Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 25
Ainsi fut annulée la puissance politique des parlements et l'influence de la magistrature sur le gouvernement de l'État. L'autorité royale n'eut plus de digue légale. Les magistrats étaient pris dans la bourgeoisie, parmi les légistes, les commerçants; il y avait donc une sympathie naturelle et une communauté d'intérêts entre les parlements et les classes riches du tiers état. A un petit nombre d'exceptions près, celles-ci restèrent étrangères aux hautes dignités militaires et ecclésiastiques, qui étaient devenues le patrimoine exclusif de la noblesse. Les princes du sang, les seigneurs puissants étaient donc unis avec les nobles par les mêmes motifs que le tiers état avec les parlements; ils avaient voulu, de même que les parlements, se rendre redoutables à l'autorité royale. Cette faction, par suite des derniers événements, se trouvait représentée par le seul Condé; et sa fuite à l'étranger, ses alliances avec lui, les troupes étrangères qu'il commandait, avaient converti une guerre civile en une guerre étrangère. Si celle-ci pouvait être terminée heureusement et par un traité de paix, sans aucune concession à un sujet révolté, l'autorité royale s'établissait alors sans contrôle et sans obstacle, et n'avait plus rien à redouter que de ses propres excès ou de sa faiblesse, ou de l'impéritie de ceux qui pouvaient être appelés à l'exercer. Ce fut ce grand œuvre que Mazarin entreprit, et qu'il termina heureusement.
CHAPITRE XXXII.
1652-1653
Effet que produit sur les esprits l'existence d'un gouvernement ou sa désorganisation.—Les habitants paisibles de la France désespèrent d'y voir renaître la tranquillité.—Plusieurs songent à l'abandonner.—Balzac veut se transporter en Hollande.—Ce qu'il écrit à Conrart à ce sujet.—Conrart et le duc de Montausier empêchent Balzac d'exécuter son projet.—Le duc de Montausier est blessé en faisant la guerre contre les rebelles.—Inconvénients de la guerre pour Balzac.—Il ne peut recevoir les nouveaux livres de Paris.—Sa lettre à Conrart à ce sujet.—Explications sur cette lettre.—Détails sur Salmonet de Montet.—Sur Ogier.—Sur l'ouvrage de Ménage, intitulé Miscellanea.—Idylle de ce recueil, dédiée à madame de Sévigné.—Vers de cette dédicace.—Reproche de poëte fait par Ménage à madame de Sévigné, qui manque de vérité.—L'affaire du duc de Rohan et du marquis de Tonquedec le démontre.
Nous l'avons déjà dit, tant que l'autorité publique maintient l'exercice des lois et de l'administration, qu'elle lève régulièrement des impôts et s'appuie sur des armées disciplinées et obéissantes, quelles que soient les attaques dont elle est l'objet, on se refuse à croire qu'elle puisse jamais être arrêtée dans son action. Les moyens qu'elle a de se soutenir sont si concentrés, si nombreux et si puissants, ceux de ses adversaires toujours si disséminés et si faibles, qu'on n'imagine même pas comment ceux-ci pourraient opérer un bouleversement: et en effet, il n'aurait jamais lieu si cette opinion ne donnait pas au pouvoir lui-même une idée exagérée de sa force, un aveuglement et un orgueil qui lui font mépriser cette sage défiance, cette continuelle vigilance, nécessaires à sa durée; s'il ne se livrait pas, dans son indolence, aux mains de l'impéritie et de la trahison. Lorsque les factions ont pris la place de cette autorité publique anéantie, on a aussi peine à comprendre comment l'ordre pourra renaître du sein du désordre; et comme alors tous les partis parlent un langage également faux, parce qu'il est toujours passionné ou hypocrite, l'honnête homme éclairé qui les méprise tous, dont toutes les habitudes sont contrariées, toutes les jouissances troublées, toutes les espérances dissipées par la tempête, se détache de sa patrie; ou plutôt il songe alors à aller chercher sous un gouvernement régulier le repos, dont il ne prévoit plus pouvoir goûter les douceurs dans le pays qui l'a vu naître.
Telles étaient les dispositions où se trouvait Balzac à l'époque de cette seconde guerre de la Fronde. Cette ancienne gloire, cet ancien soutien de l'hôtel de Rambouillet, regardé alors comme le premier écrivain en prose que la France possédât, tâchait de prolonger son existence par un régime constant, et, comme il le dit lui-même, par des débauches régulières de lait d'ânesse. Retiré à sa terre de Balzac, près d'Angoulême, les dissensions qui déchiraient la France l'affectaient si douloureusement, que, malgré la débilité de l'âge et la faiblesse de sa santé, il avait pris la résolution de se retirer en Hollande. Le 10 mai de cette année 1652, c'est-à-dire après la nouvelle de l'entrée de Condé à Paris, il écrivait à son ami Conrart, qui était resté dans la capitale pendant cette terrible lutte: «Si Dieu n'a pitié de nous, et ne nous envoie bientôt sa fille bien aimée, qui est madame la Paix, je suis absolument résolu de fuir des objets qui me blessent le cœur par les yeux. Quand je serais plus caduc et plus malade que je ne suis, je sortirais du royaume, au hasard de mourir sur la mer, si je m'embarque à La Rochelle, ou de mourir dans une hôtellerie, si je fais mon voyage par terre744.»
Balzac eût, malgré les instances de Conrart, exécuté son projet, sans les blessures que reçut le duc de Montausier en combattant contre les rebelles. Le duc se vit forcé de revenir à Angoulême pour se faire soigner, et il resta longtemps dans un état de faiblesse qui lui interdisait toute occupation. La société et les entretiens de Balzac devinrent pour Montausier la plus agréable de toutes les distractions aux maux qu'il endurait; il le pria de ne pas l'en priver, et fit tous ses efforts pour l'engager à renoncer au projet qu'il avait conçu. De son côté, Balzac retrouva dans le commerce intime de M. et de madame de Montausier un charme qui lui rappelait les beaux jours de l'hôtel de Rambouillet745. Cette circonstance empêcha donc Balzac d'aller mourir ailleurs que dans sa patrie; mais il souffrait vivement des privations que la guerre lui imposait, et surtout de l'interruption des courriers et des voitures, qui l'empêchait de recevoir les lettres que son ami Conrart lui écrivait et les livres qu'il lui envoyait.
Le 20 juillet, c'est-à-dire après avoir reçu des nouvelles du combat de Saint-Antoine et du massacre de l'hôtel de ville, il lui écrivait:
«Ayant appris les nouvelles générales, et n'ayant point eu des vôtres particulières, je ne puis que je ne sois en peine de vous, de M. de Grasse (Godeau) et de M. de Chapelain. Je crains tous les coups de la tempête pour des biens si rares et si précieux, pour des biens que j'ai dans le vaisseau agité. Dieu veuille calmer votre Paris et rassurer nos provinces! Ne fera-t-il pas descendre du ciel en terre cette fille bien aimée pour laquelle je soupire jour et nuit? Il y a dans la maladie de l'État je ne sais quoi de divin qui se moque de la raison humaine. Aristote, Tacite, Machiavel, ne verraient goutte dans nos ténèbres. Toute la prudence est ici accablée par la force du destin; les moindres de ces désordres sont ceux qui troublent le commerce de nos Muses; et néanmoins je ne les estime petits que par la raison des plus grands. Car en effet quel malheur d'être privé pendant si longtemps de la consolation de nos livres, de nos chastes et innocentes voluptés! de ne plus rien voir de Port-Royal et de la boutique des Elzevirs! de ne pouvoir lire ni les remontrances de M. Salmonet, ni les vers de Ménage, ni les sermons de M. Ogier!»
Ainsi, nous apprenons par cette lettre que tout ce qui sortait de la plume des solitaires de Port-Royal attirait aussitôt l'attention des savants comme des gens du monde. Quant à Salmonet, il était, ainsi que son frère, attaché au service du cardinal de Retz; et tous deux le suivirent à Nantes746, et partagèrent sa captivité. Le dernier, qu'on nommait de Montet, du nom de sa famille, fut depuis lieutenant-colonel du régiment écossais de Douglas, et tué en Alsace; l'autre Robert de Montet de Salmonet, dont parle Balzac, s'était fait un nom par une histoire des derniers troubles d'Angleterre, et venait de publier, sous le voile de l'anonyme, mais avec l'approbation du cardinal de Retz, une brochure in-folio de 72 pages, sortie des presses du fameux imprimeur Antoine Vitré, intitulée: Remontrance très-humble faite au sérénissime prince Charles II, roi de la Grande-Bretagne, sur les affaires présentes747. Cet écrit de circonstance fut alors regardé comme un chef-d'œuvre; son succès et son titre seul prouvent suffisamment qu'alors l'usurpation de Cromwell n'était pas tellement consolidée qu'on n'entretînt encore en France des espérances de voir remonter Charles II sur le trône. Ogier, si peu connu aujourd'hui, était un prédicateur célèbre et grand littérateur748, faisant, comme beaucoup de littérateurs de cette époque, de petits vers et des dissertations critiques, et mêlant les combats littéraires aux exercices de sa profession. Il avait pris, en gardant l'anonyme, la défense de Balzac contre le père Goulu, général des feuillants; et son apologie fut trouvée si belle, que Balzac fut soupçonné d'avoir eu la faiblesse de vouloir passer pour en être l'auteur. A l'époque de la lettre de Balzac que nous venons de transcrire, Ogier venait de publier, sous le titre singulier d'Actions publiques749, le premier volume des sermons qu'il avait prêchés à Paris. Il paraît que la beauté de son débit avait beaucoup servi à sa réputation; car lorsque Balzac l'entendit prêcher pour la première fois dans l'église de Saint-Cosme, il dit: «Ce théâtre est trop petit pour un si grand acteur750.» On conçoit, d'après ces antécédents, l'impatience que Balzac avait de lire dans leur première nouveauté, des compositions dont il avait conçu une idée si avantageuse.
Le désir qu'il éprouvait de lire les vers de son ami Ménage n'était pas moins grand; mais il fut assez promptement satisfait, car six semaines après les doléances qu'il avait faites à Conrart il reçut le précieux volume in-4o intitulé Miscellanea (Mélanges)751, le premier ouvrage que Ménage ait publié. Ce recueil, aujourd'hui si peu lu et même si peu connu, fit alors sensation dans le monde littéraire, et donna lieu à des éloges et à des critiques752. Plusieurs des pièces qu'il renferme avaient déjà paru séparément, ou dans d'autres recueils. Celui-ci se fit longtemps attendre; car le privilége du roi qui en permettait l'impression est du mois de mai 1650, et il ne fut achevé d'imprimer que le 27 août 1652. Le bon Balzac dut être ravi en recevant ce volume; il y trouvait d'abord en tête un beau portrait de Nanteuil, qui lui retraçait les traits de son ami Ménage; puis une dédicace en latin à M. de Montausier, qui prouve que Ménage, quoique alors aux gages du coadjuteur, ne reniait point ses anciennes amitiés, et ne craignait pas, an milieu des plus grandes fureurs de la Fronde, de donner à un royaliste zélé les louanges qu'il méritait, et même de souhaiter qu'il triomphât dans les combats qu'il livrait aux rebelles: Vale et vince, dit-il en finissant. Qu'on ne croie pas cependant que cette épître soit de la même date que le reste du recueil. Non; Ménage l'écrivit au moment même où il envoyait son livre à l'impression. Elle est datée du 9 avril 1652; et alors le cardinal de Retz ne désirait pas le succès de Condé, et voyait avec plaisir les résistances que les royalistes lui opposaient dans le midi.
Balzac trouvait ensuite dans ce volume plusieurs pièces à lui dédiées, qui contenaient ses louanges; puis les bouffonnes et spirituelles caricatures accompagnant les pièces écrites en latin contre un professeur de grec au Collége de France, devenu célèbre par ses ridicules, son avarice, ses habitudes de parasite, l'âcreté de ses sarcasmes, souvent spirituels, contre tous les gens de lettres en réputation; ce qui fit composer contre lui un si grand nombre d'épigrammes et de satires, qu'on en a depuis formé un recueil qui n'a pas moins de deux volumes753. Après ce piquant écrit, Vita Mamuræ, qui avait déjà paru imprimé dans un premier recueil contre Montmaur, et que Ménage avait composé à l'âge de vingt-quatre ans, Balzac retrouvait plusieurs pièces du spirituel Sarrazin et d'autres beaux esprits, que probablement il avait entendu lire autrefois à l'hôtel de Rambouillet; ensuite des pièces de vers en grec, en latin et en français, toutes composées par Ménage, dont la muse ne se contentait pas de sa langue maternelle et traînait à sa suite toutes les langues savantes. Cependant il s'abusait, le docte Ménage, de vouloir donner à sa renommée toutes sortes de trompettes: c'était le moyen de n'obtenir de retentissement d'aucune. Il en est du poëte comme du musicien, qui n'excitera jamais notre admiration par les merveilles de son exécution si, au lieu de tirer vanité de pouvoir exercer son art sur un grand nombre d'instruments, il ne cherche pas à en reculer les bornes en consacrant sur un seul tous ses efforts, et en tâchant d'y surpasser tous ses rivaux. L'ingénieuse antiquité n'a donné au dieu des vers et de l'harmonie qu'une seule lyre.
Quoi qu'il en soit, une idylle intitulée le Pêcheur, ou Alexis, dédiée à madame la marquise de Sévigné, et précédée d'une longue tirade de vers à sa louange, se trouve dans le même volume, et explique suffisamment les détails qu'on vient de lire. Cette pièce est le premier hommage public rendu à celle qui fait l'objet de ces Mémoires; et quoiqu'elle n'ait paru qu'en 1652, elle a du être composée au plus tard en 1649, c'est-à-dire entre les deux Frondes, et avant que madame de Sévigné fût devenue veuve. Elle commence ainsi, dans cette première édition des poésies françaises de Ménage754:
Des ouvrages du ciel le plus parfait ouvrage,
Ornement de la cour, merveille de notre âge,
Aimable Sévigné, dont les charmes puissants
Captivent la raison et maîtrisent les sens;
Mais de qui la vertu, sur le visage peinte,
Inspire aux plus hardis le respect et la crainte…
Nous ne transcrirons pas les vers qui suivent, parce que plus emphatiques encore que ceux-ci, ils donnent une idée encore plus fausse, s'il est possible, de madame de Sévigné, de sa manière d'être dans le monde et des sentiments qu'elle y faisait naître. Dans tous les ouvrages que Ménage publia par la suite, il saisit toutes les occasions de faire l'éloge de madame de Sévigné. «Le nom de madame de Sévigné, disait l'évêque de Laon, est dans les ouvrages de Ménage ce qu'est le chien du Bassan dans les portraits de ce peintre; il ne saurait s'empêcher de l'y mettre755.»
Sans fiel, sans haine, bonne et indulgente pour tous, madame de Sévigné n'embrassa avec chaleur aucun des partis qui divisaient la France. Son bon sens, son esprit, sa vertu, lui firent connaître ce qu'il y avait de faux, d'exagéré, de coupable, de haïssable dans chacun d'eux; et quoique par sa parenté, par ses amis, par l'indépendance de sa position, et peut-être aussi par celle de son caractère, elle inclinât pour l'opposition, pour la Fronde, pour ces puissants raisonneurs de Port-Royal, cependant elle mit tant de modération dans sa conduite, elle se concilia tellement la bienveillance des personnes dont les opinions ne s'accordaient pas avec les siennes, que dans l'intervalle de paix qui eut lieu entre les deux Frondes, quand Ménage composa son idylle, elle fut bien reçue à la cour, et en fit, comme il dit, l'ornement. Durant la seconde Fronde, pendant le feu de la guerre civile, lorsque les partis se trouvaient les plus animés les uns contre les autres, à l'époque où Ménage publia ses Mélanges, elle avait conservé toutes les connaissances qu'elle avait acquises parmi les royalistes; elle était restée fidèle à tous les attachements qu'elle avait contractés dans ce parti, où, comme dans les autres, elle avait des admirateurs et des courtisans. Ceux qui étaient restés à Paris étaient accueillis par elle avec le même empressement que ceux du parti contraire; elle n'établissait d'autres différences entre eux que celles que pouvaient y mettre leur sociabilité, leur degré de mérite, ou leur talent de plaire. Sa beauté, sa jeunesse, sa fraîcheur, son amabilité, rassemblaient partout autour d'elle un nombreux cortége; et le goût qu'elle avait pour le monde et pour ses plaisirs ne lui permettait pas de montrer à personne ce visage sévère, ni «cette âme insensible aux traits de la pitié756,» que Ménage, dans son jargon de versificateur, croyait devoir lui prêter, par un faux goût d'exagération que les romans de mademoiselle de Scudéry avaient mis à la mode. Par sa résistance à tous les genres de séduction, madame de Sévigné inspirait certainement du respect, mais elle n'inspirait de la crainte à personne: elle avait pour cela une physionomie trop vive, trop gaie, trop ouverte, trop de franchise et d'abandon dans ses discours et dans ses manières. Si toute sa vie, si tout ce que ses contemporains en ont écrit, si toutes ses lettres ne démontraient pas l'exactitude de ce que nous avançons ici, l'affaire du duc de Rohan et du marquis de Tonquedec, qui eut lieu à l'époque dont nous nous occupons, et qui fit alors beaucoup de bruit à Paris, dans les cercles et les ruelles de la haute société, suffirait pour le prouver.
CHAPITRE XXXIII.
1652-1653
Détails sur le marquis de Tonquedec.—Son amour pour madame de Sévigné.—Il veut secourir, dans un tumulte, le président de Bellièvre.—Il manque d'être assommé par la populace.—Sa haine contre le parti de Condé.—Rohan se rencontre avec lui chez la marquise de Sévigné.—Tonquedec se conduit avec hauteur dans cette entrevue.—La duchesse de Rohan s'en offense.—Elle pousse son mari à demander une explication.—Le duc de Rohan va trouver Tonquedec chez madame de Sévigné.—Menace qu'il lui adresse, en présence de toute la société rassemblée chez elle.—Réponse de Tonquedec.—Il veut se battre, mais on l'oblige à sortir de Paris.—Embarras de madame de Sévigné.—Elle va voir la duchesse de Rohan.—Exigences de celle-ci.—Madame de Sévigné se refuse à subir les conditions qu'elle veut lui imposer.—Le chevalier Renaud de Sévigné envoie un cartel au duc de Rohan.—Ils se rendent hors de la ville pour se battre.—Un exempt du duc d'Orléans les en empêche.—Tonquedec envoie un cartel au duc de Rohan.—Réponse évasive de celui-ci.—Du Lude, Chavagnac et Brissac menacent de provoquer Rohan au combat, s'il ne donne pas satisfaction à Tonquedec.—La duchesse de Rohan fait donner des gardes à son mari, et le fait surveiller pour qu'il ne puisse se battre.—Tonquedec rentre dans Paris avec la cour.—Son affaire avec Rohan n'eut aucune suite.—Mort de Rohan.
Le marquis de Tonquedec était un gentil-homme breton, parent de la duchesse de Rohan. Il parut d'abord vouloir se joindre au parti des princes, et il avait même promis au duc de Rohan de lever un régiment pour lui. Non-seulement il n'exécuta pas sa promesse, mais il se mit du parti de la cour, et devint un des partisans du cardinal Mazarin. Il se brouilla ainsi avec le duc de Rohan, et ils ne se voyaient plus. Cependant, durant la seconde guerre de la Fronde Tonquedec était resté à Paris. Peut-être n'y était-il retenu qu'à cause du séjour qu'y faisait la marquise de Sévigné, dont il était épris. Vers la fin du mois de mai de l'année 1652, Tonquedec passait par hasard dans la rue, au moment même où le peuple maltraitait le fils du premier président de Bellièvre, qui, muni d'un passeport, voulait sortir de la ville. Tonquedec prit sa défense, et chercha à favoriser sa sortie: il manqua d'être assommé par la populace, et fut obligé de garder le lit pendant quelques jours, par suite des contusions qu'il avait reçues757. Cette circonstance augmenta encore son aversion contre les partisans de Condé, qui, assez mal vus de la bourgeoisie, étaient alors tout-puissants parmi le bas peuple.
Aussitôt que Tonquedec fut rétabli, il alla voir madame de Sévigné. Il se trouvait seul avec elle un certain mardi, dans la matinée du 18 juin 1652, lorsque le duc de Rohan y arriva758. Tonquedec, nonchalamment assis dans un fauteuil placé dans la ruelle et au chevet du lit de la marquise, se leva à demi, ôta son chapeau; mais il se rassit avant que le duc eût un siége et sans lui offrir sa place, qui était la place d'honneur. Le duc de Rohan fut interdit de cette rencontre et de la contenance de Tonquedec. Il fit, contre son ordinaire, une visite courte et silencieuse, et se retira avec toutes les apparences d'un homme piqué759. De retour chez lui, il conta ce qui s'était passé à la duchesse sa femme. Celle-ci, outrée de ce qu'elle considérait comme un affront, lui dit que la chose ne pouvait en rester là, et qu'il fallait qu'elle fût réparée. Rohan se rendit donc le lendemain chez la marquise de Sévigné, et se plaignit à elle de l'incivilité de Tonquedec. Madame de Sévigné convint qu'à la vérité il avait été bien fier. Cette manière d'excuser Tonquedec enflamma encore le courroux de l'altière duchesse, à qui les paroles de la marquise furent rapportées. D'après les instigations de sa femme, Rohan retourna le lendemain chez madame de Sévigné, non plus seul, mais accompagné d'un grand nombre de gentils-hommes. Arrivé à l'hôtel de Sévigné, il vit à la porte le carrosse du comte du Lude. Il demanda au cocher si son maître était là. Le cocher répondit que non; qu'il y avait amené M. le marquis de Tonquedec, auquel M. le comte avait prêté son carrosse. Rohan, laissant son cortége à la porte de l'hôtel, monta seul chez madame de Sévigné; il la trouva en compagnie avec sa tante la marquise de La Trousse, avec Marigny et Tonquedec. Rohan, se sentant fort de l'escorte nombreuse qu'il avait amenée, dit en entrant à Tonquedec: «On m'a dit que vous vous vantiez de m'avoir nargué céans; je viens aujourd'hui vous apprendre à me rendre ce que vous me devez.—Monsieur, dit Tonquedec avec un air de mépris, je vous rendrai toujours plus que je ne vous dois.—Vous ne sauriez, répliqua le duc; et je vous montrerai bien ce que vous me devez.» Rohan ordonna ensuite à Tonquedec de sortir, le menaçant, s'il n'obéissait pas, de le faire chasser par son escorte. Tonquedec tira son épée; mais madame de Sévigné, sa tante et Marigny s'interposèrent, et le supplièrent d'éviter une catastrophe sanglante, dont une lutte aussi inégale le rendrait victime. Tonquedec dit qu'il obéirait à madame de Sévigné; mais en se retirant il manifesta l'intention d'obtenir raison de l'insulte qui lui était faite. Gaston et le maréchal de Schomberg le firent chercher pour le faire arrêter, et il fut obligé de s'évader, et d'aller rejoindre la cour.
Madame de Sévigné, qui après la première entrevue des deux rivaux en avait redouté les suites, était allée, dans l'espérance de les prévenir, faire une visite à la duchesse de Rohan. Elle en fut reçue très-froidement, et s'en plaignit à mademoiselle de Chabot, sœur du duc de Rohan. Mademoiselle de Chabot lui dit que pour que la duchesse fût contente d'elle, il fallait qu'elle promît de ne plus jamais recevoir chez elle le marquis de Tonquedec. Madame de Sévigné refusa de consentir à cette humiliation; et à cause de ce refus les Rohans et leurs amis rejetaient sur elle tout le tort de la scène qui avait eu lieu.
Madame de Sévigné était désespérée d'une affaire qui la brouillait avec toute une famille illustre et puissante à Paris et en Bretagne, qui la rendait l'objet des entretiens de tout le monde, l'exposait à un blâme qu'elle n'avait pas mérité, et qui menaçait de se terminer d'une manière tragique. En effet un duel semblait inévitable; la chose était publique, et Loret même en avait parlé dans sa gazette760. L'arrogance et les procédés de la duchesse de Rohan dans cette circonstance furent généralement blâmés; mais l'influence que les circonstances politiques et l'appui de Condé donnaient aux Rohans empêchaient que l'opinion ne se manifestât ouvertement en faveur de madame de Sévigné. Les Rohans abusèrent à son égard du désavantage de sa position: ils se conduisirent avec une hauteur inconvenante; mais ils eurent bientôt lieu de s'en repentir, et ils apprirent qu'une femme jeune, jolie, spirituelle et vertueuse, qui sait tirer parti des dons qu'elle a reçus du ciel, est aussi une puissance, qu'on ne peut opprimer impunément.
Vers la fin de juillet, et aussitôt que Rohan eut été déclaré duc et pair au parlement, il reçut un cartel du chevalier Renaud de Sévigné, pour qu'il eût à lui rendre raison de sa conduite envers la marquise, sa parente. Tous deux se rendirent hors de la ville; un exempt du duc d'Orléans, par ordre de Son Altesse Royale, vint arrêter Rohan au moment où les deux combattants venaient de mettre bas leur pourpoint et de tirer leurs épées761. Le duc d'Orléans donna un garde à Rohan et un au chevalier Renaud de Sévigné, pour les empêcher de se battre: cette mesure, qui était selon les usages de ce temps, calma les craintes de la duchesse de Rohan, qui l'avait provoquée; mais elle fit tort à la réputation de son mari, dont la bravoure était suspecte: il passait pour être plus habile à la danse qu'à l'escrime762. C'était d'ailleurs un moyen de différer l'issue de cette affaire, et non de la terminer. Les amis de madame de Sévigné ne paraissaient pas disposés à céder.
Le duc de Rohan reçut bientôt un nouveau cartel du marquis de Tonquedec, qui, n'obtenant pas de réponse, fit parler au duc par les comtes de Vassé et de Chavagnac. Rohan ne répondit à ceux-ci que d'une manière évasive: alors le comte du Lude, le duc de Brissac et le comte de Chavagnac allèrent de nouveau le trouver, et lui signifièrent que s'il ne se battait pas avec Tonquedec, il fallait qu'il tirât l'épée contre eux, et qu'il eût à se pourvoir de deux amis qui voulussent avec lui se battre contre eux. Le barbare usage de ces duels collectifs n'était pas, comme l'on voit, entièrement aboli, quoique les exemples en fussent devenus rares. Le duc de Rohan se vit ainsi forcé de promettre de répondre à l'appel de Tonquedec, aussitôt qu'il pourrait se délivrer de son garde. La duchesse de Rohan, qui craignait pour les jours de son mari, était, dit Conrart, un garde bien plus difficile à éviter que celui qui lui avait été donné par le duc d'Orléans. Elle faisait veiller le duc de Rohan en tous lieux, même la nuit, de peur qu'il ne lui échappât; mais on disait dans le monde qu'elle n'avait pas tant de peine à le garder et à l'empêcher de se battre qu'elle voulait bien le faire croire763. C'est alors qu'elle se repentit vivement de s'être attaquée à notre jeune veuve, et d'avoir été à son égard si injuste et si arrogante. Cependant, elle réussit à empêcher le combat, et cette affaire n'eut pas d'autre suite, soit à cause de l'intervention de madame de Sévigné, soit parce que les deux antagonistes, suivant des partis différents, ne purent se rejoindre, soit enfin parce que le rapide affaiblissement de la santé du duc de Rohan ne lui permit pas de réparer le tort que cette aventure faisait à son honneur. En effet, aussitôt après le retour du roi, le duc et la duchesse de Rohan furent exilés de Paris, et le duc de Rohan mourut le dernier jour du mois de février de l'année suivante, à son château de Chanteloup, où, déjà gravement malade, il s'était fait transporter, par l'avis des médecins, pour respirer un meilleur air764.