.
On peut croire que ce qui vient d'être dit des Hongrois doit également s'appliquer aux Huns. Les descriptions qu'on nous a laissées des Huns nous étonnent peu; mais nous devons tenir compte du sentiment qui les a dictées, et n'emprunter à nos écrivains que les détails généraux des victoires d'Attila. Il n'est pas nécessaire de réfléchir beaucoup pour se convaincre que tout ce qu'on raconte du chef des Huns a un caractère fabuleux. On nous le représente en effet comme une bête altérée de sang: quand on l'a appelé «tigre» on ne trouve plus rien à dire de lui; et cependant on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il était doué du génie militaire et politique. «Il aimait la guerre; mais lorsque, parvenu à un âge mûr, il fut monté sur le trône, la conquête du Nord fut plutôt l'ouvrage de son génie que celui de ses exploits personnels»59. On doit admirer l'ordre avec lequel il administrait cet immense empire, que composaient vingt nations barbares de l'Asie et de l'Europe.
Il faut avouer qu'Attila a eu dans son sein toutes les passions violentes de l'Orient, passions d'autant plus terribles qu'elles étaient senties par un homme armé d'un pouvoir sans limite; mais il répugne de croire qu'une intelligence aussi vaste que la sienne ait été mise au service d'une bête farouche. Le fameux surnom de fléau de Dieu que lui donnèrent les peuples terrifiés ne marque, après tout, que ses nombreux succès. Aussi s'en glorifiait-il; aussi les Hongrois l'ont-ils compté entre les titres qui commandaient leur admiration. Ses victoires étaient sanglantes, il est vrai; mais peut-on s'étonner des horreurs commises par les armées du cinquième siècle, quand on connaît les détails de la guerre de Trente ans? Tous faisaient alors la guerre d'une manière odieuse, les agresseurs comme ceux qui étaient attaqués. Le seul tort des Huns et des Hongrois est d'avoir été plus braves et plus heureux que les autres peuples envahissants. Les historiens modernes, sans être favorables à Attila, reconnaissent qu'il était d'une justice parfaite, gardait la foi jurée et détestait les traîtres. «Il tenait inviolablement sa parole aux ennemis suppliants qui obtenaient leur pardon; et les sujets d'Attila le regardaient comme un maître équitable et indulgent»60. On nous dit qu'il se laissa fléchir par le pape Léon, et on nous représente comme un animal sauvage l'homme qui respecte la ville éternelle, et on nous dépeint comme un ramas de brigands sans discipline cette innombrable armée, qui, à la voix de son chef, rebrousse chemin et oublie les trésors de Rome!
Les historiens rapportent encore qu'après avoir eu la certitude que Théodose avait conspiré contre ses jours, Attila eut la générosité de pardonner non seulement à l'empereur, mais même aux obscurs assassins qu'il avait en son pouvoir. On doit également reconnaître qu'il existait chez les Huns certaines maximes de droit public et même certains principes d'humanité qui ne s'accordent pas avec l'idée que nous avons d'eux. «Un barbare pouvait maltraiter, dans un moment de colère, l'esclave dont il était le maître absolu; mais les mœurs des Huns n'admettaient pas un système d'oppression, et ils récompensaient souvent par le don de la liberté le courage et l'activité de leur captif»61. «Les anciens Huns, dit Deguignes, n'avaient aucune connaissance de l'art d'écrire; mais leur bonne foi était si connue, que, dans leurs traités, tout barbares que ces peuples nous paraissent, leur bonne foi suffisait»62. Enfin, quand on lit Gibbon, en voyant d'un côté la bassesse et la lâcheté de la cour de Bysance, de l'autre la loyauté et la bravoure des Huns, il semble qu'on penche un peu pour ceux qui sont appelés «les Barbares».
Du Buat63, après de sérieuses études sur les Huns, entreprit de réhabiliter en quelque sorte cette nation. Il cita en entier la relation de Priscus, laquelle en effet est venue fort à propos pour arrêter l'imagination de certains écrivains. Après nous avoir donné le signalement complet d'Attila et avoir fait une figure grotesque du roi des Huns, qui, certes, n'avait rien de comique, on nous aurait probablement dépeint dans le même goût sa manière de vivre et son habitation. La relation de Priscus étonne, parce qu'on ne retrouve pas ces mêmes Huns que l'on a l'habitude de voir en scène. Aussi Du Buat l'a-t-il transcrite «pour faire connaître, dit-il, un prince et une nation trop long-temps abhorrés». Après avoir rapporté les détails de la mort d'Attila, Du Buat ajoute: «Je ne ferai point ici l'éloge d'Attila: son histoire mieux connue le justifie assez de la férocité qu'on lui a reprochée; et le peu que nous savons de l'intérieur de ses états n'a pas besoin d'être développé par mes réflexions pour prouver que son empire ne fut point une horde de Tartares errants, sans arts, sans mœurs et sans lois»64.
Deguignes, qui, grâce à ses connaissances dans les langues orientales, a pu faire une histoire des Huns fort détaillée, n'ignorait pas ce que les Hongrois ont écrit au sujet de leur origine. Les Hongrois «se regardent» comme descendus des Huns, dit-il en commençant; puis il passe outre, parce que leurs historiens ne s'accordent pas toujours avec les auteurs qu'il a consultés. Ce dédain des traditions locales nous paraît fort condamnable. Il faut lire et lire beaucoup sans doute; mais, en voyant et en écoutant à propos, on s'affranchit de bien des préjugés. L'homme se préoccupe de ce qu'il a sous les yeux: il a donc besoin de changer quelquefois de point de vue. Deguignes a cru devoir s'en rapporter exclusivement aux historiens orientaux: il s'est tellement pénétré de ces écrivains, qu'il a rejeté tout ce qui ne s'accordait pas exactement avec leurs récits.
Mais, sans le vouloir, il prend la défense des chroniqueurs hongrois. Au moment de commencer l'histoire générale des Tatars, il rappelle que les premières annales d'un peuple contiennent toujours des invraisemblances et des contradictions. «Quelle est la nation dont l'histoire, si nous en exceptons les écrits de Moyse, ne commence pas par des fables»65? Sans doute, les premiers historiens commettent des erreurs et des exagérations inévitables. Cependant, comme Deguignes l'a écrit ailleurs, «le témoignage le plus authentique que l'on puisse avoir sur l'origine d'une nation doit être tiré de ses archives»66. Dégageons les traditions des peuples de ce qu'elles ont d'incroyable, comme nous retranchons des historiens ce qui s'y trouve de fabuleux, il restera, dans l'un et l'autre cas, une vérité incontestable. Si Deguignes avait fait plus de cas des traditions locales, il n'eût pas pensé que les Valaques «sont venus du Turkestan»67. Pour connaître l'origine des Valaques, il suffit de parcourir leur pays. En examinant leur physionomie, en écoutant leur langue, en observant leurs mœurs, il n'y a personne qui ne soit convaincu que les Valaques sont d'origine romaine. La tradition, ici encore, est certaine. Demandez à chaque paysan valaque: Ce esti tu? il vous répondra: Român68.
Au reste, Deguignes se dément en plusieurs endroits. Il rejette les historiens magyars parce qu'ils ont commis des exagérations, et il admet que les Huns et les Hongrois forment deux nations séparées. Pourtant certains passages de son histoire contredisent clairement cette opinion, et prouvent que parmi les écrivains chinois qu'il consultait il s'en trouvait plusieurs qui admettent entre les deux peuples une communauté d'origine. Ces passages donnent gain de cause à l'orientaliste hongrois Besse, lequel assure que les traditions de son pays sont confirmées par les historiens orientaux.
Les Avars avaient la coutume hongroise de se tresser les cheveux.
… colubrimodis Avarum gens dira capillis.
(Corippe.)
«… Du reste ils étaient habillés comme les Huns.»
((Deguignes, Hist. des Huns, liv. 4.)
