Kitabı oku: «Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes», sayfa 7
CONCLUSION
Lorsqu’arriva la nouvelle que le roi avait enfin signé l’édit de Nantes, que l’on attendait depuis si longtemps et que l’assemblée générale de Chatellerault avait eu tant de peine à conquérir, il ne sembla pas que les huguenots en ressentissent une grande joie: c’est que le parti était loin d’obtenir ce qu’il avait demandé687. Le synode national de Montpellier qui, composé de députés venus de tous les coins de la France, reflète sans doute l’état d’esprit général des réformés, parle de l’édit en ces termes: «MM. Charnier et Brunier… nous aiant fait entendre que, faute d’une bonne union et intelligence, nous n’avions pas obtenu tout ce qui nous étoit nécessaire pour la liberté de nôtre religion, le jugement de nos causes et la sûreté de nos vies, le sinode, aiant connu ce défaut, a protesté de vouloir étroitement et mieux que ci-devant observer l’union jurée et signée à Mantes…» Il exhorte ensuite les gouverneurs du parti «à faire leur possible afin que l’édit du roi ne soit pas exécuté dans aucun lieu de l’étendue de leur gouvernement, qu’il n’ait été exécuté auparavant dans les lieux qui ne suivent pas la religion réformée688.»
En Bas-Languedoc, l’édit fut accueilli avec la plus grande froideur. Le synode provincial de Montpellier se contente de le mentionner: «M. Brunier rend la lettre de l’assemblée générale de Chatellerault qui a obtenu de S. M. un édit en faveur des églises du royaume. Il est remercié de sa négociation689.»
Déjà, durant les interminables pourparlers de l’assemblée de Chatellerault, le Bas-Languedoc ne s’était rien moins que passionné pour la conquête de l’édit. Bien plus, des bruits alarmants avaient couru et s’étaient même répandus au point d’inquiéter l’assemblée. En effet, «adjoustant plus de foy aux advis donnez tantost de la part de quelques particuliers que, estans à la cour, y voulloient faire leurs affaires aux despens du général, tantost de ceux-mesmes qui sont tous ouvertement et par leur profession contraires au bien et advancement des esglizes690», le Bas-Languedoc avait fini par croire ou par faire semblant de croire que l’assemblée générale trahissait les intérêts du parti691. Les choses en vinrent même à ce point que celle-ci s’inquiéta et jugea nécessaire d’envoyer au plus vite le sieur de Saint-Germain pour expliquer la cause de ses longueurs, renforcer le zèle de la province et la raffermir dans l’union «tant nécessaire» des églises692.
La façon dont leur député fut reçu attesta l’impopularité des négociateurs de Chatellerault: non seulement le conseil des églises refusa de convoquer l’assemblée générale de la province pour l’écouter693, mais encore on l’empêcha d’assister à la séance du conseil, «et les particuliers mesmes s’estrangèrent de luy sans luy rendre les debvoirs ausquelz l’honnesteté civille doibt porter un chascun694.» Plus tard, l’assemblée de Chatellerault ne manqua pas de se plaindre aigrement de cette «province sy considérable et qui par le passé avoyt sy heureusement servy en cette cause695»; elle attribua l’insuccès696 de ses négociations à ce que le roi et la cour s’étaient aperçus que l’union des réformés «dont l’apprehension les avoit esmeus, n’estoit pas telle qu’on ne peust y faire brèche», et elle prétendit même qu’à partir de ce moment, «on» avait «non [seulement] reffuzé ce qui n’estoit point accordé encores, mais aussy remis en dispute plusieurs choses qui avoyent esté accordées et… retranché des articles qui ne sont pas de peu d’importance697».
C’était peut-être exagérer l’importance du Bas-Languedoc, mais il se peut cependant que le roi ait connu et exploité contre l’assemblée le mécontentement de cette puissante province.
Or, ce mécontentement vient confirmer les conclusions que je tire de cette étude. Pourquoi les huguenots du Bas-Languedoc, et de Nîmes par conséquent, loin de participer à l’anxiété avec laquelle les réformés du reste de la France attendent du roi un édit, se désintéressent-ils des négociations laborieuses de l’assemblée, et même laissent-ils entrevoir leur mauvaise volonté?
C’est qu’en réalité, ils n’ont pas grande envie que le roi s’occupe de leurs affaires. Une loi applicable à tous les réformés du royaume ne pourra que restreindre les libertés particulières des Nîmois. Ceux-ci vivent tranquillement, en effet, sous leur consistoire (chap. I-III). Le consistoire gouverne, car il dirige officiellement la morale et contrôle entièrement la vie des fidèles (chap. IV), et son influence sur les consuls et les magistrats double son autorité morale de l’autorité matérielle et politique (chap. V). Comment les protestants de ce petit État bien organisé souhaiteraient-ils qu’une loi vînt bouleverser leur situation et surtout changer leurs rapports avec les catholiques, qu’ils dominent et dont en fait ils réduisent à leur gré les libertés (chap. VI-VII)? Chez eux, contrairement à ce qui se passera dans le reste de la France, l’édit de Nantes sera à l’opposé des intérêts huguenots et en faveur des papistes. En effet, la religion catholique se trouve à peu près interdite: l’édit va la rétablir au premier rang et reléguer l’exercice du culte réformé dans certaines localités déterminées. Les protestants jouissent des rentes des bénéfices, imposent les catholiques et leur interdisent les plaisirs que défend la Discipline: l’édit de Nantes changera tout cela. Dans ces conditions, on ne pourra s’étonner de voir, lors de l’exécution de l’édit, les catholiques en réclamer la stricte application et les réformés s’efforcer de l’empêcher698.
En somme, nous avons voulu montrer qu’il existait, dans les dernières années du XVIe siècle, à Nîmes, une sorte de république calviniste à l’image de Genève, autonome en fait, et possédant son gouvernement, ses finances et ses intérêts particuliers, opposés à ceux des catholiques et même, peut-être, des réformés de presque tout le reste de la France. C’était un minuscule État dans l’État.
APPENDICES
A. —Les «deniers du roi pour l’entretien des pasteurs»
En 1589, Henri III «avait promis, par l’accord conclu entre lui et le roi de Navarre à Plessis-lez-Tours, de fournir lui-même une partie des gages des pasteurs de la Guyenne, du Languedoc et du Dauphiné. Henri IV prit le même engagement aussitôt après son avènement. Plus tard (1592) il en étendit le bénéfice à toute la France699». Il confirma cette mesure en 1593, malgré l’opposition de son conseil. «Mais par le mauvais vouloir des trésoriers généraux, elle fut d’abord de nul effet… Alors, sur les remontrances de l’assemblée de Mantes (15 janvier 1594), Henri IV décida qu’un fonds serait fait en Espagne, et serait, sous le nom de Madame Catherine, distribué aux Églises. En 1594, le synode national de Montauban détermina le mode à suivre pour le répartir et pour en déterminer l’emploi… Mais l’allocation promise en 1594 ne fut pas payée exactement. En conséquence, les protestants de plusieurs provinces posèrent à l’assemblée de Loudun (1596) la question suivante: «Est-il permis de se saisir des dîmes ecclésiastiques?» Au lieu de répondre, celle-ci pressa le roi de satisfaire, par un bon édit, aux réclamations de ses anciens coreligionnaires. Henri IV déclara verbalement qu’il leur ferait remettre chaque année 25.000 écus, mais refusa de spécifier, par un acte public ou secret, la destination de cette allocation; seulement, à la requête des assemblées de Saumur et de Chatellerault, il porta la somme promise de 25.000 à 45.000700». Il en donna un brevet le 3 avril 1598701, par lequel il déclarait accorder aux protestants 45.000 écus «pour employer à certains affaires secrets qui les concernent que Sa Majesté ne veut estre spécifiez ni déclarez», payables par quartiers, «sans qu’il en puisse estre retranché ni reculé aucune chose pour les non-valeurs ou autrement».
L’assemblée de Chatellerault, retraçant ses négociations au synode de Montpellier, l’avertit que, par déférence, elle lui laisse «le deppartement et distribution desd. deniers», en l’engageant à les faire de suite, et à nommer en chaque province «un personnage fidelle et responsable pour recepvoir et distribuer la part et portion desd. deniers qui escherra, selon et en la forme qu’il sera advisé par les sinodes provinciaux702». En conséquence, le synode fit la distribution; il accorda au Bas-Languedoc, pour 116 églises703, 6.105 l. 15 sols 9 deniers, plus 611 l. 6 sols 8 deniers pour le collège de Nîmes et 500 l. pour celui de Montpellier704. Puis, pour l’année 1598 spécialement, attendu «que le roy ne donne payement que pour trois quartiers, à cause que le brevet n’est accordé que du premier avril», il refit un état qui portait la part du Bas-Languedoc à 4.578 l. 28 sols 4 deniers et celle du collège de Nîmes à 458 l. 20 sols705. En outre, il décida qu’on devait pensionner, sur l’allocation accordée par le roi, les pasteurs qui, par vieillesse ou indisposition, ne pouvaient exercer leurs charges, ainsi que les écoliers proposants, les veuves et orphelins de ministres706. Afin d’établir un contrôle, les provinces étaient tenues d’envoyer au prochain synode national leurs comptes des deniers avec les reçus des pasteurs, proposants, veuves et orphelins. De même, les universités devaient lui faire savoir comment elles avaient employé leur subvention. Enfin, chaque province avait à nommer un receveur de ses propres deniers707.
Mais, en attendant, il fallait recouvrer les sommes promises. Le roi, par son brevet du 3 avril 1598, avait assigné les 45.000 écus sur les «premiers et plus clairs deniers» des recettes générales de Rouen, Paris, Caen, Orléans, Tours, Poitiers, Limoges et Bordeaux708. L’assemblée de Chatellerault chargea ses députés en cour d’en obtenir des assignations «bonnes et certaines709». Malgré ces précautions, la somme fut loin d’être exactement payée. En effet, au lieu de 66.301 écus 30 sols que l’on devait toucher pour les trois derniers quartiers de l’année 1598, à savoir 33.750 écus pour les pasteurs et 32.551 écus pour la solde des garnisons des places de sûreté710, le sieur Palot, receveur des églises, n’avait encore reçu que 32.829 écus 50 sols 6 deniers, en juin 1600711. Ainsi donc, dès la première année, les protestants se voyaient frustrés d’environ la moitié de ce qui leur avait été promis. A la vérité, ils avaient bien des rescriptions pour le reste de la somme, mais elles valaient si peu, qu’en 1600 ils durent renoncer officiellement à l’espoir de toucher entièrement ce qui leur était dû712. D’ailleurs, sur les deniers de l’année 1599, ils eurent moins encore. En juin 1600, ils n’avaient pu obtenir en tout que 42.020 écus, au lieu de 45.000 écus pour les églises, plus 66.372 écus 17 sols pour les garnisons, soit en tout 111.372 écus 17 sols pour lesquels ils avaient eu des rescriptions713. L’assemblée de Saumur se plaignit au roi; le roi promit qu’à l’avenir «ceux de lad. religion auront occasion d’en estre contens», et il continua de ne pas payer714.
La part de chaque pasteur se trouvait ainsi réduite à peu de chose, car, non seulement, comme on l’a vu, le roi ne payait pas à beaucoup près ce qu’il promettait, mais encore la plus grosse part des sommes obtenues à grand’peine était prudemment consacrée à la solde des garnisons715. En outre, sur la part même des ministres, on prélevait encore une certaine somme pour l’entretien des collèges de Nîmes et de Montpellier716 et la fondation d’académies de théologie717. Les protestants attachaient en effet une grande importance à ce que leurs «universités» devinssent florissantes. Leurs synodes en encourageaient le développement718. On décidait de les payer sur les deniers du roi avant toutes les églises719. On tâchait de ne pas prélever sur leur part les frais extraordinaires720, que l’on couvrait au moyen des deniers du ministère. En 1601, les deux collèges de Montpellier et de Nîmes recevaient 1.000 écus, alors que tous les pasteurs de Bas-Languedoc n’avaient à se partager que 3.201 écus 3 sols721. Enfin, les consistoires veillaient soigneusement à ce que les réformés n’envoyassent pas leurs enfants faire leurs études ailleurs que dans les universités de la Religion722.
Outre les sommes consacrées à l’entretien des collèges et des académies, les «deniers du ministère» avaient à supporter certaines dépenses extraordinaires comme celles des députations à la cour et aux assemblées723, et ces dépenses pouvaient monter à de très grosses sommes. Ainsi, en 1601, on se trouvait avoir à prendre sur l’argent destiné aux ministres de Bas-Languedoc, 1.314 écus 45 sols 6 deniers, ce qui réduisait la part de chacun d’eux de près de moitié724.
Ce qui restait pour l’entretien des pasteurs n’était donc que peu de chose, et il fallait encore en distribuer une part aux infirmes, aux proposants, aux veuves et aux orphelins, suivant l’ordonnance du synode national de Montpellier725. En février 1600, l’assemblée de Castres prétend que la part du Bas-Languedoc sur les deniers des pasteurs a été plus faible encore que celle des autres provinces726, mais il est à croire que chaque province devait penser de même, en voyant le peu que lui rapportaient les promesses du roi.
Quoi qu’il en soit, si l’église de Nîmes comptait bien, à l’origine, toucher sa subvention, il ne paraît pas qu’elle en ait eu grand’chose. Le 2 décembre 1598, le consistoire décide d’envoyer un porteur jusqu’à Montauban pour réclamer de l’argent à M. de Viçoze, «recepveur des deniers destinés par le Roy pour le payement de Messieurs les pasteurs727». Il n’avait donc probablement rien reçu encore.
Il est, au reste, très difficile de connaître exactement les sommes que les églises touchèrent. Ainsi, le synode provincial d’Uzès, en mars 1600, déclare que «de l’argent desdié aux professeurs en théologie aux académies de Montpeillier et Nismes, 200 escus seront deslivrés… à M. Gigord… et 50 escus à M. Moinier et aultant aux hoirs de M. de Falguerolles, en recognoissance des lecteures [en théologie] par eulx faictes728». Peut-être le synode a-t-il entre les mains quelque argent et ne donne-t-il pas là qu’une simple promesse, car Moynier, réclamant en 1602 d’être payé de ses leçons de théologie, avoue avoir reçu autrefois 50 écus729. Mais en tout cas, le synode ne doit pas avoir la somme entière, et même, il semble bien qu’il ne possède que ces 300 écus: car s’il pouvait disposer de quelque argent en surplus, il le distribuerait aux académies et le consistoire de Nîmes ne se plaindrait pas, au mois d’août, de ne pas avoir touché les 600 écus qui lui avaient été octroyés par le synode national pour «dresser une académie en théologie730».
Donc, voilà tout ce qu’avait pu obtenir en 1600 le Bas-Languedoc sur les deniers des académies qui lui revenaient: 300 écus environ. Pourtant, comme nous l’avons vu, on faisait passer le payement de ces académies avant celui des pasteurs. Ceci laisse à penser que les ministres n’eurent rien ou à peu près. Je ne trouve aucun texte avant 1602 qui permette de croire qu’ils touchèrent quelque argent sur les deniers du roi. Aussi comprend-on que, par compensation, les églises aient imposé les rentiers des bénéfices quand elles le pouvaient, et au moins pour payer les tailles dont elles n’avaient pu obtenir que le roi déchargeât les pasteurs.
B. —Les pasteurs de Nîmes
Comme nous l’avons vu731, rien n’était plus difficile pour une église que d’acquérir un pasteur «perpétuel» lorsqu’elle s’en trouvait dépourvue. A cette époque, chaque fidèle pouvait venir au consistoire reprendre le ministre sur des points de doctrine732; certains enquêtaient secrètement sur ses mœurs; d’autres se syndiquaient, en dehors du consistoire, pour obtenir son renvoi; le conseil de ville se plaignait de lui aux assemblées ecclésiastiques; enfin, le consistoire pouvait le censurer733. Chacun avait le droit de juger dans sa conscience les actes de son ministre et de se faire sur lui une opinion personnelle, ce qui était bien selon l’esprit de libre examen. Un pasteur «ne peut être imposé à un troupeau contre le gré de la majorité734.» Il faut donc qu’il plaise à tous. Aussi recherche-t-on celui qui a fait ses preuves et s’est rendu célèbre par son éloquence, par sa science ou par sa piété. Les églises se livrent ainsi, pour obtenir certains ministres, à des contestations et à des luttes qui se prolongent de colloque en synode et peuvent durer des années. C’est, en effet, une grande déception d’amour-propre pour l’une d’entre elles que de voir le synode lui enlever son pasteur pour le donner à quelque autre, et c’est pour cette raison que les protestants d’Alais préféraient conserver un ministre qu’ils détestaient que de le livrer aux Nîmois.
Ceux-ci se trouvaient en décembre 1599 dans une gêne extrême. Jean de Falguerolles venait de mourir dans sa 39e année735; le vieux Chambrun ne prêchait plus depuis le mois de juin736 et Moynier restait seul pour une église qui aurait occupé largement quatre ministres. Déjà en mai 1596, l’église s’était trouvée dénuée de pasteurs, car Chambrun avait obtenu un congé «pour aller aux bains», Moynier se purgeait, et Falguerolles était assez malade pour ne pas pouvoir prêcher737, mais non trop pour faire la cour à une riche héritière738. On avait alors écrit à MM. Couet, de Bâle, et Goulard, de Genève, pour les engager au service de l’église, mais sans pouvoir s’arranger avec eux739.
Depuis, le consistoire avait continué, assez mollement, il est vrai, à chercher un quatrième pasteur. En mai 1599, il faisait déclarer au synode que l’église réservait son «droict sur Mr Terond pour l’avoir entretenu aux estudes740», et réclamait le ministre Baille, d’Anduze741. En septembre 1599, on paraissait sur le point d’engager M. Caille, et le consistoire faisait annoncer au prêche qu’on allait probablement l’avoir742. Néanmoins, deux mois plus tard, on rompait catégoriquement avec lui. Et si on lui écrivait une lettre de congé qu’on lui renouvela malgré ses réclamations743 et celles de Chambrun744, ce n’était pas à cause de ses «loungs délays» et de ses lettres «du tout incertaines», mais parce qu’il y avait «espérance de recouvrer M. Ferrier745».
Ce Ferrier était un homme de talent. Il avait «assez de courage, l’esprit vif, l’imagination enflammée, une grande facilité à parler, un ton de voix impérieux, une véhémence dans l’action et le discours qui entraînait les auditeurs et qui ne leur laissait pas la liberté de lui contredire». De plus, «il pleuroit à volonté» et «il avoit tellement charmé le peuple, qu’il le menoit comme il vouloit746». Cette dernière assertion est certainement exacte. Il suffit de lire ce qui va suivre pour voir quelle popularité il s’était acquise auprès des Nîmois. C’était un homme d’une grande éloquence, quoi qu’en dise Tallemant des Réaux, et quoi qu’en pensent les auteurs de la France protestante747. Sinon, comment qualifier un orateur doué de toutes ses qualités748?
A peine fut-il à Nîmes que cette église résolut de le conserver. Le 11 décembre, elle le prie de rester749. Il s’en retourne néanmoins. Le 22 décembre, on fait demander à l’église d’Alais de le céder à temps ou à perpétuité750: elle refuse. Le 5 janvier, on envoie à Ferrier trois députés et non, comme à Cailhe, une simple lettre, pour l’engager au service de l’église751 et, sans doute, il se laisse tenter par leurs offres, car il vient à Nîmes. Aussitôt, le consistoire décide qu’il y restera752. Mais ce n’était pas l’affaire de ceux d’Alais: ils réclament la réunion extraordinaire du colloque qui a lieu le 13 janvier753.
Ce colloque ne trancha pas la question, car Ferrier, le 19 janvier, déclare au consistoire de Nîmes que «d’estre detenu en la présente ville, il ne peult que ne soit prouveu par ung sinode ou colloque, mesmes qu’il se doibt acheminer à l’asemblée de Castres». Mais le consistoire affecte de le considérer désormais comme son pasteur légitime. Il décide que M. Ferrier est arrêté pour toute cette semaine, mais que lundi prochain il pourra se rendre à Alais, attendu que cette église «se trouve depourvue754». Ce prêt aux habitants d’Alais d’un ministre qui, en somme, leur appartenait, dut les exaspérer.
On s’en aperçut en mars 1600, au synode d’Uzès. Sur la proposition de Moynier755, les Nîmois y avaient envoyé une députation extraordinaire qui commença par réclamer qu’on lui cédât M. Ferrier, grâce à qui l’église avait «recongnu lesd. apostazies estre arrestées, les fidèles afermis, et l’audace de Coton, jésuite, réprimée;» on n’aurait, disait-elle, qu’à pourvoir l’église d’Alais, «beaucoup moins importante», d’un autre pasteur. Mais ceux d’Alais répondirent par des reproches contre Ferrier qui les avait quittés sans leur permission ni celle du colloque, «d’où seroit survenu que plusieurs de la religion se voyantz sans prêche seroient allés au sermon de Rhodes, jésuite», et contre le consistoire de Nîmes qui avait «voulu pratiquer M. Ferrier et l’aliéner d’eulx.» Le synode trouva moyen de mécontenter les deux églises par son jugement. Il confirma Ferrier à Alais, mais décida qu’elle le prêterait immédiatement à Nîmes pour trois mois, si bien que l’une et l’autre en appelèrent au synode national756.
Néanmoins, la délibération du synode fut suivie par provision, et, sur la requête de Moynier, le consistoire de Nîmes écrivit à Ferrier d’arriver «le plus promptement que faire se pourra757». Il vint, mais il ne devait pas se considérer comme détaché de son église d’Alais, car, le 5 avril, il annonce que le pasteur Baille, d’Anduze, qui lui avait promis de venir faire la cène à Alais, n’y étant pas allé, lui-même est forcé de s’y rendre. Pourtant, il resta758.
Le consistoire de Nîmes se trouvait alors très embarrassé. Il lui fallait absolument un ministre, ce qu’il cherchait en vain depuis 1596. Or, il n’avait pas d’argent. Moynier le menaçait de quitter la ville pour aller chercher à Marvéjols les sommes nécessaires «pour le mariage de sa fillie» si on ne lui payait ses gages759. Cependant, Chambrun était si inutile qu’on lui accordait peu après un congé d’un mois pour aller baptiser un de ses petits-fils760. Le consistoire dut faire un emprunt761. Et il redoubla d’efforts pour sortir des embarras continuels où le mettait le manque de pasteurs. Le 10 mai, il envoie à Ferrier un ancien «pour luy offrir tous moyens possibles, et s’il veult venir changer d’ert en ceste ville762». Même, il fait une tentative infructueuse auprès du célèbre Daniel Chamier, de Montélimar, pour obtenir son ministère763. Mais rien ne réussit, Ferrier ni Chamier n’acceptent. Aussi, Moynier qui, malgré l’assistance que lui apportaient temporairement les pasteurs du colloque, devait être surchargé de travail764, semble prêt à tout abandonner. Il ne peut toucher ses gages; il a été forcé de faire des dettes pour 3 ou 400 l., et ses créanciers le poursuivent. En conséquence, il réclame ce qui lui est dû et, en même temps, un congé pour aller se reposer dans le Gévaudan. Le consistoire ne peut que le supplier de rester, lui promettre qu’on le payera sur les premiers deniers liquides et déclarer aux créanciers qu’il endosse les dettes de Moynier765.
Dans ces conditions, on paraît renoncer tout à fait à Ferrier et l’on négocie avec le pasteur Gigord. Le 23 août, le consistoire fait offrir à ce dernier un contrat d’engagement766. Mais l’affaire ne se terminant pas, Moynier part sans congé le 13 septembre pour le Gévaudan767. Enfin la réponse de Gigord arrive vers le 8 novembre768: il se contente de charger le diacre Cheyron et l’avocat Chalas de ses intérêts. L’affaire, traînée en longueur, n’aboutit pas.
Ainsi, à la fin de 1600, l’église de Nîmes, chef de colloque, la plus riche et la plus importante de la province avec celle de Montpellier, n’avait pas pu trouver de pasteur depuis si longtemps qu’elle en cherchait un. C’est qu’elle se montrait difficile. En mai 1599, elle s’était contentée de réserver ses droits sur Terond sans le réclamer, sans doute parce qu’il venait d’être consacré et n’était pas encore connu769. Un peu plus tard, elle abandonnait Cailhe pour l’espoir d’obtenir Ferrier770. Puis, lorsque la mort de Falguerolles la force d’acquérir coûte que coûte un ministre, c’est le célèbre Daniel Chamier771, c’est Gigord772, dont la science était si connue que le synode le dispensait, en 1603, de l’examen imposé aux pasteurs pour professer en théologie773, qu’elle s’efforce d’engager. Mais, il n’y avait pas à ce moment de pasteurs libres dans le colloque ni dans la province, et il est à croire que si Ferrier, séparé d’Alais, et mis en distribution au synode le 9 mars 1601774, lui fut enfin donné comme ministre «en jussion775», ce fut uniquement parce qu’il était impossible de le laisser à son église légitime.
Ceux d’Alais, en effet, tout en se refusant à le laisser partir, l’avaient pris en haine. Il se plaignait au synode d’avoir été traité «d’apostat» plusieurs fois par un ancien, et de «caqueteur». On l’avait accusé de se préparer «pour se rendre Jésuite» et de vouloir se «faire trop riche en appovrissant le commun». Alors qu’il partait d’Alais pour «venir vers Mrs les Commissaires», les fidèles «le suivirent avec foule et avec tesmoins et noteres pour luy faire quelques actes de justice», et en voyant qu’il s’en allait, son troupeau criait «après luy que le diable luy rompît les jambes quand jamais il retourneroit dans lad. ville». Il se plaignait d’avoir été diffamé, calomnié, presque emprisonné à deux reprises. Ce à quoi l’ancien d’Alais, après lui avoir donné divers démentis776, répondit que l’église «aimoit et honoroit son ministère». Le synode mit Ferrier et l’église d’Alais en distribution777; et il fit bien. Puis, il donna le pasteur à l’église de Nîmes778 malgré l’appel d’Alais à qui il était dur de voir sa rivale triompher779.