Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 27
«Très-bien, mon cher monsieur, répliqua M. Perker. Je vous dirai seulement que, si vous vous attendez à ce que Dodson ou Fogg montrent quelques symptômes de honte ou de confusion en vous regardant ou en regardant qui que ce soit en face, vous êtes l'homme le plus jeune que j'aie jamais rencontré. Faites-les entrer, monsieur Lowten.»
M. Lowten disparut en riant tout bas; et, revenant bientôt après, introduisit formellement les associés, Dodson d'abord, et Fogg ensuite.
«Vous avez déjà vu M. Pickwick, je pense, dit Perker en inclinant sa plume dans la direction où le philosophe était assis.
– Comment vous portez-vous, monsieur Pickwick? cria Dodson d'une voix bruyante.
– Eh! eh! comment vous portez-vous, monsieur Pickwick? reprit Fogg en approchant sa chaise et en regardant autour de lui avec un sourire. J'espère que vous n'allez pas mal ce soir? Je savais bien que je connaissais votre figure.»
M. Pickwick inclina fort légèrement la tête en réponse à ces salutations, puis, voyant que Fogg tirait un paquet de sa poche, il se leva et se retira dans l'embrasure de la croisée.
«Il n'y a pas besoin que M. Pickwick se dérange, monsieur Perker, dit Fogg en détachant le cordon rouge qui entourait le petit paquet et en souriant encore plus agréablement. M. Pickwick connaît déjà cette affaire-là. Il n'y a point de secret entre nous, j'espère. Hé! hé! hé!
– Non; il n'y en a guère, ajouta Dodson; ha! ha! ha!» et les deux partenaires se mirent à rire joyeusement, comme on fait d'ordinaire quand on va recevoir de l'argent.
– M. Pickwick a bien acheté le droit de tout voir, reprit Fogg d'un air notablement spirituel. Le montant des sommes taxées est de cent trente-trois livres sterling six shillings et quatre pence, monsieur Perker.»
Perker et Fogg s'occupèrent alors attentivement à comparer des papiers, à tourner des feuillets, et, pendant ce temps, Dodson dit à M. Pickwick d'une manière affable:
«Vous ne m'avez pas l'air tout à fait aussi solide que la dernière fois où j'ai eu le plaisir de vous voir, monsieur Pickwick.
– C'est possible, monsieur, répliqua notre héros, qui avait lancé sur les deux habiles praticiens mille regards d'indignation, sans produire sur eux le plus léger effet. C'est très-probable, monsieur. J'ai été dernièrement tourmenté et persécuté par des fripons, monsieur.»
Perker toussa violemment et demanda à M. Pickwick s'il ne voulait pas jeter un coup d'œil sur le journal; mais celui-ci répondit par la négative la plus décidée.
«Effectivement, reprit Dodson, je parierais que vous avez été tourmenté dans la prison. Il y a là de drôles de gens. Où était votre appartement, monsieur Pickwick?
– Mon unique chambre était à l'étage du café.
– Oh! en vérité! C'est, je pense, la partie la plus agréable de l'établissement.
– Très-agréable,» répliqua sèchement M. Pickwick.
Le sang-froid de ce misérable était bien fait pour exaspérer une personne d'un tempérament irritable. M. Pickwick restreignit sa colère par des efforts gigantesques; mais quand Perker eut écrit un mandat pour le montant de la somme, et lorsque Fogg le déposa dans son portefeuille avec un sourire triomphant, qui se communiqua également à la contenance de Dodson, il sentit que son sang montait dans ses joues en bouillonnant d'indignation.
«Allons, monsieur Dodson, dit Fogg en empochant son portefeuille et en mettant ses gants, je suis à vos ordres.
– Très-bien, répondit Dodson en se levant; je suis aux vôtres.
– Je me trouve très-heureux, reprit Fogg, adouci par le mandat qu'il avait empoché, je me trouve très-heureux d'avoir eu le plaisir de faire la connaissance de monsieur Pickwick. J'espère, monsieur, que vous n'avez plus aussi mauvaise opinion de nous, que la première fois où nous avons eu le plaisir de vous rencontrer.
– J'espère que non, ajoute Dodson avec le ton d'élévation d'une vertu calomniée. Vous nous connaissez mieux maintenant monsieur Pickwick; mais quelle que puisse être votre opinion des gentlemen de notre profession, je vous prie de croire, monsieur, que je ne conserve pas de rancune contre vous, pour les sentiments qu'il vous a plu d'exprimer dans notre bureau de Freeman's Court Cornhill, lors de la circonstance à laquelle mon associé vient de faire allusion.
– Oh! non, nous dit Fogg avec une charité toute chrétienne.
– Notre conduite, monsieur, poursuivit l'autre associé, parlera pour elle-même et se justifiera d'elle-même, en toutes occasions. Nous avons été dans la profession pas mal d'années, monsieur Pickwick, et nous avons mérité la confiance de beaucoup d'honorables clients. Je vous souhaite le bonjour, monsieur.
– Bonjour, monsieur Pickwick, dit Fogg; en parlant ainsi, il mit son parapluie sous son bras, ôta son gant droit, et tendit une main conciliatrice au philosophe indigné. Celui-ci fourra aussitôt ses poignets sous les pans de son habit, et lança à l'avoué des regards pleins d'une surprise méprisante.
– Lowten! s'écria au même instant M. Perker, ouvrez la porte!
– Attendez un instant, dit M. Pickwick. Je veux parler, Perker.
– Mon cher monsieur, interrompit le petit avoué, qui, pendant toute cette entrevue, avait été dans un état d'appréhension nerveuse, mon cher monsieur, en voilà assez sur ce sujet. Restons-en là, je vous supplie, monsieur Pickwick.
– Monsieur, reprit M. Pickwick avec vivacité, je ne veux pas qu'on me fasse taire! – Monsieur Dodson, vous m'avez adressé quelques observations…»
Dodson se retourna, pencha doucement la tête et sourit.
«Vous m'avez adressé quelques observations, répéta M. Pickwick, presque hors d'haleine, et votre associé m'a tendu la main, et tous les deux vous avez pris avec moi un ton de générosité et de magnanimité! C'est là un excès d'impudence auquel je ne m'attendais pas, même de votre part.
– Quoi, monsieur? s'écria Dodson.
– Quoi, monsieur? répéta Fogg.
– Savez-vous bien que j'ai été victime de vos perfides complots? Savez-vous que je suis l'homme que vous avez emprisonné et volé? Savez-vous que vous êtes les avoués de la plaignante, dans Bardell et Pickwick.
– Oui, monsieur, nous savons cela, repartit Dodson.
– Nécessairement, nous le savons, ajouta Fogg en frappant sur sa poche, peut-être par hasard.
– Je vois que vous vous en souvenez avec satisfaction, reprit M. Pickwick en essayant, pour la première fois de sa vie, de produire un rire amer, et en l'essayant tout à fait en vain. Quoique j'aie longtemps désiré de vous dire, en termes clairs et nets, quelle est mon opinion de votre conduite, j'aurais laissé passer cette occasion, par déférence pour les désirs de mon ami Perker, sans le ton inexcusable que vous avez pris et sans votre insolente familiarité. Je dis insolente familiarité, monsieur! répéta M. Pickwick en se retournant vers Fogg, avec une vivacité qui fit battre l'autre en retraite jusqu'à la porte.
– Prenez garde, monsieur! s'écria Dodson, qui, quoique le plus grand et le plus gros des deux, s'était prudemment retranché derrière Fogg, et qui parlait par-dessus la tête de son associé avec un visage très-pâle. Laissez-vous maltraiter, monsieur Fogg; ne lui rendez point ses coups sous aucun prétexte.
– Non, non, je ne les lui rendrai pas, dit Fogg en se reculant un peu plus, au soulagement évident de son associé, qui se trouvait ainsi arrivé au bureau extérieur.
– Vous êtes, continua M. Pickwick en reprenant le fil de son discours, vous êtes une paire bien assortie de vils chicaneurs, de fripons, de voleurs…
– Allons, interrompit Perker, est-ce là tout?
– Tout se résume là dedans, reprit M. Pickwick. Ce sont de vils chicaneurs, des fripons, des voleurs!
– Bien, bien, reprit Perker d'un ton conciliant. Mes chers messieurs, il a dit tout ce qu'il avait à dire. Maintenant, je vous en prie, allez-vous-en. Lowten, la porte est-elle ouverte?»
M. Lowten qui riait dans le lointain, répondit affirmativement.
– Allons, allons; adieu, adieu; allons, mes chers messieurs; monsieur Lowten, la porte, cria le petit homme en poussant Dodson et Fogg hors de son bureau. Par ici, mes chers messieurs. Terminons cela, je vous en prie. Que diable, monsieur Lowten, la porte! Pourquoi ne reconduisez-vous pas, monsieur?
– S'il y a quelque justice en Angleterre, dit Dodson en mettant son chapeau et en regardant M. Pickwick, vous nous payerez cela, monsieur!
– Vous êtes une paire de voleurs!
– Souvenez-vous que vous nous le payerez bien! cria Fogg en agitant son poing.
– Chicaneurs! fripons! voleurs! continua M. Pickwick sans s'embarrasser des menaces qui lui étaient adressées.
– Voleurs! cria-t-il en courant sur le carré pendant que les deux avoués descendaient.
– Voleurs!» vociféra-t-il en s'échappant des mains de Lowten et de Perker et en mettant sa tête à la fenêtre de l'escalier.
Quand M. Pickwick retira sa tête de la fenêtre, sa physionomie était radieuse, souriante et tranquille, et en rentrant dans le bureau, il déclara que son esprit était soulagé d'un grand poids, et qu'il se trouvait maintenant tout à fait heureux.
Perker ne dit rien du tout jusqu'à ce qu'il eut vidé sa tabatière et renvoyé Lowten pour la remplir; mais alors il fut saisi d'un accès de fou rire, qui dura cinq minutes, à l'expiration desquelles il fit observer qu'il devrait se mettre en colère, mais qu'il ne pouvait pas encore penser sérieusement à cette affaire, et qu'il se fâcherait dès qu'il le pourrait.
«Maintenant, dit M. Pickwick, je voudrais bien régler mon compte avec vous.
– Est-ce de la même manière que vous avez réglé l'autre? demanda Perker en recommençant à rire.
– Non, pas exactement, répondit le philosophe, en tirant son portefeuille, et en secouant cordialement la main du petit avoué. Je veux parler seulement de notre compte pécuniaire. Vous m'avez donné plusieurs preuves d'amitié dont je ne pourrai jamais m'acquitter, ce que d'ailleurs je ne désire pas, car je préfère continuer à rester votre obligé.»
Après cette préface, les deux amis s'enfoncèrent dans des comptes fort compliqués, qui furent régulièrement exposés par Perker, et immédiatement soldés par M. Pickwick, avec beaucoup d'expressions d'affection et d'estime.
À peine cette opération était-elle terminée, qu'on entendit frapper à la porte du carré, de la manière la plus violente et la plus épouvantable. Ce n'était pas un double coup ordinaire, mais une succession constante et non interrompue de coups formidables, comme si le marteau avait été doué du mouvement perpétuel, ou comme si la personne qui l'agitait avait oublié de s'arrêter.
«Ah çà! qu'est-ce que cela? s'écria Perker en tressaillant.
– Je pense qu'on frappe à la porte, répondit M. Pickwick, comme s'il y avait pu avoir le moindre doute à cet égard.»
Le marteau fit une réponse plus énergique que n'auraient pu faire des paroles, car il continua à battre, sans un moment de relâche, et avec une force et un tapage surprenants.
«Si cela continue, dit Perker en faisant retentir sa sonnette, nous allons ameuter tout le quartier! Monsieur Lowten, n'entendez-vous pas qu'on frappe?
– J'y vais à l'instant, monsieur, répliqua le clerc.»
La marteau parut entendre la réponse, et pour assurer qu'il lui était impossible d'attendre plus longtemps, il fit un effroyable vacarme.
«C'est épouvantable! dit Perker en se bouchant les oreilles.»
M. Lowten, qui était en train de se laver les mains dans le cabinet noir, se précipita vers la porte, et tournant le bouton se trouva en présence d'une apparition, qui va être décrite dans le chapitre suivant.
CHAPITRE XXV
Contenant quelques détails relatifs aux coups de marteau, ainsi que diverses autres particularités, parmi lesquelles figurent, notablement, certaines découvertes concernant M. Snodgrass et une jeune lady
L'objet qui se présenta aux yeux du clerc, était un jeune garçon prodigieusement gras, revêtu d'une livrée de domestique, et se tenant debout sur le paillasson, mais avec les yeux fermés comme pour dormir. Lowten n'avait jamais vu un jeune garçon aussi gras, et sa corpulence extraordinaire, jointe au repos complet de sa physionomie, si différente de celle qu'on aurait dû raisonnablement attendre d'un si intrépide frappeur, le remplirent d'étonnement.
«Que voulez-vous? demanda le clerc.»
L'enfant extraordinaire ne répondit point un seul mot, mais il baissa la tête, et Lowten s'imagina l'entendre ronfler faiblement.
«D'où venez-vous?» reprit le clerc. Le gros garçon respira profondément, mais il ne bougea point.
Le clerc répéta trois fois ses questions, et ne recevant aucune réponse, il se préparait à fermer la porte, quand tout à coup le jeune garçon ouvrit les yeux, les cligna plusieurs fois, éternua et étendit la main, comme pour recommencer à frapper. S'apercevant que la porte était ouverte, il regarda autour de lui avec stupéfaction, et, à la fin, fixa ses gros yeux ronds sur le visage de Lowten.
«Pourquoi diable frappez-vous comme cela? lui demanda le clerc avec colère.
– Comme quoi? répondit le gros garçon d'une voix endormie.
– Comme quarante cochers de place.
– Parce que mon maître m'a dit de ne pas arrêter de frapper jusqu'à ce qu'on ouvre la porte, de peur que je m'endorme.
– Eh bien! quel message apportez-vous?
– Il est en bas.
– Qui?
– Mon maître; il veut savoir si vous êtes à la maison.»
En ce moment, M. Lowten imagina de mettre la tête à la fenêtre. Voyant dans son carrosse ouvert un vieux gentleman qui regardait en l'air avec anxiété, il lui fit signe, et le vieux gentleman descendit immédiatement.
– C'est votre maître qui est dans la voiture, je suppose, dit Lowten.»
Le gros garçon baissa la tête d'une manière affirmative.
Toute autre question fut rendue inutile par l'apparition du vieux Wardle, qui, ayant monté lestement l'escalier et reconnu Lowten, passa immédiatement dans la chambre de Perker.
«Pickwick! s'écria-t-il, votre main, mon garçon. C'est d'hier seulement que j'ai appris que vous vous étiez laissé mettre en cage. Comment avez-vous souffert cela, Perker?
– Je n'ai pas pu l'empêcher, mon cher monsieur, répliqua le petit avoué avec un sourire et une prise de tabac. Vous savez comme il est obstiné.
– Certainement, je le sais, mais je suis enchanté de le voir malgré cela. Ce n'est pas de sitôt que je le perdrai de vue.»
Ayant ainsi parlé, Wardle serra de nouveau la main de M. Pickwick, puis celle de Perker, et se jeta dans un fauteuil, son joyeux visage brillant plus que jamais de bonne humeur et de santé.
«Eh bien! dit-il, voilà de jolies histoires! Une prise de tabac, Perker mon garçon. Avez-vous jamais rien vu de pareil, hein?
– Que voulez-vous dire? demanda M. Pickwick.
– Ma foi! je pense que toutes les filles ont perdu la tête. Vous direz peut-être que cela n'est pas bien nouveau, mais c'est vrai néanmoins.
– Eh! mon cher monsieur, dit Perker, est-ce que vous êtes venu à Londres tout exprès pour nous apprendre cela?
– Non, non, pas tout à fait; quoique ce soit la principale cause de mon voyage. Comment va Arabelle?
– Très-bien, répondit M. Pickwick; et elle sera charmée de vous voir, j'en suis sûr.
– La petite coquette aux yeux noirs! J'avais grandement idée de l'épouser moi-même un de ces beaux jours, mais néanmoins je suis charmé de cela, véritablement.
– Comment l'avez-vous appris? demanda M. Pickwick.
– Oh! par mes filles naturellement. Arabelle leur a écrit avant-hier qu'elle s'était mariée sans le consentement du père de son mari, et que vous étiez allé pour le lui demander, quand son refus ne pourrait plus empêcher le mariage, et tout cela. J'ai pensé que c'était un bon moment pour donner une petite leçon à mes filles, pour leur faire remarquer quelle chose terrible c'était quand les enfants se mariaient sans le consentement de leurs parents, et le reste. Mais baste! je n'ai pas pu faire la plus légère impression sur elles. Elles trouvaient mille fois plus terrible qu'il y eût eu un mariage sans demoiselles d'honneur, et j'aurais aussi bien fait de prêcher Joe lui-même.»
Ici le vieux gentleman s'arrêta pour rire, et quand il s'en fut donné tout son content, il reprit en ces termes:
«Mais ce n'est pas tout, à ce qu'il paraît. Ce n'est là que la moitié des complots et des amourettes qui se sont machinés. Depuis six mois nous marchons sur des mines, et elles ont éclaté à la fin.
– Qu'est-ce que vous voulez dire, s'écria M. Pickwick, en pâlissant. Pas d'autre mariage secret, j'espère.
– Non! non! pas tout à fait aussi mauvais que cela; non.
– Quoi donc alors! suis-je intéressé dans l'affaire?
– Dois-je répondre à cette question, Perker?
– Si vous ne vous compromettez pas, en y répondant, mon cher monsieur.
– Eh bien! alors, dit M. Wardle en se tournant vers M. Pickwick; eh bien alors, oui, vous y êtes intéressé.
– Comment cela, demanda celui-ci avec anxiété. En quelle manière?
– Réellement, vous êtes un jeune gaillard si emporté, que j'ai presque peur de vous le dire. Néanmoins, si Perker veut s'asseoir entre nous, pour prévenir un malheur, je m'y hasarderai.»
Ayant fermé la porte de la chambre, et s'étant fortifié par une autre descente dans la tabatière de Perker, le vieux gentleman commença sa grande révélation en ces termes:
«Le fait est que ma fille Bella… Bella qui a épousé le jeune Trundle, vous savez?
– Oui, oui, nous savons, dit M. Pickwick avec impatience.
– Ne m'intimidez pas dès le commencement. Ma fille Bella, l'autre soir, s'assit à côté de moi lorsque Émily fut allée se coucher, avec un mal de tête, après m'avoir lu la lettre d'Arabelle; et commença à me parler de ce mariage. «Eh bien! papa, dit-elle, qu'est-ce que vous en pensez. – Ma foi, ma chère, répondis-je, j'aime à croire que tout ira bien.» Il faut vous dire que j'étais assis devant un bon feu, buvant mon grog paisiblement, et que je comptais bien, en jetant de temps en temps un mot indécis, l'engager à continuer son charmant petit babil. Mes deux filles sont tout le portrait de leur pauvre chère mère et plus je deviens vieux, plus j'ai de plaisir à rester assis en tête à tête avec elles. Dans ces moments-là, leur voix, leur physionomie, me reportent au temps le plus agréable de ma vie, me rendent encore aussi jeune que je l'étais alors, quoique pas tout à fait aussi heureux. «C'est un véritable mariage d'inclination, dit Bella après un moment de silence. – Oui, ma chère, répondis-je; mais ce ne sont pas toujours ceux qui réussissent le mieux…»
– Je soutiens le contraire! interrompit M. Pickwick avec chaleur.
– Très-bien; soutenez ce que vous voudrez, quand ce sera votre tour à parler, mais ne m'interrompez pas.
– Je vous demande pardon.
– Accordé. «Papa, dit Bella en rougissant un peu, je suis fâchée de vous entendre parler contre les mariages d'inclination. – J'ai eu tort, ma chère, répondis-je en tapant ses joues aussi doucement que peut le faire un vieux gaillard comme moi. J'ai eu tort de parler ainsi, car votre mère a fait un mariage d'inclination, et vous aussi. – Ce n'est pas là ce que je voulais dire, papa, reprit Bella; le fait est que je voulais vous parler d'Émily.»
M. Pickwick tressaillit.
«Qu'est-ce qu'il y a maintenant? lui demanda M. Wardle en s'arrêtant dans sa narration.
– Rien, répondit le philosophe; continuez, je vous en prie.
– Ma foi! Je n'ai jamais su filer une histoire, reprit le vieux gentleman brusquement. Il faut que cela vienne tôt ou tard, et ça nous épargnera beaucoup de temps, si ça vient tout de suite. Le fait est qu'à la fin Bella se décida à me dire qu'Émily était fort malheureuse; que depuis les dernières fêtes de Noël elle avait été en correspondance constante avec notre jeune ami Snodgrass; qu'elle s'était fort sagement décidée à s'enfuir avec lui, pour imiter la louable conduite de son amie; mais qu'ayant senti quelques retours de componction, à ce sujet, attendu que j'avais toujours été passablement bien disposé pour tous les deux, elle avait pensé qu'il valait mieux commencer par me faire l'honneur de me demander si je m'opposerais à ce qu'ils fussent mariés de la manière ordinaire et vulgaire. Voilà la chose; et maintenant, Pickwick, si vous voulez bien réduire vos yeux à leur grandeur habituelle, et me conseiller, je vous serai fort obligé.»
Cette dernière phrase, proférée d'une manière bourrue par l'honnête vieillard, n'était pas tout à fait sans motifs, car les traits de M. Pickwick avaient pris une expression de surprise et de perplexité tout à fait curieuse à voir.
«Snodgrass!.. Depuis Noël…» murmura-t-il enfin, tout confondu.
– Depuis Noël, répliqua Wardle. Cela est clair, et il faut que nous ayons eu de bien mauvaises bésicles, pour ne pas le découvrir plus tôt.
– Je n'y comprends rien, reprit M. Pickwick en ruminant. Je n'y comprends rien.
– C'est pourtant assez facile à comprendre, rétorqua le colérique vieillard. Si vous aviez été plus jeune, vous auriez été dans le secret depuis longtemps. Et de plus, ajouta-t-il après un peu d'hésitation, je dois dire que ne sachant rien de cela, j'avais un peu pressé Émily, depuis quatre ou cinq mois, afin qu'elle reçût favorablement un jeune gentleman du voisinage; si elle le pouvait, toutefois, car je n'ai jamais voulu forcer son inclination. Je suis bien convaincu qu'en véritable jeune fille, pour rehausser sa valeur et pour augmenter l'ardeur de M. Snodgrass, elle lui aura représenté cela avec des couleurs très-sombres, et qu'ils auront tous deux fini par conclure qu'ils sont un couple bien persécuté, et qu'ils n'ont pas d'autre ressource qu'un mariage clandestin, ou un fourneau de charbon. Maintenant voilà la question: Qu'est-ce qu'il faut faire?
– Qu'est-ce que vous avez fait, demanda M. Pickwick?
– Moi?
– Je veux dire qu'est-ce que vous avez fait, quand vous avez appris cela de votre fille aînée?
– Oh! J'ai fait des sottises, naturellement.
– C'est juste, interrompit Perker, qui avait écouté ce dialogue en tortillant sa chaîne, en grattant son nez et en donnant divers autres signes d'impatience. Cela est très-naturel. Mais quelle espèce de sottises?
– Je me suis mis dans une grande colère, et j'ai si bien effrayé ma mère qu'elle s'en est trouvée mal.
– C'était judicieux, fit remarquer Perker. Et quoi encore, mon cher monsieur?
– J'ai grondé et crié toute la journée suivante; mais à la fin, lassé de rendre tout le monde, et moi-même, misérable, j'ai loué une voiture à Muggleton, et je suis venu ici sous prétexte d'amener Émily pour voir Arabelle.
– Miss Wardle est avec vous, alors? dit M. Pickwick.
– Certainement, elle est en ce moment à l'hôtel d'Osborne à moins que votre entreprenant ami ne l'ait enlevée depuis que je suis sorti.
– Vous êtes donc réconciliés? demanda Perker.
– Pas du tout; elle n'a fait que languir et pleurer depuis ce temps-là, excepté hier soir; entre le thé et le souper; car alors elle a fait grande parade d'écrire une lettre, ce dont j'ai fait semblant de ne point m'apercevoir.
– Vous voulez avoir mon avis dans cette affaire, à ce que je suppose? dit Perker en regardant successivement la physionomie réfléchie de M. Pickwick, et la contenance inquiète de Wardle, et en prenant plusieurs prises consécutives de son stimulant favori.
– Je le suppose, répondit Wardle, en regardant M. Pickwick.
– Certainement, répliqua celui-ci.
– Eh bien! alors, dit Perker en se levant et en repoussant sa chaise, mon avis est que vous vous en alliez tous les deux vous promener, à pied ou en voiture, comme vous voudrez; car vous m'ennuyez; vous causerez de cette affaire-là ensemble. Et si vous n'avez pas tout arrangé la première fois que je vous verrai, je vous dirai ce que vous avez à faire.
– Voilà quelque chose de satisfaisant, dit Wardle, qui ne savait pas trop s'il devait rire ou s'offenser.
– Bah! bah! mon cher monsieur, je vous connais tous les deux, beaucoup mieux que vous ne vous connaissez vous-mêmes. Vous avez déjà arrangé tout cela dans votre esprit.»
En parlant ainsi, le petit avoué bourra sa tabatière dans la poitrine de M. Pickwick et dans le gilet de M. Wardle; puis tous les trois se mirent à rire ensemble, mais surtout les deux derniers gentlemen, qui se prirent et se secouèrent la main sans aucune raison apparente.
«Vous dînez avec moi aujourd'hui? dit M. Wardle à Perker, pendant que celui-ci le reconduisait.
– Je ne peux pas vous le promettre, mon cher monsieur; je ne peux pas vous le promettre. En tout cas, je passerai chez vous ce soir.
– Je vous attendrai à cinq heures.
– Allons, Joe!» Et Joe ayant été éveillé, à grand'peine, les deux amis partirent dans le carrosse de M. Wardle. Joe monta derrière et s'établit sur le siége que son maître y avait fait placer par humanité; car s'il avait dû rester debout, il aurait roulé en bas et se serait tué, dès son premier somme.
Nos amis se firent conduire d'abord au George et Vautour. Là ils apprirent qu'Arabelle était partie avec sa femme de chambre, dans une voiture de place, pour aller voir Émily; dont elle avait reçu un petit billet. Alors, comme Wardle avait quelques affaires à arranger dans la cité, il renvoya la voiture et le gros bouffi à l'hôtel, afin de prévenir qu'il reviendrait à cinq heures avec M. Pickwick pour dîner.
Chargé de ce message, le gros bouffi s'en retourna, dormant sur son siége aussi paisiblement que s'il avait été sur un lit soutenu par des ressorts de montre. Par une espèce de miracle, il se réveilla de lui-même lorsque la voiture s'arrêta, et se secouant vigoureusement, pour aiguiser ses facultés, il monta l'escalier, afin d'exécuter sa commission.
Mais, soit que les secousses que s'était données le gros joufflu eussent embrouillé ses facultés, au lieu de les remettre sur un bon pied; soit qu'elles eussent éveillé en lui une quantité d'idées nouvelles, suffisantes pour lui faire oublier les cérémonies et les formalités ordinaires; soit (ce qui est encore possible) qu'elles n'eussent pas été suffisantes pour l'empêcher de se rendormir en montant l'escalier, le fait est qu'il entra dans le salon, sans avoir préalablement frappa à la porte, et aperçut ainsi un gentleman, assis amoureusement sur le sofa, auprès de miss Émily, en tenant un bras passé autour de sa taille, tandis qu'Arabelle et la jolie femme de chambre feignaient de regarder attentivement par une fenêtre, à l'autre bout de la chambre. À cette vue le gros joufflu laissa échapper une exclamation, les femmes jetèrent un cri, et le gentleman lâcha un juron, presque simultanément.
«Qui venez-vous chercher ici, petit misérable?» s'écria le gentleman, qui n'était autre que M. Snodgrass.
Le gros joufflu, prodigieusement épouvanté, répondit brièvement: «Maîtresse.»
«Que me voulez-vous, stupide créature? lui demanda Émily, en détournant la tête.
– Mon maître et M. Pickwick viennent dîner ici à cinq heures.
– Quittez cette chambre! reprit M. Snodgrass, dont les yeux lançaient des flammes sur le jeune homme stupéfié.
– Non! non! non! s'écria précipitamment Émily. Arabelle, ma chère, conseillez-moi.»
Émily et M. Snodgrass, Arabelle et Mary tinrent conseil dans un coin, et se mirent à parler vivement, à voix basse, pendant quelques minutes, durant lesquelles le gros joufflu sommeilla.
«Joe, dit à la fin Arabelle, en se retournant avec le plus séduisant sourire; comment vous portez-vous, Joe?
– Joe, reprit Émily, vous êtes un bon garçon. Je ne vous oublierai pas, Joe.
–Joe, poursuivit M. Snodgrass, en s'avançant vers l'enfant étonné, et en lui prenant la main, je ne vous avais pas reconnu. Voilà cinq shillings pour vous, Joe.
– Je vous en devrai cinq aussi, ajouta Arabelle, parce que nous sommes de vieilles connaissances, vous savez,» et elle accorda un second sourire, encore plus enchanteur, au corpulent intrus.
Les perceptions du gros bouffi étant peu rapides, il parut d'abord singulièrement intrigué par cette soudaine révolution qui s'opérait en sa faveur, et regarda même autour de lui, d'un air très-alarmé. À la fin, cependant, son large visage commença à montrer quelques symptômes d'un sourire proportionnellement large, puis, fourrant une demi-couronne dans chacun de ses goussets, et, ses mains et ses poignets par-dessus, il laissa échapper un éclat de rire enroué. C'est la première et ce fut la seule fois de sa vie qu'on l'entendit rire.
«Je vois qu'il nous comprend, dit Arabelle.
– Il faudrait lui faire manger quelque chose sur-le-champ,» fit observer Émily.
Il s'en fallut de peu que le gros bouffi ne rit encore en entendant cette proposition. Après quelques autres chuchotements, Mary sortit lestement du groupe et dit:
«Je vais dîner avec vous aujourd'hui, monsieur, si vous voulez bien?
– Par ici, répondit le jeune garçon avec empressement. Il y a un fameux pâté de viande en bas!»
À ces mots, le gros joufflu descendit l'escalier pour conduire Mary à l'office, et le long du chemin sa jolie compagne captivait l'attention de tous les garçons, et mettait de mauvaise humeur toutes les femmes de chambre.
Le pâté, dont le gros joufflu avait parlé avec tant de tendresse, se trouvait effectivement, encore dans l'office; on y ajouta un bifteck, un plat de pommes de terre, et un pot de porter.
«Asseyez-vous, dit Joe. Quelle chance! Le bon dîner! Comme j'ai faim!»
Ayant répété cinq ou six fois ces exclamations avec une sorte de ravissement, le jeune garçon s'assit au haut bout de la petite table, et Mary se plaça au bas bout.
«Voulez-vous un peu de cela? dit le gros joufflu, en plongeant dans le pâté son couteau et sa fourchette jusqu'au manche.
– Un peu, s'il vous plaît.»
Joe ayant servi à Mary un peu du pâté, et s'en étant servi beaucoup à lui-même, allait commencer à manger, quand, tout à coup il se pencha en avant sur sa chaise, en laissant ses mains, avec le couteau et la fourchette, tomber sur ses genoux, et dit très-lentement.
«Vous êtes gentille à croquer, savez-vous?»
Ceci était dit d'un air d'admiration très-flatteur, mais cependant il y avait encore, dans les yeux du jeune gentleman, quelque chose qui sentait le cannibale plus que l'amour passionné.
– Eh! mais, Joseph, s'écria Mary, en affectant de rougir, qu'est-ce que vous voulez dire?»
Le gros joufflu, reprenant graduellement sa première position, répliqua seulement par un profond soupir, resta pensif pendant quelques minutes, et but une longue gorgée de porter. Après quoi, il soupira encore, et s'appliqua très-solidement au pâté.
«Quelle aimable personne que miss Émily! dit Mary, après un long silence.