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Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 22

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Mazarin avait aussi pris soin d'entourer le jeune roi de serviteurs qui lui étaient dévoués; il lui avait laissé par écrit une instruction, qui contenait tout ce qu'il avait à dire dans tous les cas inopinés qui pourraient se présenter. Bussy, qui se rendit alors, comme beaucoup d'autres, à Bouillon pour solliciter personnellement Mazarin relativement aux demandes et aux réclamations qu'il avait adressées au gouvernement, fut frappé d'admiration en voyant avec quel calme, quelle présence d'esprit ce ministre proscrit administrait la France du fond du petit château des Ardennes, où il s'était retiré sans gardes et sans suite619; avec quelle rapidité il expédiait les courriers qui lui arrivaient à tout moment, car Bussy atteste, et tous les Mémoires sont d'accord sur ce point, qu'à cette époque il ne fut rien résolu de quelque importance que conformément aux décisions du ministre exilé.

Après que le roi eut fait sa rentrée dans Paris, qu'il eut tenu au Louvre son lit de justice, qu'il eut interdit au parlement, par des paroles sévères, la discussion des affaires publiques; après que tous les chefs et les meneurs de l'insurrection eurent été exilés, ou que d'eux-mêmes, hommes et femmes, ils eurent fui de la capitale; après que le cardinal de Retz, le plus redoutable de tous les factieux, eut été incarcéré; après qu'une déclaration du roi eut cassé tous les arrêts rendus contre Mazarin, Mazarin reparut620.

Son entrée dans Paris (le 2 février 1653) ressembla bien plus à un triomphe qu'au retour d'un proscrit, et fut le dénoûment et la dernière scène de la Fronde. Tous les partis avaient été frappés, au moment de leur plus grand discrédit, par les coups répétés de l'autorité royale, et se trouvaient atterrés et brisés. Partout dans Paris les rubans blancs et les bandelettes de papier blanc avaient remplacé la paille des frondeurs, et les rubans jaunes, bleus, rouges et isabelle; et l'unité de la couleur semblait être devenue un emblème de l'unité de l'autorité et du commandement.

Mazarin sut parfaitement juger sa position, et la force que lui donnaient les fautes des partis qu'il avait su vaincre. Il reprit l'exercice du pouvoir royal tel qu'il existait avant la première Fronde, tel que Richelieu l'avait laissé, comme s'il n'avait éprouvé aucune interruption. Cette marche habile lui acquit l'estime de tous les cabinets étrangers: elle releva la France, qui par ses divisions était devenue le jouet et la risée d'une perfide et tortueuse politique621.

Ainsi au théâtre, après une intrigue compliquée où l'imagination se fatigue sans parvenir à en prévoir les résultats, apparaît à la fin l'être puissant et mystérieux qui a tout conduit, dont la présence explique tout, dénoue tout, replace tout dans une situation naturelle, et fixe pour toujours les destinées de tous les personnages de la pièce622.

On a reconnu dans Richelieu toutes les qualités d'un grand ministre, malgré ses vices, ses petitesses, son amour-propre d'auteur, ses persécutions et ses vengeances. Pourquoi Mazarin, qui eut à lutter contre de plus grands talents, contre des génies supérieurs, n'a-t-il pas aussi, malgré son avarice et ses autres défauts, obtenu la même justice? Le premier déploya plus de grandeur dans ses desseins, plus de vigueur dans leur exécution; le second, plus de fécondité dans ses moyens, plus de prudence et de finesse. Le premier brava les haines; le second, les ridicules. Richelieu força ses opposants à être ses esclaves ou ses victimes; Mazarin fit de ses antagonistes ses créatures ou ses dupes. Tous les deux sont arrivés à leur but par des voies différentes: ils ont été les maîtres de l'État, et n'ont jamais séparé leurs intérêts de ceux du trône, ni les intérêts du trône de la personne du monarque; ils ont ajouté à la grandeur et à la gloire de la France, et tous deux ont contribué à préparer le beau règne de Louis XIV.

Voltaire compare Mazarin à Retz comme homme d'État, et prononce que des deux Retz est le génie supérieur: pour appuyer son jugement, il renvoie aux dépêches de l'un et aux Mémoires de l'autre. Singulière preuve, erreur étrange! Y a-t-il quelque comparaison à établir entre des écrits particuliers et secrets, tracés avec la rapidité qu'exige le besoin du moment, au milieu des agitations d'une vie occupée, et ceux que l'on compose pour le public, qu'on élabore à loisir dans le calme et dans la retraite? Est-ce qu'on ne doit pas, d'ailleurs, toujours séparer l'homme de l'écrivain ou de l'orateur? Autre chose est la pensée, autre chose est la résolution; autre chose est le discours, autre chose est l'action. Un intervalle profond sépare la théorie de la pratique; le génie des lettres et de l'éloquence ne suppose pas toujours celui des affaires. Tous deux peuvent coexister sans se nuire; mais l'un n'est pas le résultat de l'autre. La prévision, l'à-propos, l'inspiration soudaine, la souplesse et la promptitude d'un esprit propre à trouver toujours de nouvelles combinaisons pour tous les événements, sous quelque face qu'ils se présentent, sous quelque forme qu'ils se modifient; l'empire qu'on exerce sur soi-même pour tout faire tourner (jusqu'au hasard) au profit de ses projets; cette persévérance qui ne se laisse distraire par aucune passion, dominer par aucune affection; cette défiance qui nous met en garde contre nos illusions et celle des autres; cette activité qui ne néglige aucun détail, surveille tous les accidents, ne perd jamais de vue les points culminants des affaires: tout cela est inutile à l'écrivain, à l'orateur, mais est indispensable à l'homme d'État; et encore, avec toutes ces qualités, celui-ci ne peut rien sans la force du caractère et la puissance de la volonté. Le talent de l'homme de lettres ou de l'orateur n'a besoin pour atteindre tout son éclat et produire tous ses effets que des moyens qu'il puise dans sa mémoire, son jugement et son imagination; et comme il est plus facile de perfectionner, par l'exercice et le travail, ses forces intellectuelles, d'apprendre à polir son style ou d'ajouter à la grâce de son débit, que de se donner l'énergie qui manque ou de changer les inclinations qui résultent de l'organisation, il arrivera souvent que des hommes d'État deviendront, au milieu de la pratique des affaires, d'habiles écrivains, des orateurs faciles et diserts; tandis que le meilleur écrivain, le plus sublime orateur ne pourra devenir un homme d'État, si la nature n'a pas donné à son âme la trempe nécessaire, à son esprit les qualités requises; si elle lui a dénié les penchants et les passions qui le rendent propre à une vie tumultueuse et agitée, ou si, heureusement pour lui, elle lui en a conféré qui lui sont contraires.

Laissez de côté les historiens, qui tous, sur la foi les uns des autres, accolent à certains noms des jugements formulés d'avance; étudiez les faits dans les écrits contemporains, dans les actes publics, et vous serez convaincu que ce n'est pas un homme d'État ordinaire que celui qui a négocié le traité de Munster et conclu la paix des Pyrénées; qui a donné l'Alsace à la France, et préparé de loin ses droits au riche héritage de l'Espagne; qui a terminé la guerre civile et la guerre étrangère; qui a rétabli l'autorité royale dans toute sa majesté et sa force; et qui, après avoir pris les rênes de l'État, envahi, déchiré et affaibli, le laissa, en mourant, tranquille au dedans, puissant et respecté au dehors. Non, le ministre qui fut le collaborateur de Richelieu, et qui forma Colbert, n'est pas tel que nous le dépeignent ceux qui ont cru pouvoir écrire l'histoire de ces temps d'après les satires des frondeurs, les harangues des parlementaires, et l'insidieux mais habile factum que le cardinal de Retz, nous a laissé sous le titre de Mémoires.

Il existe entre Mazarin et Retz, considérés comme hommes d'État, toute la distance qui sépare celui qui s'est montré capable de conduire un grand royaume au milieu des circonstances les plus difficiles, et celui qui a prouvé qu'il ne savait pas se conduire lui-même, lors même que le sort le favorisait. Dans cette seconde guerre de Paris surtout, on peut dire que Retz n'a commis que des fautes; et il ne sembla avoir employé toutes les ressources de son esprit et tous les efforts de son éloquence que pour marcher plus sûrement à sa perte et y entraîner ses amis, et avec eux Gaston, qui s'abandonna trop à ses conseils. La présomption et la vanité de Retz l'aveuglèrent jusqu'à la fin. Si après le massacre de l'hôtel de ville, au lieu d'armer et de se fortifier dans le clos de l'Archevêché623, il eût pris le prétexte des désordres qui avaient eu lieu, et de l'anarchie qui régnait dans Paris, pour se retirer dans ses terres, loin de la cour et des factions qui concouraient à le repousser et à se défier de lui, il eût acquis l'estime publique, il se fût réconcilié avec la reine; il aurait infailliblement obtenu par la suite, dans les affaires, l'influence due à ses talents, à sa dignité d'archevêque, à l'empire qu'il exerçait sur le clergé et sur une portion du peuple de Paris. Même après avoir laissé échapper cette occasion, il eût encore pu arriver au même résultat, lorsque, à la tête de la députation du clergé, il se présenta devant le roi, pour le supplier de rentrer dans sa capitale. S'il eût mis à profit cette mission, où il étala tant de luxe et de magnificence624; s'il eût agi avec sincérité envers son souverain; si sa conduite et ses sentiments eussent été d'accord avec les paroles qu'il prononça en cette occasion; si le chapeau de cardinal, qu'il reçut alors des mains du monarque, avait été pour lui, comme il devait l'être, le gage d'une noble et pieuse réconciliation, sa destinée, à la suite des crises de sa jeunesse, eût été aussi utile, aussi brillante qu'elle a été inutile et obscure. Si même, après les mauvais conseils donnés à Gaston, il avait accepté l'offre que lui faisait le gouvernement de payer une partie de ses dettes et de consentir à partir pour Rome chargé d'une mission à laquelle on eût attaché de forts émoluments, il eût pu conserver son rang, sa dignité et ses richesses, et récompenser tous ceux qui l'avaient soutenu dans sa rébellion, et dont il occasionnait la disgrâce. Mais, de même qu'il avait d'abord cédé à l'orgueil impolitique de tenir tête, dans Paris625, au prince de Condé, il voulut, malgré les conseils de ses amis, rester encore dans la capitale après la rentrée du roi. On avait attribué généralement à son influence la retraite de Mazarin, quoiqu'elle fût due à une autre cause: or, rien n'est souvent plus désastreux que de paraître revêtu d'une puissance plus grande que celle que l'on possède626. Retz s'aveugla sur sa position: il ne sut pas prévoir, cet homme d'État, que tous les partis lui attribueraient leur défaite, et qu'aucun ne le soutiendrait627. Ce fin politique se laissa prendre aux paroles que lui adressa le monarque adolescent, lorsqu'il se rendit au Louvre pour le complimenter avec son clergé; et il ne comprit pas que ces paroles avaient été dictées. Ce galant si habile à ruser avec les femmes, ce séducteur si adroit, fut, comme un jeune novice, la dupe de sa fatuité, et se laissa amorcer par la doucereuse coquetterie d'une reine qui le haïssait. Cet orateur si habitué aux succès se crut populaire parce qu'il attirait la foule à ses sermons; et cependant la princesse Palatine, qui, quoique royaliste, ne pouvait sans peine voir succomber cet illustre associé de ses anciennes conspirations, l'exhortait à fuir. Elle ne lui cacha point qu'on était décidé à l'écarter à tout prix, même par le sacrifice de sa vie628: le public sembla l'en avertir, lorsque, à une représentation de Nicomède, il lui fit, par des acclamations, l'application de ce vers:

 
Quiconque entre au palais porte sa tête au roi629.
 

Cependant avec Mazarin ce n'était pas là le genre de danger qui menaçait Gondi. Cet habile ministre comprenait combien l'arrestation de l'ancien chef de la Fronde serait utile au pouvoir dans l'esprit des peuples, comme signe de force, et combien pourrait lui nuire un lâche assassinat, indice de faiblesse et de cruauté630. Gondi, quoique dûment prévenu, considéra comme un manque de courage de déférer aux avis qui lui étaient donnés631; lui qui avait vu saisir et conduire en prison le premier prince du sang, le vainqueur de Rocroi, crut que l'on n'oserait pas attenter à sa liberté, parce qu'il était revêtu de la pourpre ecclésiastique. Il avait dit lui-même au président de Bellièvre qu'il avait deux bonnes rames en main, dont l'une était la masse du cardinal, et l'autre la crosse de Paris632: pourquoi donc ne se mettait-il pas en une position où l'on n'aurait pu lui ôter la liberté de faire mouvoir ses rames, et s'obstinait-il à pousser sa barque contre des écueils où elles devenaient inutiles?

Il fut enfin arrêté et incarcéré633, et cet événement causa l'exil, la fuite ou la ruine de tous ses amis, de tous les adhérents qu'il avait dans Paris; ce fût le commencement des malheurs qui le poursuivirent pendant une grande partie de sa vie. Les fautes qu'il a commises, et qui amenèrent ce résultat, font d'autant plus de peine qu'il supporta l'adversité avec courage et avec dignité; qu'à des talents de l'ordre le plus élevé il joignit des qualités aimables. Il méritait sous plusieurs rapports l'admiration et l'attachement que madame de Sévigné professait pour lui. Il avait de l'élévation dans l'âme, un cœur sensible, généreux, capable de dévouement, et sincère dans le commerce de l'amitié. On ne pouvait lui reprocher ni les petitesses, ni l'égoïsme, ni la basse cupidité de Mazarin; et l'histoire lui aurait accordé la supériorité sur son rival, si elle jugeait les personnages qu'elle évoque devant son tribunal d'après leurs vertus privées, et non sur leurs actes publics. Mais ce n'est pas ainsi qu'elle procède: elle ne considère les qualités et les défauts des hommes que par leurs résultats sur les destinées des peuples. Le mérite et le démérite des actions humaines, considérés sous le point de vue de l'éternelle justice, ne lui appartiennent pas, et dépendent d'une juridition plus élevée que la sienne.

CHAPITRE XXVII.
1652-1653

Motifs qui ont fait préférer à l'auteur de cet ouvrage la forme des mémoires à celle de l'histoire.—Condé, rentré dans Paris, va siéger au parlement.—Réprimandes sévères qu'on lui adresse.—Pourquoi l'arrêt du parlement ne s'opposait pas à sa présence dans Paris.—Le parlement, abandonné du peuple de Paris, se trouve sans force.—Il redoute également Mazarin et Condé.—Madame de Longueville pousse Condé à la guerre.—La Rochefoucauld et Nemours l'engagent à faire la paix.—La duchesse de Châtillon devient la maîtresse de Condé et son négociateur auprès de la cour.—Mort de Chavigny, de Brienne, et de Bouillon.—Divisions entre ceux du parti de Condé.—Haine entre Nemours et de Beaufort.—Noms des hommes éminents du parti des princes.—Détails sur Chabot.—Son mariage avec mademoiselle de Rohan.—Madame de Rohan, douairière, s'y oppose.—Elle prétend que Tancrède est son fils, et doit hériter des biens de son mari.—Celui-ci est tué dans un combat.—Rohan-Chabot se réconcilie avec sa belle-mère.—Il fait enregistrer ses lettres de duc et pair, et continue à être amoureux de madame de Sévigné.

Quant à Condé et à Gaston, ils ne dirigèrent pas les événements, ils se laissèrent gouverner par eux. Ils ne donnèrent pas l'impulsion, ils la reçurent. Le détail des faits peut seul nous donner une idée exacte des incertitudes de leur esprit et des variations de leurs projets. Revenons donc à ce qui se passa à la suite du combat de Bléneau. Ce récit achèvera de nous mieux faire connaître tous les personnages de la Fronde, même ceux que nous avons déjà essayé de peindre. Dans cet ouvrage, où rien de ce qui concerne madame de Sévigné ne doit être omis, nous nous sommes proposé aussi de peindre le monde où elle a vécu, et, pour atteindre ce but, l'allure libre et irrégulière des mémoires nous a paru préférable à la marche compassée de l'histoire. Celle-ci retrace la vie des États; elle doit classer les grands événements, les raconter tous, les astreindre à l'ordre des dates, et ne point s'occuper des existences individuelles et des aventures privées; et ce sont précisément celles dont nous entretenons le plus longuement les lecteurs, parce que par là nous leur présentons une image plus vive, plus fidèle de chaque personne et de chaque époque. Selon qu'il est nécessaire à nos desseins, tantôt nous anticipons sur l'avenir, tantôt nous rétrogradons dans le passé. Nous ne rappelons les faits généraux qu'autant qu'ils sont nécessaires pour éclairer les faits particuliers; mais dans la Fronde ce sont ceux-ci qui ont entraîné les faits généraux, et on ne peut les isoler les uns des autres. De là les développements où nous sommes forcé de nous livrer pour ne pas laisser incomplète cette partie de notre ouvrage et répandre plus de clarté sur celles qui la suivront.

Condé, encore ensanglanté de la victoire qu'il venait de remporter sur les troupes du roi, rentra dans Paris, et vint siéger sur les fleurs de lis, dans ce même parlement qui l'avait déclaré criminel de lèse-majesté. Le président Bailleul et Amelot ne craignirent pas de lui adresser des réprimandes sévères sur cette insulte faite aux lois et à la justice. Mais l'arrêt qui condamnait Condé portait en même temps que l'exécution en serait suspendue jusqu'à ce que Mazarin fût sorti du royaume. Condé pouvait donc légalement se présenter au parlement. La nécessité de se justifier lui en fournissait le prétexte634, et les termes de l'arrêt lui en conféraient le droit. Il pouvait résider à Paris tant que Mazarin serait en France; et lors même que le parlement eût voulu l'expulser de la capitale, la haine contre Mazarin était encore trop générale, le parti de la Fronde encore trop nombreux, l'influence de Beaufort sur la populace de Paris trop grande, pour que le parlement eût l'espoir de se voir obéi. Tout ce qu'il pouvait faire, soutenu par la garde bourgeoise, par le prévôt des marchands, Lefebvre, et par le gouverneur de Paris, le maréchal de L'Hospital, tous deux secrètement dans les intérêts du roi, c'était de ne pas permettre que Condé introduisît des troupes dans Paris, dont l'entrée était aussi interdite aux troupes royales.

Toutes les forces de l'opposition dirigées contre Mazarin résidaient donc dans Condé. Tous les partis qui la formaient, ceux-là même qui étaient les moins favorables à ce prince, ne pouvaient se déguiser qu'ils étaient à la discrétion du premier ministre, si Condé faisait sa paix. On pouvait, au contraire, forcer la cour à expulser Mazarin, ou obtenir des conditions favorables si Condé continuait la guerre. La crainte ou l'espérance de chacune de ces alternatives donnait donc une grande activité aux intrigues qui s'agitaient autour de ce prince. A la tête du parti qui le poussait à la guerre était sa sœur, la duchesse de Longueville, que la paix eût obligée à se réunir à son mari. Aussi s'empressait-elle de compromettre son frère en s'unissant aux Espagnols. Par ses lettres, par les émissaires de l'Espagne, par ses amis, par Chavigny, elle excitait Condé à rompre toute négociation avec la cour635. Les ducs de La Rochefoucauld et de Nemours étaient les chefs de ceux qui, parmi les partisans de Condé, voulaient qu'il fît sa paix avec Mazarin636. Ils étaient d'avis qu'il devait abandonner le duc d'Orléans, le parlement et la Fronde, afin d'obtenir des conditions plus avantageuses pour lui seul et pour tous ceux qui s'étaient attachés à sa personne. La Rochefoucauld pensa qu'il lui serait impossible de faire adopter son plan de conduite à Condé, s'il ne parvenait pas à le soustraire entièrement à l'influence de la duchesse de Longueville et à celle de Chavigny; et il imagina d'employer dans ce but les charmes de la duchesse de Châtillon. Condé en était toujours amoureux; mais le duc de Nemours, à son retour de Flandre, où il s'était rendu pour ramener dans l'armée des princes des troupes espagnoles, n'avait pu revoir celle dont il avait été si violemment épris sans lui renouveler ses protestations d'amour, sans lui demander pardon des infidélités que les séductions de la duchesse de Longueville lui avaient fait commettre. La duchesse de Châtillon, qui par le retour de cet amant, qu'elle n'avait pas cessé d'aimer, se trouvait flattée dans son orgueil, satisfaite dans sa haine contre la duchesse de Longueville, et contentée dans ses affections, n'eut pas de peine à recevoir le coupable en grâce. La réconciliation fut entière et sincère de part et d'autre, et eut toute la force d'un naissant attachement. La Rochefoucauld avait d'abord vu cette réconciliation avec plaisir, parce qu'elle le vengeait de l'abandon et de l'infidélité de la duchesse de Longueville; mais il en fut ensuite contrarié, parce qu'elle s'opposait à ses desseins. Il comprit que le manége et les ressources de la coquetterie ne suffiraient pas à la duchesse de Châtillon pour obtenir sur Condé l'empire nécessaire à la réussite de ses projets. Pourtant il s'efforça de la rendre l'instrument de ses desseins; il flatta sa vanité, exalta son ambition; il lui fit comprendre qu'il dépendait d'elle de se rendre la souveraine de l'État: que pour cela il ne s'agissait que de diriger sur Condé l'effet de ses charmes; mais il lui démontra aussi la nécessité de se livrer à lui sans aucun partage. Il fit comprendre au duc de Nemours que s'il parvenait à comprimer ses sentiments, à dompter sa jalousie, il pouvait, en se servant auprès de Condé de la duchesse de Châtillon, devenir l'arbitre de la paix ou de la guerre, jouer le premier rôle dans les négociations qui se poursuivaient, et s'assurer les conditions les plus avantageuses pour lui-même. Toute la jeune noblesse de cette époque était livrée aux passions qui agitent le plus puissamment le cœur de l'homme, la volupté, l'ambition et la cupidité: chacune de ces passions devenait un moyen de suffire aux exigences de celle qui se trouvait la plus forte. Nemours, qu'elles dominaient, entrevit la possibilité de les satisfaire toutes en imposant pendant quelque temps silence à l'une d'elles. La duchesse de Châtillon elle-même, excitée par l'espoir de se venger doublement de la duchesse de Longueville en lui enlevant son frère, après lui avoir repris son amant, aida Nemours à consommer son sacrifice637. Il consentit à ce qu'on lui proposait, et le plan du duc de La Rochefoucauld reçut son exécution. Le prince de Condé donna en toute propriété le beau domaine de Merlou à la duchesse de Châtillon, qui n'en possédait que l'usufruit638. Elle devint sa maîtresse déclarée639. C'était chez elle qu'il donnait tous ses rendez-vous, et que se tenaient tous les conseils relatifs aux affaires de son parti. La duchesse de Châtillon crut ennoblir le rôle qu'elle jouait, en se chargeant de conduire les négociations de ce parti. C'est à ce titre qu'elle parut à la cour avec faste et avec éclat. Elle y fut reçue avec toutes les déférences que réclamait l'importance de sa mission. L'ascendant qu'elle avait pris sur le prince de Condé était une bonne lettre de créance, et donnait du poids à ses paroles. Cependant elle avait plus de beauté que d'esprit et de finesse; et Mazarin, qui ne désirait que gagner du temps, se félicita d'avoir à traiter avec un tel diplomate. Chavigny, son ancien collègue sous Richelieu, qui aurait pu lui être opposé, fut écarté, par les motifs que nous avons déjà développés. Le succès du piquant libelle que le caustique et spirituel coadjuteur composa contre Chavigny640; les menaces et les injures outrageantes que lui adressa, en présence de toute son escorte, le prince de Condé, lorsqu'il eut découvert ses ruses, ses intrigues et ses projets, si différents des siens; l'ennui de se trouver éloigné du théâtre des affaires, lui causèrent un tel chagrin qu'il en mourut, quoiqu'il ne fût âgé que de quarante-quatre ans. Brienne, qui, sincèrement dévoué à la reine mère, n'avait jamais ployé sous Mazarin, et qui était un de ceux qui croyaient nécessaire de sacrifier ce ministre à la paix publique, mourut aussi alors641. On perdit encore le duc de Bouillon, qui, par sa naissance et sa haute capacité, aurait pu prétendre à la première place dans le conseil. Ainsi tout semblait favoriser Mazarin, et la destinée prenait soin de le débarrasser de ceux qui auraient pu mettre obstacle à sa fortune.

La combinaison formée par le duc de La Rochefoucauld ne fit qu'augmenter la désunion qui existait déjà dans le parti de Condé. Nemours haïssait le duc de Beaufort, dont il avait épousé la sœur; femme douce, bonne, indulgente, vertueuse, qui, s'il l'avait aimée, aurait réussi à rétablir l'harmonie entre son frère et son mari. On se rappelle qu'une querelle s'était élevée entre eux au sujet du commandement de l'armée. Nemours était persuadé qu'alors il avait été grièvement offensé, et qu'il n'avait obtenu qu'une réparation insuffisante. Beaufort avait beaucoup d'empire sur le petit peuple de Paris, et jouissait d'une grande faveur auprès de Condé, auquel il ne pouvait inspirer aucune jalousie. Ce fut un motif de plus pour Nemours, qui souffrait de la violence qu'il faisait à ses sentiments à l'égard de la duchesse de Châtillon et de Condé. Ne pouvant s'attaquer à ce prince, il lui semblait qu'en se vengeant de lui sur Beaufort, il laverait dans le sang de celui-ci l'offense faite à son honneur et les blessures faites à son amour. Cependant Condé employait tous ses efforts pour réconcilier les deux beaux-frères: tous deux lui étaient nécessaires. Les ducs de La Rochefoucauld, de Beaufort, de Nemours et de Rohan-Chabot, étaient les hommes les plus éminents de son parti.

Ce dernier, par lui-même, et par sa femme, le servait avec chaleur. Il avait épousé la fille de ce Henri de Rohan, duc et pair de France, dont nous avons des Mémoires, et qui fut un des plus grands hommes de son temps642. Rien n'étonna plus que ce mariage d'une fille unique, de la seule héritière de Rohan, si belle, si orgueilleuse, que le comte de Soissons avait pense épouser, à laquelle s'étaient offerts le duc de Weimar, chargé des lauriers de la victoire, et le beau duc de Nemours, l'aîné des princes de la maison de Savoie. Elle leur préféra un cadet de la famille de Chabot, un simple gentil-homme sans établissement, sans illustration, sans fortune. Chabot n'était pas remarquable par la beauté des traits de son visage, mais il était bien fait, spirituel, et dansait avec une grâce admirable. Il s'aperçut qu'il plaisait à la jeune héritière de Rohan; il s'attacha à ses pas, et négligea sa carrière militaire, afin de pouvoir lui faire assidûment sa cour. «Cet amour, dit MADEMOISELLE, dura quelques années, et donna lieu à une infinité de jolies intrigues.» Chabot, qui se faisait chérir par ses qualités sociales, eut l'adresse d'intéresser à la réussite de ses desseins la plupart des personnes qui approchaient le plus souvent de mademoiselle de Rohan, et qui avaient le plus d'influence sur son esprit; entre autres, la marquise de Pienne, depuis comtesse de Fiesque, sa cousine germaine, et son cousin germain le duc de Sully. C'est dans le château de celui-ci que se fit le mariage643. Mais le plus puissant appui de Chabot dans toute cette affaire avait été le prince de Condé, alors duc d'Enghien. Chabot s'était rendu le confident du prince auprès de mademoiselle du Vigean. D'Enghien alors commandait les armées royales contre la Fronde, et avait un grand ascendant sur le cardinal et sur la reine régente. Il en profita pour les faire consentir au mariage de mademoiselle de Rohan et de Chabot, et pour faire donner à celui-ci un brevet de duc et pair, afin que mademoiselle de Rohan ne perdit pas son rang lorsqu'elle serait devenue sa femme. La seule condition de cette insigne faveur fut que Chabot, qui était protestant, ferait élever ses enfants dans la religion catholique644. Mais la mère de la nouvelle mariée, Marguerite de Béthune, fille du grand Sully, duchesse douairière de Rohan, femme galante, dit Lenet, pleine d'esprit, et possédant tous les talents propres à la cour, furieuse de n'avoir pu réussir à empêcher ce mariage, eut recours au plus étrange des expédients pour frustrer sa fille de tous ses droits à l'héritage paternel. Elle fit paraître un fils, le disant d'elle et de Rohan. Elle l'avait fait élever secrètement, et avait jusque alors caché sa parenté, par la raison, disait-elle, que son mari était brouillé avec la cour. Elle accusait mademoiselle de Rohan de l'avoir fait enlever et conduire en Hollande, où elle lui payait une pension. Ce jeune homme était connu sous le nom de Tancrède, et était sans aucun doute un fils naturel de la duchesse douairière de Rohan. Elle lui donna un train, une maison, et le nom de duc de Rohan; elle lui fit engager, en cette qualité, un procès au parlement contre Rohan-Chabot et sa femme, à l'effet d'être mis en possession, comme aîné, de tous les biens de la maison de Rohan. Tancrède, qui voulait se rendre digne par sa valeur du grand capitaine qu'il réclamait pour père, cherchait toutes les occasions de se montrer avec éclat, et fut tué dans un combat contre les Parisiens, lors de la première guerre de la Fronde645. Sa mort termina ce romanesque procès. La duchesse douairière de Rohan se réconcilia sincèrement avec sa fille, qui ne s'opposa point à ce que le jeune Tancrède, qui ne pouvait plus nuire à ses intérêts, fût inhumé comme enfant légitime646.

Le duc de Rohan-Chabot fut donc ainsi délivré de toute inquiétude relativement à la possession de l'immense fortune qu'il avait acquise par son mariage; mais il n'en était pas de même de son titre de duc et pair. Pour jouir de toutes les prérogatives qui s'y trouvaient attachées, il fallait que le brevet du roi qui le lui conférait fût vérifié et enregistré au parlement de Paris: un arrêt de ce parlement ordonnait qu'aucune vérification de ce genre ne pourrait avoir lieu tant que le cardinal Mazarin serait en France. Cet obstacle n'arrêta point Rohan-Chabot. Il profita du moment où Condé, par les émeutes populaires qu'il avait suscitées, avait imprimé une sorte de terreur dans Paris; et, en partie par crainte, en partie par ses amis et ceux de Condé, il parvint à faire vérifier et enregistrer son brevet, et à être reçu duc et pair dans une séance solennelle du parlement647, nonobstant les oppositions de Châtillon, de Tresmes, de Liancourt, de la Mothe-Houdancourt, qui avaient obtenu avant lui des lettres de ducs et pairs, et n'avaient pu encore, à cause de l'arrêt, en obtenir la vérification et l'enregistrement.

619.RETZ, t. XLVI, p. 164 et 168.—LA FARE, t. LXV, p. 145.—BUSSY, Mém., t. I, p. 372.—MONGLAT, t. L, p. 397.
620.BRIENNE, t. XXXVI, p. 312.—MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 353.—TALON, t. LXII, p. 366, 370, 465, 466, 470, 478.—RETZ, t. XLVI, p. 195, 197, 198, 205, 206.—GUY-JOLY, t. XLVII, p. 232, 238, 242, 250, 273.—Père BERTHOD, t. XLVIII, p. 334, 363, 372.—MONTPENSIER, t. XLI, p. 339, 349, 350, 352, 354, 373.—MONGLAT, t. L, p. 369, 372, 398, 375, 376.—LORET, liv. III, p. 149, lettre en date du 26 octobre.—BUSSY, Mém., t. I, p. 133, 374.
621.TALON, Mém., t. LXII, p. 470, 478, 482.—GUY-JOLY, t. XLVII, p. 246.—Père BERTHOD, t. LXVIII, p. 364, 370.
622.LORET, liv. IV, p. 18, lettre en date du 8 février 1653.
623.GUY-JOLY, Mém., t. XLVII, p. 220, 231, 232.
624.RETZ, t. XLVI, p. 161.—MONGLAT, t. L, p. 366.
625.RETZ, t. XLVI, p. 132.
626.MOTTEVILLE, Mémoires, t. XXXVI, p. 310.—GUY-JOLY, t. XLVII, p. 259.
627.GUY-JOLY, t. XLVII, p. 247.
628.Ibid., p. 246 et 248.—RETZ, t. XLVI, p. 177.—MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 355.—BRIENNE, t. XXXVI, p. 114.—MONTPENSIER, t. XLI, p. 473.
629.CORNEILLE, Nicomède, acte I, sc. 1, t. IV, p. 8, édit. 1692.
630.GUY-JOLY, t. XLVII, p. 254 à 255.
631.MONTPENSIER, Mémoires, t. XLI, p. 372.
632.RETZ, Mémoires, t. XLVI, p. 92 et 93.
633.Ibid., p. 220, 233, 235.—LORET, liv. III, p. 177, lettre du 21 décembre 1652.—MONTGLAT, t. L, p. 397.—TALON, t. LXII, p. 477.
634.RETZ, Mém., t. XLVI, p. 38.—MONGLAT, Mémoires, t. L, p. 336.—OMER TALON, Mémoires, t. LXII, p. 353.—CONRART, Mémoires, t. XLVIII, p. 37.
635.DE VILLEFORE, la véritable Vie d'Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, t. I, p. 232 et 234, édit. d'Amsterdam, 1739, in-12; ou Vie de madame de Longueville, p. 56 à 59, édit. de Paris, 1738.
636.MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 348.
637.LA ROCHEFOUCAULD, t. LII, p. 156 à 158, 162.
638.LORET, Muse historique, liv. III, p. 70, en date du 26 mai.—CHAVAGNAC, Mémoires, t. I, p. 331.—LA ROCHEFOUCAULD, t. LII, p. 156 à 158.
639.MONTPENSIER, t. XLI, p. 245.
640.RETZ, Mém., t. XLVI, p. 92 et 181, le Contretemps de M. de Chavigny, premier ministre de monsieur le Prince.—LORET, liv. III, p. 142, lettre en date du 12 octobre.—CONRART, t. XLVIII, p. 220.—LA ROCHEFOUCAULD, t. LII, p. 178.—SAINT-SIMON, Mémoires inédits, édit. 1829, t. I, p. 71 et 72.
641.LORET, lib. III, p. 110, lettre en date du 18 août 1652.
642.MOTTEVILLE, t. XXXVII, p. 143, 144; t. XXXVIII, p. 175.—MONTPENSIER, t. XL, p. 452.—RETZ, t. XLIV, p. 324.—MONGLAT, t. L, p. 157.—SÉVIGNÉ, Lettres, édit. de Monmerqué, 1820, in-8o, t. I, p. 213, lettre en date du 15 décembre 1670, no 92.—Ibid., édit. de Gault de Saint-Germain, 1823, in-8o, t. I, p. 284, no 105.
643.MOTTEVILLE, t. XL, p. 454. En 1646.
644.LENET, Mémoires, t. LIV, p. 212.—SAINT SIMON, Mémoires inédits, t. II, p. 160 et 162, chap. XI.
645.RETZ, Mém., t. XLIV, p. 324.—MONGLAT, t. L, p. 157.—GRIFFET, Histoire de Tancrède de Rohan; Liége, 1767, in-12, p. 52.
646.LORET, Muse historique, liv. VI, p. 32, lettre 9, 27 février 1655.
647.CONRART, Mém., t. XLVIII, p. 151 à 158.—TALON, Mém., t. LXII, p. 420.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
581 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain