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Kitabı oku: «La Becquée», sayfa 10

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– C'était une plaisanterie, dit Félicie.

– C'était la pure vérité, dit Casimir.

– Mais, malheureux! qu'allez-vous manger?

Il se leva, prit le dossier de la chaise de rotin, la balança, en regardant le ciel, et il dit:

– «Aux petits des oiseaux, il donne la pâture…»

Ces dames le contemplaient. À la stupéfaction de leur regard, il se mêlait une sorte de respect pour le don merveilleux d'insouciance qu'avait reçu cet homme.

– Enfin, soupira Félicie, il vous reste que le bonhomme est taillé pour gagner la centaine: tant qu'il vivra, vous aurez toujours le couvert…

– Certainement, dit Casimir, certainement!..

On s'en tint là pour cette journée.

Enfin une lettre de madame Leduc arriva. Félicie fit un soubresaut en déchiffrant le timbre.

– Tiens, dit-elle à Casimir, votre soeur est donc à Langeais?

– Mais oui.

– Ah!

Langeais, ce 19 juin.

«CHÈRE FÉLICIE,

«Grâce à Dieu, voici enfin une minute de loisir, et je ne saurais la mieux employer qu'à vous donner une marque nouvelle de ma toujours fidèle et bien affectueuse sympathie. Comment va votre chancelante santé? Vous savez comme elle m'est précieuse. Ah! n'étaient de plus impérieux devoirs, combien volontiers j'eusse été m'en informer moi-même, aux côtés de mon frère courbé sous les épreuves! La Providence en a décidé autrement; elle nous dicte notre conduite à chacun. Soyons les serviteurs aveugles des grandes causes. Obéissons sans murmures!

«J'ai à vous informer d'une petite révolution que j'ai accomplie ici, ou mieux, et pour éviter l'emploi de ce mot démagogique, d'une mesure de salubrité indispensable à la dignité d'une maison rendue sacrée, j'oserai le dire, par la présence d'un vieillard vénérable et qui se prépare à la mort.

«Je ne doute pas que notre chère Célina – qui a été à même de juger de visu– ne vous ait parlé d'une certaine Bringuet, intrigante de profession, sans pudeur comme sans foi, et remplissant, près de notre excellent oncle, les fonctions de gouvernante. Cette créature éhontée, placée entre deux hommes, l'un affaibli par l'âge, et l'autre dont nous connaissons, hélas! le caractère débile, était parvenue – par quels moyens, grand Dieu! je lui fais la charité de ne point les examiner! – à posséder la haute main sur l'ensemble des affaires de la maison. Relations, fournisseurs, maniement de la fortune mobilière, tout y passait. Résultats: un coulage désastreux, la ruine à bref délai et, très probablement, la constitution d'un formidable magot dans le bas de la demoiselle. Combien de fois ai-je dit à Casimir: «Mon ami, ouvre l'oeil!» Casimir haussait les épaules, objectait l'ordre apparent, la santé du vieil oncle, le danger de rompre ses habitudes. Bref, un homme pieds et poings liés à cette sirène d'eaux ménagères! Pour elle, pas plus de secrets que pour l'oreiller; les embarras du moulin étaient sa chose. «Casimir, Casimir! cette fille te trahira!..» Il me riait au nez. On méprisait mes avis; et qu'arrivait-il? Il arrivait que le ver, poursuivant son oeuvre souterraine, rongeait pour jamais, par sa base, l'espoir de mon imprudent et coupable frère. Au prix de quelle stipulation ténébreuse la domestique a-t-elle exécuté sur la fortune de son maître ce tour de passe-passe qui l'a fait disparaître à la bouche même de l'affamé? Je l'ignore. Mais le tour a été joué. Il n'était que temps. Le bruit du moulin de Gruteau devenait sinistre. Casimir dormait sur les deux oreilles. Mademoiselle Bringuet devait rire en chantonnant: «Meunier, tu dors…» Quand il s'éveilla pour frapper à la caisse, M. Goislard n'avait plus, à lui appartenant, que ses hardes et ses béquilles.

«Mince événement, chère amie, quand on le compare à notre salut! Casimir a eu bien tort de s'en fâcher et de bouder, et surtout de récriminer tout haut, de façon à s'attirer de son oncle l'algarade après laquelle il aura beaucoup de mal à rentrer en grâce, que dis-je? à remettre les pieds à la maison!

«Dieu merci, je suis là. Par ma présence continue, par des soins éclairés, une femme peut beaucoup obtenir; et la religion, que le cher vieillard embrasse, enseigne l'indulgence et le pardon. Donc, espoir, mais patience! Il faut d'abord laisser se cicatriser la blessure causée par l'exécution de mademoiselle Bringuet.

«Car c'est fait. Et me voici dans la place. La tâche sera ingrate, mais le contentement de la conscience et les joies du coeur sont le vrai, le seul paiement des sacrifices.

«Ma brave et charmante amie madame Letermillé m'a secondée dans l'aride besogne. Je l'aurai souvent, je l'espère; sa grâce et sa beauté dérident le maître de la maison; les jeux de l'enfant avec la soubrette le rajeunissent. Il est convenu que mes enfants et petits-enfants viendront passer les vacances. Inutile d'ajouter que notre voeu le plus cher serait de vous voir vous joindre à eux. Nous donnerons des dîners et nous recevrons, comme du temps de Casimir. Je ne veux modifier en rien les habitudes de notre vieux parent bien-aimé. Puisse le ciel prolonger de longues années sa vie désormais édifiante, et la vôtre, chère Félicie! Je ne lui demande point d'autre récompense.

«Recevez, chère Félicie, etc.

«VVE LEDUC.»

C'était vers la fin du déjeuner. Le Cupidon était assis sur la pointe des deux aiguilles et visait, de sa petite flèche d'or, la photographie aux beaux yeux paisibles. Les stores baissés, de leurs mille raies de lumière et d'ombre, nous composaient l'atmosphère exquise des intérieurs d'été. On entendait sur le toit du pignon pointu le roucoulement des pigeons et, de plus loin, le chant des poules pondeuses, et, de presque partout, cette douce sonorité bienheureuse des choses qui chauffent au soleil. Au bord des tasses à café, les mouches, la tête en bas, pompaient la fine mousse blonde; d'autres, rappelant de vieilles dames aux voiles de crêpe, pénétraient dans le sucrier blanc, comme dans une église neuve, et, là dedans, trafiquaient, se bousculaient, se chevauchaient, parfois expulsaient l'une d'elles tout à coup, pour quelque mystérieux scandale dont les commentaires faisaient bruire les parois de porcelaine.

Félicie lut la lettre sans donner aucun signe d'étonnement, d'indignation ou de douleur. On voyait, au travers des lunettes, la chair grossie des paupières immobiles; seul, un coin de la lèvre supérieure, à droite, battait, comme un pouls. Elle passa le papier bordé d'un mince filet noir à sa soeur, qui le passa à mademoiselle Adélaïde, et ainsi de suite. Quand chacun en eut pris connaissance, Félicie le jeta à Casimir.

On se leva. Pas une parole n'avait été prononcée; aucune ne le fut, sinon celle-ci, lorsque Casimir voulut ouvrir la bouche:

– Taisez-vous.

Et Félicie, en le regardant, quoiqu'elle fût de sa taille, semblait le regarder tout petit et par terre. Elle ne pouvait plus désormais éprouver de colère contre lui: il était garanti par l'excès même de sa sottise et de sa misère.

Pour tout autre que Casimir, c'était le moment de s'écrier: «Je suis sauvé!» Mais il n'avait ni malice, ni esprit de calcul. Il se confiait simplement à sa destinée qui n'avait jamais failli à le rasseoir en bonne place, aussitôt touché le fond du gouffre. Tel était l'élan communiqué par le coup de pied reçu à Langeais, que l'expulsé défonçait la porte d'entrée de Courance. Un toit valait l'autre.

XI
«ENTREZ! ENTREZ!.. TANT QU'IL Y AURA DU PAIN DANS LA HUCHE…»

La résignation de Félicie nous effraya plus que sa colère.

Elle jouait aux cartes avec Casimir!

Ils étaient assis l'un vis-à-vis de l'autre, à une petite table ovale; le matin, l'après-midi, le soir, tous les jours de la semaine hormis celui où venait M. Laballue. Les termes du bésigue et du piquet s'élevaient seuls dans le salon d'utrecht, avec les gazouillements des jetons d'ivoire. Grand'mère et ces demoiselles osaient à peine regarder les deux partenaires, et tremblaient.

On était presque plus à l'aise quand la douleur physique faisait crier Félicie. Alors, elle jetait les cartes et allait se tordre sur le canapé. On avait descendu le paravent, malgré l'été; elle dissimulait sa torture derrière les images grotesques, et elle se piquait à la morphine. On entendait s'amollir sa plainte, et ses soupirs se régulariser et décroître, puis se relever en un souffle de bien-être ou d'extase. Et elle reprenait le jeu qui lui trompait l'attente de la mort.

Il n'était plus question de rien. Il semblait que la vie morale nous manquât totalement. Ce qui eût, autrefois, retourné la maison, ne parvenait pas à soulever une onde sur l'accalmie plus inquiétante, à vrai dire, que la tempête.

Un jour, l'oncle Planté surprit Casimir qui pinçait Valentine, dans le corridor. Il jura si fort que tout le monde accourut, même Félicie; et l'on comprit. Personne ne dit mot. L'oncle lui-même se tut.

On laissait parler Casimir à table; on lui permettait de prendre la voiture pour aller au moulin ou chez son notaire. Un de ses créanciers sonna, un matin. Il le reçut sous les noisetiers. De son fauteuil, Félicie apercevait les deux hommes qui discutaient.

– Quand le ciel croulerait, soupirait-elle, qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse?

– Félicie! voyons, tu ne dis pas ce que tu penses!

– Moi? Ah bien! je vous prie de vous imaginer qu'à mon âge les illusions sont tombées! Je l'ai déjà répété cent fois: je ne crois plus à rien de rien.

Elle n'avait pas mis le pied hors des murs, depuis son retour de Paris. Ses jambes la trahissaient; à cause de ses crises fréquentes, elle redoutait même une sortie en voiture. Adieu les tournées dans les fermes, les promenades sous les noyers, les haltes sous les vieux sapins ou au dolmen! Elle pouvait marcher jusqu'aux abeilles, et revenir. C'est là qu'elle allait volontiers:

– Bonjour, leur disait-elle, vous me reconnaissez donc encore? Allons, travaillez bien… Et puis, ne vous étonnez pas trop si vous ne me voyez plus.

Quel regard, lorsque, penchée sur la canne fourchue, elle considérait l'allée fuyant au fond du jardin, sous les lilas, où il fallait s'abstenir de risquer un pas de plus, sous peine de se faire traîner pour revenir, comme une bourrée de bois mort!

– Écoute, mon petit, écoute!

Elle entendait la pluie que répandaient les arrosoirs de Fridolin, et en même temps le bruit d'une bêche:

– Va voir, mon petit, si c'est ton oncle Planté qui bine les poiriers.

J'espère bien qu'ils ne m'ont pas pris encore un homme de journée…

Elle prétendait ne plus croire à rien!

Un des secrets tourments de ces dames était de n'avoir pas su contraindre la malade à retourner à Paris. Peut-être eût-il été encore temps de l'opérer, bien que le chirurgien eût déclaré la chose urgente: «Quand on pense qu'à l'heure qu'il est, Félicie serait sauvée!..» Une lettre alarmée arriva de Paris. La croissance d'Adrienne nécessitait une opération nouvelle: «Oh! un rien! Mais, avec ces satanées histoires-là, est-on jamais parfaitement tranquille? Et les frais, grand Dieu!..» Deux jours après, une dépêche: «Ange succombé dans nos bras. Fous de douleur.» Cette fois-ci, Milwaukee avait échoué.

– Vous voyez ce que c'est! dit Félicie. Mourir pour mourir, autant s'en aller à son heure.

Elle envoya des secours à Paris et oublia, dans sa lettre, son dernier ressentiment contre Philibert. Le malheureux écrivit des pages éperdues, à donner des inquiétudes pour sa raison. On l'invita à venir se remettre à Courance. Il télégraphia: «Avec ma femme?» Félicie fit répondre: «Avec ta femme.» Ils arrivèrent. Leur chagrin était indescriptible, leur détresse complète. Le tableau du Salon, vendu trois cents francs au brocanteur, pour les honoraires du médecin; les études, la dernière pochade, pour les frais de l'église. Au moins, la petite chérie avait eu un enterrement convenable; quant au monument, on verrait plus tard.

Philibert et sa femme furent installés au premier étage de la maison neuve. Marceline était une femme commune, que la timidité, la peine, et aussi l'ivresse de se voir à Courance, excitaient à parler beaucoup, de tout, sans cesse, à tort et à travers. On ne pensa presque pas à s'en choquer; pas plus qu'on ne songea qu'on s'était battu, une année entière, à propos de l'admission de cette femme à la maison. On n'en était plus à faire la petite bouche.

Félicie avait adopté quelques phrases qu'elle répétait: «Quand le ciel croulerait…» «Entrez! entrez…! tant qu'il y aura du pain dans la huche…», allusion à l'hébergement forcé de Casimir, du ménage parisien, de la future famille de mon père. Lorsqu'elle causait toute seule avec M. Laballue, elle parlait souvent de «faire la part du feu».

Mon père annonça que son mariage était fixé au 1er septembre.

– C'est un excellent moment, dit Félicie, pour le voyage de noces.

– Oh! nous n'irons pas loin. Comme la cérémonie doit avoir lieu à Paris, nous nous contenterons d'y séjourner un peu.

– À Paris?

– M. Pope, oncle et tuteur, a conservé son domicile légal à Paris. Je préfère, d'ailleurs, à tous égards…

– Parfaitement! parfaitement!

Après mille précautions oratoires, il demanda la permission de présenter sa fiancée. Félicie jeta un: «Ma maison est ouverte!» qui lui coupa la respiration.

Ces manifestations de libéralisme affecté faisaient courir des frissons sur les épaules. L'intransigeance de jadis nous eût paru bien préférable.

Mon père tournait son chapeau, comme un paysan. Il hésitait; il balbutia:

– Mais… c'est que…

Elle vint à son aide:

– C'est qu'elle ne peut pas venir toute seule?.. Que les Pope l'amènent! Entrez! entrez!..

La veille du jour fixé pour la visite, Félicie commanda d'ouvrir le grand salon, et Fridolin parut, les bras en croix, entre les persiennes repliées. La mine de ce serviteur dévoué s'effondrait en même temps que la figure altière de Courance. Il avait vieilli plus que Félicie. Il prononçait à tout propos des jugements sombres. Il aspira l'air par sa brèche, et dit:

– Il me semble que je livre les fortifications de la ville de Metz.

– Plaît-il? dit Valentine qui battait déjà les meubles.

– Suffit, jeunesse!

Malgré le mal que l'on se donnait pour être calme, la prochaine entrée des Pope à Courance causait de violentes palpitations. Grand'mère me prit par la main et me mena devant la photographie:

– Mon enfant, te rappelles-tu ta maman?

– Oui.

– Eh bien! mets-toi cela dans la tête: quoi qu'il arrive, et quoi qu'on te dise, tu n'auras jamais qu'une maman; c'est celle-là. Il n'y en a pas de meilleure ni de plus belle. C'était une sainte; elle est au ciel; elle te voit. Allons! promets-lui que tu l'aimeras toujours.

Je joignis les mains et je dis:

– N'aie pas peur, maman; l'autre, c'est bon pour papa, mais moi…

– Ce n'est pas comme cela qu'il fallait t'exprimer, dit grand'mère, mais enfin, c'est bien. Allons, tiens-toi propre, et sois poli quand on t'embrassera.

Ce fut vers quatre heures que fut signalé le roulement de la voiture. Valentine courut à la grille, pour être bien sûre, et elle remonta l'allée en hurlant:

– V'là les Pope! V'là les Pope!

Chaque pas du cheval trottant sous les ormes nous heurtait la poitrine. Au sortir de l'allée, on reconnut la victoria de mon père. À côté de lui: du rouge et des cheveux noirs. Point de Pope.

La voiture, évitant les communs, vint par l'esplanade sablée, et s'arrêta devant le perron. Mon père sauta, mais un peu tard pour présenter la main, et la robe rouge, prise au marchepied, découvrit une jambe, fine et longue, jusqu'au genou.

Nous vîmes cela du petit salon. Quelqu'un fit: «Aïe! aïe!» comme lorsqu'on est piqué d'une aiguille, et une grimace passa sur les visages.

– C'est heureux, dit grand'mère, que le marchepied ne soit pas plus haut!

Mon père monta le perron, ému, pâle comme son gilet.

Les Pope avaient dû partir pour Paris, en vue des préparatifs urgents. Mademoiselle les rejoindrait sous peu; elle s'était soumise à un désir d'escapade, d'une incorrection!..

– Un enlèvement! dit-il.

Les lèvres murmuraient:

– Charmant! charmant!

On fut tout de suite sans façons. On m'embrassa, avec force compliments. C'était la deuxième femme, pour moi, qui sentît si bon. Le salon fut promptement imprégné de son parfum. Elle avait des cheveux luisants, épais, bouillonnants, débordants; des yeux deux fois plus grands que les nôtres; un petit front; une bouche tout en dehors, étroite, écarlate. Quand elle souriait, ses dents étaient plus claires que le jour.

Elle avait un brimborion d'accent étranger, un rien, une résonance ancienne demeurée à la voûte du palais, une musique entendue d'au delà de l'eau. C'est elle qui parlait le plus, car elle était le moins embarrassée. Évidemment, on lui trouvait «mauvais genre», mais le trouble qu'elle répandait par son étrangeté nous gagnait. Je ne voulais plus m'en aller de ses jupes; je la respirais de toutes mes forces; je me laissais asseoir sur ses genoux, et, quand elle me pressait, je restais le nez contre son corsage. En m'embrassant, elle me causait un plaisir extraordinaire.

Mon père triomphait, et les couleurs lui revenaient, quoiqu'il eût un regard d'homme ivre. Les pauvres figures de ces dames faisaient peine à voir.

On se leva pour passer à la salle à manger, où des rafraîchissements étaient préparés. On s'étonnait que la créole fût si peu prodigue de détails sur la Nouvelle-Orléans. Car on se la figurait élevée au milieu des rizières, des nègres, des serpents boas. Elle avait vécu vingt-deux ans à Paris.

– Cela ne me rajeunit pas! disait-elle.

Elle connaissait beaucoup les peintres; pas Philibert, toutefois. Mais il ne s'en froissa point, et ils parlèrent ensemble d'expositions.

– Et vous ne regrettez pas Paris?

– On y est si méchant! dit-elle.

Félicie s'excusa de ne point nous accompagner au jardin; grand'mère tint à rester près de sa soeur; les vieilles tantes s'étaient éclipsées ainsi que l'oncle Planté. Ce fut Casimir qui assuma le rôle de cicérone; et il semblait montrer sa propriété.

La créole ondulait devant nous, ployant la taille pour éviter les branches, ou tendant la joue, soudain, à la caresse d'une pointe de feuille. Elle se retournait et abusait de son rire facile. Près des abeilles, elle ramena des deux mains sa robe en avant, et courut comme une fillette. Félicie et grand'mère, assises sous les noisetiers, la regardaient de loin. Mon père me dit:

– Dans quelques jours, elle sera ta maman. Est-ce que tu l'aimeras?

J'avais envie de dire oui, à cause de sa bonne odeur; mais je me souvins de la leçon de grand'mère. Il en eut le soupçon et reprit d'un ton impératif:

– Il faut que tu l'aimes. C'est moi qui te le dis. Je suis ton père, sacrédié!..

Nous ne les vîmes plus avant le mariage. Mais grand-père Fantin, qui consultait M. Clérambourg, nous donna des nouvelles. Les Pope, partis pour Paris, ne devaient plus revenir à Beaumont. Le château de la Roche était en vente, – le pays, entièrement exploré, n'offrant plus d'attraits à madame.

– Ces insulaires, disait M. Clérambourg, ont du mal à s'acclimater dans nos petits endroits; il leur faut du neuf tous les matins. Nadaud va perdre une bonne maison…

– Il en a pris la fleur, dit Casimir.

– Elle lui coûtera cher, dit M. Clérambourg.

On sut, en effet, que non seulement le marquis de la Frelandière, mais la plupart des maisons nobles, et plusieurs propriétaires catholiques lui avaient retiré leur clientèle. La valeur de son étude s'en trouvait singulièrement diminuée. De dépit, n'affichait-il pas des opinions démocratiques?

– Parfait, disait M. Clérambourg, quand vous avez la bonne fortune de trouver des capitalistes assez excentriques pour vous soutenir; mais, dans l'état actuel de la propriété foncière, les idées avancées sont incompatibles avec le notariat.

Casimir développait ce sujet avec complaisance, car c'était détourner l'attention de ses affaires personnelles. La table, augmentée d'une rallonge pour les trois bouches nouvelles, restait silencieuse; on baissait le nez dans son assiette et relevait un oeil furtif sur Félicie. Elle ne bronchait pas.

Une seule chose semblait la préoccuper désormais: la morphine et le nombre des piqûres autorisées. On avait dû lui arracher la seringue, ainsi que le petit flacon de baume souverain et mortel, car elle en abusait. Cette exécution s'était faite, un mercredi soir, Sucre-d'Orge étant monté sur ses grands chevaux et ayant parlé à sa vieille amie comme à un animal indompté; l'oncle Planté, Philibert et toutes les femmes formant cercle autour d'elle et frappant du pied. Scène affreuse. On avait vu, pour la première fois, Félicie pleurer. Elle avait cédé à la force, et remis entre les mains de sa soeur l'étui plat en maroquin noir. Depuis lors, elle pleurait quelquefois, pareille à une enfant privée de sa poupée, et redemandait la chose avec des minauderies gentilles et puériles, plus atroces que des cris. Grand'mère allait avec elle derrière le paravent et la piquait. Dans la griserie du soulagement, il arrivait que Félicie embrassât sa soeur.

Le paravent prenait l'aspect d'une clôture sacrée derrière laquelle se passaient des scènes mystérieuses. Je n'osais plus en déchiffrer les légendes. Les messieurs au bain, les curés de village, les mamans-canards, ne donnaient plus envie de rire.

Félicie m'envoyait avec Philibert dans les fermes. L'application du malheureux à s'initier à l'agriculture était touchante. Il interrogeait les femmes dans les champs; il faisait causer les enfants au bord des chemins, afin de surprendre les notions par trop élémentaires dont il n'osait avouer l'ignorance: l'époque où l'on sème le blé, où l'on fume la terre, où l'on taille la vigne, où l'on doit rentrer les regains. Mais son cerveau était rebelle à tout cela; souvent il écoutait mal ce qu'il s'était donné tant de peine à demander, et il demeurait absorbé par quelque particularité pittoresque de la personne qui lui parlait. Bien des fois aussi, tout en marchant, tout en causant, quelque chose comme un flot lui montait à la gorge, et il détournait la tête: c'était le regret d'Adrienne, qui se gonflait dans son coeur. Il restait maladroit dans les rapports que nous faisions à Félicie, et il était humilié parce qu'elle m'écoutait de préférence.

Quand elle nous ordonnait de lui ramener Pénilleau, Cornet, ou le père Moreau, elle humait sur les épaules du paysan, par-dessus le livre de comptes, l'odeur de chacune de ses terres, de chacune de ses étables, et elle en évoquait avec une précision minutieuse les plus infimes détails, comme un exilé qui pense au jardin de son père. Elle ne congédiait plus ses hommes sans leur dire:

– C'est peut-être la dernière fois que nous comptons ensemble; mais, que j'y sois ou que je n'y sois plus, il n'y aura rien de changé.

On interprétait de différentes façons ces paroles ambiguës. L'interroger sur l'avenir semblait encore prématuré et de mauvais goût. Elle-même ajoutait parfois ce commentaire:

– Qu'est-ce que je suis, moi? rien. Qui est-ce qui vous nourrit? c'est Courance.

On le savait bien; et c'était Courance que tous convoitaient.

Cet appétit naturel se dissimulait à peine depuis que Félicie baissait. Casimir était certain de prévoir la teneur du testament, à un legs près. Il s'interdisait d'être trop optimiste: les parents âgés ne devaient compter que sur une petite rente… à moins que la nécessité, surgissant des affaires du moulin de Gruteau, ne forçât la main à la testatrice: «Avec le tiers d'une ferme, elle comblerait le trou!..» Selon lui, «Courance serait partagé en deux moitiés divises ou indivises, attribuées aux deux neveux: Philibert, d'une part, et le petit, de l'autre, venant en représentation de feu sa pauvre mère».

– Du petit, n'en parlons pas: Nadaud sera là qui prendra les intérêts de son fils et qui, personnellement, aura faim pour plusieurs. J'ai tout lieu d'espérer que Philibert se conduira bien avec nous…

– Mais, l'oncle Planté? disait grand'mère.

En effet! on l'oubliait toujours. Cependant, il était probable qu'il garderait, sa vie durant, la jouissance de toute la fortune.

– La mort de sa femme, quoi qu'on en pense, sera pour lui un grand coup.

– Il a toujours eu l'habitude de vivre dans son ombre.

La plus acharnée à connaître son sort à venir était la vieille tante Gillot, la centenaire. Elle venait fréquemment, depuis le voyage de Paris, sous prétexte de demander des nouvelles, et la peur qu'elle avait que l'on touchât à la rente que lui servait Félicie perçait sous toutes ses interrogations. Elle eut plus d'audace que les autres et ouvrit la brèche en parlant presque nettement. Tout le monde s'y précipita:

– Un malheur est si vite arrivé! Félicie, vois-tu, il n'est jamais trop tôt pour mettre ordre à ses affaires…

– Tout est en ordre, nous le savons bien. Ah! certes, ce n'est pas la confiance en toi qui nous manque!

– Mais c'est précisément cette confiance aveugle que nous avons en toi, qui nous fait redouter de tomber entre les mains de Dieu sait qui!

– Il est bien évident que nous pouvons tous disparaître avant toi, mais, notre chandelle éteinte, à nous, personne ne s'en apercevra: tandis que…

Félicie regarda une à une toutes les bouches et dit:

– Vous aurez à manger.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
200 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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