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Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 26

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CHAPITRE XXXIV.
1652-1663

Le retour du roi dans Paris en fait disparaître toute la société de la Fronde.—Scarron seul reste.—Sa maison devient le rendez-vous de tous les jeunes seigneurs royalistes.—Changement opéré dans son intérieur.—Il épouse la petite-fille d'Agrippa d'Aubigné.—Réflexions sur les événements extraordinaires que fournit l'histoire, comparés aux fictions des poëtes et des romancières.—Le mariage de Scarron fit peu de sensation.—Sa femme, connue sous le nom de la belle Indienne.—Diverses versions sur ses aventures et son mariage.—Le bruit court que Scarron va se transporter aux îles, et que sa femme est enceinte.—Liaison de madame Scarron et de Ninon de Lenclos.—Madame Scarron reste pieuse et vertueuse, malgré cette liaison.—Elle est aimée du marquis de Villarceaux.—Scarron va à Tours pour affaires de famille.—Madame Scarron attire chez son mari la meilleure société.—Changement heureux qu'elle opère en lui.—Madame Scarron reçue dans les plus hautes sociétés.—Observations judicieuses de Saint-Simon sur les changements opérés par l'invention des sonnettes de renvoi sur l'intérieur des familles.—Le défaut de cette invention fut utile à madame Scarron pour se faire bien accueillir.—Motifs qui empêchaient alors madame de Sévigné de contracter une liaison intime avec madame Scarron.

Le retour du roi dans Paris et l'arrestation du cardinal de Retz avaient fait disparaître de la capitale toute la brillante société de la Fronde: Gaston et toute sa cour, MADEMOISELLE et ses dames d'honneur, Condé et son brillant cortége d'officiers, et toutes les dames de son parti, les duchesses de Châtillon, de Montbazon, de Rohan, de Beaufort; tous les amis et partisans du coadjuteur, le duc de Brissac, Renaud de Sévigné, Châteaubriand, Lameth, Château-Regnauld, d'Argenteuil, d'Humières, Caumartin, d'Hacqueville et l'Écossais Montrose765.

Toutes ces personnes, et beaucoup d'autres, plus ou moins liées avec madame de Sévigné, avaient été exilées de Paris par lettres de cachet, ou étaient forcées de partir ou de se cacher, par la crainte d'être arrêtées. De tous ceux qui avaient marqué par leur opposition à la cour, Scarron seul, retenu et défendu par ses infirmités, était resté; et ce qui paraît étrange, c'est que sa maison ne cessa point d'être aussi fréquentée qu'auparavant; elle continua à être le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de monde élégant, jeune, spirituel et aimable. Non-seulement les seigneurs royalistes se montraient, comme avaient fait ceux de la Fronde, empressés à la fréquenter, mais, ce qu'on n'avait pas vu jusque alors, des femmes d'un haut rang, d'une réputation irréprochable, y allaient, et ne s'y trouvaient point déplacées.

Quand on se rappelle les virulentes et détestables satires qu'avait écrites contre Mazarin ce prince des poëtes burlesques, on comprend qu'il est nécessaire d'expliquer pourquoi, après le retour de Mazarin et lors de la toute-puissance de ce ministre, Scarron continua à être l'objet d'une faveur publique si marquée.

Un grand changement s'était opéré dans l'intérieur du vieux poëte, dans son mode d'existence, dans les dispositions de son esprit, et surtout dans les sentiments de son cœur.

A l'époque où les événements de la seconde guerre de Paris se succédaient avec le plus de rapidité, au commencement de juin de l'année 1652, Scarron se maria766: ce fut de sa part un acte de charité envers une enfant, et cet acte de charité devait avoir un jour sur les destinées de la France une plus longue influence que tous les mouvements que se donnaient alors Turenne et Condé, Mazarin et Retz767.

La petite-fille d'Agrippa d'Aubigné, âgée de seize ans et demi768, éclatante de fraîcheur, éblouissante de beauté, adorable par ses grâces et son esprit, ravissante de pudeur et d'innocence, était devenue la femme de ce poëte bouffon et obscène, de ce cul-de-jatte, de cet assemblage de toutes les difformités, de toutes les souffrances humaines, ruiné, endetté, ne subsistant que des produits précaires de sa plume. Telle était la misère profonde où se trouvait plongée une famille jadis puissante et illustre, que la jeune fille se trouva tout heureuse d'avoir inspiré de la pitié au généreux Scarron, et, en recevant la main de cet infirme vieillard, de se condamner par l'hymen, durant les plus belles années de sa vie, à un triste célibat.

Romanciers et poëtes, vous dont l'imagination se complaît dans les chutes rapides et les élévations subites, contemplez cet enfant qui se joue sur le rivage de Sicile, près de la ville de Mazzara. Né dans la classe du peuple, sa famille n'a pas même de nom; c'est un des enfants de Pierre, de ce pêcheur dont vous voyez là-bas l'humble cabane; mais un jour viendra que ce bambin, joignant son nom de baptême à celui de la ville qui renferma son berceau, sera Jules de Mazarin, couvert de la pourpre romaine, armoriant son écusson du faisceau consulaire de Jules César, gouvernant la France, et par elle préparant et influençant les destinées de l'Europe entière769.

Écoutez: quand ceci sera arrivé, quand la capricieuse fortune, qui se joue dédaigneusement des destinées et des prévisions humaines, vous paraîtra avoir épuisé en faveur de Jules de Mazarin toute sa puissance, venez, et faites-vous ouvrir la prison de Niort. Examinez cette autre enfant, dont des haillons couvrent à peine la nudité. Elle est née, la petite créature, dans ce sombre et sale réduit, où son père et sa mère ont été enfermés pour dettes. Elle n'a pas cinq ans, et joue avec la fille de son geôlier. Celle-ci, dans sa vanité enfantine, lui montre les beaux habits qu'elle porte, les brillants joujoux qu'on lui a donnés770. Voyez alors la pauvrette, elle qui n'est nourrie que du pain de la charité, lever sa petite tête avec fierté, et dire à sa compagne: «C'est vrai, je n'ai ni habits ni joujoux; mais je suis demoiselle, et vous ne l'êtes pas.» Oui, certes, elle était demoiselle, et bien noble demoiselle, la petite-fille de ce guerrier célèbre, de ce grand homme, de cet ami, de ce compagnon de Henri IV! et elle ne paraîtra pas avoir dérogé de son illustre origine en devenant la femme du poëte Scarron; et ces amants si richement parés qui la courtisent, et ces grandes dames qui la protègent, sont loin de se douter que cette charmante malheureuse, comme ils l'appellent, s'assiéra un jour près du trône de France, et qu'à elle ils devront leurs richesses, leurs dignités, l'élévation de leurs enfants et les nouvelles splendeurs de leurs races. Romanciers et poëtes, que sont vos fictions auprès de ces réalités de l'histoire!

Le mariage de Scarron avec la jeune d'Aubigné fit peu de sensation et causa peu d'étonnement. Indépendamment des combats, des intrigues, des événements de tout genre qui occupaient les esprits, on crut, non sans quelque raison, que cette nouvelle détermination du plus célèbre des auteurs burlesques tenait à celle qu'il avait prise de se transporter dans les îles d'Amérique pour y chercher une amélioration à sa santé, ou du moins un soulagement à ses maux. On contait diversement les aventures de la jeune orpheline. On savait qu'elle s'était soustraite, par ce singulier mariage, au dur despotisme d'une parente avare771; mais on ignorait la captivité et les misères des premières années de son enfance. On la croyait née en Amérique772; on avait appris que ses parents s'y étaient transportés, dans l'espoir de réparer les désastres de leur fortune, et par cette raison on ne la désignait dans le monde que sous le nom de la belle Indienne. Ce qui semblait devoir faire admettre ce récit, c'était son teint, d'une blancheur éblouissante, mais pâle, qui ajoutait à l'éclat de ses yeux, grands, noirs, brillants et doux, ce qui lui donnait de la ressemblance avec une créole. Des faits vrais, que sa famille était plus disposée à propager qu'à contredire, confirmaient encore cette croyance. On avait appris que c'était en s'informant des personnes qui pouvaient lui donner des renseignements sur les contrées lointaines où il voulait se rendre, que Scarron avait fait sa connaissance773; et l'on pensait qu'il avait résolu de reconduire dans sa belle patrie, sous les bosquets embaumés des tropiques, la jeune garde-malade qu'il s'était donnée. Il paraît en effet qu'il eut ce projet: lorsqu'on sut qu'il était sorti de Paris avec sa femme, le bruit courut qu'ils allaient tous deux s'embarquer; et le gazetier Loret, qui n'était ni malin ni méchant, en devisant sur ce prétendu voyage dans sa bavarde gazette774, dit qu'on répandait aussi la nouvelle que madame Scarron était enceinte. C'était à la fois une plaisanterie cruelle et une calomnie.

Le pauvre paralytique, en songeant à la gaieté folâtre et souvent cynique de ses discours, s'était lui-même fait justice, en disant: «Je ne lui ferai pas de sottises, mais je lui en apprendrai beaucoup775

L'âge, la laideur, les infirmités de son époux, n'étaient pas les seuls motifs qui donnèrent lieu à la malignité publique de s'exercer sur le compte de madame Scarron dans les commencements de son mariage. Elle avait contracté la liaison la plus intime avec Ninon de Lenclos, et, selon l'usage de ce temps pour les personnes qu'unissait une étroite amitié, elle partageait souvent avec elle le même lit. On pouvait penser alors que Ninon de Lenclos, qui avait presque le double de l'âge de madame Scarron, exerçait sur elle assez d'influence pour lui faire partager ses penchants voluptueux et sa philosophie épicurienne. Cependant il n'en était pas ainsi: la religion était là, une noble fierté, des sens tempérés, un amour inné de la vertu, et encore plus un violent désir de s'attirer les louanges et de se faire admirer. C'est elle-même qui a fait l'aveu de ce dernier motif comme d'une faiblesse776; et alors on doit présumer que ce désir fut encore augmenté par les discours mêmes qu'elle entendit tenir dans le monde sur son amie. Ninon, qui la chérissait, aurait voulu en faire son élève, et la rendre heureuse à sa manière. Elle ne s'en est point cachée, et, dans son âge avancé, on lui a souvent entendu dire de madame de Maintenon: «Dans sa jeunesse, elle était vertueuse par faiblesse d'esprit. J'aurais voulu l'en guérir; mais elle craignait trop Dieu.» Cet aveu de Ninon et le témoignage de Tallemant des Réaux, sans cesse occupé à recueillir les anecdotes les plus scandaleuses qu'il entendait raconter dans les sociétés de son temps, résolvent les doutes qu'on a élevés sur madame Scarron au sujet du marquis de Villarceaux777. Que fût devenue la malheureuse Ninon si sa jeune amie, cédant aux poursuites et aux séductions du seul homme qui ait été soupçonné de lui avoir inspiré de l'amour, lui eût enlevé l'amant le plus fortement et le plus constamment chéri de son cœur, et eût ainsi mis en pratique les principes qu'elle avait cherché à lui inculquer?

La conduite de madame Scarron dans cette circonstance lui valut la protection et l'amitié de la marquise de Villarceaux; et son succès dans cette première épreuve contre les orages des passions affermit dès le premier pas sa marche dans le sentier où elle se proposait de marcher. Sa vie ressemble à ces longs golfes de la mer, dont la navigation devient plus facile quand on est parvenu à franchir heureusement le détroit semé d'écueils qui en forme l'entrée. A part les principes fondamentaux sur la religion, personne ne pouvait mieux que Ninon guider madame Scarron sur cette scène du monde où elle était forcée de se produire, ni lui faire mieux connaître les personnages qui se trouvaient placés autour d'elle. L'attachement de Ninon pour madame Scarron s'accrut encore par la preuve de générosité et de vertu qu'elle en avait reçue, et sa confiance en celle qui lui offrait toute sécurité contre une dangereuse rivalité fut entière. D'un autre côté, les qualités aimables de Ninon, les sages conseils qui venaient sans cesse au secours de l'inexpérience de sa jeunesse778, ses générosités, ses complaisances et ses attentions pour son époux, avaient inspiré pour elle à madame Scarron de l'estime et de l'amitié. Toujours elle lui conserva ces sentiments; et lorsque des sociétés différentes, des genres de vie opposés les eurent séparées, elles ne furent jamais désunies. Quand d'impérieuses convenances les empêchèrent de se voir, ou de ne se voir qu'en secret, elles s'écrivirent. Enfin, madame de Maintenon, assise près du trône, environnée des respects de la cour du grand monarque dont elle était la compagne, n'oublia pas les titres qu'avait auprès d'elle l'amie de la femme de Scarron. Mademoiselle de Lenclos en fut convaincue toutes les fois qu'elle voulut l'être: il est vrai qu'elle le voulut rarement. Ce fut toujours pour obliger des amis, et jamais pour elle-même779. La philosophique Ninon était loin d'envier le sort de son ancienne compagne: elle aurait regardé comme un malheur de se trouver forcée d'échanger contre le pompeux esclavage du rang que celle-ci occupait, sa douce liberté et son heureuse médiocrité; elle n'ignora même pas que madame de Maintenon, affaissée sous le poids de la multiplicité de ses devoirs et des ennuis de la grandeur, pensait comme elle à cet égard.

Le public apprit bientôt que Scarron avait renoncé à son voyage en Amérique; on sut qu'il s'était rendu à Tours pour affaires de famille, et qu'il était revenu à Paris avec sa femme. Les sollicitations multipliées que celle-ci fut obligée de faire pour que son mari ne fut pas exilé de la capitale après que le roi y fut rentré attirèrent sur elle l'attention de toute la cour. Un intérêt puissant s'attachait à ses malheurs, à sa jeunesse, à sa beauté. Son air de candeur et d'innocence démentait les bruits que sa liaison avec Ninon avait accrédités. Ils furent réfutés d'une manière plus efficace encore quand on la vit protégée et recherchée par toutes les femmes de ceux qu'on lui avait donnés pour amants: quand la marquise de Villarceaux, les duchesses de Richelieu et d'Albret, s'accordèrent toutes à louer sa sagesse, son amabilité, son esprit, et que toutes les trois, et plusieurs autres dames également connues par la sévérité de leurs principes et la régularité de leurs mœurs, l'admirent dans leur société intime.

Mais, quoiqu'elle en fût flattée, elle ne cédait que rarement à leurs invitations, rarement elle quittait le malheureux Scarron. Servante empressée quand il était malade, compagne enjouée quand il souffrait moins, docile écolière dans ses moments de loisir, secrétaire diligent et critique plein de goût quand il composait780, charme et délice de la société qui se rassemblait à sa table et autour de son fauteuil, elle suffisait à tout, était partout et à tout moment, comme une divinité bienfaisante, apportant tous les biens, soulageant tous les maux. Par cette conduite elle parvint à opérer un changement extraordinaire, une métamorphose complète dans le caractère, les sentiments et l'esprit même de ce vieillard, et ce fut avec une promptitude qui parut tenir du miracle. Scarron, qui se montrait auparavant si impatient de dissiper dans la joie et dans la débauche le peu de jours qui lui restaient, si insouciant, si déhonté, si impudique, n'est plus semblable à lui-même; il pense, il parle, il agit, il écrit tout différemment qu'il n'a fait jusque alors. Voyez-le, ce bouffon cynique qui plaisantait sur le déshonneur de sa propre sœur781: il croit à la vertu782, il en fait l'éloge. L'ange lui est apparu, c'est comme une révélation. Il ne s'inquiète plus de lui-même: une seule idée le poursuit, l'assiège, le tourmente sans cesse. Cette idée, c'est de trouver les moyens d'assurer un sort à cette orpheline, après qu'il ne sera plus. Voilà sa seule pensée, son unique occupation. Il sait qu'il n'a plus longtemps à vivre, et qu'il faut qu'il se hâte. Rien ne lui coûte pour expier ses torts envers le tout-puissant ministre, pour reconquérir la protection de la reine mère, dont il se dit le malade en titre, et envers laquelle il s'est montré ingrat783. Il n'est pas de projets qu'il n'enfante pour courir après cette fortune qu'il a laissée s'échapper avec tant d'indifférence. Lui, le burlesque, veut devenir financier; il se fatigue à calculer, il propose des plans d'entreprise, en poursuit le privilége, mais toujours au nom de sa femme, pour sa femme, pour elle seule; il n'a besoin de rien, elle a besoin de tout; il ne parle que d'elle, que pour elle. Il la recommande à tous ses amis, disant en pleurant qu'elle est «digne d'un autre époux, digne d'un meilleur sort». Il travaille et il écrit sans cesse pour obtenir de l'argent des libraires ou des comédiens; mais tout ce qui sort de sa plume est plus délicat, plus spirituel, sans mauvais goût. Il est gai sans être bouffon, et badin sans gravelure; son âme, son esprit, son cœur, se sont améliorés, épurés; il amuse, il réjouit, il attendrit; il est devenu plus cher à ses amis et à tous ceux qui le connaissent.

Scarron en se mariant avait encore vu diminuer ses faibles revenus; il s'était vu obligé de renoncer au canonicat dont il était pourvu. Aucune des entreprises qu'il avait conçues ne put recevoir d'exécution784. Sa femme obtint une pension de seize cents francs par la protection de madame Fouquet785, dont les bienfaits ainsi que ceux de quelques autres dames l'aidèrent à lutter contre la pauvreté. Dans les sociétés brillantes où elle se trouvait lancée, elle éprouva que dans l'adversité et dans une humble condition la beauté vertueuse peut bien s'acquérir l'estime, échapper à l'abandon et au mépris, mais non obtenir les mêmes respects, les mêmes égards que le rang et la richesse. Le ton cavalier des poëtes qui chantaient les louanges de la belle Indienne786, les discours et les manières des jeunes seigneurs qui se rassemblaient chez Scarron, les complaisances auxquelles elle se soumettait envers les dames qui s'étaient déclarées ses protectrices, et qu'on acceptait sans façon, lui démontraient chaque jour cette vérité. C'est une observation fine et judicieuse de Saint-Simon, qu'avant l'invention des sonnettes de renvoi dans l'intérieur des appartements, les dames de haut parage avaient besoin d'avoir continuellement près d'elles de ces femmes que leur naissance et leur éducation ne rendaient pas déplacées dans leur société, quoique la modicité de leur fortune parût les en écarter, mais qui, par cette raison même, se montraient disposées à leur rendre les services auxquels sont astreintes, par les devoirs de leurs charges, celles qui accompagnent les reines et les princesses. Nous ajouterons que cette invention a produit dans les mœurs et les habitudes de la bourgeoisie des changements plus grands que dans les hautes classes. Mais Saint-Simon n'en parle pas, parce qu'il n'a pas eu occasion de les observer. Il revient, au contraire, assez fréquemment sur les différences qu'il remarquait avoir été produites entre l'ancienne et la nouvelle société à laquelle il appartenait, par l'influence de cet usage, pour nous faire penser qu'il était récent lorsqu'il écrivait ses Mémoires787. Nos recherches n'ont pu nous faire découvrir l'époque précise où il a commencé à se répandre; mais nous avons tout lieu de croire que, toute simple que peut paraître l'invention qui lui a donné lieu, elle a pourtant été ignorée durant le règne de Louis XIV. Saint-Simon, habile à découvrir l'action des petites causes sur les grands événements, attribue aux occasions que ce défaut de perfectionnement dans nos habitations fournit à madame de Maintenon, pour se rendre nécessaire, ses premiers succès dans le grand monde et les utiles liaisons qu'elle y forma. Par la mémoire qu'elle conserva de ces temps de dépendance et de sujétion, Saint-Simon explique aussi les faveurs royales qu'elle fit pleuvoir sur ses anciennes protectrices et sur leur postérité, sur les d'Albret, les Richelieu, les Montchevreuil, les Villars, les d'Harcourt et les Villarceaux. Il y a de l'exagération dans ce point de vue, mais il y a aussi de la vérité; et cette vérité ne nuit pas autant à la bonne réputation de madame de Maintenon que Saint-Simon le croyait et le voulait.

Quoi qu'il en soit, ces détails nous ramènent à la position particulière de madame de Sévigné à l'égard de madame Scarron, non-seulement à l'époque dont nous nous occupons, mais pendant toute la durée de la vie de l'une et de l'autre. On a vu que c'était précisément peu de temps avant qu'il se mariât que madame de Sévigné s'était déterminée à voir le vieux poëte, et qu'il était résulté de sa visite, entre elle et lui, un échange de louanges et d'aimables plaisanteries, un commerce de lettres788. Nulle n'était plus propre que madame de Sévigné à apprécier tout le mérite de la femme que Scarron s'était donnée, et plusieurs passages de ses lettres789 prouvent qu'elle l'avait parfaitement jugée; mais la veuve du marquis de Sévigné n'était pas d'un rang à pouvoir disputer le patronage de cette jeune femme à celles qui se l'étaient exclusivement attribué: elle n'avait pas, comme elles, les moyens de la protéger efficacement. D'un autre côté, elle se trouvait dans une position trop élevée pour vivre avec elle sur le pied d'égalité. D'ailleurs, l'amie de Ninon de Lenclos, de celle qui sans aucun égard, sans aucun scrupule, avait séduit son mari, et jeté le trouble dans son intérieur, ne pouvait que difficilement obtenir sa confiance. Ainsi donc, quoique madame de Sévigné se soit fréquemment trouvée à cette époque dans les mêmes sociétés que madame Scarron, et qu'elle goûtât «son esprit aimable et merveilleusement droit790», il n'y eut point entre elles de liaisons familières et suivies. Ce ne fut que lorsque madame Scarron, devenue veuve, eut acquis par l'éducation des enfants naturels du roi une grande importance dans le monde, que madame de Sévigné se lia assez particulièrement avec elle pour l'inviter à ses soupers et en recevoir de fréquentes visites. Nous verrons par la suite combien elle se plaisait à lui entendre faire l'éloge de madame de Grignan et raconter les nouvelles de la cour791.

765.RETZ, t. XLVI, p. 226, 230.
766.LORET, liv. III, p. 77, lettre en date du 9 juin 1652; liv. III, p. 139, lettre 40 en date du 5 octobre 1652; liv. III, p. 154, lettre 45, en date du 9 novembre 1652.—Conférez les frères PARFAICT, Hist. du Théastre François, t. VI, p. 351.—SEGRAIS, Mém., dans les Œuvres, t. II, p. 65, 85, 100, 105.—LORET, liv. II, p. 179, en date du 31 décembre 1651.—LA BEAUMELLE, Mémoires de madame de Maintenon, t. I, p. 144.—DREUX DU RADIER, Mém., hist. et critiques des reines et régentes de France; Amsterdam, 1782, t. VI, p. 343.—Madame SUARD, Madame de Maintenon peinte par elle-même, édit. 1810, p. 12.—Madame GUIZOT, Vie de Paul Scarron, dans la Vie des poëtes français, par M. Guizot, p. 489.—MONMERQUÉ, Biographie universelle, t. XXVI, p. 267.—FABIEN PILLET, ibid., t. LXI, p. 44.
767.SCARRON, Œuvres, 1737, t. I, p. 42, lettre à mademoiselle d'Aubigné, édit. 1619, p. 19; édit. 1700, p. 11; édit. 1737, p. 54.
768.MONMERQUÉ, article Maintenon, dans la Biographie universelle, t. XXVI, p. 265.
769.SAINT-SIMON, Mémoires authentiques et complets, t. XI, p. 190.—LOMÉNIE DE BRIENNE, Mémoires inédits, t. II, p. 10.
770.LA BEAUMELLE, Histoire de madame de Maintenon, t. I, p. 105.
771.LA BEAUMELLE, Histoire de madame de Maintenon, t. I, p. 113.
772.SAINT-SIMON, Œuvres complètes, 1791, t. II, p. 16.
773.SEGRAIS, Mémoires et Anecdotes, dans ses Œuvres, 1735, in-12, t. II, p. 85.
774.LORET, liv. III, p. 139, lettre 10, en date du 5 octobre; ibid., liv. III, p. 154.—SCARRON, Œuvres, t. II, p. 65.
775.SEGRAIS, Mémoires et Anecdotes, t. I, p. 64—LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon et à celle du siècle passé, liv. I, chap. VI, t. I, p. 144.
776.Ms. de mademoiselle d'Aumale, cité dans les Mémoires de Maintenon, t. I, p. 151.—Madame SUARD, Madame de Maintenon peinte par elle-même, 1810, in-8o, p. 19.
777.AUGER, Lettres de madame de Maintenon, précédées de sa vie, t. XLIII.—TALLEMANT, Mém., t. V, p. 264, édit. in-8o; ou t. IX, p. 130, édit. in-12.—SCARRON, Œuvres, Amsterdam, 1737, t. I, p. 48; édit. 1700, t. I, p. 18; Dernières Œuvres de Scarron, 1669, t. I, p. 31.
778.SCARRON, Œuvres, 1737, t. I, p. 404; Etrennes à mademoiselle de Lenclos, t. I, p. 48.
779.SAINT-SIMON, Mémoires authentiques, 1829, in-8o, t. IV, p. 420, chapitre XXXIV.
780.SEGRAIS, Mémoires anecdotes, t. II, p. 84 et 85.
781.LA BAUMELLE, Mémoires, t. I, p. 155.
782.Ibid., t. I, p. 183 et 184.—Madame SUARD, Madame de Maintenon peinte par elle-même, seconde édition, 1810, in-8o, p. 31.
783.SCARRON, Œuvres, édit. 1737, t. I, p. 169; les dernières Œuvres de Scarron, t. I, p. 310; Œuvres, édit. 1737, t. VIII, p. 73; Estocade à monseigneur le cardinal Mazarin, p. 430; Madrigal sur un portrait de Son Éminence peint par Mignard, Œuvres, 1737, t. VIII, p. 418.
784.Lettres de Scarron à Fouquet, surintendant des finances, dans ses Œuvres, édition 1737, t. I, p. 100, 101, 104, 110, 114, 116, 118, 138, 139, 157; et dans les dernières Œuvres de Scarron, 1669, t. I, p. 140, 141, 154, édit. 1700, p. 73, 79, 201.
785.SCARRON, Œuvres, t. I, p. 79, 92, 167; Lettre au duc d'Elbeuf, dernières Œuvres de Scarron, t. I, p. 294.
786.LA MESNARDIÈRE, Poésies, 1656, in-folio, p. 189.—SEGRAIS, t. II, p. 105.
787.Œuvres complètes de LOUIS DE SAINT-SIMON, t. II, p. 16, 19; SAINT-SIMON, Mémoires, t. I, p. 40; t. II, p. 407; t. XIII, p. 105, 108, 402.
788.SCARRON, Œuvres, 1737, t. I, p. 47; les dernières Œuvres de SCARRON, 1669, t. I, p. 28; id., édit. 1700, t. I, p. 16.
789.SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 259 et 275, lettres en date des 6 et 25 décembre 1671.
790.SÉVIGNÉ, t. II, p. 290, lettre en date du 13 janvier 1672.
791.SAINT-SIMON, Mémoires authentiques, t. XIII, p. 105.—SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 275 et 290; t. VI, p. 214; lettres en date des 25 décembre 1671, 13 janvier 1672, 29 mars 1680.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
581 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain