Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 24
CHAPITRE XXX.
1652-1653
Condé se réconcilie avec les Parisiens, par l'activité qu'il met à les défendre.—Il conduit quelques-unes de ses compagnies à Saint-Cloud et à Saint-Denis.—Les bourgeois sont glorieux de servir sous lui.—MADEMOISELLE obtient la permission de faire entrer les troupes de ce prince dans Paris.—Combat sanglant de Saint-Antoine.—Prodiges de valeur.—Mort de Saint-Mesgrin.—Son amour pour mademoiselle du Vigean.—Exploits de La Ferté et de Turenne.—Effet produit par les chefs de l'armée de Condé, rentrant blessés dans Paris.—Entrevue de Condé avec MADEMOISELLE.—Désolation de Condé.—Il retourne au combat, et rentre dans Paris avec son armée.—MADEMOISELLE est l'héroïne de cette journée.—Souvenir qu'elle en conserva, et ce qu'elle dit d'elle dans ses Mémoires.
Quoique les habitants de Paris eussent refusé d'admettre dans leur ville les troupes des princes; quoiqu'ils eussent même formé des retranchements autour du faubourg Saint-Antoine, pour résister à une surprise et se mettre à l'abri des maraudeurs; quoique enfin ils vissent avec peine tant d'officiers étrangers que la présence de Condé autorisait à séjourner au milieu d'eux, cependant la grande majorité détestait sincèrement Mazarin. L'antipathie qu'il avait excitée était nourrie et accrue par les libelles qu'on ne cessait de publier contre ce ministre, et qu'on répandait avec profusion. On voulait son expulsion. Les Parisiens ne purent donc sans reconnaissance être témoins de l'activité et de la bravoure que Condé déploya pour le triomphe d'une cause qui était aussi la leur. Depuis longtemps organisés en garde bourgeoise, formant seize régiments subdivisés en cent vingt-six compagnies692, qui presque tous avaient pour colonels des conseillers au parlement et des maîtres des requêtes, les troubles civils leur avaient donné occasion de s'exercer au maniement des armes, et leur avaient communiqué, malgré leurs habitudes citadines, une sorte d'ardeur martiale. Rien ne se communique plus rapidement, plus facilement, plus généralement, que cette sympathie qui unit entre elles des masses d'hommes par des peines et des travaux semblables, par des hasards et des périls communs; où les efforts de chacun s'attirent la reconnaissance de tous; où l'estime de nos compagnons d'armes nous rehausse à nos propres yeux, et porte notre courage jusqu'à ce degré d'exaltation qui ne lui permet pas de fléchir devant la crainte de la mort. Condé sut profiter habilement de cet enthousiasme pour la gloire militaire, qui s'était emparé des Parisiens. Il conduisit hors de Paris quelques compagnies bourgeoises, et les fit se battre avec succès, de concert avec les troupes réglées, à Saint-Cloud et à Saint-Denis. Ceux qui avaient fait partie de ces expéditions revenaient fiers d'avoir servi et combattu sous les ordres du plus grand capitaine du siècle693, et ceux qui n'avaient pas eu cet avantage enviaient le sort de leurs camarades. Condé dut à cette admiration que les bourgeois avaient conçue pour ses talents militaires, et à l'intérêt qu'il leur inspirait, son salut et celui de son armée lors de la journée de Saint-Antoine, le 2 juillet.
Pour cette célèbre affaire, nous avons encore l'excellente description de Napoléon694; mais ici sa science et son exactitude stratégique ne peuvent suffire à l'historien. Jamais peut-être un combat moderne n'a plus ressemblé à ces combats antiques décrits par les poëtes, où les chefs s'exposent et se jettent dans la mêlée aussi bien que les soldats, et où chaque guerrier se bat avec acharnement, non pas seulement pour la gloire ou pour un intérêt général, mais pour assouvir ses haines ou ses passions particulières695.
La population de Paris sur les remparts et les toits de ses maisons, et le jeune roi et toute la cour du haut des collines de Charonne, contemplèrent avec étonnement et avec des émotions également vives, quoique diverses et opposées, les prodiges de valeur et de génie militaire que déployèrent dans cette journée Turenne et Condé; tous deux, comme les deux grands héros du poëme d'Homère, se portant en avant avec impétuosité; triomphants et victorieux partout où ils étaient en personne; battus et repoussés là où ils n'étaient point; se disputant pied à pied les mêmes positions, qui furent prises et reprises alternativement en versant des torrents de sang; et voyant leurs meilleurs officiers et leurs plus chers amis, tués ou blessés, disparaître successivement du champ de carnage696.
Le marquis de Saint-Mesgrin, qui commandait un détachement, avait juré d'immoler Condé de sa propre main, ou de mourir en le combattant. Autrefois épris de mademoiselle du Vigean, Saint-Mesgrin n'avait pu parvenir à l'épouser, parce que le prince de Condé avait mis obstacle à son dessein en offrant ses hommages à cette jeune beauté, que ses poursuites avaient enlevée au monde et forcée à se faire carmélite. Saint-Mesgrin, dès qu'il aperçut Condé dans la mêlée, se précipita sur lui à la tête de son escadron. Le jeune marquis de Rambouillet, et Mancini, neveu de Mazarin, le premier par enthousiasme pour la cause royale, le second par reconnaissance pour un oncle dont s'enorgueillissait sa famille, se joignirent à Saint-Mesgrin, et le secondèrent dans sa fureur en la partageant. Ces trois jeunes guerriers, l'espoir de maisons illustres et puissantes, périrent tous trois dans cette attaque contre le terrible Condé697. Tous trois furent vivement regrettés, mais nul plus que Saint-Mesgrin. Il ne laissait point d'enfants. Sa jeune veuve épousa depuis le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne. Elle fut une des plus intimes amies de madame de Sévigné698.
Aux douleurs et aux craintes que faisait éprouver aux spectateurs réunis sur la butte de Charonne une lutte aussi opiniâtre, aussi sanglante et aussi incertaine dans ses résultats, succéda tout à coup une surprise qui combla de joie la reine et le jeune roi, et tous les royalistes rassemblés autour d'eux. On vit le maréchal de La Ferté venir au secours de Turenne avec sa grosse artillerie, et placer ses batteries de manière à foudroyer entièrement l'armée des princes, qui, forcée de tous côtés, se reployait en désordre sur la place d'armes, en avant de la porte Saint-Antoine, et paraissait ne pas pouvoir échapper à une totale destruction. Les Parisiens, témoins du même spectacle, furent saisis de douleur et d'effroi en contemplant le sort qui menaçait Condé et tous les siens. Des larmes coulèrent de tous les yeux quand on vit les chefs les plus illustres de son armée traverser la ville portés par leurs amis ou par leurs écuyers, et laisser de longues traces de leur passage par le sang qui s'écoulait de leurs blessures699. Mais peu après une autre scène vint faire diversion au désespoir de cette multitude, et de bruyantes acclamations signalèrent la sympathie que lui faisait éprouver le spectacle dont elle était témoin. MADEMOISELLE, accompagnée des duchesses de Châtillon, de Nemours, de Montbazon, de Rohan, que tant de passions divisaient, qu'un même et pressant intérêt unissait, se rendait à l'hôtel de ville; et, par la terreur qu'inspirait la foule immense qui la suivait, elle força le maréchal de L'Hospital et le prévôt des marchands à signer l'ordre d'ouvrir les portes de Paris à Condé. Des cris d'enthousiasme et de reconnaissance furent poussés universellement quand MADEMOISELLE reparut triomphante aux yeux du peuple, et montra l'ordre qui devait sauver d'une mort inévitable un héros et tant de braves guerriers qui s'immolaient pour le salut de tous.
Jamais le prince de Condé n'eut plus de droit qu'en ce moment de sa vie à l'intérêt des âmes élevées, à l'admiration de ceux qui savent apprécier le véritable courage, qui n'est qu'un instinct farouche quand les sentiments d'homme, la sensibilité de cœur, ne s'y trouvent pas réunis. Dans le moment où il se croyait perdu, anéanti sans ressource, MADEMOISELLE l'envoya prier de quitter un instant le champ de bataille, pour venir conférer avec elle sur les moyens de le sauver. Il arriva dans une maison de particulier voisine de la Bastille, où elle lui avait assigné rendez-vous700. «Il avait, dit-elle dans ses Mémoires, deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés, son collet et sa chemise pleins de sang, sa cuirasse pleine de coups; et il tenait à la main son épée nue, dont le fourreau était perdu701.» Lorsque MADEMOISELLE lui eut fait part de l'ouverture des portes de la ville, du secours des compagnies bourgeoises qui s'avançaient pour protéger sa retraite, et que l'artillerie de la Bastille, d'après les mesures qu'elle avait prises, allait être dirigée contre les troupes royales, les traits du guerrier, auparavant sombres et sévères comme ceux de quelqu'un qui s'apprête à mourir glorieusement, au lieu de reprendre de la sérénité, exprimèrent tout à coup le plus grand abattement, la plus profonde douleur. Rassuré sur le sort de son armée et sur le sien, il songea à ses valeureux compagnons d'armes qu'il avait vus disparaître du champ de bataille; et, accablé par cette pensée, il se laissa tomber sur une chaise, et dit, en fondant en larmes: «Ma cousine, vous voyez un homme au désespoir; j'ai perdu tous mes amis. La Rochefoucauld, Nemours, Vallon, Clinchamp, Guitaut, sont blessés à mort.—Non, dit MADEMOISELLE, La Rochefoucauld a une blessure au visage, mais il a déjà recouvré la vue; Guitaut m'a assuré que sa blessure n'était pas mortelle: on vient de me donner des nouvelles de Clinchamp, et il ne court aucun danger; ainsi de Vallon et de tant d'autres. Espérez, tout ira; restez ici, vous prendrez le commandement à mesure que vos troupes rentreront.» Comme elle finissait de parler, on entendit le canon de la Bastille. A ces consolantes paroles, à ce signal de son salut702, Condé, ressaisissant toute l'énergie de son âme et son aspect martial, se lève en disant: «Non, ma cousine, je ne dois rentrer que le dernier!» Et il part précipitamment, pour se mettre à la tête de ses troupes et commander la retraite. MADEMOISELLE, d'après la recommandation qu'il lui avait faite, se tint près des portes, pour assurer le passage des bagages et des blessés.
On peut dire que si Condé et Turenne furent les héros de cette journée, MADEMOISELLE en fut l'héroïne. Aussi dit-elle dans ses Mémoires, avec un souvenir orgueilleux, qui la charmait encore après tant d'années: «Je commandais comme dans Orléans703.»
CHAPITRE XXXI.
1652-1653
Condé reste dans Paris.—Il s'aliène le parlement et les anciens frondeur.—Il soulève la populace.—Massacre à l'hôtel de ville.—Ces cruautés ramènent le parlement et les bourgeois de Paris dans le parti du roi.—Condé frappé par le comte de Rieux.—Sentiment de Talon sur ce fait.—Nemours se bat en duel contre Beaufort, et est tué.—Désespoir de la duchesse de Châtillon.—Condé perd tout crédit dans Paris.—Gaston veut en vain se déclarer lieutenant général.—Il n'obtient ni troupe ni argent.—Le peuple refuse de payer les taxes mises par le parlement.—Mazarin s'éloigne.—La rentrée du roi est décidée.—Condé, an lieu de se soumettre, quitte Paris.—La duchesse de Châtillon essaye en vain de le retenir.—Mort de mademoiselle de Chevreuse.—L'abbé Fouquet, son amant, devient l'amant de la duchesse de Châtillon.—Condé, à la tête des Espagnols, s'empare de Rethel et de Mouzon.—Il est aidé par le duc de Lorraine.—Réponse de ce dernier aux reproches de la cour.—La déclaration du roi à sa rentrée est enregistrée, mais non sans opposition.—La puissance des parlements est anéantie.—L'autorité royale règne sans partage.
Turenne se vit, par le canon de la Bastille et l'ouverture de la porte Saint-Antoine, arracher une victoire dont les résultats eussent été décisifs. Il n'avait pu obtenir des habitants de Paris que son armée traversât la ville sans s'y arrêter; et Condé dut à ses revers mêmes la faculté d'y faire entrer tout ce qui lui restait de troupes, et de les y faire résider. Ce fut précisément ce qui occasionna toutes ses fautes et lui fut le plus fatal. Dès qu'au lieu de la séduction et des intrigues il put avoir recours à la force, ce dernier moyen, si bien d'accord avec son caractère altier, fut le seul employé704. Lorsque le duc de Lorraine se fut retiré avec ses troupes, Condé vit que les siennes étaient, trop peu nombreuses pour tenir la campagne contre l'armée royale; il voulut contraindre le parlement et les bourgeois de Paris à lui fournir de l'argent et des hommes. Il leva le masque avec les anciens frondeurs, qui n'avaient voulu que l'éloignement de Mazarin, mais non se soustraire à l'autorité légitime du roi; il répondit à leurs justes reproches avec hauteur et dédain705. Il avait fait venir de Bordeaux son agent le plus actif, le spirituel Marigny706: celui-ci, avec plusieurs de ses affidés, travailla à exciter le mécontentement de cette partie du peuple que dans les grandes villes la misère et le vice tiennent toujours disposée à opérer des bouleversements, lorsque, au lieu de la comprimer, on lui donne les moyens de se soulever. Le duc de Beaufort, le héros de la populace de Paris, qu'on avait surnommé le roi des halles, joua un des principaux rôles dans ces trames odieuses707. Elles réussirent à occasionner des émeutes qui épouvantèrent le gouverneur, le prévôt des marchands, les échevins708, bannirent toute sécurité, et forcèrent à fuir, sous divers déguisements, toutes les personnes d'un rang élevé709 connues pour être attachées au parti de la cour. Gaston ne provoquait pas ces désordres, mais il les souffrait et ne faisait rien pour les empêcher, dans l'espoir qu'ils forceraient le parlement à le déclarer régent. Il avait aposté parmi le peuple un nommé Peny, autrefois trésorier de Limoges. Cet homme, suivi d'une grande multitude, se postait souvent à son palais, et lui présentait des pétitions au nom de la ville entière, afin qu'il se chargeât de la régence710.
L'impuissance des autorités pour le rétablissement de l'ordre força de recourir à une assemblée générale des notables bourgeois, qui n'avait lieu que dans les grandes crises et dans les occasions importantes711. Condé y parut: dès qu'il eut vu qu'il n'en pourrait rien obtenir, et qu'au contraire les mesures délibérées par cette assemblée seraient dirigées contre lui et son parti, il sortit de l'hôtel de ville, et donna le signal à la populace rassemblée sur la place. Il avait placé parmi elle plusieurs de ses soldats, déguisés en gens du peuple712. Aussitôt un effroyable tumulte commença: plusieurs personnages, au nombre des plus estimés et des plus respectés, furent les victimes des assassins et des incendiaires; la terreur se répandit dans Paris; le duc de Lorraine lui-même eut bien de la peine à s'échapper, et à se soustraire, à la fureur populaire713. Le calme cependant se rétablit promptement, par les mesures que prirent ceux-là même qui avaient soulevé la tempête; mais l'horreur d'une si atroce perfidie retomba entièrement sur Condé: quelque soin qu'il prît, ainsi que ses partisans, pour éloigner les soupçons et déguiser la part qu'il avait eue à cet événement, on persista à croire qu'il en était l'auteur. Les membres du parlement les plus francs dans leur opposition contre Mazarin, en apercevant l'abîme où l'on plongeait l'État, virent la nécessité de triompher de leur aversion, et allèrent rejoindre le roi, avec la résolution de faire tout ce qu'il ordonnerait, ou plutôt tout ce qui serait ordonné en son nom714.
Sans vouloir disculper Condé de son odieuse conduite à cette époque, il faut avouer cependant qu'il n'aurait jamais conçu de lui-même l'idée d'armer une portion des habitants de la capitale contre l'autre, afin de régner par la peur, si bon nombre de bourgeois recommandables715 par leur réputation et leur existence sociale ne s'étaient point abandonnés à leur haine contre Mazarin, jusqu'au point de souhaiter que ses partisans et ceux qui complotaient ouvertement pour sa rentrée fussent anéantis. «Les hommes, dit à ce sujet le cardinal de Retz dans ses Mémoires, ne se sentent pas dans des espèces de fièvres d'état qui tiennent de la frénésie. Je connaissais en ce temps-là des gens de bien qui étaient persuadés jusqu'au martyre, s'il eût été nécessaire, de la justice de la cause des princes. J'en connaissais d'autres, d'une vertu désintéressée et consommée, qui fussent morts de joie pour la défense de celle de la cour. L'ambition des grands se sert de ces dispositions comme il convient à leurs intérêts; ils aident à aveugler le reste des hommes, et ils s'aveuglent encore eux-mêmes après, plus dangereusement que le reste des hommes.» Un fait rapporté par Conrart prouve que le cardinal de Retz n'exagère pas le fanatisme de cette époque. Après les horribles journées dont nous avons parlé, un prêtre de Saint-Jean en Grève osa dire, en chaire, qu'on devait regretter que tous les mazarinistes assemblés à l'hôtel de ville n'eussent pas péri et que le peuple n'en eût pas fait justice. On attribuait généralement à Condé l'intention d'avoir voulu, par cette émeute, faire assassiner tout ce qui restait de l'ancienne Fronde; et cette opinion augmenta encore l'indignation publique contre lui. Dès ce moment son parti déclina dans la capitale, et celui du roi s'accrut, ou plutôt il n'y en eut pas d'autre, lorsque Mazarin eut pris, ainsi que nous l'avons dit la résolution de s'éloigner. Le malheur, ce rude précepteur des hommes, atteignit toutes les classes, calma les têtes, raffermit les jugements. La dévastation des campagnes, la défiance et la peur, avaient produit dans Paris la famine et la misère. Des maladies contagieuses s'y étaient développées, la petite vérole y faisait de grands ravages716; la guerre avait obligé cette année les Parisiens à se renfermer dans leurs remparts, durant les chaleurs de l'été. Les paysans des environs, reçus dans la ville avec leurs bestiaux, avaient encore augmenté le resserrement de la population717: à toutes ces causes d'insalubrité venaient se joindre les émeutes et les tumultes populaires, qui sont peut-être une de celles qui agissent de la manière la plus funeste sur la santé publique. En effet, l'expérience de tous les siècles a prouvé que dans les intervalles de désorganisation sociale et aux époques des guerres civiles les fléaux destructeurs acquièrent un degré d'intensité qu'on ne leur connaît point dans des temps plus heureux; parce qu'alors les organes sont tendus, le sang et le fluide nerveux sont échauffés par l'effet des passions qui agitent les populations, par les excès auxquels elles se livrent, par le dérangement de toutes les habitudes, par le défaut de soins et de prévoyance, tant de la part des magistrats que de celle des individus.
Le déclin du parti de Condé et l'exemple de l'insubordination populaire relâchèrent les liens de la discipline dans son armée, et affaiblirent son autorité parmi les siens. Ce fut là sans doute pour Condé un des plus fâcheux résultats de son séjour dans Paris, un de ceux qui contribuèrent le plus à la chute de son parti. Quand il voulut reprocher aux chefs de son armée la dévastation des campagnes, qui lui attirait tant de haine, Tavannes lui répondit avec insolence que la cavalerie ne pouvait vivre sans fourrage, et que le meilleur moyen de s'en procurer était de couper les blés. Chavagnac, qu'il réprimanda justement pour un vol de trois cent mille livres de marchandises, commis par ses soldats, le quitta, et passa dans le parti du roi718. Condé eut une altercation avec le comte de Rieux: celui-ci, dans l'emportement de sa colère, osa le frapper. Gaston fit aussitôt conduire de Rieux à la Bastille719; mais ce manque de respect envers un prince du sang est considéré par l'avocat général Talon720, qui pourtant haïssait Condé, comme un des symptômes les plus manifestes de l'anéantissement de tout principe d'ordre, comme un des signes certains de la dissolution de la monarchie: tant alors, malgré les progrès de l'opposition et les excès de la sédition, la vénération pour la race royale était encore empreinte dans tous les esprits! Nemours, méprisant les ordres de Condé, et pensant que c'était bien assez de lui avoir immolé son amour sans lui sacrifier sa haine, força enfin Beaufort à se battre pour une misérable querelle de préséance. Nemours fut tué721, et sa mort causa la même émotion qu'un malheur public. Les hommes regrettaient en lui un guerrier brave et chevaleresque, qui voulait la paix. Beau, galant, gracieux et enjoué722, il fut pleuré des femmes, et plus amèrement et plus longtemps de la sienne que de toute autre, quoique moins qu'aucune autre elle eût à se louer de lui. La duchesse de Châtillon fut pendant quelque temps plongée par cette mort dans un état de désespoir. «De vingt amants qu'elle a favorisés, dit Bussy, elle n'a jamais aimé que le duc de Nemours723.»
Tout semblait se réunir pour accabler Condé. La forteresse de Montrond, où il avait déposé une grande partie de ses munitions et de ses équipages de guerre, se rendit au maréchal de Palluau après un long blocus724. Le prince de Lorraine par sa retraite avait réalisé la railleuse menace qu'il avait faite, lors de la procession générale, d'abandonner Condé à la protection de sainte Geneviève725. Le parlement, ou plutôt ce qui restait de jeune conseillers de cette compagnie, avait, dans une de ses séances, déclaré le roi captif et le duc d'Orléans régent, et nommé Condé pour commander les troupes; mais les présidents à mortier, le procureur général Fouquet, les avocats généraux Talon et Bignon, déployant alors un grand courage, refusèrent de siéger et de prêter leur ministère à ces arrêts. Alors cette compagnie, abandonnée de ses chefs, n'étant plus obéie du peuple, ne voulut plus s'assembler. Condé, par des émeutes, par les chaînes et les barricades qu'il faisait tendre tous les jours, essaya de l'y contraindre par la peur; mais il ne put y réussir726. La création d'une lieutenance générale fut une mesure absurde, et contraire à tous les usages du royaume sous un roi majeur; le duc de Beaufort fut arbitrairement substitué comme gouverneur de Paris à l'Hospital, et Broussel remplaça Lefebvre-La-Barre, prévôt des marchands, qui avait donné sa démission après le massacre de l'hôtel de ville: toute cette magistrature tyrannique, à laquelle on voulait donner une forme légale, ne put imprimer de force aux arrêts illégalement rendus par un parlement incomplet, dominé par la crainte. Il fut impossible de lever les taxes en hommes et en argent qu'on avait mises sur les bourgeois de Paris727. Alors Condé se trouva réduit, pour faire subsister ses troupes et se procurer de quoi les payer, à leur laisser piller, dans les environs de Paris728, les maisons de ceux qui étaient connus pour être royalistes ou mazarinistes, ou qui, quoique frondeurs, n'étaient pas princistes, pour nous servir du jargon de ce temps; car chaque époque de révolution a le sien. Dès lors Condé fut en horreur à tous les honnêtes gens729: un pamphlet du cardinal de Retz, intitulé les Intrigues de la paix, dont il se vendit en peu de jours un nombre prodigieux d'exemplaires, et dans lequel se trouvait démasqué le secret des négociations de Condé avec l'Espagne et avec Mazarin, acheva de désabuser ceux qui étaient le plus prévenus en faveur de la cause des princes, et enleva à ceux-ci le peu de partisans qu'ils avaient encore. Les incertitudes et les hésitations de Gaston730, augmentant avec les craintes du prochain retour du roi dans Paris, achevèrent d'ôter à Condé son seul appui, et le laissèrent sans ressource et sans moyen de se soutenir dans la capitale et de continuer la guerre.
Un seul parti restait à ce prince: c'était de poser les armes devant son roi. Il le pouvait avec honneur, puisque le prétexte même de la résistance avait été écarté, et que Mazarin n'était plus en France. Nul doute que l'espoir d'arriver à ce résultat et de conserver Condé au roi, mais Condé désarmé et soumis, n'ait été un des motifs qui avaient déterminé l'habile ministre à s'éloigner. Beaufort, de Guise, Rohan, Richelieu, résolus à s'arranger avec la cour dès qu'ils virent que Gaston restait neutre, invitaient Condé à céder; mais aucun d'eux n'avait assez d'influence sur son esprit pour en arracher cette détermination731. Nemours n'était plus; La Rochefoucauld, grièvement blessé, était retenu dans son lit: Condé se trouva ainsi livré à la faction de la duchesse de Longueville, ennemie de ces deux hommes, et qui l'entraînait du côté des Espagnols, avec lesquels il avait conclu des traités732. Condé avait dit à ceux qui le poussaient à la guerre, qu'il serait le dernier à prendre les armes, et le dernier à les poser733. Il tint parole. Plusieurs motifs puissants le déterminaient. Il ne doutait pas, et toute la France en était convaincue comme lui, que l'exil de Mazarin ne fût une ruse pour dissoudre les partis; et il prévoyait que ce ministre serait promptement rappelé. Sous son administration, Condé ne pouvait espérer aucun commandement, ni aspirer à exercer aucune influence. L'exemple du duc de Lorraine, plus libre, plus puissant, plus redouté à la tête de son armée qu'il ne l'avait été à la cour de Nancy, lorsqu'il était possesseur du duché de Lorraine, séduisait Condé734. La guerre était son élément, les camps sa patrie, les champs de bataille ses délices, la gloire sa divinité. Son âme altière ne put supporter l'idée de fléchir sous Mazarin, de profiter d'une amnistie, de languir dans le repos et l'obscurité.
En vain la duchesse de Châtillon, qui ne voulait pas quitter la France, essaya d'y retenir Condé: elle ne put rien obtenir. Il paraît même qu'il avait cessé de l'aimer depuis qu'il n'était plus obligé de la disputer à Nemours735; peut-être aussi eut-il connaissance de sa liaison avec l'abbé Fouquet, qui commença vers cette époque. Mademoiselle de Chevreuse, auprès de laquelle cet abbé avait remplacé le cardinal de Retz, mourut, après trois jours de maladie, dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté736.
L'abbé Fouquet, libre de tout engagement de cœur, fut peu de temps après fait prisonnier, et détenu sur parole dans l'hôtel de Condé. Investi de la confiance de Mazarin, il eut de fréquentes conférences avec la duchesse de Châtillon pour les négociations qui avaient lieu alors entre Condé et la cour. Jeune, aimable, entreprenant, exercé par l'usage à faire naître et à saisir auprès des femmes l'instant favorable, l'abbé Fouquet ne tarda pas à mettre à profit les faciles et amoureuses dispositions de sa belle négociatrice. Puis, par la suite, quand le retour du roi et le triomphe de Mazarin l'eurent investi d'un grand crédit, il employa la perfidie pour s'en assurer la possession exclusive; il la fit exiler à sa terre de Mello (Merlou), près de Creil. Mais il s'aperçut bientôt qu'en l'isolant de la cour il n'avait pas écarté tous ses rivaux. A Mello, le chanoine Cambiac, deux Anglais, mylord Graf, et George Digby comte de Bristol, gouverneur de Mantes et de l'Isle-Adam, se trouvaient sans cesse auprès d'elle, et firent éprouver à l'abbé Fouquet toutes les fureurs de la jalousie. D'ailleurs, la foule des poursuivants que le prince de Condé, par le respect et la crainte qu'il inspirait, avait écartée, se rapprocha de la belle duchesse quand on le vit séparé d'elle; et peut-être vit-elle s'éloigner ce héros, dont la conquête au moins honorait ses charmes, avec aussi peu de regret qu'il en montra lui-même en la quittant. Le cardinal de Retz aurait pu lui appliquer ce qu'il a dit de la duchesse de Montbazon, qu'il n'avait guère vu de femmes qui, dans le vice, conservassent moins de respect pour la vertu737. Cependant madame de Sévigné, répandue alors dans toute la société des femmes opposées à la cour, la voyait souvent, et avait avec elle des liaisons d'amitié qui étaient comme héréditaires dans sa famille. La duchesse de Châtillon était la fille de ce Montmorency-Bouteville dont nous avons parlé dans le premier chapitre de cet ouvrage, qui périt sur l'échafaud, victime de sa passion pour les duels, et dont la mort fut la cause indirecte de celle du père de madame de Sévigné738.
Condé partit, abhorré de ce même peuple dont il avait été accueilli avec des acclamations de joie quelques mois auparavant739. Dès qu'il eut quitté le théâtre des intrigues et des factions populaires, où il n'avait éprouvé que des chutes, recueilli que des ridicules et des crimes, et qu'il se retrouva à la tête d'une armée, il redevint lui-même et ce que la nature l'avait fait, c'est-à-dire un grand capitaine et un valeureux guerrier. Il se fit suivre par la victoire, en combattant contre sa patrie avec ces mêmes Espagnols qu'il avait vaincus lorsqu'il s'était battu pour elle. Il ne tarda pas à s'emparer de Saint-Porcien, de Rhetel et de Mouzon740. Cette fois il fut sincèrement secondé dans ses plans militaires par le duc de Lorraine, qui conduisit de nouveau en Champagne ses bandes dévastatrices741. En vain on voulut le faire rétrograder, en lui opposant le traité qu'il avait signé et l'argent qu'il avait reçu: il répondit qu'il était sorti de France conformément au traité, mais qu'il n'avait pas promis dans le traité de n'y point rentrer.
Ce fut contre ces deux rudes jouteurs que Turenne eut à lutter. Ce fut à lui à sauver la France des attaques des ennemis extérieure, qui eurent lieu simultanément du côté de l'Italie, où les Français perdirent Casal, qu'ils possédaient depuis 1628; de l'Espagne, où Barcelone leur fut enlevée; des Pays-Bas, où on leur prit Gravelines et Dunkerque. Il fallait encore que les victoires dans l'intérieur fussent aidées par les négociations de Mazarin, et parvinssent en même temps à anéantir la guerre civile, qui, apaisée dans la capitale, continuait avec acharnement dans le midi du royaume; il fallait aller délivrer Bordeaux, dont les rebelles étaient en possession, et qu'ils avaient fait le centre de leurs opérations742.
La déclaration du roi dans la séance du Louvre du 22 octobre (1652), qui interdisait aux cours de justice toute discussion sur les affaires du royaume, et bannissait arbitrairement plusieurs de leurs membres, des princes du sang, des pairs de France, et tous les principaux fauteurs de la Fronde, ne fut pas vérifiée au parlement sans opposition. Camus de Pontcarré, Le Boindre, Le Boult, et quelques autres magistrats, réclamèrent les garanties précédemment accordées par la reine régente sous la minorité du roi: les discours qu'ils prononcèrent en cette occasion furent les derniers accents que fit entendre sous ce règne la liberté parlementaire. Le jour qui termina l'année 1652 vit éclore plusieurs édits bursaux pour lever de l'argent par voies extraordinaires743. Ces édits, contraires à la déclaration du 24 octobre 1648, et qui l'anéantissaient, furent enregistrés sans résistance par le parlement de Paris, et ne donnèrent lieu à aucune remontrance de la part de la cour des aides.