Kitabı oku: «Les moments perdus de John Shag», sayfa 4
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UN TESTAMENT
Il n'est point de bon testament, ou, s'il s'en trouve un, par le monde, je gage qu'il est fils du hasard. Faire son testament est une absurde entreprise, car elle suppose un effort que l'intelligence ne peut donner. Tu ne saurais t'imaginer dans le sein de ta mère. Tu ne saurais pas plus t'imaginer dans les plis du linceul, couché sous une dalle blanche.
Les seuls témoins que nous ayons de nous-mêmes sont les miroirs, les yeux et les effets de nos actions; or les miroirs, fussent-ils pleins de bonne volonté, ne peuvent nous présenter qu'une image vivante; les yeux de la plus tendre maîtresse, du meilleur des amis, de l'indifférent radical, ne peuvent voir et, par réflexion, nous laisser voir que le corps animé qui respire, qui souffre, le corps en vie; et, pour tes actions, comment témoigneraient-elles de ta pourriture?
Tout miroir est quotidien, il n'est point de regard fatidique, et je ne sais d'action prévoyante.
C'est encore un essai superflu que de tâcher à s'imaginer le monde privé de soi. Dès que nous pensons au moyen âge, nous nous y plaçons; dès que nous pensons à une comédie, nous nous asseyons dans la salle; dès que nous imaginons l'avenir, nous nous transportons vers lui.—Jamais romancier n'écrivit une Utopie sans présenter d'abord un contemporain et le faire naître à nouveau, par quelque subterfuge, machine, rêve ou sorcellerie, dans cet âge futur.
Or, un bon testament ne suppose-t-il pas que son auteur, effacé de ce monde, continue, toutefois, à y vivre quelques instants, pour distribuer ses richesses? Si tu veux faire un bon testament, lègue ta fortune aux insulaires d'un récif du Pacifique, ou dis qu'on l'abandonne sur un radeau, comme après un naufrage. Elle trouvera ses héritiers, sois-en sûr! et, de ce choix, tu ne seras pas responsable. Mais, surtout, ne laisse rien à tes parents, à tes amis, aux pauvres qui t'intéressent! Ta dépouille souffrirait trop des complications, des regrets, des crimes dont serait fauteur ce papier que garde ton notaire!
Quand les pauvres morts sont allés dormir, la bouche close, ils dorment pour de bon, mais, à ceux qui ont voulu se survivre, les paroles posthumes donnent de mauvais rêves.
Tu te sens mourir?
Sème ton or dans les sillons! cache-le dans une caverne! et puis meurs! meurs intestat!
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LE CERISIER
L'arbre sous lequel vous êtes assise laisse tomber des fleurs roses dans vos cheveux noirs.
Le soleil qui vous regarde caresse votre joue de ses plus chauds rayons.
L'air parfumé de miel vient de poser sur votre robe une libellule.
Et tout le printemps sourit à votre grâce.
Quelle offrande accepterez-vous de moi, précieuse dame que je courtise, quel symbole de ma fidèle flamme, quel truchement de mon amour?…
J'ai si peur d'un refus!
… Pour l'instant, je vous supplie d'agréer ce pauvre baiser de ma bouche, ou bien, entre tous mes regards, le plus doux—et cette révérence profonde.
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CLITANDRE
Clitandre est un homme, si l'on veut, mais il a les qualités de certaines bêtes et leurs vices; il les a même si fort, la bête est, en lui, tellement à fleur de peau, son âme féline est si évidente, que l'on oublie de voir l'homme pour voir d'abord, pour admirer, pour craindre la bête, la bête souple, indifférente, bien élevée, subtile, capricieuse: le chat.—Clitandre est un chat. Clitandre n'est qu'un chat.—Vous savez déjà qu'il a l'œil vert.
Clitandre ne sait pas serrer la main qu'on lui tend. Il caresse ou bien il griffe et, ce faisant, l'on dirait qu'il pense à autre chose. Sa main vous échappe. Les hommes, les vrais, craignent cela; les femmes l'aiment, car la caresse ou le coup de griffe promettent également le baiser. Elles regardent Clitandre avec une affection où il y a toujours un peu de crainte. Elles disent qu'il est «séduisant». Alors, elles ont tout dit. Elles se souviennent de Clitandre. Le soir, elles songent à lui et, dans cette songerie, il y a déjà de l'adultère.
Cet homme-chat n'a point ce qu'on nomme une moustache de chat. Blonde, elle suit les sinuosités de la lèvre, elle sourit avec le sourire et s'attriste aux instants de mélancolie. Clitandre a les cheveux souples. Clitandre a le teint clair, de vives couleurs, une mâchoire forte, le cou un peu long. L'ensemble de sa figure est mince, ou, du moins, le paraît. Quand il marche, il ne presse guère la laine des tapis. A chaque pas, il se pose, avec délicatesse. Bien qu'il soit gourmand, Clitandre ne mange que du bout des lèvres et du bout des doigts. Il regarde souvent ses mains qui sont presque trop soignées… et je songe encore au chat qui se lèche les pattes.
Je n'imagine pas Clitandre dans la gêne: il prendrait vite l'air galeux du chat de gouttière. Il lui faut un tailleur, un chapelier, un bottier, un coiffeur sans reproche. Il n'est Clitandre, il n'est tout Clitandre qu'avec leur aide. Sa mise est simple, elle n'a rien d'affecté, mais elle semble soyeuse. Chacun vous dira que Clitandre s'habille bien.
Clitandre ne s'attache pas. Clitandre n'est pas reconnaissant. Clitandre manque d'indulgence. Clitandre méprise volontiers. Il n'a pas d'amis, que je sache, mais il connaît la ville entière. Clitandre médit beaucoup; il médit surtout des femmes, mais sa médisance a toujours quelque chose d'incertain. Est-ce même de la médisance? Sa voix est douce; elle n'est pas agréable; elle manque d'ampleur et j'y perçois comme le souvenir d'un miaulement.
J'entends un homme dire de Clitandre qu'il a une «tête à gifles». Oui, mais il le dit tout bas et devant des gens sûrs: Clitandre sait tenir une épée de façon très experte. D'ailleurs Clitandre est brave. Il est brave avec grâce. Il doit mieux aimer être brave la nuit. Je n'ai jamais entendu dire que Clitandre fût un homme d'honneur.
Que sera Clitandre vieux? Peut-être engraissera-t-il, au coin de son feu, en ronronnant. Peut-être maigrira-t-il et le verrons-nous courir, de son pas élastique, dans le sillage des petites filles; mais je gage que sa jeunesse sera longue, et, ce soir, je l'imagine assez bien, rampant sur les toitures bleues et miaulant à la jeune lune.
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ALTERNANCE
Elles sont deux qui pleurent et qui sourient, sous le bel amandier fleurissant.
Leur maître est mort l'avant-veille, aussi pleurent-elles et, parfois même, elles poussent un cri. Mais Achmet était injuste et fourbe, aussi bien sourient-elles et, parfois même, on voit briller leurs dents.
Elles sont deux qui pleurent et qui sourient, sous le bel amandier fleurissant.
Quand on peut les entendre, elles pleurent, mais, restées seules, elles sourient, en relevant un coin du voile, et le sourire est sincère, si les pleurs étaient décevants.
Elles sont deux qui pleurent et qui sourient, sous le bel amandier fleurissant.
Elles sourient parce qu'elles s'aiment et pleurent parce que c'est l'usage, et maintenant, comme une brise défleurit l'amandier, elles restent bien sages, elles ne pleurent ni se sourient, elles rêvent sous les corolles, elles rêvent, vous dis-je, ensevelies.
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LA LEÇON DE MUSIQUE
Les murmures du parc s'apaisaient avec le soir, le flot chantant des fontaines faiblissait, et les bosquets avaient cessé de ramager pour bruire.—La lune se leva sur un monde presque silencieux.
Je soufflai ma lampe et gagnai cette allée où, toutes les nuits, je vais écouter le chant du rossignol. Dans le parc, chaque chose m'est, à cette heure, familière jusqu'au détail. Je connais la nuance du marbre des vasques et le ton mélodieux des feuillages; les jets d'eau me font leurs confidences et je goûte les plus subtiles caresses de l'air.—Peu à peu, je sens monter de mon cœur certaine mélancolie onctueuse qui se glisse vers le bout de mes doigts, circule dans tout mon être, me vivifie et qui est, proprement, le sang de mes rêves.
Soudain, le rossignol préluda.—Il avait changé d'arbre et je me mis en quête du nouveau belvédère qu'il s'était choisi, près d'un bassin, me semblait-il, au centre duquel s'effrite une Léda, ce qui reste d'une pauvre Léda sans tête, sans pied gauche, et dont le cygne fut, par un orage, décapité.
Je me cachai derrière un buisson, et, retenant mon souffle, je m'apprêtais à jouir du merveilleux concert, quand un second chant vint doubler le trille du rossignol.—C'était la voix rustique d'une flûte, parfois assez pure, mais fort hésitante. Elle s'arrêtait, reprenait une phrase, s'arrêtait encore et, de temps à autre, chantait faux, tandis que le rossignol, enivré de lui-même, perpétuait une roulade à mille inflexions.
Je risquai un regard et vis, sous la lune qui versait des rayons bleuâtres, un spectacle bien singulier.
Un jeune faune était accroupi contre la margelle du bassin. Il se tenait penché sur sa flûte, et toute son attitude disait une passion de bien faire, comme aussi les coups d'œil éperdus et vraiment désespérés qu'il lançait au rossignol, car le rossignol s'était perché, non loin de lui, sur l'épaule de Léda.
Ah! ce fut une belle leçon de musique!—Le rossignol était patient, recommençait les phrases, détachait les roulades, s'arrêtait, ralentissait son chant, et fit même une gamme que, note à note, perle à perle, le faunillon répéta, mais, si grande que fût l'attention de l'élève, quelque ardeur qu'il mît à rivaliser et pour modeste qu'il se fût montré, il n'en comprit pas moins l'inutilité de son effort…
Alors, il brisa sa flûte, et le rossignol s'envola.
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DON DE LA GRENADE
Toi qui te penches à la fenêtre et caches d'un voile ton visage, tout ton visage, hormis ton œil droit, jettes, pour apaiser ma soif, cette grenade que tu retiens dans la corbeille de tes petites mains de singe.
Son seul aspect me désaltère. Je crois l'avoir mangée (les grains pâles comme ceux d'un beau sang), et, plus tard, je l'emporterai, savoureux viatique, partout où me méneront les foucades de mon désir.
Toutefois, quand elle sera très vieille et n'aura vraiment plus forme de grenade, quand le cuir de ma valise l'aura opprimée et les hasards de la route salie, il faudra bien que je m'en défasse.
Je la jetterai sur une route, ou vers le ciel, ou dans les flots, ou bien encore entre les seins de mon amie… mais je la jetterai, car on ne saurait garder un fruit, même cher, lorsqu'il a mauvaise figure.
Il se peut qu'alors je pense à toi, et que, me tournant vers Alger où tu traînes paresseusement tes jours, je te sourie d'une bourgade lointaine, ou d'un village que jamais des palmiers n'ombragèrent.
Aïscha! Ferida! Zobeïda! Miriem! quelle que soit l'harmonie qui te nomme, il me plairait détacher de ta vie ce seul souvenir… Et ne t'ébahis pas que ma demande soit à ce point discrète.
Comme je devine ta face entière par ce bel œil droit que tu livres au passant, je veux deviner le goût et la saveur et la senteur de tout ton corps par le parfum de cette grenade, mûre à demi.
O délicieuse! ô troublante! laisse tomber la grenade avant que tes ongles rouges n'en dépècent l'écorce et que tes dents ne s'y impriment!
Voici mes deux mains tendues… Jette le fruit!
Ah! je comprends, frivole que tu es! la raison de ta prudence! c'est qu'à l'angle de la rue, trois narcisses à la main, un jeune Arabe aux yeux louches te considère, et qu'il te paraît beau!
Alger.
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DEUX CANDEURS
La neige tombe depuis hier, plus blanche, dirait-on, qu'elle ne le fut jamais, blanche comme les lys d'un poème, blanche comme un cygne de Suède, presque aussi blanche, en vérité, que de la neige vue à travers un rêve.—Elle a couvert tout le jardin de Colombine, et Pierrot qui grelotte, caché derrière un bosquet de roses, regarde depuis une heure tomber la neige blanche.
Sous le ciel gris où transparaît un semblant de lune, Pierrot ne voit que du blanc: la maison blanche de Colombine, la terre blanche, quelques arbres en manteaux blancs, le bosquet de roses qui, plus tard (l'été viendra-t-il jamais?), portera des roses blanches, enfin lui-même, pâle et blanc.
Au crépuscule, Arlequin est entré dans la maison de Colombine. Il n'est plus ressorti. Longtemps, la fenêtre de Colombine est restée lumineuse (sans doute ces malheureux voulaient-ils voir tout leur péché), puis elle s'est obscurcie et Pierrot, dans la neige, songe que Colombine et Arlequin, fatigués de faire des choses impures, doivent dormir dans les bras l'un de l'autre et murmurer, comme font les petits enfants, des paroles vagues et chimériques où, peut-être, par ironie, se devine le nom de Pierrot.
Mais, attention! une lumière passe derrière les vitres et la porte de la maison vient de s'ouvrir. Par l'entrebâillement, Arlequin s'échappe. Il se retourne pour baiser une main, sourit, s'incline,—et voici la porte fermée.
Afin de s'habituer au froid, Arlequin danse quelques instants sous la lune: il gambade, il fait des entre-chats; on le croirait poursuivant son ombre ou, mieux, par elle poursuivi.
Sur le fond blanc de la neige, il est, en vérité, très imprévu, ce danseur losangé dont la main porte une batte et la face un masque de soie.—Il danse, souple, léger, spirituel… Il n'a point vu Pierrot… Il danse encore,—puis il s'en va.
Et Pierrot reste seul, grelottant toujours. Va-t-il heurter bravement à cette porte? dire son fait à Colombine, et lui demander, en réparation d'injures, ce qu'elle peut encore offrir de volupté?—Il hésite, il tremble, il pèse sa honte et son désir (mais la balance est fausse), il regarde le ciel où se promène une lune voilée… il se décide enfin.
Ses doigts sont sur la porte, mais, à l'instant qu'il va jouer sa vie, il aperçoit, non loin, contre le mur, une échelle dressée… Qu'aperçoit-il encore! Au bas de l'échelle, un pied sur le premier barreau, le docteur Bolonais qui, romantiquement, veut entrer par escalade, vêtu de sa plus belle robe, et, tout en haut, la fenêtre de Colombine qui, déjà, s'éclaire.
Alors Pierrot, comprenant que tout est bien fini, que les yeux de Colombine sont des miroirs où l'on ne se reflète qu'un jour, que le monde est triste et que Dieu habite loin, retourne dans la prairie livide et, là, prenant la neige à pleines mains, il façonne laborieusement un Pierrot de sa taille et de sa ressemblance, la tête penchée sur l'épaule, les bras ballants, comme lui désespéré,—blanc comme lui.
Et, quand le soleil vint éclairer ces choses, les deux Pierrots, à son premier rayon, se reconnurent si semblables par l'attitude et par la douleur, que, l'un devant l'autre, l'un et l'autre se mirent à pleurer.
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LE MIROIR
Depuis que tu es sortie, le petit univers de ma chambre m'invite à la terreur, comme de toute part. On dirait que ma chambre est morte. Cette vie que tu lui donnais en l'habitant, que, moi-même, j'avais donné à chaque objet en m'intéressant à ses aventures, en le soignant avec amour, en lui racontant des histoires, s'est éteinte. Les rideaux restent muets, les statuettes se tiennent coites. Les fleurs des vases sont fanées, et les miniatures de ma vitrine redeviennent de faux visages.—Pour allumer les lampes, qui vivent toujours un peu, il fait encore trop clair. Il est déjà trop tard pour que le soleil vienne me rendre visite. Je suis seul.
A qui parler?—Je n'ose même étendre la main. Je n'ose fumer, tant cela semblerait étrange de trop vivre dans une chambre morte… Etrange… oui… et presque sacrilège… On ne danse pas dans les cimetières.—Je n'ouvrirai pas mon piano, bien qu'il soit, à l'ordinaire, bondé de mélodies toujours prêtes à s'envoler: je crains que mon piano ne rende plus de sons, qu'il ait renoncé, lui aussi.
Mais, sur la table, derrière moi, je sais qu'il y a un petit miroir. Je ne possède point d'autre miroir, car j'ai souvent peur de ces lacs minuscules qui dorment dans leurs cadres de bois. Je vais me retourner, tout doucement, sans bruit, sans que ma chambre s'en aperçoive… (Car peut-être n'est-elle pas morte… peut-être simule-t-elle la mort, afin de m'observer!) Je regarderai dans le miroir, et, pour me distraire, pour n'être plus seul vivant, dans cette chambre, je ferai des grimaces à mon reflet!
Non! non! il ne faut pas!—Quelle épouvante si mon reflet se mettait à rire, à l'instant où je lui faisais une grimace triste! Quelle épouvante! Alors, nous serions deux, deux vivants! mais ce serait plus horrible que d'être seul!
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A LA FENÊTRE
La lune bleuit les toits. Les remparts, couleur de grisaille, dévalent vers la mer. Quelques vieux canons regardent le large, sinistrement. La rade est noire. Là-bas, les cuirassés trouent l'ombre, par des points de feu.
Ma fenêtre donne sur le toit d'un entrepôt. Un figuier pousse, on ne sait comment, au centre de ce toit. Fantoches incertains, deux gamins grapillent ses fruits.
Soudain, les feuilles du figuier se mettent à bruire, on entend la rumeur de la mer, et, venant de la khasbah, des sonneries de clairon ajoutent une aile au vent.
Tanger.
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LE FAUNE MORT
Portée par le renard qui est un bon messager, la nouvelle s'était vite répandue. Toute la forêt avait pris le deuil. Le corbeau, pour se donner l'air plus sinistre, avait ébouriffé son plumage, une source pleurait à larmes vives, et les roseaux du bord de la mare concertaient un gémissement tout à fait douloureux.
Chacun se rappelait avec tristesse le vieux faune. Il habitait une grotte assez mal entretenue et quelque peu marécageuse où du cresson verdoyait et que tapissaient des fougères.—Une famille de corneilles, qui voisinait avec le défunt, s'était chargée de la toilette.
On l'avait couché sur un lit de feuilles. Ses cornes, si vieilles qu'un soupçon de mousse les couvrait, étaient ornées d'une tiare de vigne. Les tortillons tombaient le long de ses joues, comme des boucles dans une coiffure de douairière. Des fleurs, habilement disposées, cachaient les endroits chauves du pelage.
La cérémonie commença au lever du jour.
Une perruche, évadée du chef-lieu, fit une fort belle allocution. Avec un léger accent exotique, elle célébra les vertus du faune, sa charité naturelle, son aimable commerce et la discrétion qui lui faisait taire ses nombreuses bonnes fortunes. Elle rappela brièvement la vie aventureuse du défunt, ses jeunes années dans les bois de l'Attique, son âge mûr en Sicile et les jours sereins de sa vieillesse.—Une vive émotion régnait dans l'assistance. Un pinson dit encore quelques paroles empreintes d'un grand charme et l'on procéda au défilé.
Il y eut d'abord un martin-pêcheur qui apporta les excuses des poissons du ruisseau, toujours indisponibles, et la famille des lièvres ne fit que passer, appelée au loin par des soins urgents.
Vinrent ensuite, deux par deux, les blaireaux et les lapins, puis les rossignols et les merles qui sifflèrent une lamentation. Un cerf complaisant, suivi par douze biches, avait chargé sur ses cornes une tribu de fourmis qui voulait voir le mort et ne pouvait pas courir assez vite. Les écureuils saluèrent du panache et les papillons arrivèrent en dansant.
On entrait par la droite, on sortait par la gauche; on se hâtait, car une cigogne, d'un coup de son bec pointu, éperonnait les retardataires.
Toute la forêt défila en bon ordre devant la couche du vieux faune et, en queue du cortège, on pouvait voir, marchant tout seul, un petit enfant nu.
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CIEL GRIS
Le ciel est gris; ma bien-aimée s'est éloignée brusquement. Je ne la verrai plus que demain soir. Demain soir, je pense, elle sourira; mais, aujourd'hui, ses lèvres closes ne promettaient ni la joie, ni le baiser.
Le ciel est gris; je regarde, sur le toit pointu qui me fait face, deux cigognes construisant leur nid. Laborieusement, elles emménagent. Tous les jours, je les verrai; tous les jours, elles me sembleront pareilles. La teinte de leurs plumes, l'harmonie de leurs occupations, l'état de leur humeur n'auront point varié.—Je ne saurais en dire autant de ma bien-aimée.
Le ciel est gris; je fais ma tâche selon les commandements que le hasard me donne, car je n'ai pas de sujet qui vaille la peine d'être traité. Alors je parle de n'importe quoi, ou bien de la première chose venue, ou bien encore de ce très inutile petit rien qui vient de passer et de fuir.
Le ciel est gris; je loge trop bas pour que les nuages me fassent des confidences; je loge trop haut pour que les passants de la rue m'intéressent, et le vent, qui déclame parfois des odes vagues dans ma cheminée, radote un peu trop, depuis le temps qu'il souffle. Quant à mes ennuis… j'ai si souvent parlé d'eux!
Le ciel est gris; sans doute va-t-il pleuvoir, ce qui ne manquera pas de me fournir la matière d'un poème… Bonne pluie! douce pluie! j'appellerai ce poème composé en ton honneur:
«Eloge ordinaire de la bonne pluie.»