Kitabı oku: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1», sayfa 28
Ainsi la charité gouvernementale, indépendamment de ce qu'elle viole les principes de la liberté et de la propriété, intervertit encore les lois de la responsabilité; et en établissant une sorte de communauté de droit entre les classes aisées et les classes pauvres, elle ôte à l'aisance le caractère de récompense, à la misère le caractère de châtiment que la nature des choses leur avait imprimé.
Vous voulez que l'État s'interpose entre les masses et leur misère.– Mais avec quoi? – Avec des capitaux. – Et d'où les tirera-t-il? – De l'impôt; il aura un budget des pauvres. – Il faudra donc que, soutirant ces capitaux à la circulation générale, il fasse retomber sur les masses, sous forme d'aumônes, ce qui leur arrivait sous forme de salaires!
Enfin vous proclamez le droit du prolétaire au travail, au salaire, à la subsistance. Et qui jamais a contesté à qui que ce soit le droit de travailler, et par conséquent le droit à une juste rémunération? Est-ce sous le régime de la liberté qu'un tel droit peut être dénié? Mais, dites-vous, en nous plaçant dans une terrible hypothèse, «si la société n'a pas du travail pour tous ses membres, si son capital ne suffit pas pour donner à tous de l'occupation?» Eh bien! cette supposition extrême implique que la population a dépassé ses moyens de subsistance. Je vois bien alors par quels procédés la liberté tend à rétablir l'équilibre; je vois les salaires et les profits baisser, c'est-à-dire je vois diminuer la part de chacun à la masse commune; je vois les encouragements au mariage s'affaiblir, les naissances diminuer, peut-être la mortalité augmenter jusqu'à ce que le niveau soit rétabli. Je vois que ce sont là des maux, des souffrances; je le vois et je le déplore. Mais ce que je ne vois pas, c'est que la société puisse éviter ces maux en proclamant le droit au travail, en décrétant que l'État prendra sur les capitaux insuffisants de quoi fournir du travail à ceux qui en manquent; car il me semble que c'est faire le plein d'une part en faisant le vide de l'autre. C'est agir comme cet homme simple qui, voulant remplir un tonneau, puisait par-dessous de quoi verser par-dessus; ou comme un médecin qui, pour donner des forces au malade, introduirait dans le bras droit le sang qu'il aurait tiré au bras gauche.
À nos yeux, dans l'hypothèse extrême où l'on nous force de raisonner, de tels expédients ne sont pas seulement inefficaces, ils sont essentiellement nuisibles. L'État ne déplace pas seulement les capitaux, il retient une partie de ceux auxquels il touche, et trouble l'action de ceux qu'il ne touche pas. De plus, la nouvelle distribution des salaires est moins équitable que celle à laquelle présidait la liberté, et ne se proportionne pas, comme celle-ci, aux justes droits de la capacité et de la moralité. Enfin, loin de diminuer les souffrances sociales, elle les aggrave au contraire. Ces expédients ne font rien pour rétablir l'équilibre rompu entre le nombre des hommes et leurs moyens d'exister; bien loin de là, ils tendent à déranger de plus en plus cet équilibre.
Mais si nous pensons que la société peut être placée dans une situation telle qu'elle n'a que le choix des maux, si nous pensons qu'en ce cas la liberté lui apporte les remèdes les plus efficaces et les moins douloureux, prenez garde que nous croyons aussi qu'elle agit surtout comme moyen préventif. Avant de rétablir l'équilibre entre les hommes et les subsistances, elle agit pour empêcher que cet équilibre ne soit rompu, parce qu'elle laisse toute leur influence aux motifs qu'ont les hommes d'être moraux, actifs, tempérants et prévoyants. Nous ne nions pas que ce qui suit l'oubli de ces vertus, c'est la souffrance; mais vouloir qu'il n'en soit pas ainsi, c'est vouloir qu'un peuple ignorant et vicieux jouisse du même degré de bien-être et de bonheur qu'un peuple moral et éclairé.
Il est si vrai que la liberté prévient les maux dont vous cherchez le remède dans le droit au travail, que vous reconnaissez vous-même que ce droit est sans application aux industries qui jouissent d'une entière liberté: «Laissons de côté, dites-vous, le cordonnier, le tailleur, le maréchal, le charron, le tonnelier, le serrurier, le maçon, le charpentier, le menuisier… Le sort de tous ceux-là est hors de cause.» Mais le sort des ouvriers des fabriques serait aussi hors de cause si l'industrie manufacturière vivait d'une vie naturelle, ne posait le pied que sur un terrain solide, ne progressait qu'à mesure des besoins, ne comptait pas sur les prix factices et variables de la protection, une des formes émanées de la théorie de l'arbitraire.
Vous proclamez le droit au travail, vous l'érigez en principe; mais, en même temps, vous montrez peu de foi dans ce principe. Voyez en effet dans quelles étroites limites vous circonscrivez son action. Ce droit au travail ne pourra être invoqué que dans des cas rares, dans des cas extrêmes, pour cause de vie seulement (propter vitam), et à la condition que son application ne créera jamais, contre le travail des industries libres et le tarif des salaires volontaires, la concurrence meurtrière de l'État.
Réduites à ces termes, les mesures que vous annoncez sont du domaine de la police plutôt que de l'économie sociale. Je crois pouvoir affirmer, au nom des économistes, qu'ils n'ont pas d'objections sérieuses à faire contre l'intervention de l'État dans des cas rares, extrêmes, où, sans nuire aux industries libres, sans altérer le tarif des salaires volontaires, il serait possible de venir, propter vitam, au secours d'ouvriers momentanément, brusquement déplacés, sous le coup de crises industrielles imprévues. – Mais, je vous le demande, pour aboutir à ces mesures d'exception, fallait-il remuer toutes les théories des écoles les plus opposées? fallait-il élever drapeau contre drapeau, principe contre principe, et faire retentir aux oreilles des masses ces mots trompeurs: droit au travail, droit de vivre! Je vous dirai, en empruntant vos propres expressions: «Ces idées ne sont si sonores que parce qu'il n'y a rien dedans que du vent et des tempêtes.»
Monsieur, je ne pense pas que le Ciel ait jamais accordé à un homme des dons plus précieux que ceux qu'il vous a prodigués. Il y a assez de chaleur dans votre âme, assez de puissance dans votre génie pour que le siècle subisse votre influence et fasse, à votre voix, un pas de plus dans la carrière de la civilisation. Mais pour cela, il ne faut pas que vous alliez butiner d'ici, de là, dans les écoles les plus opposées, des principes qui s'excluent. Votre prodigieux talent est un puissant levier; mais ce levier est sans force s'il n'a pour point d'appui un principe. – Naguère vous vous présentâtes devant l'opposition, la bonne foi au cœur et l'éloquence sur les lèvres. Quel résultat avez-vous obtenu? Aucun, parce que vous ne lui portiez pas un principe. Oh! si vous adhériez fortement à la liberté! Si vous la montriez faisant progresser le monde social par l'action de ces deux grandes lois corollaires: responsabilité, solidarité! Si vous ralliiez les esprits autour de cette vérité: «En économie politique, il y a beaucoup à apprendre et peu à faire!» On comprendrait alors que la liberté porte en elle-même la solution de tous les grands problèmes sociaux que notre époque agite, et «qu'elle fait aux hommes une justice que les systèmes arbitraires ne leur feraient pas.» Comment avez-vous rencontré des vérités si fécondes pour les abandonner l'instant d'après? – Ne voyez-vous pas que la conséquence rationnelle et pratique de cette doctrine c'est la simplification du gouvernement? Courage donc, suivez cette voie lumineuse! Dédaignez la vaine popularité qu'on vous promet ailleurs. Vous ne pouvez servir deux maîtres. Vous ne pouvez travailler à la simplification du pouvoir, demander qu'il ne touche «ni au travail ni à la conscience,» et exiger en même temps «qu'il prodige l'instruction, qu'il colonise, qu'il adopte les enfants trop nombreux, qu'il s'interpose entre les masses et leurs misères.» Si vous lui confiez ces tâches multipliées et délicates, vous l'agrandissez outre mesure; vous lui conférez une mission qui n'est pas la sienne; vous substituez ses combinaisons à l'économie des lois sociales; vous le transformez en «Providence qui ne voit pas seulement, mais qui prévoit;» vous le mettez à même de prélever et de distribuer d'énormes impôts; vous le rendez l'objet de toutes les ambitions, de toutes les espérances, de toutes les déceptions, de toutes les intrigues; vous agrandissez démesurément ses cadres, vous transformez la nation en employés; en un mot vous êtes sur la voie d'un fouriérisme bâtard, incomplet et illogique.
Ce ne sont pas là les doctrines que vous devez promulguer en France. Repoussez leurs trompeuses séductions. Rattachez-vous au principe sévère, mais vrai, mais le seul vrai, de la Liberté. Embrassez dans votre vaste intelligence et ses lois, et son action, et ses phénomènes, et les causes qui la troublent, et les forces réparatrices qui sont en elle. Inscrivez sur votre bannière: «Société libre, gouvernement simple,» – idées corrélatives et pour ainsi dire consubstantielles. Cette bannière, les partis la repousseront peut-être; mais la nation l'embrassera avec transport. Mais effacez-y jusqu'à la dernière trace de cette devise: «Société contrainte, gouvernement compliqué.» – Des mesures exceptionnelles, applicables dans des circonstances rares, dans des cas extrêmes et d'une utilité après tout fort contestable, ne sauraient longtemps contre-balancer dans votre esprit la valeur et l'autorité d'un principe. Un principe est de tous les temps, de tous les lieux, de tous les climats et de toutes les circonstances. Proclamez donc la liberté: liberté de travail, liberté d'échanges, liberté de transactions pour ce pays et pour tous les pays, pour cette époque et pour toutes les époques. À ce prix, j'ose vous promettre sinon la popularité du jour, du moins la popularité et les bénédictions des siècles. – Un grand homme s'est emparé de ce rôle en Angleterre. Il n'y a pas de jour dans l'année, il n'y a pas d'heure dans le jour où on ne le voie exposer aux yeux des masses les grandes lois de la mécanique sociale. Il a réuni autour de lui une université mouvante, un apostolat du XIXe siècle; et la parole de vie pénétrant dans toutes les couches de la société en a fait surgir une opinion publique puissante, éclairée, pacifique, mais indomptable, qui sous peu présidera aux destinées de la Grande-Bretagne. Car savez-vous ce qui arrive? Plus de cinquante mille Anglais se seront mis, d'ici à la fin du mois, en possession du droit électoral pour balancer l'influence des écoles arbitraires et neutraliser les efforts des prohibitionnistes, des faux philanthropes et de l'aristocratie. – La liberté! – voilà le principe qui va régner à nos portes; et un homme, M. Cobden, aura été l'instrument de cette grande et paisible révolution. Oh! puisse vous être réservée une semblable destinée, dont vous êtes si digne!
Mugron (Landes)… janvier 1845.
SUR L'OUVRAGE DE M. DUNOYER. DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL. ÉBAUCHE INÉDITE. (1845.)
«Il y a vingt ans, dit M. Dunoyer, que j'ai conçu la pensée de ce livre.» Certes, pendant ces vingt années, il n'en est pas une où cet important ouvrage eût pu avec plus d'à-propos être livré au public, et j'ose croire qu'il est dans sa destinée de faire rentrer la science dans sa voie. Un système funeste semble prendre sur les esprits un dangereux ascendant. Émané de l'imagination, accueilli par la paresse, propagé par la mode, flattant chez les uns des instincts louables mais irréfléchis de philanthropie, séduisant les autres par l'appât trompeur de jouissances prochaines et faciles, ce système est devenu épidémique; on le respire avec l'air, on le gagne au contact du monde; la science même n'a plus le courage de lui résister; elle se range devant lui; elle le salue, elle lui sourit, elle le flatte, et pourtant elle sait bien qu'il ne peut soutenir un moment le sévère et impartial examen de la raison. On le nomme socialisme. Il consiste à rejeter du gouvernement du monde moral tout dessein providentiel; à supposer que du jeu des organes sociaux, de l'action et de la réaction libres des intérêts humains, ne résulte pas une organisation merveilleuse, harmonique et progressive, et à imaginer des combinaisons artificielles qui n'attendent pour se réaliser que le consentement du genre humain. Nous ferons-nous tous Moraves? nous enfermerons-nous dans un phalanstère? N'abolirons-nous que l'hérédité, ou bien nous débarrasserons-nous aussi de la propriété et de la famille? On n'est pas encore fixé à cet égard; et, pour le moment, il n'est qu'une chose dont l'exclusion soit unanimement résolue, la liberté.
Fi de la liberté!
À bas la liberté!
On est d'accord sur ce point. Il ne reste plus au milliard d'hommes qui peuplent notre globe qu'à faire choix, parmi les mille plans qui ont vu le jour, de celui auquel ils préfèrent se soumettre, à moins cependant qu'il n'y en ait un meilleur parmi ceux que chaque matin voit éclore. Ce choix, il est vrai, offrira quelques difficultés, car messieurs les socialistes, quoiqu'ils prennent le même nom, sont loin d'avoir les mêmes projets sociaux. Voici M. Jobard qui pense que la propriété a encore la moitié de son domaine à acquérir, et qui veut y soumettre jusqu'à la plus fugitive pensée littéraire ou artistique; mais voilà Saint-Simon qui n'admet pas même la propriété matérielle; et entre eux se pose M. Blanc, qui reconnaît bien la propriété des produits du travail (sauf un partage de son invention), mais qui flétrit comme impie et sacrilége quiconque tire quelque avantage de son livre, de son tableau ou de sa partition, heureux pourtant M. Blanc de savoir se soumettre à la vulgaire pratique, en attendant le triomphe de sa théorie!
Au milieu de ces innombrables enfantements de Plans sociaux, nés de l'imagination échauffée de nos modernes Instituteurs de nations, la raison éprouve un charme indicible à se sentir ramenée, par le livre de M. Dunoyer, à l'étude d'un plan social aussi, mais d'un plan créé par la Providence elle-même; à voir se développer ces belles harmonies qu'elle a gravées dans le cœur de l'homme, dans son organisation, dans les lois de sa nature intellectuelle et morale. On a beau dire qu'il n'y a pas de poésie dans les sciences expérimentales, cela n'est pas vrai; car cela reviendrait à dire qu'il n'y a pas de poésie dans l'œuvre de Dieu.
Pense-t-on que les découvertes géologiques de Cuvier, parce qu'elles étaient dues à une laborieuse et patiente observation, parce qu'elles étaient conformes à la réalité des faits, ne nous font pas admirer ce qu'elles nous laissent entrevoir des desseins de la création, autant que les inventions les plus ingénieuses?
Le point de départ obligé des réformateurs modernes (qu'ils en conviennent ou non) est que la société se détériore sous l'empire des lois naturelles, et qu'elles tendent à introduire de plus en plus la misère et l'inégalité parmi les hommes; aussi par quels tristes tableaux n'assombrissent-ils pas les premières pages de leurs livres! Avouer le principe de la perfectibilité, ce serait créer d'avance une fin de non-recevoir contre leur prétention à refaire le monde. S'ils reconnaissaient qu'il y a, dans les lois de la Responsabilité et de la Solidarité, une force qui tend invinciblement à améliorer et à égaliser les hommes, pourquoi s'élèveraient-ils contre ces lois, eux qui font profession d'aspirer à ce résultat? Leur tâche se bornerait à les étudier, à en découvrir les harmonies, à les divulguer, à signaler et à combattre les obstacles qu'elles rencontrent encore dans les erreurs de l'esprit, les vices du cœur, les préjugés populaires, les abus de la force et de l'autorité.
Ce qu'il y a de mieux à opposer aux socialistes, c'est donc la simple description de ces lois. C'est ce que fait M. Dunoyer. Mais comme après tout on ne diffère souvent sur les choses que parce qu'on n'est pas d'accord sur le sens des mots, M. Dunoyer commence par définir ce qu'il entend par liberté.
Liberté, c'est puissance d'action. Donc chaque obstacle qui s'abaisse, chaque restriction qui tombe, chaque expérience qui s'acquiert, toute lumière qui éclaire l'intelligence, toute vertu qui accroît la confiance, la sympathie et resserre les liens sociaux, c'est une liberté conquise au monde; car il n'y a rien en toutes ces choses qui ne soit, une puissance d'action, une puissance pacifique, bienfaisante et civilisatrice.
Le premier volume de M. Dunoyer est consacré à la solution de cette question de fait: Le monde a-t-il ou n'a-t-il pas progressé sous l'empire de la loi de liberté? Il étudie successivement les divers états sociaux par lesquels il a été dans la destinée de l'homme de passer, l'état des peuples chasseurs, pasteurs, agricoles, industriels, auxquels correspondent l'anthropophagie, l'esclavage, le servage, le monopole. Il montre l'espèce humaine s'élevant vers le bien-être et la moralité, à mesure qu'elle devient libre; il prouve qu'à chaque phase de son existence les maux qu'elle a endurés ont eu pour cause les obstacles qu'elle a rencontrés dans son ignorance, ses erreurs et ses vices; il signale le principe qui les lui fait surmonter, et, tournant enfin vers l'avenir le flambeau qui vient de lui montrer le passé, il voit la société progresser et progresser indéfiniment, sans qu'elle ait à se soumettre à des organisations récemment inventées, – à la seule condition de combattre sans cesse et les liens qui gênent encore le travail des hommes, et l'ignorance qui obstrue leur esprit, et ce qu'il reste d'imprévoyance, d'injustice et de passions mauvaises dans leurs habitudes.
C'est ainsi que l'auteur fait justice de ce vieux sophisme, indigne de la science et récemment renouvelé des âges les plus barbares, qui consiste à s'étayer de faits isolés, malheureusement trop nombreux encore, pour en induire la détérioration de l'espèce humaine. Fidèle à sa méthode, il suppute les progrès acquis, les rattache à leurs véritables causes, et démontre que c'est en développant ces causes, en détruisant et non en ressuscitant des obstacles, en étendant et non en restreignant le principe de la responsabilité, en renforçant et non en affaiblissant le ressort de la solidarité, en nous éclairant, en nous amendant, en devenant libres, que nous marcherons vers des progrès nouveaux.
Après avoir étudié l'humanité dans ses divers âges, M. Dunoyer la considère dans ses diverses fonctions.
Mais ici il avait à faire la nomenclature de ces fonctions. Nous n'hésitons pas à dire que celle de l'auteur est plus rationnelle, plus méthodique et surtout plus complète que celle qu'avait traditionnellement adoptée la science économique.
Soit que l'on divise l'industrie en agricole, manufacturière et commerciale, soit que, comme M. de Tracy, on la réduise à deux branches, le travail qui transforme et celui qui transporte, il est évident qu'on laisse, en dehors de la science, une multitude de fonctions sociales et notamment toutes celles qui s'exercent sur les hommes. La société, au point de vue économique, est un échange de services rémunérés; et sous ce rapport l'avocat, le médecin, le militaire, le magistrat, le professeur, le prêtre, le fonctionnaire public appartiennent à la science économique aussi bien que le négociant et le cultivateur.
Nous travaillons tous les uns pour les autres, nous faisons tous entre nous échange de services, et la science est incomplète si elle n'embrasse pas tous les services et tous les travaux.
Nous croyons donc que l'économie politique est redevable à M. Dunoyer d'une classification, qui, sans la faire sortir de ses limites naturelles, a le mérite de lui ouvrir de nouvelles perspectives, de nouveaux champs de recherches, surtout dans l'ordre intellectuel et moral, et de l'arracher à ce cercle matériel où les esprits supérieurs n'aiment pas à se laisser longtemps renfermer.
Aussi, lorsque M. Dunoyer, après avoir recherché quels sont les états sociaux qui ont été les plus favorables à l'humanité, examine les conditions dans lesquelles chaque fonction se développe avec le plus de puissance et de liberté, on sent qu'un principe moral est venu prendre place dans la science. Il prouve que les forces intellectuelles et les vertus privées ou de relation ne sont pas moins nécessaires aux succès de nos travaux que les forces industrielles. Le choix des lieux et des temps, la connaissance du marché, l'ordre, la prévoyance, l'esprit de suite, la probité, l'épargne concourent tout aussi réellement à la prompte formation, à l'équitable distribution, à la judicieuse consommation des richesses que le capital, l'habileté et l'activité.
Nous n'oserions pas dire que, dans le cadre immense qu'embrasse l'auteur, il ne s'est pas glissé quelques observations de détail qu'on pourrait contester; encore moins qu'il a épuisé son inépuisable sujet. Mais sa méthode est bonne, les limites de la science bien posées, le principe qui la domine clairement défini. Dans ce vaste champ, il y a place pour bien des ouvriers; et, s'il faut dire toute notre pensée, nous croyons que là est le terrain où pourront désormais se rencontrer et ces esprits exacts que leur irrésistible soumission aux exigences de la logique retenait dans cette partie de l'économie politique qui est susceptible de démonstrations rigoureuses, et ces esprits ardents que l'idolâtrie du beau et du bien entraînait dans la région des utopies et des chimères.