Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Le Médecin des Dames de Néans», sayfa 5

Yazı tipi:

X

Revenant le soir des Veulottes, en son petit tape-cul, Esculape résolut de mettre le feu aux poudres.

Il laissa passer devant la voiture Durosay, qui contenait Septime entre Monsieur et Madame, parmi des couvertures et des châles, et chatouillant du bout du fouet la bonne vieille Rossinante au cou, il regardait les oscillations de la capote du cabriolet que balançaient les ornières et les cailloux du chemin communal. Dans cette capote, il y avait les éléments de son œuvre, qui, pour le moment, mijotaient. Il penchait la tête un peu sur le côté et ne détachait pas ses yeux de cette chose oscillante, ainsi qu'il vous arrive pour un objet chéri. Qui donc eut jamais un quart d'heure pareil à celui qu'il passait? Peut-être quelques utopistes ou hommes de génie, parmi ses confrères, qui crurent tenir ou tinrent un remède neuf et paradoxal alors qu'ils s'en venaient de l'administrer secrètement et supputaient avec un peu d'angoisse et beaucoup de minutie les petits progrès ou les défaillances, les imperceptibles résultats ou les effets contradictoires, les chances enfin de succès ou le probable fiasco accablant. Rossinante trottait d'une allure monotone et sûre de bête avancée qui sait, depuis beau temps, que tout chemin mène à l'écurie.

Déjà, il pensait au mémoire, joliment tourné, ma foi! qu'il adresserait peut-être de sa cure étrange à l'Académie; aux chuchotements de ces messieurs graves sitôt brisé le cachet de la communication leur provenant de la petite ville de Néans, en province; à leurs manières si distinguées, si discrètes de discerner d'un coup la farce d'un plaisant, de n'en être nullement choqués, et le soir, en ville, par manière de divertissement, d'en causer à table. Le petit reporter, qui est toujours là, se saisissait de l'aventure et c'était, dès le lendemain, des gorges chaudes en première page, une popularité de bouffon assurée au docteur rabelaisien nommé Grandier, de province. Car tout ce qui touche à la vie libre et franche, amoureuse et saine, en France, est rabelaisien; tout ce qui est rabelaisien fleure l'obscénité; seul Rabelais est inconnu.

Esculape haussait les épaules tout en souriant et sautant sur les semis de cailloux de la route de Néans. Cependant il éprouvait l'amertume légère que ressentirent tous les obscurs qui dévièrent du chemin commun; l'instant de faiblesse en face de l'opinion qui va se mettre contre, et le curieux vertige de la solitude de pensée. La capote allait se dandinant avec mollesse sur les ressorts excellents, image de la bonne vie confortable et garantie contre les heurts par tout ce que la prévoyance humaine inventa d'assurances.

Le long ruban de la route se déroula sous la lune, qu'un nuage découvrait; du même coup, les étoiles apparurent dans le beau ciel d'été, et les grandes plaines moissonnées où les blés étaient couchés en gerbes. Une odeur de force, d'énergie calme, de soumission directe aux ordres les plus hauts, émanait de toute cette nuit et de toute cette terre aux fruits mûrs cueillis. Si le fermier n'ensemençait pas cette terre, il faudrait remplacer le fermier; et si cette terre se refusait à pousser des fruits, qui hésiterait à faire la dépense qui la rendra féconde? «Il faut agir! il faut aimer! continuait le docteur, quasi tout haut, achevant une série de pensées; il faut que le cœur jeune reçoive un afflux excessif, et palpite comme s'il allait se rompre, pour garder l'impulsion jusqu'à l'extrême vieillesse. Il faut que la chair tressaille jusqu'à être harassée, pour ne pas garder cet aspect fadasse et misérable de toute chose demeurée à l'écart de son destin, de la terre non retournée par le soc, de la joue où le sang n'a pas afflué un jour sous la morsure d'un baiser. L'inertie est le seul mal.

»Tout doit se mouvoir et courir et bondir… Ah! qu'ils me donnent, hors l'amour, le stimulant qui peut recréer une vie à nos pauvres femmes inertes, ramener un rire, un désir, un caprice, un vice même! aux dames de Néans!..»

Grandier, ragaillardi, chatouillait de la mèche du fouet Rossinante. La route était devenue belle et plane; les voitures filaient au grand trot. Comme M. Durosay était trop enclin à ménager sa bête, aussitôt que le train semblait se ralentir, Esculape, par derrière, élevait la mèche, la faisait claquer vulgairement à la façon des charretiers et le cabriolet s'ébranlait de nouveau, et l'on y entendait de légers rires et des exclamations: «Ce diable d'Esculape! Ah! ce docteur! Ah! ce docteur! Ah! ce monsieur Grandier!..»

Esculape, peu à peu, prenait un goût nouveau à cette poursuite de la précieuse capote sur la belle route et sous la nuit. Il lui semblait qu'elle était une boule et qu'il la tenait à la main; et il la lançait de toute la vigueur de ses muscles, sur la longue piste, vers son but. «Clic! clac! clic! clac! en avant, capote bondissante! clic! clac! avez-vous peur des soubresauts et des pentes? clic! clac! mais c'est moi qui vous mène; mes muscles sont forts et ma main est sûre! Âmes et chairs, je vous ai pétries et mises en boule, et je vous lance à présent… Clic! clac! et je veux entendre ronfler sur le sol, quel qu'il soit, votre élan éperdu! Clic! clac! clic! clac!» Et les rires légers qui lui parvenaient parmi les bruits du roulement et du trot, l'enorgueillirent, le haussèrent, lui donnèrent une joie quasi surhumaine, car il pensait que Dieu pouvait éprouver cela quand lui aussi entendait rire les hommes.

Un appétit de course vertigineuse, alors, le prit; il sentit l'impatience d'aller vite au terme de ses vœux, d'écraser toutes les causes de ralentissement, d'embrasser tout de suite un peu de son œuvre épanouie. On commençait à apercevoir les toits de Néans ensommeillé, pareil, au loin, à un lac calme sous la pâleur lunaire. La vue de cette inertie l'enflamma. La route allait désormais en pente, jusqu'à la ville. Il continuait de presser sa bête et de faire claquer son fouet. Il vit que M. Durosay penchait la tête hors de la capote et lui criait: «Grandier! Voyons! soyez raisonnable! tout beau! tout beau! Saprelotte!..» Puis ce fut de l'autre côté la tête de Septime qui se pencha; et il imaginait que madame Durosay avait peur et certainement poussait de petits cris: «Clic! clac! clic! clac! Tant mieux! morbleu! soyez effrayés! Soyez secoués, une fois enfin, bonnes gens de la capote sur ressorts excellents! mais, plutôt cassons-nous les reins que nous les tenir éternellement dans l'insipidité de votre coton.» Et, se refusant à les dépasser, il les conduisit ainsi à toute bride jusqu'au bas de la côte, serrant le frein, et brandissant le fouet sonore.

Dès les premières maisons, Néans, plus que jamais, l'écœura. Que faire en cette atmosphère de fadeur coutumière alors qu'il s'agissait d'enchanter une créature, de séduire tous ses sens et de fasciner son cerveau? Il repassa mentalement chaque article de la méthode qu'il avait élaborée une des nuits précédentes; remonta l'échelle graduée des émotions qu'il avait à faire naître en son sujet et qui allait du respir d'un parfum jusqu'à la crise violente de l'amour; et il haussa les épaules de pitié devant la perspective de la rue de la Douve et de la rue Saint-Porchaire aux petites façades proprettes ou prétentieusement bourgeoises, conservatrices d'inertie et de vertu.

Et il eût volontiers continué sa course folle au delà de Néans, où? n'importe! si la voiture Durosay n'eût fait halte à la porte du presbytère où l'on déposa Septime entre les mains de son digne précepteur qui l'embrassa au front comme on fait aux enfants, en s'informant s'il avait été sage.

– Comme une image, firent à la fois, monsieur et madame Durosay et le docteur.

Et les voix confondues en bonsoirs répétés se perdaient au milieu de la vapeur qui, dans la fraîcheur du soir, à la lueur des lanternes, sortait en petits nuages touffus de toutes les bouches ouvertes.

Esculape décida, vis-à-vis de la petite porte à judas du presbytère et des lunettes brillantes de l'abbé, un bonsoir plus définitif.

XI

Il y a des heures, à Néans, dont on a crainte de parler même, tant l'on sent que ce sera en ternir la limpidité. Avez-vous vu ces petits étangs à la surface unie comme un miroir, et qui, paisibles entre leurs roseaux, sont l'image de la quiétude? On a peur qu'un vol de libellule en vienne iriser la glace polie, et l'on retiendrait son souffle par respect de cette immobilité pure.

Il est midi. Le soleil brûle la place du marché au beau pavé luisant et que nul arbre n'ombrage. L'air embrasé y vibre en une couche asphyxiante qui s'élève du sol jusqu'au pas des boutiques. Toutes les persiennes sont closes, les stores verts baissés. Deux cafés voisins et ennemis déroulent leurs toiles à rayures sur les terrasses aux petites tables désertées. Pas une âme, pas un bruit. Un chien passe, baguenaudant de-ci, de-là, flairant de petits tas anodins qui ne valent pas un geste, enfin au coin de l'épicerie, près d'un sac de lentilles, se décide à lever la patte. Cependant, le bourrelier est sorti, le collier d'un harnais passé sur l'épaule où flambent des plaquettes de cuivre: il s'est enfoncé sous l'ancienne porte de ville, criblée de trous honorables, et somnolente au soleil comme une centenaire ridée. Un quart d'heure se passe sans un mouvement nouveau. Tout à coup, à bride abattue, une carriole traverse la ville à grand fracas sur les pavés. Le bruit se perd brusquement à un tournant de rue. Et plus rien. Une voix de fillette dans un intérieur. L'agent voyer et deux commis voyageurs sortent de l'hôtel en s'épongeant le front. Le chien repasse infailliblement à midi trois quarts. Et ce sera tout jusqu'à deux heures et demie ou trois heures de l'après-midi.

Vers trois heures, une vieille dame en noir frôle les murs, contre lesquels il commence à se faire un peu d'ombre; elle croise un monsieur obèse coiffé d'un panama à larges bords, la jaquette d'alpaga flottante, et qui la salue bas; un facteur rural met la main à son képi à liserés rouges. Toutes personnes qui se rencontrent à Néans échangent un signe de connaissance, fût-ce M. Durosay et son jeune confrère qui tournent la tête chacun de leur côté.

Mais une seconde personne en robe gris perle soutenue d'une crinoline, par une élégance archaïque, et dont le chef s'adorne de rubans émeraude parmi des petits choux violâtres, ayant été signalée sur le filet ombreux qui s'élargit, on a dû se dire dans le bureau de tabac de madame Sirop et chez mademoiselle Mistouflet, mercière, où l'on a relevé les stores à demi: «Madame Duperrier et mademoiselle Hubertine la Hotte sont sorties.» Deux heures plus tard, quelques échanges ayant eu lieu de boutique à boutique, par toute la rue du Marché et la rue Saint-Porchaire, la nouvelle sera: «Madame Duperrier est allée aujourd'hui chez madame Hédoux, et mademoiselle Hubertine la Hotte est allée prendre des nouvelles de madame Durosay.» Vers cinq heures de l'après-midi, par exemple, madame Duperrier ayant par hasard croisé mademoiselle Hubertine la Hotte, qui sortait de chez madame Durosay, une information d'une extraordinaire puissance extensive est issue de leur contact et court jusqu'au bout de la rue de la Douve: «Monsieur et madame Durosay vont aux eaux avec le docteur Grandier et monsieur Septime qui est chez monsieur l'abbé de Prébendes!»

Et c'en est fait du miroir limpide des douces heures de midi à Néans.

Le soir de ce jour, après dîner, on sonna quinze fois chez mademoiselle Hubertine la Hotte qui prenait le frais dans sa petite cour large comme un drap de lit et tapissée de glycines, de vignes-vierges et de chasselas roses, enveloppés, au naturel, par de larges toiles d'araignées. Ce fut d'abord mademoiselle Mistouflet qui avait justement à rapporter un petit ouvrage que Mademoiselle lui avait confié depuis six mois. Ce fut la femme de journée qui ne savait plus si c'était mercredi ou vendredi que Mademoiselle l'avait retenue. Ce fut la petite repasseuse de fin qui apportait les camisoles et les bonnets de Mademoiselle deux jours plus tôt que de coutume. Ce fut madame Benoît, la jeune femme du greffier; il y avait si longtemps qu'elle se faisait un remords de ne pas venir souhaiter le bonjour à mademoiselle Hubertine, et, ma foi, la soirée était si belle… Madame Lepoix vint dire que l'on avait pris un saumon de quatorze livres, qui serait mis en loterie. Madame Jourdain, la mine à l'envers, annonçait que le journal était plein de choléra; le fléau arrivait à pas de géant; etc., etc.

La difficulté était d'aborder le sujet qui amenait tout le monde, au cas où mademoiselle Hubertine ne serait pas en goût de parler, et voudrait «faire sa cachottière». Mademoiselle Hubertine fit sa cachottière. Elle était mauvaise comme la bise et supputait à l'avance l'amplitude qu'une habile discrétion pourrait donner à l'aventure. Ces dames pestaient, et, ayant usé les détours, en vinrent droit au fait. Mademoiselle sourit et jeta négligemment qu'en effet l'on allait aux eaux, c'était une mode à présent. Il est vrai que cette pauvre madame Durosay était bien bas. – Au point de ne pouvoir se passer de son médecin?.. Mademoiselle ne jeta ici qu'une expression énigmatique. Alors, de petits bruits qui couraient déjà, pointèrent, se lièrent, prirent corps, et, par l'organe de madame Jourdain, voilèrent leur crudité sous des expressions d'une décence affectée. On ne parlait rien moins que d'un scandale par le fait de ce parpaillot de docteur Grandier; et l'on allait donc se cacher loin du clocher de la paroisse, et ce bon M. Durosay n'y voyait que du feu. Mais M. Septime? C'était un petit benêt, un agneau comme il est bon d'en avoir en pareille occasion pour donner à toutes choses une tournure d'innocence. Et voilà.

Oh! fit mademoiselle Hubertine qui ne croyait pas un mot du potin; et elle parla de la charité chrétienne, du silence qui est d'or, dit l'Écriture, et qui convient en certaines occurrences; mais se garda de contredire. Le potin s'affermit, parut tout à coup si bien en forme, si solide sur pieds, que toutes celles qui en avaient apporté les pièces et les morceaux, en furent un instant stupéfaites. Toutes faisaient: «Oh!», s'étonnaient très sincèrement. Quelqu'un trouva que madame Jourdain avait du toupet de dire si ouvertement des choses de cette force. On faillit se retourner contre elle. Madame Jourdain se trouvait isolée avec ce qu'elle venait de mettre au monde. Et ce fut elle qu'on interrogea, bien qu'elle eût tout appris dans la présente réunion. On l'entourait en sortant. Mademoiselle Hubertine la Hotte s'en lavait les mains, elle n'était vraiment pour rien en cette odieuse calomnie.

Une fureur prit Néans. C'était d'approcher quiconque, de près ou de loin, touchait à la maison Durosay, à la maison Grandier ou au presbytère. Fût-on certain de n'en tirer pas un fétu, joindre dans la rue une servante, un petit clerc, voire madame Lespingrelet qui n'avait de rapport avec ces messieurs que par son mari, devenait un besoin farouche, irrésistible et que l'on satisfit sans en rapporter toutefois grand bénéfice. D'abord tout ce qui avait de la dévotion et quelques personnes qui s'en trouvaient ce jour-là, environnèrent M. de Prébendes à l'issue de sa messe de sept heures. Monsieur l'abbé, qui ne cherchait point la petite bête, fut fort touché de l'intérêt que l'on portait à cette chère petite dame Durosay, si bonne, si charitable et de si bon exemple: il la recommanda aux prières. N'allait-on pas jusqu'à s'inquiéter de M. Septime qui était une édification pour la paroisse dans la façon dont il servait la messe… «Oh! si peu souvent, fit M. de Prébendes, avec un sourire bénévole; le cher enfant n'y a point de goût!» À coup sûr ce n'était pas M. Grandier qui le lui donnerait durant le voyage. La pieuse femme qui prononçait ces mots touchait l'abbé en son point faible. Mais M. de Prébendes tourna à l'attendrissement; il ôta ses lunettes pour s'essuyer les yeux, et la piété de Néans s'en retourna bredouille. Cependant, tout le monde s'apercevait bien que ce pauvre monsieur l'abbé était vaincu et victime d'une grande machination.

Il y eut du monde, à midi, aux petites tables de la place du Marché, malgré la chaleur accablante. Au moindre bruit les stores se levaient comme si quelqu'un s'y fût tenu à l'affût. Lespingrelet, assailli sur la place, y faillit perdre son latin. Il n'y eut pas jusqu'aux petits tas qu'aspire le toutou de midi trois quarts qui ne parussent avoir plus de relent qu'à l'ordinaire, et mériter, haut la patte, la distinction réservée au sac de lentilles; de celui-ci, ce jour-là, mieux vaut ne pas parler.

XII

Aix-les-Bains, 1er août 189…

«Cher monsieur l'abbé,

»Je veux vous écrire avant même que j'aie pu remercier papa de s'être si promptement décidé à me laisser venir ici avec M. Durosay. Je ne me sens pas de joie, si ce n'est que je regrette que vous n'ayez pu nous accompagner. Nous avons fait un excellent voyage, moitié de jour et moitié de nuit, fort long, mais qui ne me l'a point paru: ce livre des Fioretti que vous m'aviez choisi est un excellent compagnon de voyage. Ah! vous m'aviez chargé, monsieur l'abbé, de vous rendre compte de toutes nos petites santés durant cette expédition; vous aviez si peur qu'on ne fût malade… Eh bien, le docteur s'est porté à merveille et n'a pas cessé d'être d'une gaieté folle; il est encore plus amusant qu'à Néans. J'espère que vous ne me blâmerez pas, cher monsieur l'abbé, d'avoir goût à ses reparties et à son entrain, du moment que je me garde d'accueillir ses opinions comme vérités évangéliques; c'est un bien bon homme, ne l'avouez-vous pas vous-même? Il est descendu à presque tous les buffets de chemin de fer nous acheter des provisions, mais M. Durosay n'ayant pas grand'faim, ni personne, il nous a fait tordre de rire en avalant tout jusqu'à la dernière miette. Il est vraiment extraordinaire. M. Durosay s'est plaint beaucoup d'être mal à son aise pour dormir, quoiqu'à dire vrai, il dormît presque tout le temps.

»Il avait un coin de compartiment, avec le docteur en face de lui; et la difficulté de s'entendre pour placer leurs jambes a donné lieu à toutes sortes de plaisanteries qui nous amusaient beaucoup.

»Il y eut une autre série de divertissements quand la nuit fut venue et qu'il s'agit d'être gêné par la lumière ou de ne l'être pas. Le docteur voulait que les petits rideaux verts fussent tirés sur le globe, en disant que la clarté de la lampe l'empêchait de dormir. M. Durosay voulait absolument avoir une veilleuse. Savez-vous comment on lui en fit une? Ah! ce M. Grandier est de tous les secours. Un petit endroit de l'abat-jour de coton vert, juste sur l'œil de M. Durosay, avait un peu de râpé et quelques fils rompus sur la surface à peu près d'une pièce de dix sous, ce M. Grandier le rompit tout à fait, et, pour maintenir le trou, y fit un point de boutonnière avec une adresse surprenante et avec une aiguillée de fil que l'on avait justement dans un petit sac à ouvrage. De sorte que M. Durosay a eu son rayon dardé sur la paupière, tandis que nous étions tous dans l'obscurité. Vous trouvez, sans doute, tout ceci bien futile, monsieur l'abbé; mais, en voyage est-ce mauvais d'avoir des compagnons plaisants; et ne dois-je pas fidèlement raconter tout par le menu détail?

»Vous voyez, monsieur l'abbé, que nous n'avons eu aucun accident et que personne n'a été ni incommodé, ni malade, ce dont vous étiez si inquiet. Ah! je vois que j'ai oublié de vous dire que la bonne et la femme de chambre, qui étaient dans un wagon de seconde, ont été notre seul tourment, car on s'était aperçu, une fois, qu'elles étaient descendues avec tous leurs colis, se croyant arrivées, et on a eu toutes les peines du monde à les maintenir en place, parce qu'elles ne pouvaient croire que le trajet fût si long, et à tous les arrêts, il fallait leur faire signe: «Ne bougez pas, sacrebleu!» Je n'ai pas besoin de vous dire, monsieur l'abbé, que c'est le docteur qui faisait ce signe.

»Enfin, nous nous sommes tous réveillés, secoués et regaillardis un peu, au buffet de Culoz où l'on change de train et nous avons côtoyé le lac du Bourget par une nuit superbe et claire comme un jour. C'était si beau, monsieur l'abbé, que le docteur n'a plus eu envie de rire, et tout le temps que nous sommes restés sur les bords du lac, nous n'avons presque pas parlé ni les uns ni les autres. Pour moi, j'avoue que j'ai pensé à Dieu, mais d'une manière si particulière et nouvelle, qu'elle n'est pas, je crois bien, celle qu'il faut et je ne saurais cependant absolument pas dire ce qu'elle est.

»Il faudra que vous adressiez vos lettres, monsieur l'abbé, à la villa Julie, c'est là que nous sommes installés; je ne sais si on avait prononcé ce nom devant vous. Il ne plaisait point à M. Durosay tout d'abord, mais depuis que je lui ai dit que ce nom rappelait Lamartine, il en raffole, car c'est, dit-il, son poète préféré. Tout est plein de Lamartine ici; nous avons près de nous la villa Raphaël, la villa Graziella, la villa Jocelyn, et puis enfin, il y a ce lac! Vais-je vous faire de la peine en y prenant plaisir, car, en réfléchissant, il me semble que vous n'aviez pour ce poète qu'une amitié réservée? Ferais-je un gros péché d'acheter ici, sur mes économies, quelques-uns des ouvrages que je n'ai point lus de lui; je ne parle pas, bien entendu, de Jocelyn?

»D'ailleurs, monsieur l'abbé, quittez de ce côté la méfiance que vous pourriez avoir: si tout ici rappelle cet homme attirant, personne n'a l'air de s'en souvenir et rien n'est plus éloigné du lac du Bourget que la ville d'Aix-les-Bains, bien qu'un service d'omnibus et des voitures parcourent incessamment la belle allée de platanes qui les relient. Je suis sûr que vous serez charmé pour moi de la vie qu'on y mène et qui est si peu propice aux «rêvasseries» que vous détestez. Nous voyons bien le lac de nos fenêtres, avec une montagne pointue qui a nom la Dent-du-Chat, et, tout le temps qu'on s'habille, on a l'idée que la journée va se passer sur ses bords un peu sombres mais si beaux, comme, lorsqu'on est à la mer, tout le monde va se porter naturellement sur la plage; mais aussitôt le petit déjeuner, on se laisse descendre jusqu'aux casinos, – car il y en a deux côte à côte – qui sont si charmants que l'on en revient le soir sans avoir songé à les quitter.

»Vous pensez que ces casinos ont des terrasses d'où l'on peut contempler le lac et les montagnes, et s'offrir, en écoutant un orchestre ou en froissant un journal, un beau spectacle aux yeux, et humer, le soir, assis en des «torpeurs», comme on le fait à Néans, la brise qui vient d'un peu loin. Eh! non; ces casinos pourraient être aussi bien rue de la Douve ou dans les bas-fonds des Veulottes, pourvu que la mode fût de s'y rendre. On n'y voit rien que des jardins anglais et des kiosques à musique et, se haussant beaucoup, on apercevrait tout juste les bâtiments de la gare. – Eh! quoi? faites-vous, c'est là que vous passez vos jours? – Oui, monsieur l'abbé. – À quoi faire, mon bon Jésus? – Je ne saurais vous dire, monsieur l'abbé. Je me le suis demandé aussi; et, cependant nous les passons. Je crois qu'il y a des grâces spéciales pour les gens de la sorte de ceux qui sont ici, et à qui peut-être ressemblons-nous déjà, moyennant quoi le temps passe de façon miraculeuse, sans doute, et fort agréable, sans que l'on y mette la main, le moins du monde.

»De ces gens, monsieur l'abbé, j'aurais quelque malaise à vous parler, probablement parce que je ne les connais pas assez et parce qu'ils sont trop dissemblables de nos personnes accoutumées; et, parce que j'ai comme un soupçon que le miracle vient d'eux, de leur mobilité, de leur diversité qui amuse et étourdit; tel serait, monsieur l'abbé, un volètement de papillons de fort jolies couleurs continuellement miroitant et gracieux; enfin, parce qu'étant si éloignés de ce que l'on trouve de plus distingué à Néans, fût-ce mademoiselle Hubertine la Hotte qui porte beaucoup de couleurs ou la fille de monsieur le juge de paix qui est la mieux faite du pays, vous pourriez croire, monsieur l'abbé, que je me laisse influencer par des objets de mauvais goût.

»Et en effet, je suis presque honteux de vous entretenir de choses si mesquines; mais cette lettre était destinée à vous donner une première impression d'un endroit où l'on ne fait en somme que passer ses vacances et à vous rassurer sur notre santé à tous. J'espère occuper mon temps de façon plus sérieuse et j'ai voulu déjà faire la connaissance de monsieur le curé ou de monsieur le vicaire; mais je ne les ai rencontrés nulle part et je me suis informé près de plusieurs personnes en ville qui n'ont pas su me dire où se trouvait le presbytère.

»Toute la villa Julie se recommande respectueusement à votre souvenir et à vos prières, monsieur l'abbé, et croyez, je vous prie, au très humble et fidèle attachement de votre

»SEPTIME.»
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre