Kitabı oku: «Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes», sayfa 4
IV
L’AUTORITÉ DU CONSISTOIRE SUR LES FIDÈLES
Lutte du consistoire contre l’influence catholique. «Superstitions». La tradition catholique.
Les «vices» qu’il combat: La «paillardise». Adultère et divorce. Enquêtes de mœurs. La «coquetterie». Les censurés mécontents.
Son intervention dans les querelles de ménage. Les bancs du temple. Réconciliations.
Plaisirs permis. Spectacles et jeux défendus. Le repos du dimanche. Fêtes de corporations. La danse interdite. Les «charivaris».
Dénonciations. Police consistoriale.
Citations à comparaître; retards à s’y rendre. Enquêtes. Peines décrétées; leur application. Les nobles et les notables. Entente des consistoires pour la police.
Tout consistoire devait faire respecter par les fidèles la Discipline ecclésiastique. Il faut entendre par là l’ensemble des règles suivant lesquelles se gouvernait l’église réformée. Ce règlement, élaboré peu à peu par les synodes nationaux, n’a reçu sa forme définitive qu’au XVIIe siècle394. Il régit le fonctionnement des assemblées ecclésiastiques, les cérémonies du culte, et donne aux fidèles des règles précises de conduite. Or, le consistoire de Nîmes, chargé de faire appliquer la Discipline, a, par cela même, le devoir de surveiller étroitement la vie de ses subordonnés. Il cite à comparaître devant lui ceux qu’il estime avoir enfreint le règlement; il les juge, puis les condamne, s’il y a lieu. On voit quelle autorité peut lui donner cette juridiction sur la doctrine et les mœurs de chacun. Ses décisions sont sanctionnées par celles des colloques et des synodes qu’il contribue à former et qui agissent dans le même sens et dans le même esprit que lui. Ainsi se forme l’unité de la morale et de l’esprit protestants.
Les articles de la Discipline promulgués avant 1598 semblent avoir comme but principal de combattre l’influence catholique et d’empêcher que les fidèles retombent dans «l’idolâtrie». L’on craint que le peuple ne soit emporté par son amour des cérémonies et par l’habitude des fêtes traditionnelles de l’église romaine. Aussi la Discipline lutte-t-elle de toutes ses forces et non sans peine contre les «superstitions».
Au sujet des enterrements, par exemple, le consistoire et les synodes doivent intervenir continuellement. En 1597, on démontre en chaire qu’il faut se garder de «ses seremonies et superstitions quy commensent de glisser parmy nous comme en l’esglise romaine… comme de fere marcher des hommes vestus de drap au-devant du corps et d’user de tant de fassons au convoy de l’enterrement395». Il est encore défendu de faire porter un «flambeau ardent396», ou, «au grand escandalle de plusieurs», d’employer des pleureuses397, de faire «donner l’advertissement de la sépulture» par des veuves vêtues de noir398, de faire «porter les corps des femmes et des filles décédées» par d’autres femmes «ayants chapeaux de fleurs, bouquets et autres choses399», et même de vêtir en aucune façon ceux qu’on mène au tombeau400. Enfin, il est absolument interdit d’enterrer personne dans les temples401.
Alors que les pasteurs eux-mêmes ont tendance à prêcher les «jours chomables de la papauté» de préférence aux jours ordinaires402, et que le recteur du collège de Nîmes, Pacius, donne congé aux écoliers «le jour de Caramantran403», comment s’étonner que l’on ait à censurer des bourgeois «quy font le Roy boit» et les «bolangers qui font des gasteaux avec la febve404»? Il est très difficile de forcer les fidèles à rompre avec les habitudes anciennes. L’évêque Valernod405 fait-il son entrée à Nîmes? M. Bournet sort de la ville pour le voir, «Messieurs le lieutenant et trézorier Albenas» vont assister aux cérémonies406, enfin, chose plus grave, il faut réprimander les consuls, car ils ont fait tirer des arquebusades en son honneur et ordonné à deux capitaines de l’escorter avec leurs soldats407.
La tradition triomphe souvent de la réforme. L’on a parfois à censurer des parents qui aiment mieux envoyer leurs enfants aux Jésuites que les mettre au collège408, ou les confier à «l’école du maître papiste» qu’à celle du protestant409. Les fidèles vont entendre les sermons du P. Coton410. Pour combattre ces tendances, le consistoire va presque jusqu’à leur interdire la fréquentation des catholiques. L’un des consuls est appelé pour avoir accompagné l’évêque et un prêtre qui allaient dire la messe à Beauvoisin411. Un maçon qui contribue à bâtir une église est mis au rang des «fauteurs de l’idolâtrie412». On doit empêcher les «pères faisans profession de la Religion» de poursuivre «les jeunes hommes papistes qui ont rendu leurs filles enceintes pour les leur faire espouser… crainte d’un plus grand mal413». Enfin, on décide que «les enfants qui auront accompagné les funérailles de leurs pères en la papauté seront censurés selon la prudence des consistoires414.» Ce féroce règlement donne une idée nette de la haine qui séparait les papistes et les huguenots.
La Discipline ne se contente pas d’éloigner les fidèles des «superstitions», elle s’efforce de les défendre contre les vices et le consistoire les maintient vigoureusement dans le droit chemin. Pour cela, il lui faut surveiller la vie la plus intime de ses administrés, et il s’en acquitte soigneusement.
Ainsi la «paillardise» est une faute grave, et dont la Discipline se méfie fort: elle interdit aux fiancés d’habiter ensemble415 et de demeurer «longtemps à espouser», c’est-à-dire plus de six semaines416. La veuve de Chatillon, «ensaincte soubz promesse du cappitaine Blausac» qui «à présent ne la veult prendre», ne doit pas trouver qu’elle a tort417. – L’adultère commis par la femme, quand il est «avéré, convaincu et puny par arrest de la cour», permet à l’époux de se remarier. C’est ce que répond un synode de 1603, à M. Jean Malessague en le renvoyant au roi qui, seul, pourra lui donner la dispense nécessaire, «d’aultant que les lois du royaulme prohibent telz mariages418». – Au reste, on ne se montre pas tendre pour les femmes suspectes d’inconduite. Le consistoire s’informe soigneusement de leurs mœurs419, puis il les fait chasser de la ville ou mettre en prison par les consuls420. Une malheureuse, nommée Martine, ayant eu un enfant de Daniel Gansy, praticien, le consistoire décide qu’il la fera punir par la justice et expulser, et que le père sera «examyné… de prandre l’enfant421».
Il suffit que deux habitants soient dénoncés par les voisins comme «conversant» ensemble pour que le consistoire les appelle, s’empresse d’informer et leur interdise de se voir cependant422. Mais de telles enquêtes ne sont pas aisées. Le sieur de La Farelle, qu’on a trouvé «couché seul à seul avec une nommée Broquière, de nuit, à heure indue», déclare au consistoire que c’est «sans avoir abuzé d’elle»: on le censure à tout hasard423. Le capitaine Gras, surpris dans des conditions analogues, allègue pour sa défense que sa chandelle était encore allumée424. Et que répondre à Mme Martine qui, «accusée d’avoir couché avec Anthoine Martin, son serviteur», prétend qu’elle y fut contrainte pendant sept nuits «à cause de la malladie d’icelluy… mais [que] sa fille mesme, celle quy est promise avec led. Martin, estoit couchée au millieu d’eulx deux425». D’ailleurs, le plus souvent, les inculpés, pressés de questions, finissent par avouer ou par se trahir dans leurs réponses, comme le fit, par exemple, Marguerite Brueisse, servante à Antoine Bonnet426.
Le consistoire ne peut supporter la coquetterie. Il ne faut pas que les femmes se parfument les cheveux, sous peine de privation de la cène427. Les «guignevalets» sont interdits par un synode national428. C’est risquer de se faire admonester devant tout le monde par le pasteur que de venir au prêche avec de la «poudre sur la teste», ou une robe à «cachebastards429». Les diacres et les anciens sont invités à noter «les plus excessives» quant à leurs vertugadins «pour après le leur remonstrer430». Celles qui sortent décolletées, on peut aller jusqu’à les suspendre de la cène, si elles ne veulent pas «fermer leurs poitrines431». Et que la femme d’un pasteur ne s’avise pas de porter les «poilz relevés et les cornes», ou l’on invitera sévèrement son mari à «fere son debvoir» pour empêcher un tel scandale432.
D’ailleurs, ceux que le consistoire a censurés pour coquetterie ne se soumettent pas toujours paisiblement. Un écolier, André Guiran, se plaint de ce que le pasteur Falguerolles l’ait interpellé du haut de la chaire parce qu’il portait «de grandz poilz retroussés» et «escandalleux» pour les «vrays chrétiens»: le consistoire, pris comme arbitre, ordonne que le jeune homme sera sommé «de couper ses cheveulx433». – M. Rossel, ministre de Gignac, réclame au synode contre une ordonnance de son colloque, décrétant «l’abaissement des cheveux de sa femme»: cela ne lui réussit pas, car il reçoit une censure grave pour avoir poursuivi un tel appel434. – Finalement, la Discipline fut vaincue par la mode, et le synode de Jargeau (1601) dut ordonner qu’on ôterait du texte de l’art. 26 les mots «poinçons, houppes et vertugadins435».
Puisqu’il règle les questions de vêtements, le consistoire peut bien s’occuper des querelles de ménage. Contre la volonté de son mari, Mlle Baboys persiste à garder chez elle une certaine nourrice; aussitôt, le consistoire intervient pour lui ordonner de la congédier et d’en prendre une autre avant une semaine436. – Un autre jour, il défend fort sagement à sire Lhermite de se disputer avec sa belle-mère ou de battre sa femme437. – Il censure encore la femme de Mre Antoine, boulanger, qui a dit à la nourrice de M. de Saint-Téodorite qu’elle «estoit de gros saings438». – Ou bien il cite à comparaître done Yssoire et la femme du cardeur Jean Combes qui se sont battues «en plaine rue publicque439».
Mais c’est au sujet des bancs du temple que naissent le plus de disputes et que le consistoire a le plus souvent à intervenir. Il faut savoir qu’on réservait des bancs aux pasteurs et aux anciens, mais aussi aux magistrats, aux consuls440 aux proposants441, aux régents du collège442 et à certaines personnes notables443. Cette coutume ne se retrouve ailleurs qu’à Nîmes444, mais ce qui paraît particulier à cette ville, c’est que tout le monde peut y acquérir le droit d’avoir un banc à soi au temple, moyennant une certaine somme445. Pourtant, on ne peut choisir le rang où l’on sera placé: c’est le consistoire qui fait ranger les sièges à son gré, sans que les magistrats aient rien à dire446. Les bancs sont mobiles et non fichés en terre447, mais on y fait mettre des «escripteaux» composés par le greffier et portant le nom de ceux qui ont acquis le droit de s’y asseoir exclusivement448.
Ces places réservées étaient l’occasion de querelles continuelles parce qu’elles faisaient naître des conflits de préséance. Voici, par exemple, deux bourgeoises et leurs filles qui se disputent parce que l’une, Mlle Saint-Estienne, a traîné son banc devant celui de Mlle d’Ariffon. Celle-ci, aidée de sa fille, l’injurie de son mieux, «appellant sond. mary faussaire et elle qu’elle estoit une simple». Mais Mlle d’Ariffon, confrontée avec son adversaire devant le consistoire, nie ces propos et déclare, au contraire, «elles ny leurs fillies ne l’avoir injuriée, les ayant lad. Saint-Estienne intéressé leur honneur, les ayant appellées querelleuses et que, sy elle parloit, feroit baisser la teste à sa fillie; requérant qu’elle aye à déclairer la cause pourquoi feroit baisser la teste à sad. fillie parce que cela desroge à son honneur et de sad. fillie…; d’ailleurs que luy a reproché qu’un bourreau avoit couppé la teste à son mary». Le consistoire fait vérifier la place du banc en question et conclut que «les deux fillies seront appellées tout présantement pour estre toutes ensamblement sensurées, afin de les mettre en paix, amitié et réconciliation449». – Un autre jour, c’est le précepteur des enfants de sire Barthélemy Syméon et la femme de M. Fontfroide qui brisent le banc de Mlle Passelar450. – Ou encore, le ministre Falguerolles se permet de faire asseoir des femmes sur le banc des écoliers et dit à l’un d’eux, M. Rally, que les femmes méritent mieux d’être en cette place que lui, et que s’il ne lui ouvre la porte, «il la rompra451».
Le consistoire avait fort à faire pour apaiser toutes ces querelles. C’était, en effet, une de ses fonctions importantes que de «réconcilier» ceux qui s’étaient disputés. Tantôt il faisait comparaître les inculpés et leur ordonnait tout simplement de se raccommoder452, tantôt il déléguait quelques-uns de ses membres pour apaiser le différend453. Quand les intéressés ne pouvaient ou ne voulaient se mettre d’accord, il les censurait tous deux «griefvement454». Ces réconciliations publiques étaient fort en usage. Le colloque et le synode s’en occupent comme le consistoire. C’est ainsi qu’un synode provincial de Nîmes contient la délibération suivante:
«Ouys M. Ferrier et M. de la Martinole [pasteur et ancien d’Alais] est ordonné qu’ils seront réconciliez: led. sieur de la Martinole déclairant tenir M. Ferrier pour fidèle ministre de l’église de Dieu et digne de sa charge, et led. M. Ferrier tenir led. sieur de la Martinole pour ancien de l’église digne de sa charge et homme d’honneur, oublians toutes paroles fâcheuses qu’ilz peuvent avoir heu. Ce qu’estant faict en présence de toute l’assemblée se sont donnez la main de réconciliation455.»
Un autre devoir du consistoire était d’empêcher les fidèles de s’amuser à des jeux défendus. A la vérité, les plaisirs permis par la Discipline étaient surtout d’ordre moral. Le réformé pouvait lire la Bible à son aise, assister à tous les prêches et méditer sur les vices du papisme. Il pouvait aussi prendre des billets aux loteries organisées pour soulager les ministres, les créanciers et les marchands, mais non à celles qui n’avaient pour but que de donner une émotion frivole, comme les «roues de Fortune456». Il ne devait pas perdre son temps à regarder les bateleurs et les acrobates, les faiseurs de tours de passe-passe et de goblets, ou les montreurs de marionnettes457. Il ne pouvait jouer au billard, car ce jeu «apporte beaucoup de desbauches458», ni aux «quilles459», et encore moins aux cartes460. Peut-être la paume et le jeu de ballon sont-ils autorisés à Nîmes, mais en tout cas on recourt aux magistrats pour les empêcher le dimanche, qui est le jour où l’on doit se reposer461.
Ce repos du dimanche, on le fait observer fort sévèrement. En 1611, un synode formulera les «légitimes usages» auxquels il faut l’employer: l’ouïe de la parole de Dieu, l’administration des sacrements et autres exercices de piété462». Cependant, les notaires «qui reçoyvent des contracts», ceux qui trafiquent et ceux qui voyagent le dimanche sont poursuivis suivant la Discipline, «et jusques à privation de la Cène»463. – Un pauvre homme, nommé Pierre Tel, se fait censurer «griefvement» pour «avoir estandu une cadène de cadis led. jour, craignant que se gastast464». – L’hôtelier «du Sauvage» est appelé parce qu’il a servi «à boire et manger aux allans et venans» pendant le prêche du dimanche465. – Enfin, le consistoire prie les consuls de faire fermer les boutiques466. Et sans doute ceux-ci s’en chargent volontiers puisqu’on les voit ordonner plus tard, de leur propre mouvement, qu’avant le prêche du dimanche matin on n’ouvrira qu’une des portes de la ville avec son guichet, et que, pendant la journée, les autres seront seulement entre-bâillées, afin qu’on ne puisse faire entrer aucun bétail et aucune charrette467.
Le synode provincial de Montpellier (1596) autorise les fidèles à prendre part à toutes les fêtes des corporations, mais il faut qu’elles ne comprennent aucune danse, qu’elles ne se fassent à l’occasion d’aucune fête de saint et que «l’exercice de la religion ne soit intéressé468». Les Nîmois se passaient difficilement de danser et le consistoire avait fort à faire pour les en empêcher. Il faut dire que les danses étaient alors fort licencieuses, et notamment celle du bouquet469. Cependant, le synode avait beau ordonner que l’article de la Discipline les concernant serait lu en chaire470, on n’arrivait pas à le faire rigoureusement observer. La fiancée du juge criminel aime tant la danse qu’elle se fait appeler au consistoire pour avoir «ballé» aux épousailles de Mre Bon471: qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’on danse et qu’on se masque à son propre mariage472? – Quant à Mme de Favier, elle a le même vice, et il faut l’appeler aussi, puisqu’elle «andure» qu’on danse en sa maison473.
On chassait impitoyablement ceux qui facilitaient de telles «débauches». Le 26 mai 1599, le consistoire prie les consuls de faire sortir de la ville «celluy qui apprend à danser474». Plus tard, il est averti qu’un «baladin» a «enrollé plusieurs, mesme de la Religion, et attand les violons pour dresser le bal ordinaire». Il envoie immédiatement demander aux magistrats d’«empêcher telz escandalles et excèz qu’en peuvent arriver475». Le jeudi saint de l’année 1605, Mre Lansard, consul, trouve le ménétrier Jacques Foëton, «tenant l’archet encore estendu sur les cordes, et les doigts allongez de la gauche, pour les frapper à leurs touches et à leurs espaces mesurés», seul dans le «lieu de dissolution et de désordre» où il donnait à danser, «la honte et la crainte ayant faict esvanouïr les assistants». Aussitôt le consul, saisi d’indignation, lui arrache le violon et le met en pièces, ce qui lui vaut de passer en justice et de payer une amende de 18 l.476. Enfin, à Aimargues, on fait, en 1602, des remontrances à une demoiselle qui avait logé un «maistre danseur477».
Non seulement la danse, mais aussi la musique semble éminemment corruptrice. Le jour de leur «reveue et bravade», les basochiens veulent faire jouer des violons, des hautbois et autres instruments478, mais le consistoire de Nîmes ne peut supporter l’idée d’une telle débauche et il supplie chaque année les magistrats de «fere cesser» les instruments479.
Il a horreur aussi des «charivaris» qui sont fort en honneur à Nîmes. Sire Farel prend soin, au moment d’épouser Mlle Fazandier, de prier Jean Jaudin et le capitaine Billanges «d’adviser qu’on ne luy fist charbarie480». Mais pour cela il lui faut payer481. – Bagard, lui, n’échappe pas à cet inconvénient: Rouvière jeune, Pansiet, Pierre de Montelz, Cottelier se font censurer et suspendre de la cène pour avoir pris part à son «charbary», et spécialement Rouvière qui «est un farceur et bouffonneur ordinaire»; un autre encore est censuré pour y avoir assisté, d’autant qu’il remplissait les respectables fonctions de sergent-major dans la garde communale; quant à Jehan Fornier, il prétend avoir été appelé par la femme de Bagard pour empêcher le vacarme, mais comme il trouve l’histoire si drôle qu’il ne peut s’empêcher de rire en la racontant, on le déclare «colpable», et il se fait suspendre de la prochaine cène comme les autres482.
Toutes ces mesures sont sévères. Un pasteur a dit: «Calvin était parti du principe que l’homme ne peut rien donner au plaisir sans risquer d’oublier son créateur, et la conséquence immédiate de ce principe était l’obligation de déclarer incessamment la guerre à tous les instincts naturels du cœur humain483». C’est pourquoi «la Réforme n’a pas été vraiment populaire en France», comme l’écrit M. le pasteur Paul de Felice484. La nécessité de faire observer de tels règlements forçait le consistoire à s’ingérer dans la vie privée d’une façon que l’on serait loin de supporter aujourd’hui. Cela avait l’inconvénient de favoriser la naissance et le développement des petites calomnies et des «racontards». On était forcé de recourir aux serviteurs485 et aux voisines486 pour enquêter sur la vie et les mœurs des fidèles suspects, et l’on encourageait, en somme, la délation. Ainsi, Mre Symon Mariaige, chirurgien, vient rapporter au consistoire «que ce jourd’huy matin, il estoit en la boutique de Mre Noguier, y seroit venu Jehan Dumas, praticien, quy auroit renyé le nom de Dieu plusieurs foys487».
Mais, d’autre part, l’intervention des «surveillants» et des diacres dans la vie privée des habitants avait alors son avantage: elle remplaçait heureusement, en bien des cas, notre police. Par exemple, en 1599, le consistoire empêche des parents de maltraiter leur enfant martyr et de le faire, pendant l’hiver, «demeurer de nuict et de jour presque tout nud, et morent de faim», à ce point que les voisines apitoyées lui donnaient «souvent de pain et autres chozes488».
Il résulte de ce qui précède que les habitants se trouvaient étroitement soumis à la surveillance de leur consistoire: leurs fréquentations, leurs mœurs, leurs querelles, leurs plaisirs, il examinait tout. Mais reste à montrer quels étaient ses moyens de sanction et à prouver que les fidèles lui obéissaient.
Ceux qui se trouvent accusés de fautes graves, c’est-à-dire ayant causé du «scandale», sont cités à comparaître par l’avertisseur ou les anciens489. A la vérité, ils ne se pressent pas toujours de se rendre à la convocation. Mlle la lieutenante de Favier, appelée en consistoire parce qu’elle a envoyé ses enfants faire leurs études chez les Jésuites, en Avignon, répond qu’elle aimerait mieux aller cent fois à la messe qu’une seule au consistoire490. Quelques jours plus tard, elle promet pourtant au pasteur Ferrier de retirer ses enfants491. Mais elle n’en fait rien, et le 3 mai, on la rappelle de nouveau492: elle ne vient pas493. On recommence le 16 mai, le 23 mai494, le 30 mai495, le 6 juin496, le 22 août497, le 29 août498, et l’on ne se résigne que le 31 août à la priver de la cène499. On continue à la citer le 5 septembre500, le 19 septembre501, le 26 septembre502, le 18 octobre503, en mentionnant à chaque séance qu’on la convoque pour la dernière fois. Enfin, le 24 octobre 1601, on se résout à la suspendre publiquement des sacrements504. Elle se décide alors à faire dire au consistoire que, si elle n’est pas venue, c’est qu’elle était indisposée; et aussitôt l’on surseoit de huit jours à la publication505. Trois jours après, on envoie savoir pourquoi elle n’a pas comparu: elle répond qu’elle est à nouveau souffrante506. Le 7 novembre, elle n’est pas encore venue au consistoire507, et c’est seulement le 14 qu’elle consent à s’y rendre508. Elle a donc résisté pendant sept mois, sans que l’on se décide à l’excommunier.
Les fidèles étaient rarement aussi obstinés, mais souvent plus violents que Mlle de Favier. Les nobles n’aimaient pas à comparaître devant une assemblée de marchands509. M. de la Farelle, averti qu’il allait être suspendu publiquement de la cène s’il ne voulait se rendre au consistoire, renvoie brusquement les anciens chargés de l’en prévenir «avec parolles facheuses», et leur déclare «qu’il estimoit autant leurd. procédure comme ung brain d’asne510»; un autre jour il se met fort en colère et fait dire aux membres du consistoire qu’il ne les «crainct ny vifz ni mortz511». D’aucuns se contentaient de refuser purement et simplement de répondre à la convocation512. Bref, soit peur, soit dédain, quelques personnes refusaient de comparaître.
Le consistoire se montrait pourtant assez accommodant sur le jour à fixer pour la citation. Ainsi un prévenu, appelé un vendredi pour le mercredi suivant, avertit qu’«il s’en va la prochaine sepmaine hors la ville», et les anciens consentent à s’assembler dès le lendemain pour l’entendre513.
Très souvent, les accusés avouaient la faute qui leur était reprochée; mais il fallait quelquefois faire enquête, les presser de questions et se livrer, en somme, à de vraies «instructions» judiciaires pour connaître la vérité514. Si l’on établissait la culpabilité de l’accusé, on le condamnait à la censure ordinaire, à la censure «griefve», à la suspension temporaire de la cène, ou à l’excommunication, suivant la gravité de sa faute. Les censures s’infligeaient dans le consistoire ou, publiquement, au temple. Enfin, on exigeait du coupable l’aveu public de son péché, soit devant les anciens réunis, soit au prêche devant tout le monde, et ces «restitutions» étaient fort redoutées515.
Mais, en somme, les fidèles refusaient très rarement de se soumettre à leur condamnation. Dans ce cas, on allait jusqu’à les «retrancher» de la Religion en les excommuniant; ou, s’ils avaient commis un crime qui pût passer pour un délit selon le droit, on les poursuivait en justice516. On préférait d’ailleurs se soustraire par la ruse à son châtiment: nous voyons que, très souvent, ceux qui ont été privés de la cène réussissent à communier malgré la surveillance des anciens, en se procurant le «méreau517» par surprise518. Mais, à moins d’être bien décidé à apostasier, comme Guillaume de Reboul519, on finissait toujours par se soumettre.
Il est certain, d’ailleurs, que le consistoire hésitait plus à frapper les grands et les notables que les petits. L’extrême patience qu’on le voit montrer à l’égard de Mlle la lieutenante de Favier520 en est la preuve. Après avoir refusé pendant sept mois de venir au consistoire, elle comparaît enfin: on se contente de la censurer «vivement»521. Elle n’obéit pas davantage: alors, on prie son beau-fils, conseiller à la cour de Castres, d’agir près d’elle522, on décide d’essayer de faire venir ses enfants à son insu523; on lui donne à elle-même encore un mois de délai524; bref, on emploie tous les moyens pour n’avoir pas à la «retrancher» de l’église. On ne saurait reprocher au consistoire cette manière d’agir. La défection des personnages en vue faisait assez grand tort au parti pour qu’on renonçât à les excommunier, sauf en cas de force majeure525. Mais lorsque la faute avait été «scandaleuse» le consistoire ne gardait plus de ménagements: non seulement il citait et punissait ses propres membres, aussi bien dans des séances dites «de censures» que dans ses séances ordinaires526, mais encore les consuls527, les magistrats528 et, comme je l’ai dit, les nobles.
Enfin, il faut ajouter que les églises s’entendaient entre elles pour organiser une police des mœurs. Celle de Nîmes écrit aux anciens de Montpellier et au pasteur de Vezenobre «pour s’informer du fait contre le sieur de Saint-Cézary» accusé de «converser avec sa chambrière529». Un autre jour, elle reçoit une lettre «mandée par M. Rudavel» lui signalant certaines personnes reconnues coupables par le consistoire de Saint-Ambroix; elle lui répond pour réclamer le détail des charges «contre iceux», et, cependant, décide qu’ils «sont suspandus des saintz sacrements et baptêmes, jusques estre purgés devant le consistoire de Saint-Ambroix de ce que leur est imposé sus à cause d’avoir palliardé530».
Tels sont les moyens que le consistoire de Nîmes avait à sa disposition pour appliquer un règlement intransigeant et tracassier, dont tout plaisir était hardiment banni. Il y réussissait, grâce au respect que l’on avait pour son autorité. Les réformés soumis à des devoirs précis, systématiques et presque inhumains, surveillés par la police des consistoires de la région jusque dans leur vie la plus intime531, se trouvaient par là même disciplinés et unis.
Nous allons voir dans le chapitre suivant que les consuls et les magistrats, subordonnés comme les autres, en tant qu’hommes privés, à la Discipline, se trouvaient naturellement amenés à mettre toute leur autorité politique au service de leur consistoire.