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XXXVIII
DES
DIVINITÉS GÉNÉRATRICES
PAR DULAURE118

Jacques-Antoine Dulaure fut un de ces modestes et laborieux savants à l’esprit ouvert et chercheur, d’une variété remarquable d’aptitudes, d’une facilité de travail, d’une fécondité qui étonnent, tels qu’il s’en était formé un grand nombre à l’école de la philosophie du XVIIIe siècle, des Encyclopédistes, et qui pour la plupart se sont perdus dans le gouffre de la Révolution. «Que faisiez-vous pendant la Terreur?» demandait-on à Sieyès. – «J’ai vécu,» répondait-il. C’était déjà beaucoup, en effet, que d’arriver seulement à vivre; mais Sieyès y réussit tout en restant jusqu’au bout au milieu des partis qui s’entretuaient, Dulaure n’échappa à la guillotine qu’en s’exilant.

Suppléant à l’Assemblée Nationale, puis député à la Convention, Dulaure était de ces esprits sages, pondérés, qui auraient voulu fonder pacifiquement un nouveau régime de liberté, d’égalité et de justice, et acheminer la Révolution dans une voie régulière. Il fut décrété d’accusation le 15 Octobre 1793, cinq mois après les Girondins, et n’échappa qu’à grand’peine au sort de ses amis, en se dérobant aux recherches de la police. Arrivé en Suisse, par les montagnes du Jura, il se présenta à une manufacture d’indiennes où, embauché d’abord comme ouvrier, il trouva par la suite à utiliser ses talents de dessinateur. «Pourquoi,» disait-il, «suis-je banni du sol de la liberté, moi qui depuis plusieurs années n’ai agi, écrit, pensé que pour elle? Avant et après la Révolution, j’ai constamment combattu la triple tyrannie des prêtres, des nobles et des rois!» Il vécut là entièrement inconnu, ne laissant soupçonner à personne ni son nom, ni qui il était, jusqu’à la chute de Robespierre. Après le 9 Thermidor, il rentra en France et reprit paisiblement possession de son siège à la Convention. Trois départements, le Puy-de-Dôme, la Corrèze et la Dordogne où, envoyé en mission, il avait su gagner tous les suffrages par son honnêteté, sa modération et son patriotisme, l’élurent député aux Cinq-Cents; il y siégea jusqu’au 18 Brumaire, qui mit fin à sa carrière politique.

Rendu à la vie privée, pourvu d’un modeste emploi dans les finances qui lui assurait le vivre et le couvert, il revint à ses études favorites et fit paraître le remarquable ouvrage intitulé: Des cultes qui ont précédé et amené l’idolâtrie ou l’adoration des figures humaines (Paris, Fournier, 1805, in-8o), suivi la même année du volume qui le complète: Des Divinités génératrices, ou du culte du Phallus chez les Anciens et les Modernes, des cultes du dieu de Lampsaque, de Pan, de Vénus, etc.; c’était le Voltairien qui protestait contre la réaction catholique dont la réouverture des églises avait donné le signal, et contre l’engouement qui portait aux nues le Génie du Christianisme. Aux poétiques fictions de Châteaubriand, Dulaure opposait des faits réels, précis et, remontant à l’origine des religions, les montrait toutes issues d’un grossier ou monstrueux fétichisme. Le vieux républicain, le conventionnel se réveilla à la Restauration; il publia une Défense des propriétaires des biens nationaux (1814, in-8o), et un virulent pamphlet qui est en même temps un document historique: Causes secrètes des excès de la Révolution (1815, in-8o), où il faisait des émigrés et des prêtres les instigateurs de la mort de Louis XVI, les rendait responsables du règne même de la Terreur. Ce pamphlet parut dans le Censeur, dont il motiva la saisie, et souleva contre son auteur des haines qui trouvèrent l’occasion de se satisfaire lorsque, dix ans plus tard, Dulaure réimprima, sous le titre général d’Histoire abrégée des différents cultes, les deux volumes de mythologie dont il est question plus haut. Celui qui traite des Divinités génératrices n’avait été l’objet à son apparition, en 1805, que de critiques et de contradictions plus ou moins vives: en 1825, on le jugea attentatoire à la morale publique et religieuse, l’édition fut saisie, condamnée et en partie détruite119.

Dulaure était à cette époque en train de publier son grand ouvrage: Histoire physique, civile et morale de Paris (1821-22, 7 vol. in-8o), que dans les éditions suivantes il porta à dix volumes, et qui fut, avec l’Esquisse historique des principaux événements de la Révolution (1825, 4 vol. in-8o), le travail de toute la dernière partie de sa vie. L’Histoire de Paris est restée justement estimée, et l’on peut dire populaire. Moins prolixe que Sauval pour tout ce qui regarde la topographie Parisienne, les accroissements successifs de la ville, ses édifices civils, ses églises, ses fondations pieuses, moins copieux que D. Félibien et Lobineau en chartes, ordonnances, règlements, etc., Dulaure est très supérieur à ses devanciers par la façon dont il a mis en œuvre ses savants matériaux. Paris ayant été naturellement le théâtre des principaux événements de notre histoire, c’est une histoire de France vue dans son ensemble qu’il nous présente en retraçant celle de la capitale. Dulaure n’a pas la flamme d’un Michelet, mais il est exact et véridique, n’avançant guère un fait, une assertion, qu’il ne l’appuie d’un document. Il est surtout curieux des particularités, des anecdotes; c’est l’homme qui a colligé avec le plus de soin dans les chroniques, les mémoires, les registres du Parlement et de la Chambre des Comptes, les sermons des prédicateurs, tout ce qui pouvait ruiner les superstitions religieuses, décrier les mœurs et les institutions de la Monarchie.

Il nous reste à dire un mot du mythologue. Dulaure a porté dans ce genre de recherches, où il excellait, la netteté de vues, la conscience, l’exactitude, qui lui étaient particulières; il a rassemblé autour des questions qu’il se proposait d’élucider une telle quantité de textes, de citations empruntées aux auteurs anciens et modernes, qu’on s’émerveille de la variété et de l’étendue de ses lectures. Ses travaux sont d’autant plus dignes d’éloge, qu’il marchait dans une voie à peine frayée et ne trouvait que de faibles soutiens soit dans l’Origine des cultes de Dupuis, du système duquel il s’écarte considérablement, soit dans les monographies de l’abbé Mignot, de Court de Gébelin et du président De Brosses, qui n’avaient traité que des points tout à fait spéciaux. Une comparaison du système de Dulaure avec ceux de ses devanciers et des mythologues plus récents, Creuzer, Guigniaut, Alfred Maury, nous entraînerait trop loin; disons seulement qu’il a sur tous l’avantage d’être très simple et d’offrir, par conséquent, les plus grandes chances de vraisemblance, car l’homme des anciens âges n’a pas dû être le métaphysicien subtil que suppose la Symbolique de Creuzer.

Contrairement à Dupuis, qui voit dans le Sabéisme, c’est-à-dire dans l’adoration des astres, l’origine de tous les cultes, Dulaure montre jusqu’à l’évidence qu’il y eut des cultes bien antérieurs aux connaissances astronomiques dont le Sabéisme montre l’homme en pleine possession; que les premiers objets de son adoration superstitieuse furent des objets naturels: les montagnes qui bornaient son horizon, les forêts impénétrables qui servaient de barrières aux tribus, les fleuves, les sources bienfaisantes où il buvait, la mer infranchissable pour lui et qui le frappait d’étonnement, puis les pierres extraites des montagnes sacrées, les bornes posées solennellement comme frontières entre les nations, comme limites entre les patrimoines.

Pour ce qui est du culte du Phallus, par dérogation à son système, Dulaure lui donne une origine planétaire; il est, en effet, associé au signe zodiacal du Taureau dans les plus anciens documents que l’on ait sur lui. Ce point de vue est peut-être contestable; mais on rendra du moins cette justice à Dulaure, qu’il n’a rien négligé pour nous donner de ce culte singulier l’exposé le plus ample et le plus lumineux. Il en a suivi les développements et les ramifications dans tous les temps et dans tous les pays, jusqu’à nos jours où sous des noms divers il s’est clandestinement perpétué. Lui seul est complet; qu’on lise après lui les quelques pages éparses sur ce sujet dans la Symbolique, les quelques lignes que lui consacre Alfred Maury dans son Histoire des religions de la Grèce antique! Il sait de plus intéresser par la variété, l’abondance des renseignements et des citations, la clarté du récit. Dulaure n’occupe point parmi les mythologues le rang qui lui est légitimement dû.

Janvier 1885.

XXXIX
LE DICTIONNAIRE ÉROTIQUE
LATIN-FRANÇAIS
DE NICOLAS BLONDEAU120

Si l’on examine d’un peu près la langue érotique, les termes et locutions dont elle se compose, tant chez les Anciens que chez les Modernes, on s’aperçoit que les écrivains puisent les éléments de leur vocabulaire à trois sources principales.

Il y a d’abord le mot cru, le terme propre, qui peut maintenant nous paraître assez malsonnant, mais qui certainement à l’origine ne devait pas être obscène. L’homme donna un nom à ses parties génitales, à celles de la femme, à l’acte amoureux, aux sécrétions qui en résultent, comme à toutes les autres parties du corps, à toutes les autres actions et sécrétions, sans choquer en rien la pudeur. Les Grecs et les Romains employaient le mot cru, non seulement entre hommes et dans la conversation familière, mais publiquement, dans les poèmes, dans les livres, sur la scène. Aristophane disait le mot et exhibait la chose en plein théâtre. Horace dit ingénument: dum futuo; il parle sans périphrase des résultats d’un songe provoqué chez lui par l’attente d’une servante d’auberge, dans son voyage à Brindes121; ses invectives à Canidie sont intraduisibles en langage décent. Martial a encore moins de sans-gêne qu’Horace: il se plaît à étaler en ce genre des énormités et appelle cela parler Latin, user de la simplicité Romaine122.

Un second élément est puisé dans la langue médicale. Le médecin ne peut se contenter du mot populaire assigné à tel ou tel organe; le sérieux de son art ne s’accommoderait pas d’un terme banal ou plaisant et qui fait rire; de plus, l’anatomie lui a révélé la complexité de cet organe, qui est un pour le vulgaire, mais qui pour lui se compose d’un certain nombre de parties distinctes, jouant chacune leur rôle, et auxquelles il assigne un nom particulier. Il se servira donc, soit de termes vagues, par décence, comme inguen, abdomen, uterus, pudenda, muliebria, habitare, inire, coire, etc.; soit, s’il a besoin d’être précis, des termes techniques dont il enrichit la langue, et que l’écrivain ou tout le monde peut employer à son tour, s’ils n’ont pas un aspect scientifique par trop rébarbatif.

Réduit à ces deux éléments premiers, le vocabulaire érotique serait encore bien restreint, et la nécessité d’un glossaire spécial se ferait à peine sentir. Mais ils n’ont, à vrai dire, que la moindre importance, et le troisième élément, l’élément métaphorique, est de beaucoup la source la plus abondante. Le peuple crée naturellement et continuellement des métaphores, en matière érotique comme en toute autre matière; les écrivains utilisent les locutions passées en usage, en forgent d’autres, à l’infini, suivant leur tournure d’esprit ou leur caprice, détournent le sens ordinaire des mots, parlent d’une chose pour en faire entendre une autre, se servent d’équivoques s’ils ont peur d’être trop bien compris, et créent ainsi, parallèlement à la langue générale, une langue particulière, figurée, d’autant plus savoureuse et d’autant plus riche qu’ils ont plus d’ingéniosité. Quelques-uns en ont tant, que les seuls initiés comprennent la moitié de ce qu’ils ont voulu dire et, pour l’autre moitié, en sont réduits aux conjectures. Sans les anciens scoliastes qui nous avertissent que tel passage d’Aristophane renferme une allusion obscène, on poursuivrait sans la voir; et les savants disputent encore sur le sens qu’il faut donner à tel vers de Perse, de Juvénal, d’Ausone, à telle phrase de Pétrone et d’Apulée. C’est ici qu’un bon lexique n’est pas de trop, et, malgré quelques essais estimables, il est encore à faire.

Mais avant de pénétrer plus intimement dans l’étude de la langue érotique, pourquoi les écrivains, le peuple lui-même, ont-ils recours à tant de métaphores, périphrases, ambages et circonlocutions, dès qu’il est question des organes et des rapports sexuels? Si nous n’avons pas honte d’être hommes, pourquoi n’oser parler qu’à mots couverts de ce qui rend chez nous manifeste la virilité? La Nature a fait de l’union des sexes la condition de notre existence et de la perpétuité de la race; elle y a attaché, en vue de cette perpétuité, l’attrait le plus puissant, la volupté la plus intense: pourquoi nous en cacher comme d’un délit ou d’un crime? Pourquoi appeler honteuses ces parties sexuelles où la Nature a concentré toute son industrie, et rougir de montrer ce dont nous devrions être fiers? Même à ne considérer que l’acte brutal, il est encore dans le vœu de la Nature, puisqu’elle nous en fait un besoin, et la satisfaction d’un besoin ne peut avoir en elle-même rien de honteux. Des moralistes ont vu, dans cette singulière pudeur, une hypocrisie injustifiable. Écoutez Montaigne: «Qu’a fait l’action génitale aux hommes, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour n’en oser parler sans vergongne, et pour l’exclure des propos sérieux et réglés? Nous prononçons hardiment tuer, dérober, trahir, et «cela», nous n’oserions qu’entre les dents. Est-ce à dire que moins nous en exhalons en paroles, d’autant nous avons loy d’en grossir la pensée? Car il est bon que les mots qui sont le moins en usage, moins escripts et mieux teus, soient les mieux sçeus et plus généralement cogneus.» Un autre grand écrivain, moraliste à sa manière, maître Pietro Aretino, va bien plus loin: «Les bêtes doivent-elles donc être plus libres que nous? Il me semble, à moi, que l’instrument à nous donné par la Nature pour sa propre conservation devrait se porter au col en guise de pendant, et à la toque en guise de médaillon, puisque c’est la veine d’où jaillissent les fleuves des générations, et l’ambroisie que boit le monde, aux jours solennels. Il vous a fait, vous qui êtes des premiers chirurgiens vivants123; il m’a créé, moi qui suis meilleur que le pain; il a produit les Bembo, les Molza, les Varchi, les Dolce, les Fra Sebastiano, les Sansovino, les Titien, les Michel-Ange et, après eux, les Papes, les Empereurs, les Rois; il a engendré les beaux enfants et les très belles dames, cum Santo Santorum: on devrait donc lui prescrire des jours fériés, lui consacrer des Vigiles et des Fêtes, et non le renfermer dans un morceau de drap ou de soie. Les mains seraient bien mieux cachées, elles qui jouent de l’argent, jurent à faux, prêtent à usure, vous font la figue, déchirent, empoignent, flanquent des coups de poing, blessent et tuent. Que vous semble de la bouche qui blasphème, crache à la figure, dévore, enivre et vomit? Bref, les Légistes se feraient honneur s’ils ajoutaient pour lui une glose à leur grimoire, et je crois qu’ils y viendront.»

Ce sont des jeux d’esprit, des paradoxes. Diderot, qui reproduit à peu près dans les mêmes termes la remarque de Montaigne, a du moins le mérite de la franchise: il écrit en toutes lettres le dérivé Français du Latin futuo124; mais Montaigne se sert pudiquement du mot «cela», obéissant ainsi au préjugé qu’il blâme; et quant à maître Pietro Aretino, il s’est donné pour tâche, dans ses étonnants Ragionamenti, de traiter les sujets les plus lubriques sans employer une seule fois le mot propre: le Diable n’y a rien perdu. Ce préjugé est si fort, si anciennement enraciné, qu’on ne le détruira pas. On aura beau nous dire que le membre viril a beaucoup plus de noblesse que le nez, la bouche ou les mains, nous continuerons à ne pas l’exhiber; et quoique le rapprochement sexuel soit dans le vœu de la Nature, nous ferons toujours difficulté de nous y livrer en public. Les premiers couples humains se cachaient dans les bois pour l’opérer:

Tunc Venus in sylvis jungebat corpora amantum,

dit Lucrèce, parlant de ces temps anciens où l’homme ne se nourrissait encore que de glands. Cet instinct appartient à l’animal même. Un naturaliste Anglais, le révérend Philips, attribue la disparition presque complète aujourd’hui des éléphants, si communs autrefois qu’on les recrutait par milliers pour les armées, à la pullulation des singes qui viennent, au moment solennel, les troubler dans leurs solitudes; ils cherchent en vain un fourré assez impénétrable pour se livrer aux douceurs de l’hymen hors de la présence de ces importunes bêtes, et, faute de le trouver, se résignent au célibat. En captivité, il refusent de s’accoupler, ainsi du reste que la plupart des animaux non domestiques, ou ne s’y décident que si on les y amène par supercherie, à force de ruse et de patience, ne voulant pas qu’un si profond mystère ait des témoins profanes: à moins qu’on les croie convertis aux idées de Malthus, et bien résolus à ne pas procréer de pauvres petits destinés à devenir des malheureux.

L’homme, d’ailleurs, ne tient pas tant que cela à ressembler aux bêtes. C’est bien assez qu’on lui dise à présent qu’il descend directement du gorille, ou qu’il est son proche parent au moyen d’un ancêtre commun. Précisément peut-être parce qu’il a une obscure conscience de cette infime origine, il s’efforce d’étouffer ou d’atténuer chez lui le gorille. Ses besoins naturels le rapprochent le plus de l’animal: il se cachera donc pour les satisfaire, et il sera logique en cela, quoi qu’on dise. Il ne se cache pas pour boire et pour manger, étant parvenu à s’en acquitter proprement, avec décence, de façon à ne pas trop montrer l’animal qui prend sa pâture; mais il va déposer à l’écart le résultat de sa digestion. Voilà pourtant un besoin naturel, dont la satisfaction est légitime; pourquoi le considérer comme immonde?

Ce n’est pas la pruderie ou l’hypocrisie moderne qui a imaginé d’appeler honteuses les parties sexuelles. Les Latins les appelaient pudenda, les Grecs αἰδοῖα, mot qui a le même sens. «Faire des choses malhonnêtes» semble appartenir exclusivement à la langue de M. Prudhomme: c’est une locution Grecque, ἀρρητα ou αἰσχρα ποιεῖν. Les termes vagues, les périphrases: être, aller, dormir avec une femme, cohabiter, avoir commerce, remplir le devoir, etc., sont toutes des locutions Latines: esse, dormire cum muliere, coire, cognoscere mulierem, habitare, habere rem, officium fungi, et elles ont leurs similaires en Grec; connaître, dormir, dans le sens érotique, remontent à une civilisation encore plus ancienne, puisqu’on les trouve dans la Bible: Adam connut Ève, sa femme, et Ruth dormit avec Booz.

Les Latins, qui reculaient si peu devant la crudité des mots, avaient en même temps des termes atténués d’une bien plus grande délicatesse que nous-mêmes. Les traducteurs Français des grands satiriques Latins auraient donc pu tenter d’enrichir notre langue érotique en y faisant passer les hardiesses de Juvénal, de Perse, de Pétrone, de Martial surtout, dont le vocabulaire est si opulent. Leurs essais n’ont été jusqu’à présent qu’insuffisants ou ridicules. Trois traductions assez estimées de Martial: celle de l’abbé de Marolles, une seconde attribuée sur le titre à des «militaires», et qu’on croit être de Volland, la troisième de Simon de Troyes et publiée par Auguis, ont été examinées à ce point de vue par Éloi Johanneau125. On se ferait difficilement une idée de leur niaiserie. L’abbé de Marolles traduit Priapus par visage!

Gallo turpius est nihil Priapo,

(I, 36.)

«Il n’y a rien de plus vilain que le visage d’un prêtre de Cybèle.» Il rend futuere, par «cajoler, se divertir, passer le temps, aimer, entretenir, avoir une entrevue»; fututor par «galant, effronté»; sa manie de décence quand même le conduit tout droit à faire des contre-sens d’écolier, comme lorsqu’il traduit pædicare par «faire l’amour»; ailleurs il dit que c’est «faire d’étranges choses», ce qui, sans être meilleur, montre pourtant qu’il comprenait. Il a le privilège des périphrases souvent plus lestes que le mot propre de l’original; il traduit mentula par «je ne sçay quoy qui fait aimer les hommes», et ajoute en note: «Quelque lasciveté, sans doute»; ailleurs, c’est «quelque chose que l’on porte». Inguina, c’est: «ce que je ne puis nommer»; canus cunnus, «une vieille passion»; vellere cunnum, «farder sa vieillesse»; percidi, équivalent de pædicari, «se faire gratter». Il abuse de «quelque chose»; ce «quelque chose» rend les mots les plus divers: mentula, c’est «quelque chose», inguina «quelque chose», qu’il s’agisse de l’homme (VII, 57) ou de la femme (III, 72), et culus est «quelque autre chose» (III, 71).

Les «militaires» ou Volland se sont dressé à l’avance une espèce de Barême; ils traduisent constamment les mêmes mots Latins par les mêmes mots Français auxquels ils donnent un sens conventionnel: futuere par «aimer, forniquer»; entre femmes (VII, 69) c’est aussi «forniquer»; fututor, par «amant, amateur»; vulva, barathrum, cunnus, par «anneau»; mentula, penis, columna, veretrum, par «béquille», s’inspirant sans doute de la chanson de Collé: La béquille du Père Barnaba; fellare et lingere par «breloquer», d’où fellator, «breloqueur», et fellatrix, «breloqueuse»; irrumare, qui signifie une chose, et percidere, irrumpere, qui en signifient une autre, par «se faire breloquer»: contre-sens énorme du moment qu’ils prennent «breloquer» pour l’équivalent de lingere et de fellare. Ce mélange de breloques, de béquilles et d’anneaux, nous donne des «breloqueurs et breloqueuses d’anneaux», une «béquille énervée», une «béquille en fureur», une béquille qui «apprend une route inconnue»; ailleurs, des «testicules de cerf remplacés par une jeune béquille»; un «anneau qui parle», des anneaux «qui se réjouissent». De temps à autre, ils veulent cependant varier un peu: ils traduisent alors pædicare, tantôt par «faire des polissonneries», et tantôt par «jouer le second rôle», ce qui montre combien peu ils savent ce qu’ils disent; fellator par «fripon», pædico par «badin», et continuellement confondent le rôle actif avec le rôle passif.

Simon de Troyes, et son reviseur Auguis, n’entendaient pas beaucoup mieux le Latin, car pour eux le pædico est un Ganymède (VI, 33); ils affectionnent les périphrases les plus pompeuses: mentula, organe des plaisirs, frêle instrument des amours, intention directe; cunnus, ceinture de Vénus; colei, les recoins les plus secrets du corps; pædicare, se livrer à une débauche irrégulière, avoir des habitudes vicieuses. Encore ces périphrases, toutes niaises qu’elles sont, feraient-elles croire qu’ils comprennent; mais non: ils traduisent periclitari capite, par «perdre la tête»!

La seule bonne méthode de traduction que l’on doive, suivant nous, appliquer aux érotiques Grecs et Latins, est celle qui s’impose comme règle de dire à mots couverts seulement ce que l’auteur a dit à mots couverts, de ne pas mettre de périphrases où il n’en a pas mis, de rendre le mot propre par le mot propre, et les métaphores par des métaphores semblables, tirées des mêmes termes de comparaison. Traduire autrement sera toujours donner une idée fausse du goût personnel de l’auteur, de ce qui constitue son style ou sa manière. Mais le mot propre serait souvent bien plus obscène en Français qu’il n’était en Latin; les dérivés populaires de cunnus, colei, futuere, les équivalents de pædico, de cinædus, sont absolument ignobles, et les termes Latins ne l’étaient pas, du moins au même degré126. Pour obvier à cette difficulté, rien n’empêche qu’on ne francise tous ceux qu’on pourra, conformément au génie de la langue. Mentule, gluber, vérètre, quelques autres encore, se trouvent dans Rabelais; irrumation, fellation, dans La Mothe Le Vayer; l’abbé de Marolles a osé fellatrice; pourquoi ne dirait-on pas fellateur, pédicon et pédiquer, fututeur, drauque, cinède, cunnilinge, liguriteur, exolète, irrumer, etc.? Ces mots, nous objectera-t-on, ne seront compris que de ceux qui savent le Latin, et le traducteur doit se faire entendre de tout le monde. Mais n’en est-il pas de même de sesterce, modius, laticlave, pallium, atrium, impluvium, vomitoire, vélite, belluaire, et de tant d’autres termes francisés depuis longtemps par les archéologues? Les définitions vagues qu’en fournissent les Dictionnaires: monnaie, mesure Romaine, partie du vêtement, de l’édifice Romain, soldat, gladiateur, donnent-elles la valeur précise du mot à celui qui ignore le Latin et les mœurs de l’ancienne Rome?

Le Dictionnaire érotique de Nicolas Blondeau ne fera pas faire de grands progrès dans cette voie aux chercheurs de traduction exacte et littérale. L’auteur, et François Noël qui l’a complété, sont tous les deux des partisans à outrance de la périphrase, qui enveloppe le mot comme une orange dans du papier, et de l’équivalent, qui n’équivaut jamais, qui est toujours au-dessous, au-dessus ou à côté de l’expression dont il s’agit de rendre l’énergie, la grâce ou la finesse. Il n’en est pas moins curieux par le nombre, l’abondance de ces équivalents, de ces périphrases patiemment colligées dans les auteurs ou plaisamment imaginées, et dont quelques-unes sont de véritables trouvailles127. Publié en son temps, il eût été le premier, ce qui est la meilleure excuse de ses imperfections et de ses lacunes: la série des mots et surtout des locutions érotiques est loin d’être complète dans les volumineux Glossaires d’Henri Estienne, de Forcellini et de Du Cange, et la difficulté de trouver l’acception spéciale au milieu d’une foule d’autres, fait qu’on songe rarement à y avoir recours. Resté si longtemps manuscrit, il a été devancé par un autre, bien connu des amateurs, le Glossarium eroticum linguæ Latinæ, sive theogoniæ, legum et morum nuptialium apud Romanos explanatio nova, auctore P. P. (Parisiis, 1826, in-8o), auquel on croit qu’Éloi Johanneau a collaboré, mais dont l’auteur est resté incertain128. Ce recueil est d’une utilité incontestable pour tous ceux qui veulent lire et comprendre les érotiques ou satiriques Latins; il abonde en citations qui éclaircissent les passages obscurs ou douteux, mais les explications sont en Latin, ce qui laisse à celui de Blondeau et Noël une certaine supériorité. La comparaison des deux ouvrages est instructive et montre les difficultés d’un pareil genre de travail. Rien que dans la lettre A, nous relevons chez Noël et Blondeau soixante-quinze mots ou locutions qui ne se trouvent pas, au moins à cette place, dans le Glossarium dit de Pierrugues; en revanche, celui-ci en a deux cent vingt-huit négligés par ses devanciers, et vingt-deux articles seulement sont communs aux deux recueils. De plus, si on les collationne avec l’Index du Manuel d’Érotologie, on se convainc que près de la moitié des mots commentés par Forberg ne se trouvent ni dans l’un ni dans l’autre. Une refonte générale de ces trois ouvrages, sur un bon plan, donnerait un résultat sinon parfait, du moins très satisfaisant.

Il nous resterait, en terminant, à dire un mot de la langue érotique contemporaine; mais quoique nous ayons des «naturalistes», qui ne reculent pas devant les mots, et même des «pornographes», on serait embarrassé de relever chez eux les éléments d’un vocabulaire original, qui leur soit propre. Les plus timides ou les moins maladroits s’essayent dans les réticences, les sous-entendus de Laclos et de Crébillon fils; mais comme ils n’ont pas l’art exquis et la finesse de ces maîtres, on devine l’intention qu’ils avaient de dire quelque chose, plus qu’on ne voit clairement la scène qu’ils ont voulu décrire. D’autres se sont fait avec des crudités du vieux Français, mélangées à des trivialités du faubourg, à ce que Richepin appelle la gueulée populacière, une langue hybride, bâtarde, assez écœurante, et il en est une pire encore, celle dont Alfred Delvau s’est constitué hardiment le lexicographe dans son Dictionnaire de la langue verte, puis dans son Dictionnaire érotique moderne. Nos pères avaient déjà, pour désigner ces bonnes filles dont le métier est de faire plaisir aux hommes, un nombre plus que suffisant d’appellations désobligeantes: carogne, catau, catin, coureuse, créature, donzelle, drôlesse, gueuse, gourgandine, poupée, putain; comme nous sommes plus riches! nous avons: allumeuse, baladeuse, blanchisseuse de tuyaux de pipes, bouchère en chambre, chahuteuse, chameau, chausson, crevette, éponge, gadoue, gaupe, gibier de Saint-Lazare, gonzesse, gouge, gouine, grenouille, loupeuse, marmite, menesse, morue, omnibus, paillasse, peau, pierreuse, punaise, rouchie, rouleuse, rutière, sangsue, taupe, tireuse de vinaigre, tocandine, toupie, traînée, vache, vadrouille ou vadrouilleuse, et vessie! Ce que peuvent être les locutions imagées où ces termes choisis entrent en combinaison avec d’autres de plus basse catégorie encore, on le conçoit sans peine. Ni l’énergie ni le pittoresque ne leur manquent; mais à part quelques bonnes et vertes Gauloiseries, ce vocabulaire est par trop ordurier. Malgré toutes les raisons qu’on peut donner en faveur du parler à la bonne franquette et contre la pruderie bégueule, nous penchons à partager l’aversion de beaucoup de gens pour ces mots que l’on nous dit être la langue de l’amour, et qui sentent mauvais, qui font sur le papier comme des taches malpropres. Nous sommes volontiers de l’avis de La Fontaine:

L’Amour est nu, mais il n’est pas crotté

Avril 1885.

118.Des Divinités génératrices, ou du culte du Phallus chez les Anciens et les Modernes, par J. – A. Dulaure, auteur de l’Histoire de Paris. Réimprimé sur l’édition de 1825, revue et augmentée par l’Auteur. Paris, Liseux, 1885, in-8.
119.Il est inexact de dire, comme on le lit dans le Catalogue des ouvrages condamnés, de M. Drujon, et ailleurs, que cette seconde édition fut supprimée quoique l’auteur y eût fait des retranchements. Dulaure n’a rien retranché, il a, au contraire, ajouté. Ce que l’on peut dire, c’est qu’aucune de ces additions, simples développements d’idées ou de faits déjà exposés, n’était de nature à justifier une condamnation, si l’ouvrage, tel qu’il avait paru primitivement, n’outrageait en rien la morale. On a suivi dans cette impression le texte de 1825, plus complet, plus correct, et que l’auteur s’était efforcé de rendre définitif.
120.Dictionnaire érotique Latin-Français, par Nicolas Blondeau, avocat en Parlement, censeur des livres et inspecteur de l’Imprimerie de Trévoux (XVIIe siècle). Édité pour la première fois sur le Manuscrit original, avec des notes et additions de François Noël, inspecteur général de l’Université; précédé d’un Essai sur la langue érotique, par le Traducteur du Manuel d’Érotologie de Forberg. Paris, Liseux, 1885, in-8.
121.Sat., I, 5, v. 85.
122.Qui scis Romana simplicitate loqui (XI, 21.)
123.Ce passage est extrait d’une lettre adressée à l’un des plus célèbres médecins de l’époque, messer Battista Zatti, de Brescia.
124.«F..tez comme des ânes débâtés, mais permettez-moi de dire f..tre.»
125.Épigrammes contre Martial, ou les mille et une drôleries, sottises et platitudes de ses traducteurs, par un ami de Martial (Paris, 1835, in-8o).
126.«Il y a tout lieu de croire que beaucoup d’expressions dont la malhonnêteté nous choque n’avaient pas la même portée chez les Romains et n’étaient pas si brutales. Martial dit quelque part que les jeunes filles peuvent le lire sans danger. Admettons que ce propos soit une fanfaronnade Bilbilitaine, et réduisons l’innocence de son recueil à ce qu’elle est en réalité: encore est-il vrai qu’on ne se cachait pas pour le lire, que les gens de bon ton, comme on dirait chez nous, gens qui ont d’autant plus de pruderie en paroles qu’ils sont plus libres dans la conduite, avouaient publiquement leur admiration pour Martial. J’ai sans doute bien mauvaise idée de la Rome impériale, et je crois peu à la chasteté d’une ville où des statues nues de Priape souillaient les palais, les temples, les places publiques, les carrefours; où, dans les fêtes de Flore, on voyait courir sur le soir, à travers les rues, non pas des prostituées, mais des dames Romaines échevelées et nues; où les femmes se baignaient pêle-mêle avec les hommes; où les comédiennes se déshabillaient quand on leur avait crié du parterre: Déshabillez-vous. Mais j’ai peine à croire qu’on pût s’y vanter ouvertement de faire ses délices de Martial, si Martial eût été aussi impur qu’il nous paraît aujourd’hui.» (Désiré Nisard, les Poètes Latins de la décadence.)
127.Le suppositoire vivant, le gobet amoureux, le calendrier naturel, le combat de cinq contre un, le manuel des solitaires, etc.
128.Quérard dit que les initiales P. P. cachent le chevalier P. Pierrugues, ingénieur à Bordeaux, qui publia en la même année 1826 un bon plan de cette ville. On lui attribue également, mais peut-être à tort, les Notes de l’Errotica Biblion (édition de 1833). C. de Katrix, auteur d’un Avant-Propos placé en tête de ce dernier ouvrage, dit avoir eu entre les mains un exemplaire du Glossarium portant cette mention: «Ab Eligio Johanneau constructum, auspicio et cura (forsitan) baronis Schonen. S. E.»