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Kitabı oku: «Le Médecin des Dames de Néans», sayfa 8

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M. Durosay, choqué du ton de la conversation en un séjour qui lui semblait si respectable, eût donné quelque chose pour que le beau parleur au moins baissât la voix. La présence de sa femme à ce «dépôt de dames», l'eût même averti du propos un peu malencontreux, si l'auteur n'eût été M. Lureau-Vélin. Le docteur souriait. Le mot d'érotisme blessait Septime en son naissant amour.

M. Lureau-Vélin poursuivait, parmi des groupes d'étrangers, et dominant le délicat murmure de l'eau jaillissante d'un bassin:

– J'ai connu beaucoup une dame avec qui j'eus l'occasion d'échanger de l'enthousiasme au sujet de la Grande-Chartreuse dont elle paraissait raffoler. Je sus plus tard qu'elle y venait dix fois par an, passant deux et trois nuits à l'Hôtellerie des pieuses sœurs dont vous aperçûtes tout à l'heure la cornette. Je m'entêtai à savoir son secret, je le soupçonnai et l'obtins par une fausse confidence. Tous les moyens sont bons au psychologue! Messieurs, elle y goûtait, en des journées terribles et délicieuses, la présence enclose de tous ces hommes continents!

– Oh! fit M. Durosay.

– Cas amusant d'érotomanie mondaine, dit Grandier. Songez-vous, appuya-t-il, qu'il n'y a pas une réunion de personnes ayant dîné convenablement, et partant enclines à des passe-temps aimables, pas un cabinet garni de soupeurs un peu propres et de noceuses mal agrafées, pas un lieu où jouisse l'animal humain, qui ne soit pourvu du certain délice qui vient d'ici et qui, moralement, est l'œuvre de ces sévères pénitents… Ah! quel bon tour ce serait à toute la luxure du monde, de venir en belle ébriété, brandir ici les flacons jaunes, et dansant autour des cellules une sarabande effrénée! Je vois d'ici de roses fillettes pour qui le goût de la liqueur se confond avec celui du premier baiser, des femmes qui reçurent du flacon marqué au signe de la croix, la grâce efficace à l'étourdissement qu'il fallait; et tous les yeux des débauchés qui gardent la mémoire du beau reflet d'or inséparable de celle d'une épaule ou d'un sein qui s'étale!.. «Grâces vous soient rendues, révérends Pères! Hosanna! au divin élixir!»

»Ah! je voudrais pénétrer dans l'esprit de celui de ces hommes chastes et réfléchis qui sait que, par lui, de la volupté se répand par le monde, et qui orne de cette idée sa solitude et son silence!..

– Le docteur Grandier, dit M. Durosay, a, de naissance, l'esprit pervers…

Grandier s'exclamait et M. Lureau-Vélin en même temps entamait le prélude d'une aventure scandaleuse, quand on vint avertir ces messieurs que l'office allait commencer.

On s'enfonça dans des couloirs indéfinis que la lueur de veilleuses, de loin en loin, éclairait d'un jour louche. La chapelle était complètement obscure; le jubé cachait la lampe du chœur; un prêtre, dans la tribune du public, avait allumé une petite bougie et lisait son bréviaire. Quelques personnes se soupçonnaient dans la pénombre.

Une cloche tinta. Une à une, à intervalles irréguliers, de lentes formes blanches apparurent au-dessous de la tribune, munies d'une petite lanterne. Elles disparaissaient derrière le jubé, et la double rangée des stalles dans le chœur se piquait alors d'une lumière encore aussitôt voilée par un écran de bois.

Après des minutes de silence, l'ensemble des voix s'élevait et les versets des psaumes s'égrenaient, monotones et singulièrement impressionnants, dans la nuit religieuse.

Septime tomba sur le prie-Dieu, harassé d'une fatigue morale et physique. Que de choses, mon Dieu! Et comme la vie se précipitait! À quoi songer? À son baiser? Il en avait le cœur encore tout disloqué. Ou à ceux qui allaient venir, à tout ce qui allait venir après, et qui l'effrayait en l'anéantissant de désirs? Ou bien à cet étrange nouveau venu dont la personne l'emplissait à la fois d'admiration et de répugnance, mais, en tout cas, le captivait jusqu'à ne pouvoir penser à quoi que ce fût que sa figure n'y fût mêlée? Il l'admirait homme fait, fort et beau, tel que lui-même souhaitait, espérait être. Ses connaissances, sa prodigieuse facilité le subjuguaient. Et en même temps, il subissait de ces connaissances et de cette facilité une sorte d'effarouchement mal expliqué. Il se rappelait le Faust de Goethe à cet endroit adorable et délicat que Gounod a passé, et où Marguerite entrant dans la chambre après le départ de Méphistophélès, qu'elle ignore, ne peut se retenir d'ouvrir la fenêtre, et chante comme pour purifier l'atmosphère. Il éprouvait au fond même de son instinct, un contact pénible de cette expérience si complète des hommes et des choses, et de cet esprit et de cette chair si parfaitement entretenus et dispos. Toute sa jeune fébrilité passionnée s'en indignait en quelque sorte. Et de plus, des nausées lui venaient de cette désinvolture à parler d'amour. Il se souvint de petits camarades qui mêlaient ce mot à des expressions ordurières. Ce monsieur, lui, le faisait sauter comme des osselets sur la main. N'était-ce pas une chose sainte et sacrée? M. Grandier lui-même, avait eu à ce propos une attitude qui ne concordait guère avec ses idées coutumières. Et il semblait au pauvre enfant que l'on avait, ce soir, piétiné son aimée, profané son culte. Il se prenait la tête à deux mains, courbé sur le prie-Dieu. L'aspect du lieu et la sévérité des prières influaient; les ressouvenirs de sa vie dévote remontaient à son âme en un tumulte confus. Il crut qu'il éprouvait le besoin d'expier la profanation du cher objet. Il s'enfonçait la paume des mains sur les yeux, se provoquait à une douleur rédemptrice, eût voulu sentir les larmes jaillir et l'inonder et laver autour de lui le sol, les gens et les choses.

Il releva ses yeux attristés, et, dans la pénombre qui paraissait moins obscure, les laissa reposer sur le jubé où des peintures se devinaient, sans qu'on en pût distinguer les formes. Pourquoi ces toiles indiscernables l'intriguaient-elles? Il n'en avait aucune conscience. Était-ce la pénitence singulière qu'il s'était imposée? Demeurer là, immobile et sans pensée, devant cette œuvre inconnue, jusqu'à ce qu'il en eût recréé le sujet? C'était absurde et tyrannique. Cependant, il recréait malgré lui. Mais infailliblement des formes naissaient de l'ombre; des lignes s'incurvaient, se joignaient, s'harmonisaient; quelque chose de vivant, d'extraordinairement vivant allait sortir de ce demi-songe. Quand la figure s'anima, il faillit s'écrier; se boucha les yeux; ramena ses mains sur les paupières. C'était sa figure, à elle, à la chérie, à l'aimée; mais sa figure transformée, remaniée et comme modelée à nouveau par quelque artiste sceptique et aimablement terrifiant, à la façon des conversations de ces messieurs. Elle était souriante et jolie, mais ses yeux étincelaient d'un éclat inaccoutumé; et le comble était qu'elle laissait voir son corps et l'indiquait presque, de son petit air mutin. Et c'était lui qui venait de faire surgir cela, petit à petit, de son regard lentement promené sur la toile sombre!

Cette figure, ainsi, était contenue en lui, avec ses traits amusants et toute cette chair découverte! Il l'ignorait totalement, ne l'avait jamais imaginée. Cela était nouveau, absolument nouveau après les phases de son amour. Il en eut un grand tressaillement, une forte surprise douloureuse hérissée de petits aiguillons voluptueux. Il trouvait cette image horrible et était par elle irrésistiblement attiré. Il crut tout à coup avoir découvert qu'il la détestait, qu'il la haïssait à lui cracher à la face, et était porté vers elle par le goût pressenti de petites morsures, de petites absorptions goulues de tout elle. Il ne pouvait plus s'abstraire de cette image, il appelait toutes les mains sur ses yeux, et en même temps les écartait d'un geste brutal. Il retourna au panneau du triptyque. Rien ne s'effaçait, et il commençait d'être suspendu et haletant, dans la crainte que cela s'effaçât. Oui, oui, là, c'était bien sa tête avec ses cheveux noirs, qu'elle relevait d'un bras, défaisant l'ordre de ses bandeaux reposés. Il voulait lui dire:

«Pourquoi défaites-vous ces bandeaux avec quoi nous avons coutume de vous trouver si belle, d'une beauté retenue, de la beauté d'une lumière que l'on contient, que l'on tamise au travers du charme discret d'une étoffe légère?..» Et il disait malgré lui: «Je sais, je sais pourquoi tu défais ces bandeaux; il faut que tu sois ainsi, désordonnée et de la folie plein toi! moi-même je te veux ainsi, il ne me déplairait pas même que tu fusses un peu laide; que ta voix se fît tout à coup vulgaire à m'écorcher, et que je vinsse à remarquer quelque chose de répugnant en tes gestes! J'aime ça! j'aime ça! je te mords ainsi! Continue, va, n'aie pas peur de devenir cette autre qui naît de toi, que je sens tout à fait toi cependant!» Il suivait le bras relevé. «Son bras! son bras!» répétait-il. Il ne l'avait jamais découvert au delà du coude; il ignorait son épaule et s'étonnait de l'imaginer d'un coup, si nettement. Son attrait passionné l'avait jusque-là aveuglé sur les détails de la chair. La vue de ce bras ombré et de cette épaule l'étouffait. Il comprenait le regard étrange que prenait la figure et ce sourire familier et ennemi, semblait-il, où une singulière expression d'égoïsme se lisait, que sa morale religieuse lui faisait juger atroce, en ce moment de fanatisme. Mais le reste du corps demeurait invisible. Un voile insoulevable le couvrait jusqu'à la gorge, et l'autre bras en tenait le bord en un signe de promesse continue de l'écarter, sans l'écarter jamais. Et l'on eût juré que les yeux et la bouche racontassent tout ce corps. C'était un murmure confidentiel et effronté qu'il écoutait comme la révélation d'un oracle ou d'un Dieu. Des mots qu'il ne prononçait jamais, dont l'articulation ne sonnait même pas en la part auditive de ses plus libres songeries, lui étaient soufflés à l'oreille et lui évoquaient ce corps, presque inconnu, de la femme, cet objet de la plus inqualifiable épouvante à l'imagination forte des hommes sensuels et vierges. Il répétait les mots qui désignaient. Il regardait le geste immobile de la main au bord du voile. C'était l'offre incessante d'une seconde de ciel, avec la mort et l'enfer. Il acceptait avec ivresse. «Si je vois, pensait-il, assurément je ne pourrai le supporter; je sens que ça va être trop fort…» Les mots, toujours, vibraient avec une précision hallucinante; et l'affolement venait de ce qu'ils sortaient des lèvres de l'image cynique qui se promettait en se décrivant peu à peu.

La récitation monotone des psaumes tomba; des instants de silence succédèrent: tous les Chartreux, à genoux, méditaient sans doute ou adoraient.

Septime releva les yeux, secoua la tête; et, comme au sortir d'un cauchemar, voulut en reconstruire les diverses péripéties. Il écarquilla les yeux vers le triptyque, s'efforça de distinguer décidément. Aberration! On ne voyait rien absolument, que le cadre et de l'ombre. Mais alors, brusquement, s'établit en sa pensée la confrontation de la véritable image de l'aimée avec l'apparition récente qui l'avait, tout le temps de sa durée, dévoré au point de ne pas laisser persister l'idée qu'elle subsistait peut-être encore quelque part, toujours suave, inviolée, tendrement enchanteresse. Oh! il était temps de faire cesser le malentendu, la monstrueuse confusion. Il avait indignement prêté les traits adorés à cette hallucination luxurieuse que les conversations légères de ces messieurs avaient probablement provoquée. Mais il demeurait là-bas, parmi la pure nuit étoilée, dans la cellule blanche, le cher être d'amour dont le délice était d'effleurer l'épaule, seulement des cheveux, en penchant la tête, comme l'apôtre Jean à Jésus, et de sentir le souffle reposant. Il dirigea sa pensée vers cette cellule; et il s'amusait d'abord d'en frôler la porte avec des baisers; et il rougit, fut presque honteux d'en forcer l'entrée même imaginairement; il osait à peine lever les yeux vers la couche, souriant enfantinement de son pieux sacrilège.

Dans la candeur totale de la cellule et du lit, ce fut l'image impudique encore qui parut. Il eut peur de revoir la figure; mais il se vautra sur ce corps étalé parmi les draps purs.

M. Grandier lui toucha du doigt l'épaule.

– Jeune homme, il est temps de nous aller coucher.

– Ces bons pères, disait M. Lureau-Vélin, sont un peu lambins en leurs affaires de nuit.

On éveilla M. Durosay qui dormait sur sa chaise.

Septime se leva, l'air stupide. Alors seulement lui vint la pensée qu'en ce lieu saint, il n'avait même pas prié. Ce léger choc brisa sa rêverie. Il suivit ses compagnons par les corridors infinis et sombres. Et dans ce répit de la première heure de luxure, il songeait avec tristesse à la volupté de cette prière d'autrefois qui le fuyait… Il la regretta comme une chère parente morte, dont le souvenir tout à coup vous étreint. On se perdit dans ces couloirs tous pareils; on s'éternisait. Le chagrin montait à la gorge de Septime, sans qu'il en sût au juste la raison. Quoi? pour la douceur puérile de ces oraisons désormais impossibles? pour cette câlinerie énervante de l'abîmement en Dieu? Il regardait ces messieurs, M. Lureau-Vélin et M. Grandier, surtout, dont la virilité se passait de ces sortes d'épanchements.

Mais aussi quel navrement suintait de ces longs murs dénudés qui, avec leurs portes étiquetées et closes et les petits Christs appendus, ressemblaient aux rues souterraines d'une nécropole! Chaque porte était celle d'un caveau. Quels morts anonymes reposaient là dedans? M. Lureau-Vélin, tenant un bout de bougie, promenait parmi tout cela sa tournure élégante et la grâce alerte de ses réflexions. Et l'impression de tristesse en était accrue par l'idée que l'on avait de cette grande paix violée et d'un contraste choquant. La nuit et les précédentes heures fiévreuses exaltaient toute imagination. Septime voulut que ces mots fussent toutes les douces choses de son enfance, de son adolescence, perdues, et qu'il piétinait à la suite de ces mâles impies et en prononçant des phrases légères. Il voulait se retenir; ne plus avancer, même retourner en arrière; revenir à cette chapelle où tout, aux pieds divins, se retrouverait peut-être. M. Lureau-Vélin disait la sorte de gilet de soie qu'il portait pour se préserver de l'humidité quand il visitait des catacombes… À Rome, une jeune femme s'était reposée sur un petit tas d'ossements qui, en craquant, avait laissé jaillir une espèce de glu que l'on peut enlever même d'une étoffe de crépon par un mélange… etc. Et ces messieurs, tout en souriant, s'approchaient pour écouter la recette inattendue. Septime marchait sur leurs ombres dansantes, à la lueur pâlotte de la bougie. Non! non! on ne revient pas en arrière! Adieu! adieu! petits morts bien clos en vos cellules étiquetées; joies naïves, et tendresses surtout, éperdues tendresses d'adolescence, par l'ignorance encore de la rudesse de vivre; embrassements de la divinité familière ou des cous maternels, adieu! adieu!

Le temps d'autres choses semblait venu. Quelles? Ah! qui l'eût pu dire? C'était la sensation confuse de l'irrémédiable, c'était noir comme l'enfoncée profonde du grand corridor, devant soi, où le lumignon clignotait aux mains de ces personnes expertes et savantes, elles, sans doute, et qui devisaient de tout sur un ton badin.

Ce fut encore sur un mot plaisant que l'on se quitta devant les cellules enfin retrouvées: on y faisait allusion à la solitude volontaire, à la femme dont l'idée, ici, prenait une tournure paradoxale; à l'amour, dont on ne pouvait décidément parler, sans rire, d'un certain rire de vaurien, de garnement en goût de canaillerie. La gorge de Septime se serra durant qu'il donnait la main à ces gens aisés, et refermant sur soi la porte, les sanglots d'un coup l'étouffèrent, et il tomba sur le lit, pleurant sans nulle honte, toutes les larmes de son cœur.

Car il lui semblait qu'il n'aimait plus, que cela aussi était en allé et mort avec le reste des choses puériles… Tout à l'heure, il avait dû passer devant le sépulcre de son amour, parmi tous les autres, dans cet alignement funèbre que l'on vieillissait d'années à parcourir. S'il avait bien regardé, il aurait déchiffré un nom sur la porte, reconnu une figure peut-être, cette figure adorée qu'il s'efforçait en vain de reconstituer pour l'embrasser comme autrefois, imaginairement, et de tendresse seulement, de cette spéciale tendresse qui la laissait, sous les baisers, si divine, si belle. Ne la retrouverait-il donc jamais plus? Parmi ses larmes, il évoquait avec un acharnement de désespéré, une minute encore, une minute de cette adoration muette, respectueuse et délicieusement anéantissante, aux pieds de l'être qui est tout. Mais la femme qui avait été, pour lui, cela à la suite de Dieu, se refusait, comme la prière; n'apparaissait plus que morte, pauvre chose chérie et passée dont la mémoire n'appelle que les larmes et larmes vaines! Il se roulait sur le lit dur; se tordait, emmêlé dans ce deuil. Il retrouva quelque chose de son passé; ce fut d'appeler enfantinement, en des termes presque de poupée, la figure bien-aimée. Il la voulait amadouer en la prenant par parties, quasi par bribes; s'adressait à un de ses yeux qui l'avait, le plus de fois, tendrement regardé; appelait son nez chéri, sa bouche à l'instant où elle prononçait telle parole qu'il savait bien, etc., etc. Quels hommes, dans les crises d'amour, n'ont pas recouru à de pareils enfantillages? Et par bribes menues, par parties, membre à membre, plus vite que ses appels, se reconstituait la créature d'amour, l'Aphrodite, radieuse d'impudeur, divinement attirante, qui semblait tout contenir, et qui, présente, éclipsait le reste des choses.

Il cessa de pleurer dès qu'il l'eut revue; oublia qu'il avait souhaité autre chose en cette noire traversée des corridors. Folie! qu'y avait-il au monde, hormis cette chair! La vue seule de ce bras eût consolé tous les misérables. Et il défaillait à la seule représentation de son sein nu! Et il s'enhardissait à présent, la voulait découvrir presque toute; retournait à la cellule blanche de l'hôtellerie, au lit où elle avait l'air de l'attendre, lui ouvrait ses bras, lui donnait ses beaux seins tendus et l'assommait tout à coup de quelque chose d'inouï.

XVIII

On éprouva de l'embarras à écrire à M. de Prébendes.

L'abbé ayant manifesté l'intention de venir, sur l'invitation pressante qui d'ailleurs lui en avait été faite, on ne pouvait manquer de soutenir son bon mouvement, bien que personne ne se souciât de le voir achevé. Jamais épithètes gracieuses ne furent prodiguées à un membre du clergé, en si grand nombre qu'il fut fait pour ce cher abbé durant les quelques jours qu'on négligea de lui répondre. «Il faut écrire à l'abbé», soupirait quelqu'un. «Ce bon abbé! cet excellent abbé! ce vénérable homme! ce savant homme! ce digne prélat!» même avait été jusqu'à dire M. Durosay, à la suite des exclamations de tout le monde. Septime fit observer que la prélature était une dignité considérable que l'abbé n'avait point. «Il la mérite, assurément; elle lui pend au nez; cet homme-là ira loin… – Il viendra jusqu'ici, fit le docteur. – Eh! qu'il vienne donc, parbleu! Dis, çà, bellotte, as-tu une tasse de café pour monsieur l'abbé? – Et qui lui annonce que son lit est fait?» Ici, tout le monde froissait sa serviette et se dispersait en chantonnant, les uns l'opérette de la veille, les autres celle d'il y a vingt-cinq ans, qui se trouvaient parfois être la même.

L'infinité des soins prescrits par le docteur tenait madame Durosay de longues heures à sa toilette, et tout le reste de la journée étant occupé au dehors, c'était dans les quelques minutes de répit entre ces opérations diverses, qu'elle faisait sa correspondance. Dès en ouvrant les yeux, elle aperçut l'écritoire et essaya de lier quelques idées pour l'abbé, dans la moiteur de pensée du réveil.

«Monsieur l'abbé… cher monsieur l'abbé.» «Suis-je sotte! je ne sais même pas comment dire! Ah! çà, qu'est-ce que je dis quand je lui broche un petit mot pour l'inviter à dîner? et que lui racontai-je autrefois quand il fit son voyage de Rome?» Elle s'étira, s'allongea, rejeta le drap qui la couvrait trop chaudement, et demeura un instant inerte, toute idée enfuie. L'heure délicieuse seulement l'imprégnait. Il ne venait aucun bruit que le chant des oiseaux en liesse dans les acacias du jardin. La chambre était plongée dans l'ombre, mais au travers des rideaux transperçait cette lueur, qu'on sent être le plein soleil, la belle éblouissante lumière des matins d'été. D'un geste, elle pouvait faire entrer cette joie matinale qui sent si bon, qui semble apporter tout le paysage avec soi, où il y a de la montagne, des cyclamens et de la fraîcheur d'eau. Elle aimait aller à la fenêtre qu'elle entr'ouvrait, et se laisser aveugler les yeux un moment, puis les baigner dans la vapeur d'argent qui s'élevait de la terre ou du lac, et revenir au lit, à demi découverte, une fois les moiteurs évaporées, se laisser caresser par la petite brise, s'imaginant que par une grande chaleur elle se couchait, la peau nue, sur de l'herbe humide.

Elle oubliait déjà qu'elle avait fait cela d'abord par soumission aux conseils du docteur, et presque en riant de l'étrangeté du précepte. «C'est par une simplification des vieilles lois nécessitées par l'embarras de la vie moderne, formulait-il, que l'on vous ordonne le bain dans cet élément unique, dans l'eau. Nous sommes faits pour nous baigner dans toute la nature; nous avons autant besoin du rayon du soleil, de l'air chargé de l'haleine des plantes, de la terre même sur notre peau que de cette cruche de liquide que l'on vous fait répandre le matin.» Et il disait à la jeune femme, improvisant des subtilités: «Il faut épier chaque flatterie éprouvée par le moyen de ces choses; c'est de la vie qui vous pénètre. Vous iriez tous les jours à l'établissement thermal si l'on vous disait que les eaux vous en sont bonnes, et vous ne taririez pas à nous raconter par le menu le bien-être que vous en ressentiriez. Je vous ordonne l'établissement thermal le meilleur du monde, où l'on prend les eaux universelles. Il est partout, ouvert à toute heure. Vous le fréquentez dans la chaleur du lit, quand, à force d'aise, de légers frissons vous courent comme des caresses, et lorsque vous mirant dans votre glace vous vous sentez de la beauté. Les miroirs sont sains, ils ont éveillé le sang appauvri de beaucoup de petites vierges qui s'étiolaient; et, lorsque, aux repas, un joli rire vous secoue, vous ébranlant la tête jusqu'à penser un court instant la perdre, et même lorsque l'heure silencieuse du soir vous donne à croire que vous allez pleurer, jeune femme, enfant, vous êtes encore à l'établissement qui guérit, et je vous écouterai tout le temps qu'il vous plaira de ne pas tarir à me raconter les heureux effets que vous en aurez éprouvés.»

Elle en avait éprouvé de si heureux qu'elle avait eu garde de les dire. Elle avait pu même brûler l'ordonnance et continuer d'en accomplir les prescriptions, par cœur et fidèlement.

Ainsi, ce matin, elle s'attardait avant le lever, prolongeant avec une complaisance infinie un moment délicieux, habile déjà à savourer, goutte à goutte, chaque minute heureuse. Elle hésitait à donner entrée à ce jour qu'elle sentait si souriant au dehors et elle promenait les yeux doucement par toute la pénombre comme sur de la mollesse épandue.

Pourquoi ne pas se débarrasser tout de suite de cette lettre? Elle y voyait tout juste assez pour griffonner; elle atteignit l'écritoire:

«Monsieur l'abbé,

»Votre grand enfant nous avertit de l'heureuse intention que vous avez…» Elle aperçut qu'elle était découverte et rabattit brusquement le drap, «que vous avez de nous venir trouver au plus tôt. Ai-je besoin de vous dire combien nous avons applaudi à un tel projet? Nous ne l'osions pas espérer réalisable à cause de la santé de notre vénérable curé doyen, que nous savons, hélas! bien fragile…»

Elle écrivait penchée sur le côté, le petit buvard appuyé à demi sur l'oreiller, à demi sur la poitrine; et du va-et-vient du bras nu qui allait puiser l'encre et du mouvement de son sein à chaque gros soupir qu'elle poussait en cherchant ses mots, montait son parfum de femme qu'elle-même respirait. Et elle se mit tout à coup à rougir à cause de cette lettre à l'abbé, écrite en cette atmosphère, et qui en garderait peut-être un relent. Elle jeta feuille et plume et s'enfonça tout entière sous le drap, comme surprise à mal faire, jusqu'à temps que fut passée sa rougeur. Elle sourit là-dessous ou de son enfantillage ou de la singularité qu'avait en effet la façon d'écrire à l'abbé. Mais la rougeur ne diminuait point, ni l'enfantillage, car, toute pelotonnée sur elle-même, ayant rencontré son genou tout près de ses lèvres, ne lui plut-il pas de l'embrasser, à plusieurs reprises? Et elle rejeta vite hors du lit sa jolie tête moite et colorée où ses yeux d'un brillant adorable et indéfinissable avaient du gamin, du vaurien, de la folie, de la bonté ou de l'amoureuse. D'un bond, elle fut sur une chaise et, telle quelle, continua la lettre commencée:

«Hélas, bien fragile… Il faut s'attendre à tant de surprises de la part de ces existences si mobiles et si délicates. Il est vrai que nous pouvons précisément avoir une amélioration passagère qui nous permettrait de jouir quelques instants de votre présence. J'espère au moins que c'est votre amitié et non l'inquiétude qui vous presse. Il ne faudrait pas vous mettre le moins du monde en peine de votre cher élève. Figurez-vous que je me plais à lui répéter que je suis ici monsieur l'abbé en personne. C'est un peu bien présomptueux de ma part de prétendre exercer cet intérim, mais vous êtes trop aimable pour même penser que je ne le mérite pas un peu… au moins pour un temps de vacances. Je ne crois pas parvenir à empêcher votre pupille d'avoir un regret de vous, mais il m'accorde toute la docilité qui vous serait due, et je m'efforce d'être aussi sévère et exigeante que vous, ce qui est vous dire combien lui et moi avons de mal, cher et bon précepteur?..

«Nous avons fait la connaissance d'un monsieur… »

Elle ne put encore supporter de s'apercevoir si nue, par l'entre-bâillement de la chemise de nuit durant qu'elle écrivait à l'abbé: elle laissa encore une fois la petite feuille de papier mauve, et courut mettre un peignoir pour ouvrir les rideaux.

Le jour venu, elle oublia complètement l'abbé, tout entière à l'emploi qu'on allait faire aujourd'hui de ce soleil splendide, de ces appels au dehors qui venaient par la voix des oiseaux et les bruits lointains de la villa éveillée… Toute sa jeunesse et sa beauté lui bourdonnaient aux oreilles; elle entr'ouvrit seulement la porte-fenêtre sur le balcon, et là, penchée contre l'étroite ouverture où la fraîcheur de l'air se faufilait, elle eut cet instant unique aux jolis êtres qui sentent tout un beau jour à eux et le baisent avant que d'en jouir, comme se baisent paisiblement et pieusement les amants dans la minute où ils goûtent l'avant-goût des caresses. L'attrait extraordinaire de l'expansion joyeuse qu'appelait cette journée la saisit avec tant de violence qu'elle eut envie de sauter, de battre des mains dans sa chambre, comme une enfant.

Elle courut au tub, se sentant le besoin soudain de s'étourdir par l'eau, de barboter et d'être remuée, fouettée à vif. Passé le petit tressaillement sous l'eau ruisselante aux épaules, elle ne pouvait plus se retirer de la vasque où elle se donnait elle-même cette pluie bienheureuse. Elle s'accoutumait à regarder, à présent, dans la haute psyché, son corps ressuscité sous l'ondée. Les premiers temps du traitement, elle jetait des serviettes sur les miroirs, et encore aujourd'hui, elle refusait d'être aidée par sa femme de chambre, de tels soins physiques dépassant la conception de la vieille Catherine qui n'allait point jusqu'à comprendre que l'on pût se mettre à l'eau toute nue. Mais peu à peu, avec les mille perlettes d'eau pure dégringolant le long du corps, s'écoulait dans la vasque cette puérile terreur de soi, cette peur chrétienne de la chair. Doucement, les jeux divers de ces brillotements argentés, pendant l'extrême bien-être physique, lui faisaient prendre sympathie à ses formes, quasiment en jouant; et, n'y trouvant, en vérité, rien d'affreux, il se créait entre elle et sa beauté d'aimables relations familières.

Elle se prit à aimer ses bras qu'elle soulevait au-dessus de la nuque en pressant l'éponge. Ils étaient pleins et d'une blancheur parfaite que l'ombre encadrée de la tête et les deux nids obscurs des aisselles rendaient plus éclatante et plus expressive. Elle s'amusait à en suivre, nonchalamment, la ligne sinueuse et jolie et s'ingéniait, d'instinct, à ce que son geste fût gracieux. Elle soutenait et pressait, d'une main, la masse épaisse de sa chevelure, et de l'autre s'arrosait les épaules.

Elle eut le goût de sa peau qu'elle surveilla jusqu'à la minutie, lui voulant un grain impeccable, et se souriant, malgré elle, lorsqu'elle promenait au hasard le bout de ses doigts sur la surface infailliblement satinée. Mais sa gorge fut sa plus chère amie. Elle s'en occupait avec une complaisance qui la faisait parfois se taquiner elle-même cependant pour sa futilité. Quand elle mirait ses deux seins remplis chaque nouveau jour de sa vitalité remontante, elle ne pouvait se tenir d'être fière, et elle se satisfaisait, en quittant le miroir, du lent balancement de ses hanches.

Le seul plaisir de sa grâce la tenait ainsi, et elle retirait de se plaire une secrète joie si bonne, qu'enroulée, au sortir du tub, en son peignoir de bain, ou repelotonnée sur elle-même au lit, elle demeurait les yeux clos, quelquefois fort longtemps, savourant en elle quelque chose d'assez imprécis, et qui était tout simplement l'ivresse naturelle et magnifique qu'a une femme d'être belle au milieu d'une atmosphère heureuse.

Ce fut à l'issue d'un de ces repos, que la jeune femme entr'ouvrant ses yeux humides de la douceur du rêve, réaperçut sur la petite table le carré de papier mauve et les quelques lignes interrompues que sa main avait jetées et abandonnées là. Ses yeux aussitôt s'élargirent et se fixèrent dans le vide comme il arrive lorsque se présente une de ces contradictions insolubles et plutôt flairées par l'instinct que saisies par l'intelligence. Un singulier mélange se fit en ses impressions et il lui parut que toutes choses, jusqu'à la lumière du jour, en étaient ternies. Elle n'allait pas jusqu'à se représenter la signification de ce papier, ce qui lui eût permis peut-être, ou d'en faire fi délibérément ou de concilier les oppositions qu'elle éprouvait. Elle en était simplement incommodée, désagréablement affectée. Ce bout de papier mauve prenait tout à coup des proportions encombrantes; elle eût donné beaucoup pour pouvoir souffler dessus, le voir s'envoler, disparaître à jamais.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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