Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 8
BOURDALOUE
I
Celui qu'on a si bien nommé le Prince des Orateurs, n'est pas un artiste à la façon de Cicéron par exemple, avant tout préoccupé de l'art de bien dire, de cadencer la phrase et d'arrondir savamment la période. Bourdaloue veut convaincre plus encore que plaire, parce qu'il obéit à une conviction forte et que chez lui tous les actes et la vie entière sont en harmonie avec ses paroles. Il se prêche lui-même et met toujours l'exemple à côté de la leçon.
Je ne sais rien de plus touchant, de plus admirable que ce que les biographes nous racontent des derniers temps de sa vie. Au comble de la célébrité, alors que les contemporains, le roi Louis XIV et les personnages les plus illustres lui demandaient conseil et que son nom était dans toutes les bouches, il disait, d'après ce que nous apprend le Père Martineau, son confrère:
«Dieu m'a fait la grâce de connaître le néant de ce qui brille le plus aux yeux des hommes, et il me fait encore celle de n'en être point touché.»
Un autre jour, il disait encore: «être si profondément convaincu de son incapacité pour tout bien que, malgré tous ses succès, il avait beaucoup plus à se défendre du découragement que de la présomption.»
En sorte que rien n'était plus remarquable, comme l'écrit Villenave, au milieu de tant de gloire que tant d'humilité36.
Aussi n'aspirait-il qu'à se faire oublier et il lui tardait de pouvoir s'ensevelir dans la solitude pour se préparer à la mort. Il en fit la demande au Père provincial «qui ne put consentir à priver la Société de celui qui en faisait le principal ornement.» Bourdaloue, pour cette fois se résigna; mais l'année suivante, il écrivit au général une longue lettre pour le supplier de lui accorder ce qu'il n'avait pu obtenir du Père provincial.
«Il y a cinquante-deux ans dit-il, que je vis dans la Compagnie, non pour moi mais pour les autres; du moins plus pour les autres que pour moi. Mille affaires me détournent et m'empêchent de travailler, autant que je le voudrais, à ma perfection qui néanmoins est la seule chose nécessaire. Je souhaite de me retirer et de mener désormais une vie plus tranquille: je dis plus tranquille afin qu'elle soit plus régulière et plus sainte. Je sens que mon corps s'affaiblit et tend vers sa fin. J'ai achevé ma course et plût à Dieu que je pusse ajouter: J'ai été fidèle! Je suis dans un âge où je ne me trouve plus guère en état de prêcher. Qu'il me soit permis, je vous en conjure, d'employer uniquement pour Dieu et pour moi-même ce qui me reste de vie, et de me disposer par là à mourir en religieux. La Flèche, ou quelque autre maison qu'il plaira aux supérieurs (car je n'en demande aucune en particulier pourvu que je sois éloigné de Paris), sera le lieu de mon repos. Là, oubliant les choses du monde, je repasserai devant Dieu toutes les années de ma vie dans l'amertume de mon âme. Voilà le sujet de tous mes vœux.»
Bourdaloue est tout entier dans cette admirable lettre; aussi j'ai tenu à la donner tout au long et non par extraits seulement comme ont fait la plupart des biographes. Il se montre bien là tel que nous le dépeint son confrère, le Père Bretonneau: «Cependant Bourdaloue, en pensant aux autres, ne s'oubliait pas lui-même; au contraire, ce fut par de fréquents retours sur lui-même qu'il se mit en état de servir si utilement les autres… Ses succès ne l'éblouirent point et ses occupations ne l'empêchèrent pas de veiller rigoureusement sur sa conduite. D'autant plus en garde qu'il était plus connu et dans une plus haute considération… Étroitement resserré dans les bornes de sa profession, il joignait aux talents de la prédication et de la direction des âmes le véritable esprit religieux… Il ne s'épargnait en rien également prêt pour qui que ce fut et se faisant tout à tous. Dans ce grand nombre de personnes de la première distinction dont il avait la conduite, bien loin de négliger les pauvres et les petits, il les recevait avec bonté; il descendait avec eux, dans le compte qu'ils lui rendaient de leur vie, jusques aux moindres particularités; et plus sa réputation et son nom leur inspiraient de timidité en l'approchant, plus il s'étudiait à gagner leur confiance, et à leur faciliter l'accès auprès de lui. Il ne se contentait pas de ce bon accueil. Il les allait trouver s'ils étaient hors d'état de venir eux-mêmes37.»
Et avec cela chez cet homme vraiment apostolique: «un dévouement inviolable au service de l'Église, et une soumission entière aux puissances ecclésiastiques et à ses supérieurs.» Il le prouva bien dans cette circonstance; car le général, ayant fait à sa demande une réponse toute favorable, il se disposait à partir. Mais, d'après le désir exprimé par ses supérieurs immédiats, il crut devoir retarder de quelques semaines, et dans l'intervalle, par suite des remontrances venues de Paris, une seconde lettre arriva de Rome qui révoquait la permission donnée.
Bourdaloue n'insista pas, prompt à se soumettre à l'ordre de ses supérieurs dans lequel il vit l'expression de la volonté du ciel. Il reprit ses fonctions avec un nouveau zèle, et même avec plus d'activité et d'ardeur que jamais, prêchant, enseignant, confessant, et il ne put être arrêté par un rhume opiniâtre dont il souffrait depuis plusieurs semaines. Mais, à la suite d'un sermon qu'il avait prêché pour une prise d'habit, il se sentit plus indisposé. Le dimanche, jour de la Pentecôte (11 mai 1704), il dut se mettre au lit et une fièvre maligne interne se déclara avec les symptômes les plus alarmants. Quoiqu'il se fît peu d'illusion sur son état, il insista auprès du médecin pour savoir la vérité toute entière. On satisfit à son désir, et avant même que le docteur eût fini de parler, le malade dit: «C'est assez, je vous entends: il faut maintenant que je fasse ce que j'ai tant de fois prêché et conseillé aux autres.»
Dès le lendemain, après s'être préparé par une confession de toute sa vie à recevoir les derniers sacrements, «il entra lui-même, dit le Père Bretonneau, témoin oculaire sans doute, dans tous les sentiments qu'il avait inspirés à tant de moribonds. Il se regarda comme un criminel condamné à mort par l'arrêt du ciel. Dans cet état, il se présenta à la justice divine. Il accepta l'arrêt qu'elle avait prononcé contre lui et qu'elle allait exécuter: «J'ai abusé de la vie, dit-il en s'adressant à Dieu: je mérite que vous me l'ôtiez et c'est de tout mon cœur que je me soumets à un si juste châtiment.»
D'après ce que nous lisons ailleurs, il dit à ceux qui l'entouraient: «Je vois bien que je ne puis guérir sans miracle; mais que suis-je pour que Dieu daigne faire un miracle en ma faveur? Que sa sainte volonté s'accomplisse aux dépens de ma vie s'il l'ordonne ainsi; qu'il me sépare de ce monde où je n'ai été que trop longtemps et qu'il m'unisse pour jamais à lui!»
Avec une entière tranquillité d'esprit et comme s'il pouvait encore compter sur de longs jours, il mit en ordre les papiers dont il était dépositaire. Puis, se souvenant de ses nombreux et illustres amis, «il désira qu'on leur apprît qu'il regardait sa séparation d'avec eux sur la terre comme une partie du sacrifice qu'il faisait à Dieu de sa vie.»
Il s'entretint ensuite quelque temps avec son directeur, et alors un mieux s'étant manifesté, ses confrères et amis reprirent quelque espérance. Mais, dans la soirée, un violent accès de fièvre survint, bientôt suivi du délire et l'agonie commença. Le lendemain mardi, 13 mai, vers cinq heures du matin, il expira. Bossuet l'avait précédé de quelques semaines dans la tombe (12 avril 1704.)
II
Bourdaloue était dans la soixante-douzième année de son âge, né à Bourges, le 20 août 1632, l'année même où le pape Urbain VIII approuvait la Congrégation des Prêtres de la Mission, fondée par Saint Vincent-de-Paul. Bourdaloue, qui reçut au baptême le prénom de Louis, entra, dès l'âge de quinze ans, dans la Compagnie de Jésus. Il passa par tous les exercices, employant les dix-huit premières années de noviciat, soit à ses propres études, soit à professer la rhétorique, la philosophie, la théologie. Quelques sermons qu'il eut occasion de prêcher révélèrent sa véritable vocation à ses supérieurs qui le destinèrent dès lors à la prédication. Après s'être fait entendre en province avec un grand succès, il vint à Paris et prêcha tout d'abord dans l'église de la maison professe avec un éclat extraordinaire. Également aimé des grands, du peuple et des savants, il attirait une foule prodigieuse; sa réputation croissait d'un sermon à l'autre; plus on l'entendait, plus on voulait l'entendre.
Le roi Louis XIV le goûtait tout particulièrement, et, après l'avoir entendu, depuis l'Avent de l'année 1670, plusieurs Avents et plusieurs Carêmes, il le redemandait toujours en disant: «J'aime mieux ses redites que les choses nouvelles d'un autre.»
Sa courageuse franchise même ne le refroidissait pas. On raconte qu'un jour Bourdaloue, ayant prêché devant le roi, celui-ci lui dit:
«Mon père, vous devez être content de moi; madame de Montespan est à Clagny.
– »Oui, sire, répondit le prédicateur, mais Dieu serait plus satisfait si Clagny était à soixante-dix lieues de Versailles.»
On conçoit après cela que madame de Sévigné pût écrire: «Jamais prédicateur n'a prêché si hautement ni si généreusement les vérités chrétiennes… Le Père Bourdaloue frappe comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort et à travers contre l'adultère.»
La même madame de Sévigné disait à sa fille: «Je m'en vais en Bourdaloue,» comme elle eût dit: «Je m'en vais en cour,» et ne laissait échapper aucune occasion d'entendre le célèbre prédicateur, témoin cette anecdote: Bourdaloue devait prêcher une passion que madame de Sévigné avait déjà entendue avec sa fille l'année précédente: «Et c'était pour cela, dit-elle, que j'en avais envie; mais l'impossibilité m'en ôta le goût. Les laquais y étaient dès mercredi; et la presse était à mourir.»
On ne saurait s'en étonner quand on lit aujourd'hui ces sermons, les premiers de ce genre, et dont le Père Bretonneau dit avec raison: «Il avait dans un éminent degré tout ce qui peut former un parfait prédicateur. Il reçut de la nature un fonds de raison qui, joint à une imagination vive et pénétrante, lui faisait trouver d'abord dans chaque chose le solide et le vrai… Ses divisions justes, ses raisonnements suivis et convaincants, ses mouvements pathétiques, ses réflexions judicieuses et d'un sens exquis, tout va à son but… Persuadé que le prédicateur ne touche qu'autant qu'il intéresse et qu'il applique, et que rien n'intéresse davantage et n'attire plus l'attention qu'une peinture sensible des mœurs où chacun se voit lui-même et se connaît, il tournait là tout son discours.» Il suffit de citer ces admirables sermons sur le Mariage, le Choix, d'un état, les Divertissements du monde, l'Hypocrisie, la Prière, les Devoirs envers les domestiques etc., dans lesquels abondent, avec les solides raisonnements, les observations et les conseils pratiques, les réflexions d'une étonnante sagacité et tous ces portraits admirables de relief et de vie d'une vérité si prodigieuse quoique on ne pût reconnaître les modèles et qui faisaient dire à madame de Termes: «Il est inimitable et les prédicateurs qui l'ont voulu copier sur cela n'ont fait que des marmousets.»
Quoique admirable par la solidité des raisonnements et la victorieuse logique, Bourdaloue savait aussi parler au cœur, témoin ce qu'écrivait madame de Maintenon, à l'occasion d'un sermon prêché devant Louis XIV et sa cour. «Il a parlé au Roi sur sa santé, sur l'amour de son peuple, sur les craintes de la cour; il a fait verser bien des larmes; il en a versé lui-même: c'était son cœur qui parlait à tous les cœurs.»
Quand aujourd'hui la lecture seule de tant de pages éloquentes nous frappe d'une façon si vive et nous émeut si profondément, qu'on imagine ce que ce devait être quand ces mêmes choses étaient dites au milieu du silence solennel d'un immense et religieux auditoire, et tombaient des lèvres de Bourdaloue: «Le feu dont il animait son action, dit le Père Bretonneau, sa rapidité en prononçant, sa voix pleine, résonnante, douce et harmonieuse, tout était orateur en lui, et tout servait à son talent.»
On conçoit après cela que Bossuet ait pu dire dans la candeur de sa modestie: «Cet homme sera éternellement notre maître en tout.»
N'oublions pas ce mot encore d'un des contemporains de Bourdaloue et qui prouve que, dans l'estime de tous, chez lui la vertu égalait le talent: «Sa conduite, disait on, est la meilleure réponse que l'on puisse faire aux Lettres Provinciales.»
BREGUET
«Les perfectionnements apportés par Breguet dans cette partie de la mécanique à laquelle il avait consacré ses veilles, ont eu pour résultat de donner à la France la première horlogerie de l'Europe, au dire de tous ceux qui ne sont pas Anglais. Ses perfectionnements s'étendent à toutes les branches comme à toutes les parties de l'art. C'est à lui qu'on doit, sinon la première idée, du moins l'usage commode des montres perpétuelles qui se remontent d'elles-mêmes par le mouvement qu'on leur donne en les portant… C'est Breguet qui, pour garantir de fractures le pivot du balancier, en cas de choc violent ou de chute de la montre, imagina le parachute qui préserve le régulateur de toute atteinte; invention précieuse surtout pour les montres de poche. C'est lui qui, le premier, fabriqua des cadratures de répétition d'une disposition plus sûre, laissant plus de place pour les autres parties du mécanisme, etc., etc. Mais c'est surtout aux sciences exactes, à l'astronomie, à la physique et à la navigation, que Breguet, en multipliant les moyens de calculer les minima les plus délicats de la durée avec la dernière exactitude, a rendu des services inappréciables.»
Ainsi s'exprime M. Val. Parisot, qui, par ses connaissances spéciales, a su, mieux que nous ne pourrions le faire, mettre en relief les services rendus par cet artisan illustre dont le nom, resté justement populaire, est une preuve nouvelle que la gloire ne dédaigne personne, et se plaît à récompenser tous les genres de mérite. À ce titre, Breguet, comme Jacquard, comme Richard Lenoir, mérite une place dans notre galerie, d'autant plus que chez lui le caractère de l'homme était à la hauteur du talent, du génie de l'artiste; c'est M. Parisot qui n'hésite pas à lui donner ce titre, et qui songerait à le lui contester?
«Breguet, dit M. Villenave, était recherché dans les premières classes de la société où il comptait plusieurs amis. On a dit de lui qu'il avait toujours conservé la naïveté de la jeunesse et même celle de l'enfance; qu'il voyait tout en beau, excepté ses ouvrages; qu'en lui, tout était égal, uni, simple; qu'il était timide sans être jamais embarrassé; qu'on trouvait des rapports entre lui et le bon La Fontaine; qu'il n'avait jamais voulu quitter sa petite et modeste maison où la fortune était venue le trouver; qu'il était toujours prêt à être utile aux artistes; que tous étaient heureux autour de lui, et lui plus que les autres. On raconte qu'étant devenu un peu sourd sans être susceptible, il disait, quand on riait de quelque quiproquo: Dites-le-moi, que je rie aussi, ce qu'il ne manquait pas de faire.»
Breguet (Abraham-Louis), naquit à Neufchatel en Suisse, le 10 janvier 1747, d'une famille d'origine française. Enfant, il paraissait d'une intelligence paresseuse, et ses maîtres augurèrent assez mal de son peu de goût pour la grammaire française et latine. Tout jeune encore, il perdit son père, et sa mère s'étant remariée à un horloger, celui-ci, voyant le peu de fruit que l'enfant tirait de la fréquentation du collége, résolut de le garder à la maison pour l'occuper aux travaux de son état. Cette vie sédentaire ne sembla point d'abord, plus que l'autre, agréable à l'enfant, doué d'une extrême vivacité; peu à peu, cependant, les combinaisons mécaniques l'intéressèrent et il devint apprenti des plus zélés.
Son beau-père, cependant, qui voulait faire de lui un ouvrier émérite, l'emmena à Paris et le plaça chez un célèbre horloger de Versailles pour qu'il achevât de se perfectionner dans son art et, en effet, au bout de peu d'années, Abraham-Louis était le premier ouvrier de l'atelier; intelligent autant que laborieux et rangé. Quoique à peine sorti de l'adolescence, il se trouvait père de famille, ayant, par la mort précipitée de son beau-père et de sa mère, une jeune sœur à élever et établir! Son salaire de chaque jour devait seul suffire à toutes les charges; et non-seulement le jeune ouvrier réussit à équilibrer son budget, mais il put faire quelques économies et trouver du loisir pour suivre un cours de mathématiques, car il avait compris que la connaissance des sciences exactes lui devait être singulièrement utile ou plutôt indispensable. Son professeur était l'abbé Marie, savant distingué, que les rares dispositions de l'élève, comme sa bonne conduite, intéressèrent et qui ne fut pas avare pour lui de ses précieux enseignements.
Il n'est pas douteux qu'ils contribuèrent beaucoup à développer le génie du jeune Breguet dont la réputation, comme habile horloger, date de cette époque et depuis ne fit que s'accroître. Un jour le duc d'Orléans se trouvait à Londres, dans l'atelier de l'horloger Arnold, connu dans toute l'Europe, et renommé comme le premier dans son art. Le prince tira sa montre, et, la montrant à Arnold, lui demanda ce qu'il en pensait.
L'horloger, après l'avoir ouverte et examinée avec grande attention, non sans témoigner plusieurs fois de son étonnement, la rendit au visiteur en disant:
– Vous avez là, monseigneur, un chef-d'œuvre, et ce Breguet est, dans notre partie, un maître, mais un maître qu'au plus tôt je veux connaître, et dont il me tarde de serrer la main.» En effet, laissant là son atelier et ses travaux commencés, et, embrassant sa famille, Arnold s'embarqua pour le continent, et quelques jours après, il arrivait à Paris.
Un matin, Breguet, averti par la sonnerie du timbre, voit entrer dans son atelier un étranger qui, le sourire aux lèvres et la main tendue, lui dit:
– Mon cher confrère, j'ai vu tout récemment à Londres, dans la main d'une altesse française, une montre fabriquée par vous et que j'ai admirée comme un chef-d'œuvre. Aussi ai-je passé le détroit tout exprès pour faire votre connaissance et vous adresser moi-même mes félicitations; je suis Arnold, de Londres.
Qu'on juge de la stupéfaction comme de la joie de Breguet à cette visite si inattendue pour lui, car, même au temps de ses plus grandes prospérités, il était resté fort modeste.
«Malgré tant de titres incontestables à la gloire et à la renommée, cet homme éminemment moral, qui rendait justice à tous, excepté à lui-même, jusqu'à s'étonner de la régularité de ses instruments, doutait de sa propre réputation, même en présence des étrangers qui s'honoraient de lui en fournir le témoignage38.»
Profondément touché des témoignages d'estime et de sympathie que lui donnait Arnold, il s'efforça de le reconnaître de son mieux par son accueil, et lorsque le confrère repartit pour l'Angleterre, il lui confia son fils aîné qu'il devait, deux années après, mais sans l'avoir prévu, aller rejoindre.
La révolution éclata, Breguet, tout entier à son art, resta complètement étranger à la politique; mais à cause de sa célébrité, et sans doute aussi de sa réputation d'honnête homme, il n'en fut pas moins classé parmi les suspects. Par bonheur, grâce à quelques-uns de ses clients, alors très-influents, il put éviter la prison et il lui fut permis de quitter la France. Il passa, avec sa famille, en Angleterre, où sa situation ne laissait pas que d'être critique et de le préoccuper. Il se voyait tout au moins dans la nécessité, afin de s'assurer le pain quotidien, d'abandonner ses savantes recherches pour redevenir un simple ouvrier, lorsqu'un ami généreux, témoin de ses perplexités, lui dit:
– À Dieu ne plaise, que vous abandonniez l'art pour le métier. Continuez vos importants travaux, dont le résultat pour moi est d'autant moins douteux que votre fils aîné peut s'y associer. D'ailleurs, n'ayez souci du lendemain ni pour votre famille ni pour vous; voici qui vous rassure pour l'avenir.
Et l'excellent ami, M. Desnay-Flyche, présentait à Breguet un portefeuille rempli de banknotes, qu'après s'être longtemps défendu, le Français dut accepter. C'est ainsi que, pendant les deux années de son exil dans la Grande-Bretagne, Breguet eut toute sécurité pour ses recherches. Aussi, quand il lui fut permis de rentrer en France, riche de nouvelles connaissances et devenu le premier dans son art, il put en peu de temps, aidé d'ailleurs par le secours de ses amis, relever ses établissements détruits, dont la prospérité alla toujours en augmentant. Sa vie dès lors s'écoula paisible et heureuse. Il devint successivement horloger de la marine, membre du bureau des longitudes, et en 1816 remplaça Carnot à l'Institut. En 1823, il fit partie du jury d'examen pour les produits de l'industrie. Après avoir rempli ces fonctions momentanées avec le zèle et la conscience qu'il apportait à tout, il se remit à son grand ouvrage sur l'horlogerie, qu'il avait hâte de voir terminé, comme par un secret pressentiment. Car un matin, peu d'instants après s'être assis à son bureau, il tomba foudroyé par une attaque d'apoplexie.
«Le talent de Breguet, dit M. Parisot, n'était point exclusivement restreint à l'art auquel il fit faire des pas si prodigieux. Il imagina le mécanisme léger et solide des télégraphes établis par Chappe; il créa un thermomètre métallique d'une sensibilité au-dessus de tout ce qui est connu, surtout pour le développement instantané du calorique, etc.»
On ne peut trop regretter qu'il ait laissé inachevé son Traité de l'Horlogerie, dans lequel toutes ses découvertes devaient être consignées et qui eût renfermé, en particulier, beaucoup de faits intéressants sur la transmission du mouvement par les corps qui restent eux-mêmes en repos.