Kitabı oku: «Les moments perdus de John Shag», sayfa 7
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MONOLOGUE DRAMATIQUE
Grâce! Monsieur! grâce pour cette fois! je ne le ferai plus! je vous le jure par Dieu qui vit seul dans le ciel! je vous le jure sur les petites têtes de mes sœurs dont la cadette sort à peine du berceau.
Oui! oui! je serai bien sage! mais, que voulez-vous! on est jeune! on ne sait pas!… et, quand je vous ai vu passer sur la route, vêtu de votre bel habit dont les morceaux semblent découpés dans des robes de marquises, j'ai été toute saisie! même je n'ai plus fait attention à mes vaches! Je vous regardais, puis je fermais les yeux, puis je vous regardais encore, et, à chaque regard, vous paraissiez plus joli!
Il y a sur vous tant de belles choses, mon beau monsieur! Le chapeau à deux cornes, et sa plume que vous avez dû arracher à l'oiseau qui ouvre, au coucher du soleil, ses grandes ailes.
Et le masque de soie noire!… oh!… le masque!… il ressemble à une chauve-souris déployée, à une chauve-souris douce et qui ne ferait point de mal aux gens!
Et l'œillet rouge, derrière votre oreille! où l'avez-vous cueilli?
Et votre ceinture d'or! C'est une princesse qui vous l'a donnée? oui, n'est-ce pas? la princesse qui dormait tout en haut d'une tour et que vous avez réveillée par un baiser?… L'heureuse femme!
Et l'anneau que vous portez à votre main gauche! Laissez-moi le regarder! Non! non! je ne le prendrai pas! Oh! mon Dieu! il est brisé! le saviez-vous?
Et puis encore, ces souliers qui luisent! Ils luisent même à travers la poussière! Je vais les essuyer! Oui, laissez! je les essuie avec mes cheveux! Le valet de l'herboriste dit que mes cheveux sont beaux. Voilà! vos souliers brillent, maintenant! ils brillent comme deux carpes au soleil!
Et je n'avais pas vu les dessins qui sont gravés sur votre batte, votre batte en bois précieux! Quels curieux dessins!… un cœur percé d'une flèche… une étoile… et ceci? des lettres?… Je ne sais pas lire! Le maître d'école dit que je ne suis bonne qu'à garder les vaches!…
Ohé! Brunette! ne t'en va pas!
Ah! si elle allait manger l'herbe du docteur Bolonais! je serais fessée! oui, monsieur!…
Mais… ces mots qui sont écrits sur votre batte? Ils doivent vouloir dire: «Je t'aime!» Oh! bien sûr! Ça ressemble à des lettres qu'il y avait sur la cuisse d'un matelot qui a passé par ici, il y a deux ans. Il rentrait dans son pays… Elles étaient écrites en bleu sur la cuisse gauche… Il me les a montrées, et, pour le remercier, je suis restée une heure avec lui, dans un coin de la grange…
Mais il n'était pas joli! oh! Monsieur! c'est vous qui êtes joli! Vous avez l'air d'être toujours couvert de fleurs, et, quand vous marchez, on dirait que des clochettes tintent dans le ciel!
Alors, au moment où je vous ai vu, j'ai bien senti que jamais, jamais je ne vous embrasserais! que vous alliez passer! que c'était fini!… et, furieuse, (vous l'avez vu!) j'ai pris cette poignée de mûres… (on fait des choses méchantes, Monsieur, sans y penser!) et j'ai jeté les mûres sur votre bel habit! Est-il très abîmé? Oh! c'est un grand péché! mais, Monsieur, pour me punir, si vous voulez me fesser, je suis prête!
Venez de ce côté-ci de la haie!
Oui, Monsieur, je suis toute prête! je ne crierai pas! je chanterai!
Venez! fessez-moi, Monsieur!
Attendez! je vais attacher Brunette!
Ne bouge pas, ma fille!
Et, maintenant, venez, mon beau Monsieur! venez! l'herbe est chaude!
Livre Quatrième
Traitez votre âme comme un violon, et donnez-lui des motifs sur lesquels elle trouvera des airs.
H. T.
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LE PRIX DE LA JEUNESSE
La grande précaution est de ne jamais renoncer au rêve que l'on fit à vingt ans.
Si le roi de Chine t'offre ses plus beaux trésors, donne en échange ton sang, mais ne lui donne pas ce rêve-là.
Si la reine de Saba t'offre son baiser, donne en échange ta raison, mais ne lui donne pas ce rêve-là.
Malgré les orages et la boue qui les suivit, malgré nos frères les hommes, malgré l'horreur des cauchemars et l'ennui des veilles, il faut garder toujours vivant cet ancien rêve, le visiter chaque matin, le réconforter, lui parler avec douceur, lui parler encore avant de s'endormir et, quelquefois, s'interrompre de vivre pour le surprendre à l'improviste.
La jeunesse qui nous fait mourir, un sourire sur les lèvres, un immortel espoir au fond des yeux, la jeunesse que ne sauraient toucher les heures ni les larmes, la vraie jeunesse est à ce prix.
Les dieux eux-mêmes ne meurent que d'avoir renoncé à leur premier rêve.
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APAISEMENT
Une brise parle tout bas à mon oreille. Dans l'ombre, quelques points de feu s'allument, s'éteignent, se rallument, comme des regards.
Une grande phalène veloutée tourne autour de ma tête. Le pas nu des nègres ne fait qu'un bruit mat. Cette lente respiration, là-bas, c'est la mer.
Dans ce pays, je suis tranquille. Je me sens loin des disputes de la rue, des criailleries. On ne récrimine pas. On dort.
Une voix d'homme, un chant de flûte s'enlacent, faiblissent, tremblent en se dénouant… puis je sens à mes lèvres la saveur du silence. Je songe.
Ecoutez! un chien hurle. L'âme d'un mort a dû passer.
Cotonou.
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L'ABSENTE
La maison est peinte en rose, ses volets en vert; trois marches mènent au seuil.
Alentour, dans un jardin mince, quelques fleurs se tiennent bien sagement épanouies et très droites.
Le ruisseau roule des morceaux d'orange.
Du linge, sur une ficelle, sèche encore au soleil.
C'est là tout le décor, avec un ciel splendide et la mer, aussi bleue que dans les tableaux.
Le vent qui passe sent la saumure.
Il est six heures du soir.
A l'intérieur, une salle pleine.
Des tables, des verres, du vin.
Un rire, puis un cri, puis un juron.—Beaucoup de gestes, point de discours: le matelot s'amuse en phrases courtes; il n'a que faire des constructions malaisées.—Syntaxe simple d'une simple joie! vous dessinez les formes du bonheur, vous apprenez à vivre!
Trois Bretons, plusieurs Provençaux, quelques Corses.—On fraternise.—C'est le premier jour de franche bordée après la campagne.
«Lina est morte.
–Et Jeanne?
–Elle a quitté la maison, mais voici Carmen.
–Elle a forci!»
On soupèse, on tâte Mireille qui n'a pas moins profité.
«Qui est celle-là?
–Charlotte, une nouvelle.»
Charlotte ne dit mot d'abord; bientôt, elle s'apprivoise. Jean l'invite. Elle boit beaucoup. On l'embrasse. Jean est satisfait. La nouvelle semble gentille. Il l'entraîne vers le petit escalier tournant qui débouche au coin de la salle. Le couple disparaît.
C'est l'amour.
Les autres veulent rire encore et consommer toute leur joie. Et l'on discute, en paroles précises, la qualité des seins de Mireille, vraiment prodigieux.
Personne ne fait attention à Fathma, la négresse. Elle est jeune, elle est jolie, mais un défaut l'a dépréciée. Sa jambe gauche est tordue. Elle boite.
«Enlève ta robe!
–Montre-toi!»
Elle laisse tomber les chiffons qui la couvrent, puis, svelte, mince, à la fois élégante et maladroite, s'assied sur une chaise.
Un gros matelot s'approche d'elle. Il porte au bras un superbe tatouage qui représente deux cœurs unis, un palmier, un coq chantant, une devise sentimentale, un astre qui rayonne, un poignard, une ancre, et divers autres attributs.
Il regarde Fathma.
«Que tu es vilaine! Que tu es noire! Tu dois être méchante!»
Fathma ne souffle mot.
Le vacarme reprend. On fait jouer l'orgue mécanique… O valses! valses larmoyantes! et vous, polkas martelées!…
La fête est complète.
On danse, on se secoue, on transpire, on s'essuie.
Le vin coule.
Mireille, dont la poitrine a une si singulière abondance, s'éloigne avec Laurent, le chauffeur.—Yves le remplacera, dans un instant, à moins que Carmen n'achève de le séduire. A cette tâche, elle se voue, tout entière.
Une poussière fine monte avec les odeurs unies du tabac, du vin et de l'homme.
… Et la petite négresse, dépréciée parce que sa jambe est tordue, semble regarder tout cela, mais, en vérité, je vous le dis, de ses grands yeux, où l'on peut voir passer des mirages de grèves, de flots et d'aréquiers, elle regarde plus loin, absente, le buste droit, les mains aux genoux, très noire, très triste, tout à fait nue… et, tandis qu'au dehors, la nuit se prépare à mettre son diadème d'étoiles, entre ses doigts distraits, Fathma tourne une fleur rouge.
Toulon.
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ÉDITION EXPURGÉE
Chargés de sacs, les ânes restent en ligne, contre le mur jaune, chargé de soleil. Le soleil s'accroche à toutes les crevasses, coule contre les parois lisses, se blottit dans les trous.
Au pied du mur, un Marocain, accroupi, marmotte des prières. Ce vieillard a une tête superbe. Vraiment, il paraît, pour l'instant, occupé par sa seule oraison, et les ânes ne bougent pas plus que s'ils étaient empaillés.
Soudain, un souvenir me revient à l'esprit, un de ces brusques souvenirs qui jaillissent hors du passé, ridicules et bouffons: je me souviens de la manière dont fut corrigée, récemment, la grammaire Noël et Chapsal.
Les anciennes éditions portaient, comme exemple du verbe être:
«Dieu est grand.—L'âme est immortelle.»
Maintenant on lit:
«Paris est grand.—L'âne est patient.»
Mais l'un des ânes vient de se ranimer et se promène le long du quai. Sans doute a-t-il voulu contempler la mer et les bateaux… Et le Marocain pieux, interrompant son oraison, court aussitôt après la bête, en vociférant.
Casablanca.
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SPLEEN AU CAFÉ
Sans doute suis-je venu ici pour m'ennuyer.
J'ai travaillé jusqu'à une heure du matin, puis, sentant les murs de ma chambre se refermer sur moi, j'ai gagné la rue.
Ici, l'on s'amuse. Chacun le dit. Il faut le croire. Moi-même, en ce lieu qui est presque un mauvais lieu, j'ai parfois trouvé de l'agrément.
Sur les banquettes, ces dames sont éparpillées comme, sur une litière de paille, des nèfles véreuses. Elles achèvent de pourrir afin d'être tout à fait comestibles.
Des jeunes gens les regardent et pensent à autre chose.—Ils sont glabres et rubiconds, ou bien pâles, avec une moustache malheureuse, mais tous portent, en place de tunique bien drapée, un vêtement strict, frotté de suie et dont le plastron, les manchettes et le col sont crayeux.—Ils ne s'amusent pas plus que moi, je pense.—En vérité, ils s'ennuient. Ils s'ennuient honteusement et cachent cette honte dans de grands verres où leur nez s'abîme.—Une odeur fade s'exhale des tables servies; poudre de riz, sauces, vieilles dentelles.—C'est l'encens de cette pauvre idole que l'on nomme: l'apparence du plaisir.
Autour de moi, les glaces reflètent, suivant leur coutume, les objets qui les confrontent.—Cela est cruel, car je ne puis m'échapper de ce spectacle, et, partout, partout, je vois, accoudés sur les nappes, ces pierrots blancs et noirs, en compagnie de ces femmes véreuses, qui s'abreuvent et tourmentent avec des fourchettes leur pâtée de la nuit.
Si cela continue, je vais m'enivrer.
Dans un coin, des tziganes célèbrent avec frénésie la déchéance de leur race, par des airs lugubres où le violon piaille, le cymbalum résonne, puis ils saluent, d'un air domestique et bas, afin de recueillir un encouragement, un encouragement monnayé, puis ils recommencent.
… Et moi, me sentant de plus en plus triste, je murmure, caché derrière une bouteille de champagne, ces vers de Heine où un sapin des forêts du Hartz songe à une palme d'Orient.
Maxim.
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INSCRIPTION TROUVÉE SUR UN CHÊNE
Je n'ose vous dire la couleur de mon amour… le ciel est d'un bleu trop pur.
Je n'ose vous dire le parfum de mon amour… cet iris a de trop fines senteurs.
Je n'ose vous dire l'ardeur de mon amour… les feux des étoiles brûlent trop clair…
Mais vous poserez votre petite main sur ma poitrine, et, dans le grand silence, vous serez émue par ses battements.
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A PROPOS DE PIERROT
Pierrot aimait jeter des cailloux dans la mare pour y faire des ronds, et rien, alors, ne pouvait le distraire de son jeu.—Parfois, il suivait, du coin de l'œil, un vol de ramiers, mais, vite, il ramenait son regard à la contemplation des eaux dormantes qu'il éveillait en y créant des cercles éphémères.
Cette mare, vous la connaissez. Elle se trouve près du palais de Climène; le Nécromant arabe loge non loin de là; tout contre, il y a le champ de l'Herboriste, et, sur le bord même, la grotte d'Ariane, princesse très répandue.
Pierrot chérissait beaucoup de choses que d'autres méprisent: les insectes en équilibre sur les brins d'herbe, les plantes médicinales, la poudre de riz des papillons et, surtout, d'un ardent amour, les lunules qu'un rais de lumière, filtré par le feuillage, pose sur les gazons.
Cependant, il revenait toujours à cette mare, témoin de ses premiers jeux. Du fond verdâtre de l'eau, montait parfois une bulle qui crevait à la surface… et Pierrot retenait son souffle, car il lui semblait toujours que la mare allait parler.
Grand ami des nuages, il déplorait ne pouvoir se mêler à leurs entretiens et, quand l'un d'eux l'appelait par son nom, il répondait d'une voix triste, pour expliquer sa présence sur terre:
«Mes frères faits de flocons! je m'en veux d'être enchaîné ici-bas! mais, un jour, mes manches trop larges s'élargiront encore jusqu'à former de grandes ailes, et, comme un cygne, vers vous je m'envolerai!»
La chronique rapporte que plusieurs femmes l'aimèrent: il y eut Suzanne et Clorinde et Fanchon, dont le rire avait un son de clochette, et Lucrèce, la tragédienne, et Clélie et l'admirable Eléonore, mais, durant qu'elles l'aimaient, il songeait à Colombine.
Il s'habillait de blanc, comme l'avait fait son père, de blanc pur! et, si son cœur saignait, c'était spirituellement, sans jamais tacher la belle toile, de sorte qu'à toute heure, il semblait endimanché.
Il advint que, réduit à gagner sa vie, il s'engagea dans un cirque forain qui visitait les cours d'Europe. Toujours de blanc vêtu, toujours de blanc poudré, toujours d'âme aussi blanche, il savait balancer sur sa tête une plume flexible, jongler avec divers objets: une fleur, un poignard, une mèche de cheveux; souffler enfin, mieux que personne, des bulles de savon.
Il ne fit point fortune, et, un soir de gala qu'il traversait les cercles de papier, mourut d'avoir trouvé, derrière ce mur fragile et rose, un monde qu'il connaissait déjà.
Aux jours de sa jeunesse, il avait coutume de créer des ondes concentriques dans les mares dormantes.
Tout le monde sait qu'il aima Colombine.
C'était Pierrot.
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EN ATTENDANT L'AMOUR
Ah! si l'amour nous visitait, ce soir, comme nous l'accueillerions avec de bonnes paroles, pour le persuader de rester entre nous!
La place est libre. Viendra-t-il?
Nous l'attendons depuis si longtemps! Depuis si longtemps tu restes assise sur ta chaise, les mains sagement occupées par un travail de tapisserie! Parfois, tu me regardes avec affection. De ce regard, je te remercie par un battement des paupières. Alors, tranquilles et presque heureux, nous soupirons, l'un et l'autre, en attendant l'amour.
Tu fus très douce, durant tout ce temps que j'écrivais mon gros livre. Je m'interrompais, au milieu d'un paragraphe, pour te contempler, avec cette expression quémandeuse que l'on trouve sur la face des chiens battus et de certains pauvres qui ont vraiment très faim. Souvent, tu me récompensais de ma prière par un baiser, et c'est ainsi que nous avons traversé une partie de notre vie, en attendant l'amour.
Ce soir, ce sera comme chaque soir. Au dehors, il y a la neige tombée, peu d'étoiles, mais une belle lune ronde. Sans le dire, nous envierons les amants qui regardent cet astre pâle avec une exaltation qui les secoue tout entiers. Nous soupirerons encore un peu. Nous nous témoignerons une amicale tendresse en nous serrant les mains.
Puis, quand la pendule sonnera une heure tardive, nous nous lèverons et nous échangerons un baiser avant d'aller dormir.
Oui, ce sera ainsi, comme hier, comme avant-hier, comme depuis le jour déjà lointain où nous avons commencé d'attendre l'amour.
Et, demain, ce sera de même, et…
Chut!… Qui frappe à la porte? Nous n'attendons personne!…
Ouvre vite, mon amie! Ouvre vite!…
C'est Lui!
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BAIGNEUSE
Tu baignes tes pieds nus dans la nuit de l'eau; tu les remues doucement, et la lune, pour t'agréer, plisse, dans la vasque, une onde évasive, circulaire, lumineuse, qui s'agrandit et va s'éteindre, enfin, contre le bord obscur. Alors, par un frémissement de l'orteil, tu en propages une autre, car ce jeu te plaît.
Que les palmes soupirent sous une brise, que de longues sauterelles se détendent près de toi, qu'un parfum de narcisses foulées monte de l'herbe, peu t'importe. Phébé (dont tu m'as dit le nom arabe) se hisse vers le zénith sans t'émouvoir, et, sans t'émouvoir davantage, se laisse couler jusqu'à l'horizon.
Tu ne prends point garde à cette voix intime, qui, du tréfond de mon être, consacre à ta beauté un hymne extraordinaire. Sans te soucier de mon amour, tu murmures une mélopée dont tu ne cesses de me faire hommage d'une aube à l'autre. Je ne t'y provoque pas le moins du monde.
Je voudrais t'emmener captive dans un pays du nord et que, saisie par le froid, tu te suspendisses passionnément à mon cou; je voudrais, femme brûlée, t'aiguiser au fil cruel d'une bise, inspirer de la fièvre à chacun de tes gestes et poser sur ton cœur un glaçon, pour que tressaille enfin ce cœur indifférent.
Là-bas, s'étend une étrange contrée: viens! suis-moi! regarde!… Le fleuve onctueux se gonfle sous les ponts et des arbres agitent quelques feuilles de bronze, tandis qu'au ciel se détordent trois nuages, où, si tu veux, nous chercherons, comme le fit Hamlet, le si distingué prince de Danemark, des formes d'animaux.
Regarde bien! placide! regarde bien! La nuit entrebâille sa porte noire. De cet abri, où je vais te conduire, nous pourrons contempler, durant que la pluie hache obliquement le paysage, la file des passants pressés qui semblent, avec leurs parapluies et leur démarche peureuse, traverser un conte fantastique.
Je t'indiquerai plus d'apparences nouvelles que tu n'as de bijoux sur ta chair, et, près des fortifications disposées en une architecture de stratégie, un vire-vire, posé sur l'herbe luisante comme une émeraude inondée, te présentera son cercle de chevaux de bois qui se désolent, fatidiques et hargneux.
Il y aura aussi des cheminées sans panache et des chalands, qui, poussant l'eau de leur robuste poitrine, paraîtront toujours suivre la même vague… et peut-être plaira-t-il à une promeneuse rêvant d'amour, malgré l'averse, de tenter une vocalise qui frissonnera dans l'air mouillé, délicieusement.
La chanson déploie sa dentelle, la chanson rit, et, parce que les heures joyeuses ont leurs mauvaises minutes, nous nous sentirons, à travers la pluie, flattés soudain par un souffle étrange, par un souffle épanché de cet invisible éventail qui t'éventera, un jour, jusqu'à t'incliner vers une tombe.
Et j'imaginerai des aventures merveilleuses que l'on pourrait, avec un peu de patience, habiller de belles phrases.—Toi, tu ne t'imagineras rien du tout, tu ouvriras tes grands yeux, et je me demanderai si, vraiment, quelque chose de rouge palpite dans ce corps que je t'ai appris à secouer pour mon plaisir.
Mais j'oublie qu'une lune africaine nous éclaire. Tu viens de me toucher le bras. Vas-tu m'avouer ta flamme? Non: tu crois avoir un caprice. Tu veux rentrer, et, cependant, comme je l'ai dit au seuil de ce poème, tu baignes encore tes pieds nus dans la nuit de l'eau, dans l'ombre aquatique et froide.
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LE SOMBRE VISAGE
Pour mieux se plaire à vivre, pour vivre plus vite, les hommes se réunissent, un temps. Ils se réunissent quelques heures pour danser au soleil, pour changer de monarque, pour écouter une voix de femme, puis, ils rentrent chez eux. Mais, s'ils restent réunis, s'ils ne se quittent plus, si le même toit les abrite, c'est pour considérer le visage de la mort.
Au collège, ils se défendent contre la mort en essayant une cuirasse; à la caserne, ils font l'apprentissage de mourir, devant une épée; désarmés, à l'hôpital, ils attendent de mourir, et, dans un monastère, ils s'y préparent, devant une croix. Enfin, couchés sous la même terre, ils se réunissent encore, une dernière fois, pour attendre le dernier réveil.
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LICASTE
Un ami vient de me présenter Licaste. Je serre la main tendue et vais murmurer les banalités nécessaires, quand Licaste me rappelle, de l'air humble de celui qui a beaucoup à se faire pardonner, s'être déjà fort souvent rencontré avec moi.
Il ne se trompe point.
Hélas! ce n'est, de ma part, ni mauvais vouloir, ni même étourderie.—Il ne m'en tiendra pas rigueur: pareille aventure lui est trop habituelle. Il rappelle tout le monde et ne ressemble à personne. Voulant citer un homme qui n'a point de singularité, qui ne se distingue de son voisin que par un trait en moins, je songerais à Licaste.
Licaste est n'importe qui. Licaste est un individu réel, qui existe comme vous et moi, qui respire, qui mange, qui dort, mais qui, néanmoins, ne cesse jamais d'être n'importe qui.—Ses premières années furent, je pense, celles de beaucoup d'enfants: ni prodigieuses, ni diaboliques, simplement celles d'un petit garçon dont les heures de gaieté n'avaient jamais de grands éclats, qui pleurait juste ce qu'il faut pour que cela parût naturel, et qui passait inaperçu.
Je ne sache pas qu'il ait beaucoup changé, depuis lors.—Il a de l'amabilité dans la voix et le geste, un certain goût et quelque bon sens. Il donne rarement son avis, car on l'écoute peu. Il s'habille sans recherche et sans incurie. Il est blond, de ce blond faible qui paraît n'être plus une teinte, mais son excuse, bien plutôt. Il ne fait point tache dans un salon. Il n'y brille pas. Il augmente, d'une unité, le groupe d'invités qui s'y trouve.
On m'assure que sa mère le nommait toujours en fin de liste, quand on lui parlait de ses enfants. Cela devenait presque un oubli.
Et je me demande si Licaste a jamais souffert de l'état moyen, essentiellement moyen, où il se trouve. A-t-il souffert d'être le passant, l'oublié, le négligé, l'inutile, la doublure, le treizième de la douzaine?…
Mais… au fait… cet homme qui n'a jamais su se distinguer, sait-il souffrir?