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Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 9

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LA BRUYÈRE. (JEAN DE)

On n'a sur La Bruyère aucuns détails biographiques; «On ne connaît rien de sa famille, dit Suard l'académicien, et cela est fort indifférent; mais on aimerait à savoir quel était son caractère, son genre de vie, la tournure de son esprit, dans la société; et c'est ce qu'on ignore aussi.»

D'Olivet, dans son Histoire de l'Académie, n'est pas absolument de cet avis puisqu'il nous dit: «On me l'a dépeint comme un philosophe qui ne songeait qu'à vivre tranquille avec des amis et des livres; faisant un bon choix des uns et des autres; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir, toujours disposé à une joie modeste et ingénieux à la faire naître; poli dans ses manières et sage dans ses discours; craignant toute sorte d'ambition même celle de montrer de l'esprit.»

De son côté Boileau nous dit39, mais à la date du 18 mai 1787, l'année même de la publication des Caractères et quelque temps auparavant sans doute: «Maximilien (La Bruyère) m'est venu voir à Auteuil, et m'a lu quelque chose de son Théophraste. C'est un fort honnête homme et à qui il ne manquerait rien si la nature l'avait fait aussi agréable qu'il a envie de l'être. Du reste, il a de l'esprit, du savoir et du mérite.»

L'éloge semble maigre, mais la lecture du livre, dont il ne connaissait que des fragments, sans doute ouvrit les yeux à Despréaux puisqu'il devint bientôt un des partisans zélés de La Bruyère et contribua beaucoup, avec Bossuet et Racine, à le faire entrer à l'Académie où le moraliste fut reçu six ans après la publication des Caractères, c'est-à-dire en 1693. On a remarqué qu'il fut le premier académicien qui, dans son discours, ait fait l'éloge des confrères vivants, Bossuet, La Fontaine et Despréaux. On ne sait plus rien de lui ensuite, si ce n'est la date de sa mort arrivée en 169640.

Ce silence des contemporains n'est-il pas des plus étonnants quand il s'agit d'un homme à qui son livre avait fait sans nul doute bien des ennemis et dont il semble que les Mémoires du temps auraient dû particulièrement s'occuper? Il faut que sa vie tout à fait retirée, la réserve de son caractère, peut-être la crainte aient tenu la curiosité à distance.

Mais si La Bruyère est ignoré comme homme, l'écrivain jouit d'une assez belle notoriété «et le livre des Caractères, qui fit beaucoup de bruit dès sa naissance», n'a rien perdu pour nous de ses mérites, et il compte au premier rang des livres classiques. Ce n'est pas d'ailleurs le livre de tout le monde et qu'on puisse goûter à tous les âges. Il exige une certaine maturité d'esprit et une connaissance du monde qui permette d'apprécier la sagacité des observations. Je me rappelle que, jeune homme encore, un volume des Caractères m'étant tombé dans les mains, tout en appréciant tels ou tels passages, certaines façons de s'exprimer qui me semblaient vives, ingénieuses, originales, le plus souvent, mon inexpérience me rendait hésitant; je m'étonnais ayant peine à comprendre et assez semblable à un homme qui entendrait parler une langue étrangère dont quelques mots seulement lui seraient familiers. Je pourrais encore me comparer à celui qui, voyant un portrait peint par un maître, mais sans connaître l'original, pourrait admirer l'habileté des procédés, le talent de facture, mais serait inapte à se prononcer quant à la ressemblance.

Dans mon ignorance du monde, je jugeais ce La Bruyère un peu bien enclin à la médisance, et montrant trop l'humanité par les côtés qui ne la font ni aimer ni estimer. Pour un chrétien sincère tel qu'il paraît avoir été d'après le chapitre justement vanté des Esprits forts, je le trouvais en général fort peu charitable, très hardi et même téméraire dans certains de ses jugements soit sur les hommes, soit sur les choses. À part le chapitre cité plus haut, on dirait que ce moraliste, qui avait lu l'Évangile et l'Imitation, écrit avec la plume de Théophraste ou Sénèque, une plume dont la pointe est d'or, de diamant même, mais singulièrement affilée et qui peut faire des blessures mortelles mieux que le meilleur stylet italien. Encore ne semble-t-il pas que, pareille à la lance d'Achille, elle sut toujours guérir les blessures qu'elle aurait pu faire.

La Bruyère dit excellemment: «Quand une lecture vous élève l'esprit et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l'ouvrage, il est bon et fait de main d'ouvrier.»

Très bien! mais si je ne craignais de paraître téméraire, j'exprimerais le doute que telle soit l'impression qui résulte le plus habituellement de la lecture des Caractères et non pas plutôt une disposition railleuse, ironique, sarcastique, un sentiment de dédain et de mépris pour l'humanité. Le tort du moraliste précisément, c'est de s'adresser trop à l'esprit, à l'intelligence, et, dans son livre il n'y a pas assez pour le cœur. J'ajouterai qu'en certains endroits, quand il s'agit de sujets chatouilleux, qui se rencontrent dans l'étude des passions, le moraliste, en témoignant de sa sagacité comme observateur, ne fait pas toujours assez preuve de discrétion; dans le chapitre sur les Femmes entre autres, il est telle phrase qu'on aurait plaisir à effacer, sûr de l'approbation du sexe, celle-ci par exemple:

«Il y a peu de femmes si parfaites qu'elles empêchent un mari de se repentir, du moins une fois le jour, d'avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n'en a point.»

La Bruyère, au reste, je le répète, n'est point le livre des jeunes gens et moins encore des demoiselles.

Après ces réserves, appréciant les procédés de l'écrivain, je n'hésiterai pas à dire avec Suard: «Ce n'est pas seulement par la nouveauté et la variété des mouvements et des tours que le talent de La Bruyère se fait remarquer; c'est encore par un choix d'expressions, vives, figurées, pittoresques; c'est surtout par ses heureuses alliances de mots, ressource féconde des grands écrivains dans une langue qui ne permet pas, comme presque toutes les autres, de créer ou de composer des mots, ni d'en transplanter d'un idiome étranger… En lisant avec attention les Caractères, il me semble qu'on est moins frappé des pensées que du style; les tournures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus brillant, de plus fin, de moins inattendu que le fond des choses mêmes; et c'est moins l'homme de génie que le grand écrivain que j'admire.»

Il semble en effet que La Bruyère, pas toujours exempt de recherche, soit un ouvrier, non, un artiste merveilleusement habile dans l'art de bien dire et préoccupé surtout du désir de donner tout son relief à la pensée par l'expression. C'est un artiste, aussi voyons-nous qu'il excelle dans les portraits; ils abondent dans son livre ou plutôt dans sa galerie, et touchés avec une largeur de pinceau en même temps qu'une délicatesse qui font que, tout en conservant, dans une certaine mesure, quelque air de ressemblance avec le type original et premier, ils ne sont point de simples copies, mais par des traits ajoutés et empruntés à divers modèles, nous saisissent par «cet ensemble de vérité idéale et de vérité de nature qui constituent la perfection des beaux arts.»

Dirai-je cependant qu'on voudrait chez l'écrivain plus de spontanéité, plus d'abandon; une phrase qui se détendit parfois et où l'on ne sentît pas autant le savant et studieux arrangement. On aimerait que La Bruyère se souvînt un peu davantage du conseil de Régnier:

Les négligences sont ses plus grands artifices.

Le livre de La Bruyère est dans toutes les bibliothèques; aussi faut-il être sobre de citations. Quelques passages suffiront.

«Il y a dans l'art un point de perfection comme de bonté et de maturité dans la nature: celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas et qui aime en deçà et au delà a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût et l'on dispute des goûts avec fondement.

«Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre qu'il y a de sottise à l'acheter; c'est ignorer le goût du peuple que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises.»

«Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles; et l'harmonie la plus douce est la voix de celle que l'on aime.»

«Être avec les gens qu'on aime, cela suffit: rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal.»

«Certains poètes sont sujets dans le dramatique à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés et remplis de grands sentiments. Le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage: il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir. J'ai cru autrefois, et dans ma première jeunesse que ces endroits étaient clairs et intelligibles pour les acteurs, pour le parterre et l'amphithéâtre; que leurs auteurs s'entendaient eux-mêmes et qu'avec toute l'attention que je donnais à leur récit, j'avais tort de n'y rien entendre: je suis détrompé

À l'appui de cette observation nous citerons une curieuse anecdote racontée par Fontenelle dans la vie de Corneille. On lit ces quatre vers dans la 1re scène du IIe acte de la tragédie de: Tite et Bérénice:

 
Faut-il mourir, madame; et, si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme
Que les restes d'un feu que j'avais cru si fort
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort?
 

L'acteur Baron qui, lors de la première représentation, faisait le personnage de Domitian et qui, en étudiant son rôle, trouvait quelque obscurité dans ces quatre vers, crut son intelligence en défaut et en alla demander l'explication à Molière, chez lequel il demeurait. Molière, après les avoir lus, avoua qu'il ne les entendait pas non plus: «Mais attendez, dit-il à Baron, M. Corneille doit venir souper avec nous aujourd'hui, et vous lui direz qu'il vous les explique.» Dès que Corneille arriva, le jeune Baron alla lui sauter au col comme il faisait ordinairement parce qu'il l'aimait, et ensuite il le pria de lui expliquer les vers qui l'embarrassaient: «Je ne les entends pas trop bien non plus, dit Corneille, mais récitez-les toujours, tel qui ne les entendra pas les admirera.»

Une citation encore, mais celle-ci faite dans un sentiment tout autre que pour les précédentes: «On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecture. On a entièrement abandonné l'ordre gothique que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples; on a rappelé le dorique, l'ionique et le corinthien; ce qu'on ne voyait plus que dans les ruines de l'ancienne Rome, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles. De même, etc.»

Ce passage, ou plutôt cette diatribe malheureuse contre notre admirable architecture gothique, et qu'on a plusieurs fois, non sans raison, reprochée à La Bruyère depuis le retour à de meilleures idées, pèse sur sa mémoire; il est un bel exemple de la tyrannie des préjugés contemporains.

BUGEAUD

Dans la France héroïque se trouve une biographie développée du maréchal Bugeaud, duc d'Isly. Mais depuis cette publication a paru une très-remarquable étude sur l'illustre guerrier en tête du livre aujourd'hui si connu du général Trochu et qui a pour titre: L'Armée Française en 1867, 20e édition. Nous n'avons pu nous refuser au plaisir de détacher quelques pages au moins de ce beau travail. L'auteur dédie son livre à Bugeaud en le qualifiant: «mon vénéré maître.» Pourquoi faut-il que l'élève, amené à passer de la théorie à la pratique ne se soit pas mieux souvenu des leçons et des exemples de ce maître si prompt à l'action et que les Arabes, dans leur langue imagée, avaient surnommé: El Kébir, le maître de la fortune! Imaginez Bugeaud gouverneur de Paris pendant le siége, quelle autre eût été la défense! M. de Moltke ne serait pas peut-être aujourd'hui si triomphant? Venons aux citations.

«Si dans l'étude de la carrière du maréchal, dit le général Trochu, on s'arrête de parti pris, comme l'ont fait longtemps les adversaires politiques, au sans façon des attitudes, à de certaines faiblesses, à des contrastes souvent très-heurtés, à des témérités indiscrètes et hasardées, on juge partialement et on juge mal. Ses débuts dans la vie et dans le monde, l'ardeur de ses convictions, les excitations de la lutte expliquaient surabondamment ces écarts du moment où dominaient, à ne pouvoir s'y méprendre, la bienveillance et la bonhomie. Mais comment ne pas s'incliner devant la sincérité de son patriotisme, la fermeté de son incomparable bon sens, l'ampleur de ses vues, la richesse de son expérience, la simplicité véritablement antique de ses habitudes et de sa vie?»

«Le maréchal Bugeaud écrivait et parlait avec une remarquable facilité, avec une éloquence entraînante, inégale quelquefois, toujours originale, pittoresque, imagée. Sa parole, quand il haranguait les troupes sous l'empire d'une grande passion et d'une grande conviction, atteignait à des hauteurs imprévues. Lequel d'entre nous n'a encore la mémoire et l'âme remplie de ce discours digne de Tacite par la grandeur des aperçus et par la sobriété du langage, où il nous annonça, le soir du 13 août, 1844, dans l'Ouerdefou, à la lueur des torches, sa ferme résolution de livrer bataille le lendemain à Isly. Les soldats saisis d'enthousiasme bordaient les escarpements des deux rives, et quatre cents officiers, pressés au fond de l'étroite vallée, acclamaient, palpitants, leur général dont la haute taille et la voix retentissante dominaient toutes les tailles et toutes les voix. Quelle grande scène militaire!.. Nous fûmes tous persuadés, entraînés. Nous vîmes se resserrer étroitement entre notre chef et nous, sous l'influence de cette parole qui prouvait la victoire, des liens de solidarité et de confiance qui disaient assez ce que serait la journée du lendemain.»

On sait que le maréchal avait pris pour devise: Ense et Aratro, voici à quelle occasion: Après le glorieux combat de l'Hôpital-sous-Conflans (28 juin 1815) où avec dix-sept cents hommes d'infanterie, il battit un corps autrichien de six mille hommes, «emportant avec lui l'honneur d'avoir combattu le dernier pour la défense du territoire, il revit les bois de la Dordogne et ses foyers. C'est alors que commença pour lui cette seconde carrière où l'attendaient d'autres luttes et d'autres efforts, où il dut reconquérir par la plus persévérante économie, un champ après l'autre, comme il le disait souvent, le domaine paternel passé en des mains étrangères. L'agriculture, où il ne tarda pas à exceller, devint la passion de sa vie et il y apporta les aptitudes, les vues pratiques, le rare bon sens qu'il avait naguère montré dans les armées.

«… Je ne sais rien de plus caractéristique et de plus attachant que cette évolution de trente ans dans l'existence du maréchal, qui commence au camp de Boulogne comme simple soldat, le ramène à travers cent actions d'éclat dans les champs de la Piconerie, l'y fixe quinze ans, et le rejette pour le reste de sa vie, dans la lutte politique et dans l'armée.»

Après les évènements de 1830, en effet, Bugeaud, rappelé à l'activité fut envoyé, en même temps par les électeurs à la Chambre des députés. Plus tard, il partit pour l'Algérie dont il devint par la suite gouverneur-général, et rendit à la colonie et à la France d'inappréciables services à la fois général habile et éminent administrateur. «La persévérance des efforts, l'éclat des moyens, la grandeur des résultats, forcèrent ses plus ardents contradicteurs à s'incliner devant l'homme et devant les services rendus. Les récits des soldats rentrant dans leurs foyers le firent populaire. À un mouvement particulier des épaules, ils avaient deviné, dans ce général en chef, le grenadier qui avait autrefois porté comme eux le havre-sac. Son attentive sollicitude pour leurs besoins, ses ménagements pour leurs fatigues, sa résolution dans le danger, sa bonhomie, le leur avaient rendu cher. Ils l'appelaient affectueusement «le père Bugeaud» comme autrefois les vétérans de Louis XIV appelaient Catinat «le père la Pensée.»

Bugeaud était né en 1784, dans la Dordogne; engagé en 1804, dans les vélites du camp de Boulogne, il était caporal à Austerlitz (2 décembre 1805). Maréchal de France et duc d'Isly, après la bataille de ce nom (14 août 1844), il mourut en 1849 et couronna sa vie si glorieuse par une fin admirablement chrétienne.

CAFFARELLI

Il est des noms plus populaires, sans doute, que celui-ci, et cependant qui fut plus digne de sympathie et d'estime que ce héros dont son consciencieux historien, de Gérando, disait, en dédiant son livre aux instituteurs de la jeunesse française: «La mémoire de Caffarelli doit vous être chère. Personne plus que lui n'honora les fonctions touchantes auxquelles vous consacrez votre vie; il voulut s'y associer. Vous trouverez en lui un ami, vos élèves y trouveront un modèle. Puissent nos enfants être nourris dans la méditation de semblables exemples! Puissent-ils s'accoutumer de bonne heure à répéter avec transport le nom de nos grands hommes!.. Je n'ai pu que tracer la vie de Caffarelli; c'est à vous qu'il appartient d'en faire l'éloge et d'achever mon ouvrage; ou plutôt vous aurez fait bien plus que moi. Il devra à votre zèle la gloire dont il était le plus digne, celle d'avoir fait naître de nouvelles vertus par l'exemple des siennes.

«Placé par un heureux concours de circonstances au milieu de tous ceux qui ont approché Caffarelli, dit plus loin l'écrivain, j'ai entendu ce concert unanime et touchant de témoignages qui lui sont universellement rendus; je l'ai entendu peut-être du point le plus favorable et le plus propice pour en recueillir l'ensemble. Les regrets de l'amitié sont le plus beau monument que puisse conserver pour nous l'histoire de celui qui n'est plus; c'est un monument que j'ai consulté; j'y ai trouvé empreinte l'image de ses vertus… J'espère d'ailleurs que plus cet essai est étranger à toutes prétentions littéraires, mieux on y reconnaîtra le seul hommage rendu à la vérité par la droiture. Je n'ai pas eu d'autre motif, d'autre but que celui de transmettre aux âmes honnêtes l'émotion salutaire et douce que ces images ont fait passer dans mon cœur41

Caffarelli du Falga (Louis-Marie-Joseph-Maximilien), était né à Falga, dans le Haut-Languedoc (13 février 1756). Élevé à l'école de Sorrèze, il en sortit pour entrer dans le corps royal du génie dont il devint bientôt l'un des officiers les plus distingués. Quoique appartenant à une arme spéciale, «le jeune officier comprenait que les sciences exactes, lorsqu'elles absorbent seules toute l'attention de l'esprit, l'épuisent souvent par une habitude trop continuelle de l'analyse et que, le fixant plus sur des signes que sur des idées, elles arrêtent le développement des facultés méditatrices; mais associées en lui à un heureux mélange d'études, plus variées et plus riches de faits, elles reçurent par ce rapprochement même une utilité nouvelle. Les sciences morales donnaient le mouvement à ses idées; les sciences mathématiques les réglèrent. Celles-ci fortifièrent sa raison pendant que celles-là nourrissaient sa curiosité et exaltaient sa pensée.»

Très-bien! Voilà des paroles que les jeunes gens ne sauraient trop méditer. Continuons:

«Il était remarquable, sans doute, de voir un jeune militaire dans l'âge des plaisirs, placé sur une scène bruyante et entouré de tant de séductions, se livrer à des occupations aussi sérieuses. Cependant, elles ne donnèrent rien de sauvage ou de brusque à son humeur; elles ne l'enlevèrent point au commerce de ses camarades et de ses amis. Il sut, au contraire, y répandre tous les charmes qui naissent de l'égalité du caractère, de l'affabilité et de cet abandon naturel qui obtient la confiance en la prévenant… Caffarelli s'acquit donc l'affection et l'estime de tous ses camarades et de ceux-là mêmes dont les habitudes présentaient plus d'oppositions avec les siennes. Dans ce nombre, il en trouva aussi qui surent les goûter, les partagèrent et s'unirent à lui par les plus étroits rapports!»

Mais le jeune officier fut arraché brusquement à ses chères occupations par une terrible nouvelle, celle de la maladie de sa mère, la plus tendre des mères qui, d'après ce qu'on lui écrivait, était à toute extrémité. Le cœur navré, il accourut pour recueillir son dernier soupir et lui fermer les yeux, comme il avait fait pour son père quelques années auparavant. Il avait consolé sa mère mourante non-seulement par sa présence et ses soins affectueux, mais encore, mais surtout par la promesse qu'il serait lui, l'aîné, le tuteur, le père de ses frères et sœurs, au nombre de huit et dont plusieurs étaient fort jeunes encore. Il tint parole; il fit plus même. En sa qualité d'aîné, les lois lui assuraient plus de la moitié de l'héritage; il ne voulut point profiter de cet avantage, et déclara que le patrimoine serait partagé par portions égales entre tous. Il mit donc tout en commun ou plutôt, comme on l'a dit, il se réserva pour sa part toutes les privations et toutes les fatigues… Il pourvut à tous les besoins, et réglant l'administration du patrimoine, il en accrut la valeur par de sages améliorations.

Il avait dû faire, momentanément du moins, à ses devoirs de père de famille le sacrifice de sa carrière militaire et remettre pour un temps son épée au fourreau en devenant l'intendant de la fortune commune et aussi l'instituteur, le professeur des orphelins. Mais, dans son amour du bien, cette tâche ne lui suffisait pas, d'après ce que nous apprend l'historien contemporain. «Surpassant encore le célèbre exemple qu'a donné en Prusse un seigneur bienfaisant (de Rochow), en créant dans ses terres des établissements réguliers d'instruction, il voulut lui-même devenir l'instituteur des enfants de son village. Chaque soir, après le travail des champs, on le vit au milieu d'eux leur donner des leçons de lecture, d'écriture et d'arithmétique; il s'attachait particulièrement à leur enseigner la première des sciences, celle du vrai bonheur, en leur apprenant à aimer la vertu. Ses domestiques avaient part à ses instructions. Il ne se laissa ni rebuter par les fastidieux détails qu'elles entraînaient, ni détourner par ses autres affaires ou par ses propres études. Il associait ses frères à ses touchantes fonctions, il les faisait jouir des douceurs qu'il leur devait; et sa vie se partageait ainsi entre l'accomplissement des devoirs modestes et sublimes qui appartiennent à une bienfaisance éclairée et les sentiments de la nature.»

Cependant, le congé de Caffarelli, prolongé à diverses reprises, enfin expiré, il dut rejoindre sa compagnie à Cherbourg. Bientôt la révolution éclata, le jeune du Faya se montra sympathique à quelques-unes des idées nouvelles qui devaient amener, dans sa conviction, la réforme de graves abus. Mais, d'ailleurs, il sut toujours se défendre de l'exagération et témoigna hautement en toute occasion de son horreur pour les violences et les excès, fût-ce même au péril de sa vie; en voici la preuve:

Lors du décret rendu par l'Assemblée législative, le 10 août, et qui prononçait la déchéance du Roi, Caffarelli se trouvait, en qualité d'adjoint à l'état-major, à l'armée du Rhin, que commandait Biron. «Il opposa seul aux commissaires une résistance énergique et motivée,» protestant contre le décret qu'il déclarait injuste et inconstitutionnel. Il ajoutait que, quant à lui, jamais il ne pactiserait avec les factieux et les anarchistes. Destitué pour cet acte courageux par les commissaires, il s'enrôla comme simple soldat dans une compagnie de grenadiers; exclu par suite d'un décret de l'Assemblée ordonnant à tous les officiers suspendus de s'éloigner de la frontière, il revint à Paris. À peine arrivé, il se vit emprisonné; mais, comme par miracle, oublié dans la prison, et non traduit devant le tribunal révolutionnaire, il recouvra sa liberté après une détention de quatorze mois. – Employé quelque temps dans les bureaux du comité militaire, il obtint de retourner à l'armée du Rhin, commandée maintenant par Kléber qui, plus d'une fois, eut occasion de l'apprécier, mais surtout en septembre 1793, au passage du fleuve, près de Dusseldorf. Peu de temps après, Caffarelli fit preuve du même sang-froid intrépide sous les yeux d'un autre non moins bon juge, l'héroïque Marceau. Lors du passage de la Nahe, près de Creutznach, Caffarelli commandait une manœuvre, quand un boulet de canon lui brisa la jambe gauche; l'amputation reconnue nécessaire, le blessé la subit avec une fermeté stoïque et vit, sans un soupir, emporter la pauvre jambe mutilée que devait remplacer une jambe de bois. À peine l'opération terminée, «il demanda du papier, et, de sa main propre, écrivit au général Marceau une lettre détaillée sur les moyens qu'il jugeait les plus propres à contenir l'ennemi. Son héroïsme obtint la récompense la plus digne de lui; son conseil fut suivi et le détachement fut sauvé.»

Le vaillant soldat guéri, malgré l'embarras de la jambe de bois, n'en continua pas moins le service d'activité. Lors de l'expédition d'Égypte, choisi tout d'abord par Bonaparte comme un des officiers les plus capables, il fut chargé de la direction en chef du génie. En outre de ce qui concernait ces fonctions, il chercha, dit un biographe, à s'assurer tous les moyens de transporter les éléments de notre industrie dans la colonie nouvelle, soit pour satisfaire aux besoins de l'armée, soit pour accélérer cette civilisation des peuples orientaux qui était, dans cette expédition, sa pensée dominante.

Durant toute cette campagne laborieuse autant que pleine de périls, il donna l'exemple du courage, de l'abnégation, du dévouement héroïque; et cependant, au dire de quelques historiens (entre lesquels il ne faut point compter Gérando), Caffarelli n'était pas populaire dans l'armée parce qu'on l'accusait d'être l'un des auteurs de l'expédition. Les soldats soulageaient leur mauvaise humeur par une plaisanterie d'ailleurs assez innocente, murmurant, lorsqu'ils voyaient passer le général traînant sa jambe de bois: «Celui-là se moque bien de ce qui arrivera, il est toujours sûr d'avoir un pied en France.»

D'un autre côté, Caffarelli était l'objet d'une haine particulière de la part des indigènes qui, le voyant diriger tous les travaux, le regardaient comme un personnage des plus influents. Lors de la révolte du Caire, il courut risque de la vie; sa maison fut mise au pillage, et l'on y brisa tous les instruments de mathématiques et d'astronomie apportés d'Europe à grands frais. Le lendemain, les amis de Caffarelli lui témoignant leurs regrets de la perte irréparable pour lui de ces trésors et des précieux matériaux qu'il avait réunis déjà, il répondit simplement: L'armée et l'Égypte ont été sauvées!

Caffarelli, comme Kléber, ne devait pas revoir la France. Au siége de Saint-Jean-d'Acre, il se trouvait, pour son service, dans un poste des plus périlleux. Renversé de son cheval et foulé aux pieds à plusieurs reprises, toujours il se relevait, obstiné à commander, lorsqu'une balle lui fracassa le coude. L'amputation, cette fois encore, fut jugée nécessaire; elle semblait avoir réussi; mais le chagrin que le blessé ressentit de la mort d'un officier, son ami, comme lui transporté à l'ambulance, provoqua une réaction fatale que toute la science des médecins fut impuissante à conjurer, et Caffarelli succomba le 27 avril 1799. Dans l'ordre du jour du lendemain on lisait: «Il emporte au tombeau les regrets universels; l'armée perd en lui un de ses chefs les plus braves, l'Égypte un de ses législateurs, la France un de ses meilleurs citoyens, les sciences un homme qui y remplissait un rôle célèbre.»

Ce témoignage, à la vérité officiel, prouve que le général était mieux apprécié par les soldats qu'on a pu le penser d'après les paroles rapportées plus haut. Mais voici qui le prouve mieux encore: le désir de reconnaître par lui-même un des points les plus importants de la géographie de l'Orient, avait engagé Bonaparte à se rendre à Suez (4 nivôse an VII), avec Monge, Berthollet, Costal et du Falga Caffarelli. On avait traversé la mer Rouge, près de Suez, à un gué praticable seulement pendant la marée basse. Au retour, la marée commençant à monter, on dut prendre un autre chemin en s'éloignant du rivage. Mais par une erreur du guide, on s'égara au milieu de marais profonds, entre lesquels donnait passage seulement un sentier fort étroit. Plusieurs des chevaux trébuchèrent et s'enfoncèrent dans la bourbe, d'où il fut impossible de les retirer. Il en fut ainsi de celui que montait Caffarelli qui, à cause de sa jambe, n'ayant pu descendre à temps, courait le plus grand danger. Deux guides (soldats) du général en chef, l'aperçoivent et s'efforcent d'arriver jusqu'à lui.

«Mes amis, leur crie Caffarelli, il n'y a aucun moyen de se dégager d'ici, éloignez-vous et n'enlevez pas trois hommes à la patrie lorsque vous pouvez en sauver deux.»

Ces généreuses paroles, au lieu de décourager les braves soldats, ne font qu'exalter leur dévouement. Ils continuent intrépidement d'avancer, et par des efforts presque surhumains, parviennent à sauver la vie au général, cette vie qui promettait encore de si grandes choses; mais qui, pour le malheur de la France, devait bientôt toucher à son terme.

La Vie ou l'éloge de Caffarelli par de Gérando, le document le plus important comme le plus sûr de tous ceux que nous avons pu consulter, fut lue deux années seulement après la mort du général, devant la seconde classe de l'Institut national (12 messidor an IX). Là, comme ailleurs, régnaient encore les préjugés dominant à la fin du siècle précédent, et qui avaient amené tant de catastrophes. Aussi l'historien, qui devait être moraliste chrétien si distingué, se montra-t-il fort discret relativement aux convictions religieuses de son héros. Mais le peu qu'il en dit suffit pour relever encore Caffarelli à nos yeux, parce que ce passage, explicite déjà dans sa brièveté, nous permet de penser davantage:

«Une personne avait fixé son cœur, mais ne répondit point à ses espérances. Dès ce jour, il renonça à l'hymen et chercha sa consolation dans les soins qu'il prit de sa famille. Mais vivant dans le célibat, il y conserva des mœurs pures.

39.Lettre à Racine.
40.Il était né à Dourdan en 1639. Il venait d'acheter une charge de trésorier de France à Caen, lorsque Bossuet le fit venir à Paris pour enseigner l'histoire à M. le Duc, (fils du prince de Condé).
41.De Gérando. Vie de Caffarelli; in-8º, 1801.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
410 s. 1 illüstrasyon
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