Kitabı oku: «Les moments perdus de John Shag», sayfa 6
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LA VALEUR DES MAXIMES
Ton livre de maximes et d'aphorismes moraux n'est, à tout prendre, que ta louange posthume en son résumé. Tu crois songer au bien, à la vérité, à l'avenir! Quelle erreur! Tu ne songes qu'à toi-même; tu te dépeins tel que tu voudrais être, et chaque ligne de ce petit ouvrage si bien écrit offre un conseil discret à ton apologiste. Ainsi, tu prépares sa pensée, tu lui inspires un éloge funèbre, tu règles tes funérailles.
Enseigner l'humanité, prêcher le bien, indiquer une voie nouvelle pour atteindre au bonheur, et cela en maximes strictes, profite au seul moraliste. Un tribun pourra convaincre, un prédicateur attirer les âmes, un poète enchanter… pour toi, tu ne fais que dessiner une flatteuse image de toi-même, avec des contours cernés et de riches couleurs.
Les lettres d'une maxime sont des lettres mortes, or l'homme n'écoute que les paroles vivantes. Un romancier de génie crée de beaux êtres qui chanteront sa pensée par des trompettes immortelles. Un moraliste passe sa vie à composer des épitaphes. Si tu veux toucher après ta mort le cœur des hommes, fais sortir de la terre d'autres hommes qui leur parleront toujours. Il vaut mieux modeler une statue que de graver une inscription, fût-ce en lettres d'or.
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HYMNE
Je vais t'abattre d'une gifle si tu pointes ainsi tes ongles, si tu montres ainsi tes dents.
Chienne! Tu fus élevée dans une masure puante où des odeurs de kief, de friture et de tabac se combattaient toute la nuit. Je sais qu'un vieil Arabe te viola sur le sable, derrière ta maison… et tu riais déjà!
Depuis lors, tu t'es ouverte au passant comme un bouge; tu t'es accouplée avec des matelots, des portefaix, des nègres, des mendiants ivres, et les gens de ta tribu ne veulent plus de toi.
Rien qu'à t'entendre, je connais ta naissance basse; rien qu'aux éclats de ta voix, je comprends d'où tu es sortie.
Tu n'as même pas attendu que ta mère ou quelque vieille te prostituât, car, dès ta petite enfance, tu faisais signe à chacun, et tu regardais, en égratignant tes cuisses maigres, les garçons nus, durant la baignade.
La nuit, tu courais comme une bête, dans le petit bois de palmiers, en jappant ton amour, et l'arbre devenait ton amant, et la plante, et la terre.
Je te déteste, car ton âme est une ordure, ton corps est un fléau!
Te souviens-tu de ce Kabyle qui se pendit devant ta fenêtre parce qu'il t'aimait trop, et se balançait au matin, marchant sur l'air?
Tu pleuras tout un jour; le remords ne te quittait plus! mais comme tu sus bien le chasser, en attirant sur ton lit le fils de cet homme, un bel enfant qui lui ressemblait!
Et c'est pour toutes ces choses que je te jette hors de moi! que je te crache! et que je cherche une fontaine assez fraîche pour me laver de tes impuretés.
Tu souris!… Oh! pardon! pardon!… Vois, je t'embrasse, je te caresse… Déjà ton ventre s'émeut et, dans ta gorge, se gonfle un soupir qui est aussi un roucoulement.
Viens! viens! la lune est presque éteinte, je sais un bosquet sombre, de moi seul connu, où je te pénétrerai.
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DANS LA RIVIÈRE
Ma seule amie est la rivière. Je la chéris comme une personne. Je me suis livré à elle, aujourd'hui. Elle m'entraînait ainsi qu'une paille dans le vent, et je me sentais moi-même, je veux dire que je sentais avec précision mes frontières individuelles, car elle m'enveloppait et me caressait tout entier.
Il y avait des branches penchées qui fuyaient au-dessus de mes yeux, et de grandes libellules vertes me suivaient en faisant des cercles, brisés soudain, à la façon, mais plus vive, de l'essor des chauves-souris. Pour me servir d'escorte, il y avait aussi un peuple de choses floconneuses, et chacune transportait un germe, comme dans les poèmes philosophiques.
Je me trouvais donc tout nu dans la rivière, dans la rivière toute nue, elle aussi, et cela ressemblait un peu à l'amour, un amour sans lutte et qui ne finissait point par un spasme, mais permettait qu'on l'espérât toujours.
Mon corps tiède se glaçait par un frôlement. J'avais, le long de la moelle, un sillage de fraîcheur, et je regardais l'air avec satisfaction.
Alentour, la campagne était vide,—le ciel aussi. J'étais seul avec la rivière qui m'entourait en riant, car elle riait de toutes ses petites bouches fleuries en trois secondes. Des bouches parfaites, c'est-à-dire créées uniquement pour le rire et le baiser, puis closes… et pourtant, elles s'ouvraient aussi (comme des bouches humaines) pour se nourrir… pour se nourrir de papillons sur elle posés… engloutis bientôt.
Hier, je trouvai la rivière calme et lasse. J'entrai en elle sans l'émouvoir et, dans sa froide chair, je cachai ma figure. Longtemps, nous fûmes indifférents l'un à l'autre, ainsi que deux amants qui se connaissent trop. Tout à coup, un frisson me fit souvenir de sa perfidie et j'allai rejoindre le soleil. Il me frappa de ses rayons, et j'étais tout stupéfait de voir l'autre, en qui j'avais eu confiance, paraître si mauvaise et de teint si plombé. Je la touchai du pied pour briser son fard, mais, déjà, elle m'avait mordu l'orteil et je dus le tendre à la lumière afin qu'il fût guéri.
L'onde est perfide comme une femme, pourtant, l'onde qui passe est ma seule amie.
Mussidan.
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VOIX QUI MONTENT
«Et, maintenant, vous me parlerez des alouettes… Pourquoi s'élèvent-elles si brusquement? Pourquoi vont-elles chanter si haut?
–Je vais vous le dire… Les alouettes ont de petites âmes vives qui les quittent à tout instant. Elles prennent l'essor afin de les rejoindre; elles les poursuivent dans l'air; elles chantent pour les rappeler; elles montent, elles montent, elles montent toujours plus haut; elles les atteignent enfin. Elles chantent encore quelque temps pour témoigner de leur allégresse, puis elles se jettent vers la terre… mais les petites âmes s'échappent de nouveau, et voilà les alouettes reparties.
–Elles sont donc très malheureuses?
–Oh! non! point du tout! car les alouettes savent qu'un jour leurs âmes monteront si haut que, pour les atteindre, il leur faudra toucher ces lieux supérieurs où toutes les joies sont rassemblées. Là, baignées par les ruisseaux des brises, elles pourront lancer leur tirelis mélodieux et grisoller jusqu'à l'heure où s'ouvrira la Grande Nuit.
–Ah!…»
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BOHÉMIENNE
Je m'en vais, clopin-clopant, le long de la route clopinant… Je mange les baies des buissons, je bois l'air qui passe, et, quand un couple d'amoureux se promène dans un pré, je lui dis: «Salut!» car il faut être courtois.
J'ai marché depuis si longtemps que je ne sais d'où je suis partie, et voilà belle lurette que je ne sais plus où je vais; mais les oiseaux me le diront! n'est-ce pas, bouvreuil?… et les insectes aussi! n'est-ce pas, grillon?
Je fais de grands festins, au bord des ruisseaux, sur un tapis de mousse fraîche. Assise en face d'un plant de muguet, je goûte à des friandises, et les poissons viennent me regarder d'un air un peu bête, mais plein de bonne volonté.
Je sais l'art de guérir les filles avec des herbes que l'on cueille, la nuit, sous un chêne, quand la lune est ronde, et je sais délivrer les garçons des liens si doux qui désespèrent leurs parents.
Pour trois sous, je donne le bonheur facile, pour quinze sous, le bonheur durable, et, pour vingt-cinq sous… pour vingt-cinq sous… écoutez bien! je rends l'espoir!
Je m'en vais, clopin-clopant....
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LE PASSÉ
Grasse, pâteuse, déformée, elle entre en scène avec assurance et, tout aussitôt, le bruit des cuivres annonciateurs est noyé dans le plus grand fracas des mains qui battent.
Elle est vêtue de soie rose; elle montre des bras excessifs, des seins qui tremblent. On dirait la caissière d'un café de province, en robe de bal.
Jamais elle n'a su chanter, jamais un geste spirituel n'excusa les défaillances de sa voix. Elle chante sottement, sans grâce, sans vigueur. Elle chante ainsi depuis vingt-cinq ans.
A la fin de chaque couplet, elle sourit avec une bouche détruite et le public applaudit toujours. Il ne se lasse pas de l'entendre, de la voir. Il ne veut pas qu'elle s'en aille.
Elle vient saluer, une dernière fois, et, des fauteuils aux galeries, chacun l'acclame d'assourdissante façon.
Pourquoi ce délire?—Pourquoi?
Elle a été belle!
Eden-Concert.
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LES GRANDS SERMENTS
Les nègres musulmans ont fini de marmotter leurs prières. Après un crépuscule bref, l'ombre est venue. Au centre de la place, le hangar où, ce matin, pendaient les quartiers de viande pourpre, a l'air désolé d'une halle. Dans un coin, le gardien dort, roulé dans de la toile bleue. Chacun est rentré chez soi. A l'activité, au bruit, au va-et-vient, aux disputes, succèdent les rumeurs paisibles de la nuit, et l'on n'entendrait bientôt plus que le susurrement de la brise concertant avec la mer au doux murmure, n'était que, soudain, des cris affreux déchirent l'air, l'occupent, s'y entrecroisent et semblent se le disputer, tandis que s'affirment au ciel de nouveaux feux d'étoiles.
C'est l'heure du phonographe.—De toutes les fenêtres, des cornets vociférants déversent un flot de musique, et l'on dirait que ces voix dures, agressives et cependant mal assurées, sortent de gosiers trop étroits. Ce sont des clameurs étriquées, des beuglements que l'on étrangle.—C'est, vous dis-je, l'heure du phonographe.
Et l'on se jure d'effarantes choses! L'amour et la haine sont à leur paroxysme. Chacun se dévoue à son rêve, à la France, à la bien-aimée. On parle de répandre son sang, de s'immoler, d'immoler autrui. On se déclare prêt à subir mille tourments. On appelle la main du bourreau. Samson se plaint de Dalila; Faust évoque les divinités infernales; la passion de Fernand pour Léonore «brave l'Univers et Dieu»; Carmen affirme que «l'amour est enfant de Bohème» et don José, à vingt mètres de là, lui dit qu'«il en est temps encore»; Marguerite rit «de se voir si belle»; des Grieux demande à Manon si ce n'est plus sa main qu'il presse, et Lucie de Lamermoor devient folle à grands cris.—L'histoire sainte et l'histoire profane, la légende, la fantaisie expriment ce qu'elles ont de plus vif à dire. C'est Babel, une Babel mécanique, peuplée de héros....
Et les quelques noirs qui se promènent dans l'ombre, en égrenant leurs chapelets, attendent, avec une indifférence profonde, que les blancs aient fini de faire les enfants.
Dakar.
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CONSEIL
Ma chère amie, je vous en conjure, ne dites plus d'obscénités! Vous ne savez pas!
Vous êtes charmante, vous me plaisez, vous avez un sourire rêveur qui séduit par sa mélancolie de fin d'automne, mais vous ne savez pas être obscène! Vous ne savez pas!
Vos amies peuvent évoquer les images les plus singulières sans me choquer le moins du monde; elles ont la tradition, elles sourient au bon moment, quand il faut et tout juste ce qu'il faut; leurs gestes rapides décrivent d'autres gestes et sous-entendent d'autres gestes encore, au lieu que vous, mon amie, vous vous attardez ou bien vous coupez court, imprudemment.
Dites tristement des choses tristes, puisque c'est là votre rôle, parlez de la mélancolie, ressentez-la, communiquez-la, perpétuez-la. Décrivez-nous, avec des larmes dans la voix, de tristes choses, mais ne vous prostituez plus en paroles, si tristement!
Vous savez pleurer, vous savez rire, parfois, vous savez aimer, vous saurez mourir, je pense, mais être obscène n'est pas de votre fait,—non, ma chère amie, pas du tout.
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FEHL YASMÎN
Pétale du soleil! âme des palmes! grain d'ombre musquée! délice de mon œil! pourquoi tordre tes bras et pourquoi verser tant de pleurs?
Oui, je te quitte, mais puis-je croire que tes regrets dureront plus d'un jour? Demain matin, je gage que tu te réveilleras en riant!
N'imite pas les dames françaises qui font des manières pour célébrer un amour qui naît, qui meurt ou qui s'interrompt! «Baise m'encor, rebaise-moi et baise», comme disait Louize Labé, lionnoise… (ne te soucie pas d'elle: je ne l'ai point connue)… et, maintenant, quittons-nous!
Tout là-bas, je sais une autre face dont la pâleur m'inquiète. Pour elle, je renonce à voir les fêtes du soleil, et le mouvement des palmes, et tes danses, ma brune amie! La rose amoureuse, lointaine et délaissée, dont je chéris le doux éclat, risquerait de mourir, au lieu qu'un jasmin refleurit toujours.
Ne sois point jalouse, maîtresse des siestes chaudes et des trop courtes nuits!… auprès de celle que j'invoque et vais rejoindre, tu paraîtrais, petite, un peu noiraude!
«Fehl Yasmîn! Fehl Yasmîn!»
Un marchand de jasmins passe près de nous.
«Fehl Yasmîn! Fehl Yasmîn!»
Voici le dernier jasmin que je te donnerai… Adieu!… La nef du jour a chaviré sur l'horizon et toutes ses fleurs se sont répandues… Adieu! Il faut partir… mais… mais, crois-moi, chère, je t'ai beaucoup aimée!
Biskra.
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VIEILLE HISTOIRE
C'était un soir de jadis où la nature conspirait. Les bouleaux, qui sont fils de la lune, et les saules, qui sont des coffrets d'ombre, et les pierres, dont j'entends bien les murmures, tramaient de secrètes choses.
Leurs petites paroles couraient avec le ruisseau, volaient sur la brise, sautaient de ci, de là, suivant les sauts d'un feu follet, tandis que certaines passaient dans l'herbe, en tapinois.
Bientôt, tout fut conclu: l'herbe forma des lacs d'amour, le feu follet brûla comme le cœur d'un amant, la brise se chargea de parfums si subtils qu'on se pâmait à les prendre en soi, et le ruisseau polit ses ondes pour être le miroir d'une flamme couronnée.
Les bouleaux, qui sont fils de la lune, secouèrent leurs feuilles, et l'on eût dit qu'ils offraient des richesses; les saules, en leurs coffrets, gardaient des joyaux sans prix, et les pierres se couvrirent de leurs manteaux de mousse pour ne risquer plus qu'un œil pâle, un œil pâle et doux.
C'est alors que la princesse de Golconde sortit de son palais et congédia ses suivantes, car elle voulait se promener seule, ce soir-là, dans le parc où descendait une pénombre poétique.
Elle rêvait aux choses dont parlent les ballades, aux chevaliers beaux comme le jour et que des cygnes traînent, aux aventures en pays lointain, aux caresses enfin, longtemps attendues, aux caresses surtout.
Le prince de Bagdad se tenait non loin de là, sous la protection d'un orme, opulent par sa frondaison et vénérable par le nombre de ses années. Le prince était un jeune homme de haut parage, de vertu souveraine et d'une éducation tout à fait bien comprise.
Il s'en fallut de peu que son cœur se rompît lorsque, dans la lumière du soir, la princesse apparut. Le prince de Bagdad souffrait en effet d'une blessure d'amour sanglante et profonde, mais, comme il avait résolu de gagner la princesse par son seul mérite, il portait un costume qui, tout précieux qu'il fût, n'en imitait pas moins les oripeaux, guenilles et pauvres hardes d'un mendiant espagnol.
Affublé de cette défroque étrange, il se présenta.
La princesse de Golconde abaissa son regard et, au même instant, les pierres, l'herbe, les saules, les bouleaux, la brise et le feu follet tâchèrent de faire comprendre à la jeune fille la qualité singulière de ce jeune homme survenu; mais elle ne devina point la vertu sous son vêtement d'emprunt, ni l'amour sous le masque.—Elle passa, et, bien que le bouleau lui tendît une de ses feuilles, qui semblait une pièce d'argent, elle ne fit même point l'aumône à ce pauvre qui la suppliait.
Le prince mourut de désespoir, et la princesse, quand le vrai personnage du mendiant lui fut révélé, creva de dépit; ce qui prouve qu'un amant doit toujours paraître en son plus bel appareil aux yeux de celle qu'il prétend séduire, et qu'une jeune fille doit toujours agréer un hommage, quel qu'il soit, voire y répondre discrètement, de peur d'en repousser un, par aventure, inestimable.
C'était un soir de jadis.
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CLÉONICE
Cléonice n'a ni intelligence, ni cœur, ni esprit, ni bonté. Elle n'a pu être épouse, maîtresse ni mère, bien qu'elle ait fait tous les gestes de ces rôles, car elle a un mari, un amant et un fils.—Elle n'existe que devant trois ou quatre personnes. Laissée seule, elle devient une ombre, moins que cela: une valeur négative. On dirait que ses spectateurs lui insufflent de la vie. Quand ils la quittent, elle crève, comme une bulle.—Elle ne sait pas aimer; à peine sait-elle haïr: d'ailleurs, sa haine a pauvre figure et semble mal venue. Cléonice médit, mais n'accuse pas; accuser serait affirmer son personnage, or elle n'est pas un personnage, elle en joue le rôle.—Belle, un peu fardée, souriante, merveilleusement vêtue, Cléonice n'a pourtant rien d'une femme; elle n'est pas une femme…
Cléonice est une «femme du monde».
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UNE AGONIE
Elle n'en finit pas de mourir.
Voilà trois heures qu'elle agonise.
La vache l'a répété aux chèvres de l'étable, parce que le bouvier le lui avait dit, et, comme un grillon rôdait non loin, il a fait part de la nouvelle aux papillons qui volent dans la grange, aux deux lézards du vieux mur et au crapaud qui loge sous le rosier. L'orme le savait déjà, par ses feuilles qui frôlent la fenêtre, et les deux chouettes l'ont appris aux hirondelles des cheminées.—Seule, l'araignée n'a point de chagrin et répand la soie de son ventre, comme si de rien n'était.
Oui, tout le monde sait que la petite Lucie va mourir et qu'on ne verra plus ni ses yeux bleus, ni ses petits pieds toujours pressés, ni sa natte jaune qui voltigeait avec un nœud de ruban au bout. Déjà le curé est parti, emportant son Bon Dieu, et la cour un moment émue redevient silencieuse.
Dans la chambre de Lucie, il y a Lucie, qui respire avec difficulté, la mère, qui forme un gros tas dans le fauteuil, et le père, debout près de la petite, et qui la regarde mourir en avançant la lèvre d'un air de mauvaise humeur, à la façon des apôtres dans les toiles de Rembrandt.
Il fait très chaud dehors. On ferme les croisées. Sur la route, des rayons de soleil sautillent pour passer le temps. Des oiseaux tournoient dans l'air, comme s'ils cherchaient leur chemin, et la rivière murmure une chanson très douce, avec l'accompagnement des flûtes de ses roseaux, pour bercer la petite Lucie qui n'en finit pas de mourir.
C'est alors que la Mort apparaît.
On l'a vue déboucher près de l'auberge, à l'endroit où la route fait un coude, et le coq du clocher, en l'apercevant, lui a tourné le dos. Elle a passé dans l'ombre de la grande meule, puis elle a cueilli des mûres sur un buisson. Dès qu'il l'a rencontrée, le chat s'est enfui par le soupirail de la cave. Il ne fera pas de mal aux souris, aujourd'hui.
Madame la Mort entre dans la cour. Elle est assise à califourchon sur un cheval noir. Un grand manteau de cérémonie la couvre tout entière, hormis le nez camard. Trois plumes d'autruches blanches sont piquées dans sa coiffure. De temps en temps, elle tousse d'une petite voix sèche, et, aussitôt, la porte de la grange grince et la chaîne du puits gémit.
Madame la Mort est escortée de ses trois serviteurs, montés sur trois ânes.
Le premier, assis sur un âne qui n'a qu'une oreille, est le médecin; il tient à la main une girouette et des cymbales.
Le second, assis sur un âne à qui manque une patte, est le philosophe; il tient à la main une démonstration longue comme un carême et qui se tortille derrière lui.
Le troisième, assis sur un âne sans queue, est le bouffon; il tient à la main une plaisanterie toujours tintante par ses grelots et qui fait pleurer chacun.
Les trois serviteurs de Madame la Mort mettent pied à terre, en même temps que leur maîtresse, et sans plus qu'elle dire un mot.
La Mort pousse la porte.
Elle entre.
Elle ressort.
Madame la Mort a dû perpétrer de vilaines choses dans la maison. Contre les draps blancs, la petite Lucie est toute blanche. La mère s'est relevée de son fauteuil et pleure en secouant ses seins, et le père, qui fait toujours la lippe, se frotte le front avec l'index et dit:
«Il faudrait avertir Bastien pour la caisse.»
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SUR UNE PLAGE
La libellule, la guêpe et le fourmi-lion vinrent te surveiller, durant que je te faisais ma cour et te chantais des vers écrits à ta louange.
La libellule tourbillonna sur ta chevelure lustrée, la guêpe bourdonna près de ta petite oreille, et le fourmi-lion se contenta de te regarder d'un œil sévère.
J'avais à peine fini ma chanson d'amour que tu te levas, légère comme une feuille emportée et plus rapide que l'eau des torrents.—L'ombre de ton sourcil froncé prévenait d'un orage…
Et d'abord tu me dis que tu ne m'aimais plus, que tu t'envolerais ailleurs,—puis, tu bourdonnas mille reproches d'un air turbulent que je ne te connaissais pas,—enfin, tu t'enfuis, mais ton dernier regard était si cruel que j'en garde encore la blessure.