Kitabı oku: «Le Médecin des Dames de Néans», sayfa 9
Et elle se voyait, dans son demi-songe, soufflant à s'époumoner du côté de la petite table. Mais ce carré de papier était posé à plat sur une feuille de buvard, y semblait collé; elle soufflait encore: le papier se soulevait; il quittait le buvard, il tombait en voletant très gauchement; et filant brusquement, s'abattait vers la fenêtre; un petit coup de vent: il est parti. Enfin! elle est toute seule avec les choses qui la flattent et la caressent; elle va pouvoir aller, venir, quitter son peignoir, se laisser baiser la peau par les petits souffles tièdes, étaler ses cheveux… On frappe. C'est Catherine qui dit à travers la porte: «Madame, c'est une lettre qui vient de tomber par la fenêtre de Madame. – Ah! c'est bon, entrez donc, Catherine, et mettez-la sur la petite table.» Non, non, ce papier mauve ne sortirait pas de là. Déchiré, brûlé, il le faudrait regriffonner. Plié en quatre, mis sous enveloppe, jeté à la poste, il ramènerait de Néans quelque autre paperasse avec l'écriture de l'abbé, sinon l'abbé lui-même. Il y avait là quelque chose dont ce carré de papier mauve n'était qu'un misérable simulacre et qui ne fuirait par la fenêtre ou par toute autre issue que pour être ramassé et rapporté par quelque serviteur vigilant.
Elle fut prise d'un mouvement de colère, de cette révolte qu'excite la brisure faite à une harmonie, l'entrave apportée à l'amplitude caressante d'un sentiment, l'épine malencontreuse au pied de qui court de tout son élan. Elle se redressa vivement, sauta du lit; elle laissa tomber son peignoir pelucheux où elle s'était recroquevillée, en prit un de flanelle qu'elle se jeta seulement sur les épaules, et ainsi toute chaude d'émotion, s'assit à la petite table, se pencha sur la lettre de papier mauve qu'elle enserra d'une sorte de cage faite de toute sa personne, de toute sa féminité épanouie. Ses cheveux dénoués en partie, frôlaient le papier, son bras nu et parfumé s'y appuyait, son sein même se posait sur le nom de l'abbé, et son souffle emplissait et saturait cette cloche voluptueuse où la jeune femme achevait la lettre invitante et polie, semblait vouloir asphyxier de toute sa rage passionnée tout ce qui, de près ou de loin, ferait obstacle à sa joie de vivre.
XIX
M. Lureau-Vélin ayant vu les pieds sous la table reçut la confirmation de sa perspicacité. Il se flatta de la main la barbe, de cet air qu'il avait, de se caresser tout entier. On eût dit que, pour s'être laissé toucher, la jeune femme était plus désirable et jolie.
On dînait dans les jardins de la Villa-des-Fleurs. M. Durosay avait pensé être plus agréable à l'aimable homme qui l'avait ramené de la Grande-Chartreuse, en l'invitant dans ce milieu élégant. Des petites tables étaient disposées dehors, ornées de cyclamens mêlés de roses, et des bougies aux petits abat-jour de couleur répandaient de tendres lueurs diverses sur les visages et les gorges à demi découvertes des femmes. Les hommes, en smoking, gras et les joues rasées, souriaient à leurs compagnes ou aux mets. Il était charmant de voir un coude nu s'appuyer un court instant sur la nappe, et une main tapoter les cheveux en faisant scintiller les brillants. On chuchotait; de clairs rires de femmes éclataient tout à coup. Il y avait une discrète ivresse voletante parmi les petits souffles frais de la nuit, et des phalènes venaient aux bougies se brûler les ailes.
Madame Durosay portait un costume de foulard de soie bleu pâle ouvert en carré; deux ailettes de jais composaient sa coiffure, et ses bras étaient nus jusqu'au coude. Elle avait une façon de porter ses bandeaux en négligence, qui la mettait à part des femmes les plus jolies; mais sa simplicité et son bonheur l'ornaient mieux que tout le reste.
«Voici un petit gredin, pensa M. Lureau-Vélin en glissant un regard du côté du jeune homme, qui ne me paraît pas marcher sur des épines.»
La conversation s'engagea assez banale et M. Lureau-Vélin lui-même y eût éprouvé de la gêne, comme il arrive en présence de personnes occupées à un autre endroit, s'il n'eût découvert en la figure du docteur Grandier de quoi s'étonner, ce qui ne lui était pas commun. Et, tandis que l'entretien végétait jusqu'à se soutenir par l'énumération des vertus de M. l'abbé de Prébendes – que l'on attendait au train de minuit quarante – les esprits se divertirent de psychologie.
M. Grandier était à ce moment sur son champ de bataille et dans l'imminence d'une victoire qui s'attardait en escarmouches un peu énervantes à la longue, ainsi qu'il apparaissait au certain rictus de sa lèvre et au grésillement de sa prunelle incendiaire. Parfois, cependant, trouvait-il du charme à ces temporisations. Il avait tantôt un redressement hautain et volontaire du buste, et tantôt un complaisant sourire; il semblait paternel et tour à tour un maître, un tyran. Même, il se défendait mal d'une emphase apparente aux lignes de son visage: c'était lorsqu'il gonflait l'idylle, selon sa marotte, jusqu'à l'imaginer une humanité réduite et ployée en sa main. Et il y croyait jouer le rôle de l'intelligence, qui, parmi les instincts, trie, dirige, hâte et donne aux œuvres une forme et un sens. D'instincts épars et perdus, ou zigzaguant en directions contradictoires, il composait, il harmonisait une marche à l'amour. Et chaque minute en rythmait le pas, chaque bouffée de ce soir d'été imprégné du parfum des fleurs et des femmes, en soutenait le lent mouvement berceur, enjôleur et irrésistible, et l'aise éparse de cette heure de souper, les voix heureuses, les rires, en étaient le véritable chant qui lui venait éclater aux oreilles en large fanfare.
Il s'oubliait trop pour que son masque demeurât impénétrable à un habile homme. Mais on éprouvait une telle surprise à le traverser que M. Lureau-Vélin, tout blasé qu'il fût de la comédie humaine, en faillit pousser une exclamation. Que diable le satané bonhomme venait-il faire en cet épisode galant, à moins qu'il n'y éprouvât un intérêt sénile? Néanmoins, pour ce que la chose avait de pittoresque, il valait la peine que l'on en suivît les péripéties.
Il ne déplut pas à Esculape de recevoir l'interrogation mentale de M. Lureau-Vélin, et il arriva ce qui n'est pas rare dans la plupart des réunions où l'on cause: par-dessous la conversation anodine, un dialogue s'établit entre les esprits de ces messieurs, durant que madame Durosay et Septime s'épanchaient à leur manière et que M. Durosay était de cœur avec tous.
– Mon cher monsieur, pensait Esculape tout en lâchant un aphorisme au sujet du clergé contemporain, vous me voyez attelé à une besogne plaisante et redoutable, qui mérite votre assentiment et la rigueur des lois. La position que nous occupons donc l'un et l'autre vis-à-vis des hommes nous permet de causer…
– Je ne sais, interrompait M. Lureau-Vélin, si l'envie que j'ai de vous jeter de l'eau bénite me vient de parler de tous ces pieux personnages; mais la qualité de votre air bénévole, mon bon docteur, m'en donne la démangeaison…
– Dieu lui-même, au contraire, monsieur, dut faire un peu la figure qu'en ce moment vous me voyez, lorsqu'il coucha l'homme et la femme sur l'herbe molle et leur enseigna les caresses, car il concevait également le plaisir d'amour et la grande quantité de larmes qui seraient par ce moyen répandues; cependant Dieu souriait…
– À la façon d'un vieux monsieur!
– Impertinent et oisif gentleman! soupira Esculape, que n'accomplîtes-vous jamais un ouvrage pour apprendre combien malaisément les parties vous donnent l'agrément de leur beau jeu régulier. Le sourire divin fut purement philosophique, en même temps qu'il était l'escompte d'une joie un peu lente à échoir: donnez-vous donc la peine de voir le mal que j'ai.
Ils observèrent les amants durant que l'entretien roulait à la dévotion de Néans et que l'évocation de mademoiselle Hubertine la Hotte comblait d'hilarité M. Lureau-Vélin.
Les yeux de Septime, à ces soupers dans les jardins, reflétaient avec une netteté parfaite les féeries étonnantes et variées qui se jouaient en son âme. Sa gracieuse inexpérience y transformait toutes choses, rien de réel absolument ne paraissait en ces tableaux divers, toute image y subissait la transposition merveilleuse qui est l'œuvre ordinaire des cerveaux adolescents.
– C'est beau comme du Dante, faisait M. Grandier.
– Est-on tout de même nigaud à cet âge!.. et que j'y voudrais être, pensait M. Lureau-Vélin.
On voyait le pauvre enfant rougir et pâlir tour à tour, sans aucun propos apparent. Il avait eu du mal à avaler son potage, la gorge serrée, la main tremblante. Son regard se noyait tout à coup, puis demeurait suspendu comme une épave lamentable. Les bras nus l'attiraient et le repoussaient, apeuré. L'éblouissement passé, il était fort vexé de cette émotion et se roidissait contre, se voulait et se croyait chaque jour aguerri, maudissait chaque nouvelle faiblesse, enviait ces beaux messieurs, aux cheveux partagés du front à la nuque, imperturbables et sereins parmi cet apprêt, ces odeurs et ces gorges de dames, lui accoutumé aux fades atmosphères, aux mœurs simples et aux gens vêtus. Puis on le sentait renoncer à tout effort, envoyer toute contenance au diable, caresser sa rêverie, l'alimenter par la vue de la chair et se lancer corps et âme en sa débauche imaginaire.
– Saperlipopette! s'écriait in petto M. Lureau-Vélin qui lorgnait la jeune femme à la dérobée, que voici donc un plongeon en quelque chose de ragoûtant!
– Ah! monsieur! soupirait Esculape, cependant qu'il narrait d'un ton un peu traînant les phases pittoresques de la sciatique chez mademoiselle Hubertine, monsieur! quel sublime spectacle qu'une belle chair qui émeut. C'est une musique pour moi, que la vie qui va, rythmiquement, selon l'ordre. Je m'en vais dans la rue regarder les gens qui se portent bien, comme vous allez vous autres au concert ou à l'Opéra. Le corps doit répandre le désir comme la corde vibrante l'enchantement et la fleur le parfum… Le corps…
– Eh! parbleu! j'en connais un qui ne manque pas à sa mission.
– Aïe! aïe! grimaçait le masque de Grandier, tout ne va pas si bien!.. Nos mœurs sont d'un effet désobligeant pour l'esthétique et l'éthique qui en découle. Je vous parlais de cette première heure biblique; elle eût été tout à fait désastreuse pour nous si elle se fût un peu longtemps prolongée sans l'intervention de ce diable de serpent. Le Seigneur, voyez-vous, était trop comme il faut; d'abord, c'était, évidemment, un «Monsieur prêtre» selon l'expression de mes pieuses clientes, qui ne donna, d'un ton réservé, que des indications sommaires et une impulsion, passez-moi le mot, tant soit peu jésuitique. Au fond, voyez-vous, il n'y tenait pas, et le beau corps d'Ève pourrait encore aujourd'hui répandre d'infinis désirs dans le vide infini. Le bel ouvrage en vérité! Ne me parlez pas d'infini, c'est un mot tout à fait creux, c'est la marotte des cervelles misérables; rien n'a de beauté que ce qui se limite et je veux voir les désirs aboutir, même en s'échouant. Ce génial Satan nous sauva en nous enseignant la vie bourgeoise, le trantran un brin terre à terre, mais qui a du bon à l'usage. Aussi, je vous demande pourquoi faire aujourd'hui nos petits bons Dieux vis-à-vis de notre progéniture, quand le bon Dieu lui-même manifesta de la maladresse? Dès que nos rejetons ont besoin de manger, nous leur donnons des nourrices que nous choisissons saines et de belle venue, et plus tard des marchands de soupe renommés; quand nous sentons qu'ils vont penser, nous nous ruinons à leur fournir des moules tout faits qui les garantissent de tout écart. Mais, quand il s'agit de ce à quoi nous devons d'être papas, et eux d'avoir envie de l'être, de ceci, reconnaissez que nous ne prononçâmes jamais le nom en face des chers petits et que nous nous bandâmes les yeux toutes les fois qu'ils parurent y prendre goût. Allez, petits, sautez et donnez de l'avant! – mais en cachette! Que tout nous vienne de ce qui vous concerne: vos opinions politiques ou vos prouesses à bicyclette – hormis cela! parce que, savez-vous bien, cela seul est grave, et que ce n'est guère qu'en cela que l'on court sérieusement le risque de se casser le cou et de s'empoisonner le cœur! Petits, nous nous en lavons les mains!
»Eh bien, voilà qui est répugnant et me révolte, mon cher monsieur. J'ai la vocation d'être un pasteur d'amoureux et de les conduire au pacage… Mais regardez-moi donc ceux-ci qui s'abîment les escarpins en compagnie, et ne se sont pas seulement jusqu'ici pris à bras le corps dans les coins, quand monsieur l'abbé arrive à minuit quarante!
– Le fait est que cet abbé va être bien importun, opinait M. Lureau-Vélin, frôlant de sa barbe soyeuse l'épaule de madame Durosay, à qui il versait du champagne.
Et justement toute la table s'attristait à la pensée du cher abbé dont on ne pouvait faire autrement que de parler, cependant. Fut-ce ce commun déplaisir qui unit un moment les regards de madame Durosay et de M. Lureau-Vélin? Septime, qui le vit, en reçut un coup de fouet qu'il crut sentir sur tout le corps, le lacérer, le cuire, le croisillonner de longues minces déchirures d'où il ne se fût pas étonné de voir sourdre le sang en petits ruisselets chauds.
Le malheureux, depuis la nuit terrible de la Chartreuse, n'avait pas recouvré la paix. Son cœur était étouffé; il perdait la conscience d'aimer; il avait des effrois en regardant la jeune femme. Un lien pourtant l'attachait à elle, spécialement, uniquement, qui l'eût retenu d'éparpiller sur d'autres chairs la sourde angoisse affamée qu'il avait; mais il éprouvait moins l'extraordinaire jouissance de cette sorte d'isolement du monde en compagnie d'un seul être qui est tout, qui vaut tout, et de cette illusion d'un privilège inouï, qu'a l'amoureux sentimental. Il y avait moins d'intimité en ses soupirs, moins de limitation en ses aspirations confuses, et, vaguement, il éprouvait que son ardeur pouvait dépasser son idole, et il voyait plutôt son ardeur que son idole tandis qu'auparavant son cœur s'absorbait et se perdait tout entier dans l'aimée.
Mais il éprouvait par le moyen de M. Lureau-Vélin une secousse si violente qu'il se retrouvait subitement dans son premier état extasié et farouche, idolâtre d'un unique objet d'amour. De l'alternance des phases luxurieuses ou sentimentales, un équilibre enfin s'établissait, un peu d'ordre naissait, sans doute de ce besoin de défense contre les menaces extérieures; et, roidissant ses poings, il se sentait devenir homme et il voulait cette femme à lui et il se jurait de l'avoir.
– Bravo! petit, hardi donc! voulait lui souffler Esculape à qui rien n'échappait du manège; et il enrageait de lui faire entendre l'heure menaçante. Minuit quarante! minuit quarante! Ah! ça, dépêchons-nous!
«Damné bonhomme! pensait M. Lureau-Vélin. La nécessité, je vous demande, d'embourber jusqu'au cou ce petit en une affaire si périlleuse!»
Et M. Grandier, prenant sa figure de bon pasteur, regardait Septime.
– Mon cher enfant, j'accepte de te mener jusqu'au bout de ce chemin aimable et épineux. Il est vrai que tu eusses éprouvé beaucoup moins d'embarras à quelque initiation grossière d'où je te vois revenir tout rouge, honteux et les lèvres amères de ce dégoût que tu allais te mettre à verser, dans la suite, comme tes pareils imbéciles, sur l'amour. Je t'entends parmi de pédants blancs-becs, me narrer tes nausées et ta façon d'user de la femme comme d'un chiffon de bas emploi, t'épuiser à avilir le contact à quoi tu dois ta seule extase, et jusque même mépriser la pauvresse pour avoir éprouvé le plaisir que tu allais chercher toi-même; à moins qu'aussi bien tu ne lui gardes rancune pour n'avoir pas trouvé en toi suffisant prétexte à pâmoison.
Aussi, j'aime mieux que tu te donnes beaucoup de mal, que tu brûles de la fièvre et pâlisses de tous les tourments d'un grand amour. Chaque petite torture te juche ton amour un degré plus haut. Dusses-tu en avoir le vertige et te faire mal en tombant, je m'en moque; mais l'essentiel est que, même meurtri, tu gardes la mémoire d'un haut amour, et que, de cet amour, tu bénisses et vénères tout, entends-tu bien? aussi bien le ravissement de l'abandon moral que l'ivresse du tressaillement physique; que tu reviennes de ces deux transports avec l'idée qu'ils sont également saints, que tu les embrasses avec un égal attendrissement dans ton souvenir: ils sont toute la beauté du monde. Tu pourras pleurer de ta chute; mais tu ne seras ni de ces grincheux à haines, ni de ces dédaigneux à nausées: le mal n'est qu'en ces gens maladroits ou mal faits.
On en était aux sorbets et M. Lureau-Vélin ayant repris la direction de la conversation lui donnait un attrait en la maintenant avec une discrète habileté sur la singularité des mœurs. Il désignait un jeune enseigne de vaisseau de la marine russe qui dînait dans le voisinage de cocottes célèbres, avec des jeunes filles élevées aux «Oiseaux» et des personnes d'une décence renommée, et qui était de Nijni-Novgorod où les demoiselles de bonne famille, après le bal, loin de réintégrer le domicile sous l'aile de leurs mamans, s'en vont au bras du danseur choisi, jouer à cache-cache dans la campagne, ou à tel jeu que bon leur semble. Et M. Lureau-Vélin considérait aux lèvres sanguines et pures de madame Durosay le mince filet de lait glacé qu'il eût été délicieux d'y boire.
«Ah! çà, mais saperlotte! grommela dans sa barbe Esculape, si cet homme-là se met à reluquer de ce côté, je ne suis pas dans le cas de faire évader mes tourtereaux avant d'avoir vu le nez de monsieur de Prébendes qui a la dimension de les tenir écartés… Ah! monsieur Lureau, cela n'est pas gentil, j'avais compté sur vous!.. Ils sont si bien à point…»
Et il dit tout haut, comme le dîner s'achevait:
– Septime, ne croyez-vous pas prudent de ne vous pas présenter à l'arrivée de l'abbé qui ne sera point charmé de vous trouver dehors à une heure aussi avancée? Monsieur Durosay et moi suffirons peut-être à lui faire honneur… à moins que madame…
– Oh! non! fit madame Durosay, ce serait vraiment un peu tard, je rentrerai.
Septime sentit son cœur bondir; il eut une pâleur soudaine et se cramponna à la table. Rentrer ce soir avec elle, c'était tout son désir, toute sa volonté même. On lui eût offert les royaumes du monde, il eût répondu: «J'aime mieux rentrer ce soir avec elle.» Et on lui disait: «Septime, rentrez»; et elle semblait lui dire: «Septime, rentrons!» Et il ne pouvait pas. Tout son être était cloué sur place; une étrange paralysie le tenait immobile, et déjà il cherchait des raisons pour ne pas rentrer ce soir avec elle.
Grandier comprit qu'il ne l'avait jamais tant désirée et que la passion la plus éperdue valait, seule, cette abstention timide, et il insistait, tout en conversant, de temps en temps, par un mot.
Septime levait des yeux affolés sur la jeune femme et il ne recevait de toute sa personne que le coup de massue qui anéantit. C'était à l'intérieur du coude, et parmi la blancheur des bras, le léger nuage bistré coupé d'un ou deux sillons bleus dont le baiser possible lui brûlait les lèvres; c'était son cou, sa nuque, et le peu de cette chair de gorge apparente, prometteuse d'épouvantables délices dont la seule représentation le mettait presque en défaillance; sa bouche enfin; et puis, elle, elle, en tout cela; la troublante idée d'une personnalité d'élection, de l'être entre tous, image fragile et vacillante, tantôt consumée par le feu de la chair, tantôt revivante dans les flammes mêmes de la luxure pour un ravissement vraiment trop aigu pour la terre.
M. Durosay, inopinément, apporta un appoint:
– Je gage, dit-il, que monsieur Lureau-Vélin oublie que nous avons à causer affaires…
– Vous avez perdu, car j'y songeais tout juste, dit effrontément M. Lureau-Vélin qui continuait de se délecter des lèvres de madame Durosay.
À ce moment, M. Grandier, qui ne redoutait pas les entreprises excentriques, résolut d'implorer le galant pour ses petites fins immédiates et pressantes.
– Aidez-moi, cher monsieur, signifiait son coup d'œil, à jeter incontinent la petite femme qui vous fournit tant d'agrément, dans les bras de ce jeune homme embarrassé qui en mourra d'envie un peu plus tôt que vous.
L'aimable dilettante trouva tant de goût à la tournure des choses qu'il ne refusa pas d'y prêter la main.
– Maître Durosay, dit-il, si Madame persiste en son intention de nous quitter, et qu'il ne lui manque point de cavalier, je serai donc à vous et à vos descriptions de Touraine jusqu'au train de monsieur l'abbé.
– Voulez-vous, madame, que je sois votre cavalier? dit Septime, pâle comme un mort.