Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 28
– J'en connais une plus aimable.
– En vérité?
– Oui, en vérité, répliqua le gros joufflu, avec une vivacité inaccoutumée.
– Comment s'appelle-t-elle?
– Comment vous appelez-vous?»
– Mary.
– C'est son nom. C'est vous.»
Le gros garçon, pour rendre ce compliment plus incisif, y joignit une grimace, et donna à ses deux prunelles une combinaison de loucherie, croyant ainsi, selon toute apparence, lancer une œillade meurtrière.
«Il ne faut pas me parler comme cela, dit Mary. Vous ne me parlez pas sérieusement.
– Bah! que si, je dis.
– Eh bien?
– Allez-vous venir ici régulièrement?
– Non, je m'en vais demain soir.
– Oh! reprit le gros joufflu, d'un ton prodigieusement sentimental, comme nous aurions eu du plaisir à manger ensemble, si vous étiez restée!
– Je pourrais peut-être venir quelquefois, ici, pour vous voir, si vous vouliez me rendre un service,» répondit Mary, en roulant la nappe pour jouer l'embarras.
Le gros joufflu regarda alternativement le pâté et la grillade, comme s'il avait pensé qu'un service devait être lié en quelque sorte avec des comestibles; puis, tirant de sa poche une de ses demi-couronnes, il la considéra avec inquiétude.
«Vous ne me comprenez pas?» poursuivit Mary, en regardant finement son large visage.
Il considéra sur nouveaux frais la demi-couronne, et répondit faiblement: non.
«Les ladies voudraient bien que vous ne parliez pas au vieux gentleman du jeune gentleman qui était là-haut; et moi je le voudrais bien aussi.
– C'est-il là tout? répondit le gros garçon, évidemment soulagé d'un grand poids, et rempochant sa demi-couronne. Je n'en dirai rien, bien sûr.
– Voyez-vous, M. Snodgrass aime beaucoup miss Émily; et miss Émily aime beaucoup M. Snodgrass; et si vous racontiez cela, le vieux gentleman vous emmènerait bien loin à la campagne, où vous ne pourriez plus voir personne.
– Non, non, je n'en dirai rien, répéta le gros joufflu, résolument.
– Vous serez bien gentil. Mais, à présent, il faut que je monte en haut, et que j'habille ma maîtresse pour le dîner.
– Ne vous en allez pas encore.
– Il le faut bien. Adieu, pour à présent.»
Le gros joufflu, avec la galanterie d'un jeune éléphant, étendit ses bras pour ravir un baiser; mais comme il ne fallait pas grande agilité pour lui échapper, son aimable vainqueur disparut, avant qu'il les eût refermés. Ainsi désappointé, l'apathique jeune homme mangea une livre ou deux de bifteck, avec une contenance sentimentale, et s'endormit profondément.
On avait tant de choses à se dire dans le salon, tant de plans à concerter pour le cas où la cruauté de M. Wardle rendrait nécessaires un enlèvement et un mariage secret, qu'il était quatre heures et demie quand M. Snodgrass fit ses derniers adieux. Les dames coururent pour s'habiller dans la chambre d'Émily, et le gentleman, ayant pris son chapeau, sortit du salon; mais à peine était-il sur le carré, qu'il entendit la voix de M. Wardle. Il regarda par-dessus la rampe et le vit monter, suivi de plusieurs autres personnes. Dans sa confusion, et ne connaissant point les êtres de l'hôtel, M. Snodgrass rentra précipitamment dans la chambre qu'il venait de quitter, puis passant de là dans une autre pièce, qui était la chambre à coucher de M. Wardle, il en ferma la porte doucement, juste comme les personnes qu'il avait aperçues entraient dans le salon. Il reconnut facilement leurs voix: c'étaient M. Wardle et M. Pickwick, M. Nathaniel Winkle et M. Benjamin Allen.
«C'est très-heureux que j'aie eu la présence d'esprit de les éviter, pensa M. Snodgrass avec un sourire, en marchant, sur la pointe du pied, vers une autre porte, située auprès du lit. Cette porte-ci ouvre sur le même corridor, et je puis m'en aller par là tranquillement et commodément.»
Il n'y avait qu'un seul obstacle à ce qu'il s'en allât tranquillement et commodément, c'est que la porte était fermée à double tour et la clef absente.
«Garçon! dit le vieux Wardle, en se frottant les mains; donnez-nous de votre meilleur vin, aujourd'hui.
– Oui, monsieur.
– Faites savoir à ces dames que nous sommes rentrés.
– Oui, monsieur.»
M. Snodgrass aussi désirait bien ardemment faire savoir à ces dames qu'il était rentré. Une fois même il se hasarda à chuchoter à travers le trou de la serrure: «Garçon!» Mais pensant qu'il pourrait évoquer quelque autre personne, et se rappelant avoir lu le matin, dans son journal, sous la rubrique Cours et Tribunaux, les infortunes d'un gentleman, arrêté dans un hôtel voisin, pour s'être trouvé dans une situation semblable à la sienne, il s'assit sur un porte-manteau, en tremblant violemment.
«Nous n'attendrons pas Perker une seule minute, dit Wardle en regardant sa montre. Il est toujours exact, il sera ici à l'heure juste s'il a l'intention de venir; sinon il est inutile de nous en occuper. Ah! Arabelle.
– Ma sœur! s'écria Benjamin Allen, en l'enveloppant de ses bras d'une manière fort dramatique.
– Oh! Ben, mon cher, comme tu sens le tabac! s'écria Arabelle, apparemment suffoquée par cette marque d'affection.
– Tu trouves? C'est possible… (C'était possible en effet, car il venait de quitter une charmante réunion de dix ou douze étudiants en médecine, entassés dans un arrière-parloir devant un énorme feu.) Combien je suis charmé de te voir! Dieu te bénisse, Arabelle.
– Là, dit Arabelle, en se penchant en avant et en tendant son visage à son frère; mais, mon cher Ben, ne me prends pas comme cela, tu me chiffonnes.»
En cet endroit de la réconciliation, M. Ben Allen se laissant vaincre par sa sensibilité, par les cigares et le porter, promena ses yeux sur tous les assistants à travers des lunettes humides.
«Est-ce qu'on ne me dira rien à moi? demanda M. Wardle en ouvrant ses bras.
– Au contraire, dit tout bas Arabelle, en recevant l'accolade et les cordiales félicitations du vieux gentlemen; vous êtes un méchant, un cruel, un monstre!
– Vous êtes une petite rebelle, répliqua Wardle du même ton; et je me verrai obligé de vous interdire ma maison. Les personnes comme vous, qui se sont mariées en dépit de tout le monde, devraient être séquestrées de la société. Mais, allons! ajouta-t-il tout haut, voici le dîner; vous vous mettrez à côté de moi. – Joe, damné garçon, comme il est éveillé!»
Au grand désespoir de son maître, le gros joufflu était effectivement dans un état de vigilance remarquable. Ses yeux se tenaient tout grands ouverts et ne paraissaient point avoir envie de se fermer. Il y avait aussi dans ses manières une vivacité également inexplicable! Chaque fois que ses regards rencontraient ceux d'Émily ou d'Arabelle, il souriait en grimaçant; et une fois Wardle aurait pu jurer qu'il l'avait vu cligner de l'œil.
Cette altération dans les manières du gros joufflu naissait du sentiment de sa nouvelle importance, et de la dignité qu'il avait acquise en se trouvant le confident des jeunes ladies. Ces sourires et ces clins d'œil étaient autant d'assurances condescendantes qu'elles pouvaient compter sur sa fidélité. Cependant comme ces signes étaient plus propres à inspirer les soupçons qu'à les apaiser, et comme ils étaient, en outre, légèrement embarrassants, Arabelle y répondait de temps en temps par un froncement de sourcils, par un geste de réprimande; mais le gros garçon ne voyant là qu'une invitation à se tenir sur ses gardes, recommençait à cligner de l'œil et à sourire avec encore plus d'assiduité, afin de prouver qu'il comprenait parfaitement.
«Joe, dit M. Wardle, après une recherche infructueuse dans toutes ses poches, ma tabatière est-elle sur le sofa?
– Non, monsieur.
– Oh! je m'en souviens; je l'ai laissée sur la toilette ce matin. Allez la chercher dans ma chambre.»
Le gros garçon alla dans la chambre voisine, et après quelques minutes d'absence revint avec la tabatière, mais aussi avec la figure la plus pâle qu'ait jamais portée un gros garçon.
«Qu'est-ce qui lui est donc arrivé? s'écria M. Wardle.
– Il ne m'est rien arrivé, répondit Joe avec inquiétude.
– Est-ce que vous avez vu des esprits? demanda le vieux gentleman.
– Ou bien est-ce que vous en avez bu? suggéra Ben Allen.
– Je pense que vous avez raison, chuchota Wardle à travers la table; il s'est grisé, j'en suis sûr.»
Ben Allen répondit qu'il le croyait; et comme il avait observé beaucoup de cas semblables, Wardle fut confirmé dans la pensée qui cherchait à s'insinuer dans son cerveau depuis une demi-heure, et arriva à la conclusion que le gros joufflu était tout à fait gris.
«Ayez l'œil sur lui pendant quelques minutes, murmura-t-il; nous verrons bientôt s'il a réellement bu.»
Le fait est que l'infortuné jeune homme avait seulement échangé une douzaine de paroles avec M. Snodgrass; que celui-ci l'avait supplié de s'adresser à quelque ami pour le faire mettre en liberté, puis l'avait poussé dehors avec la tabatière de peur qu'une absence trop prolongée n'éveillât des soupçons. Rentré dans la salle à manger, Joe était resté quelques instants à ruminer, avec une physionomie renversée, puis il avait quitté la chambre pour aller chercher Mary.
Mais Mary était retournée au Georges et Vautour, après avoir habillé sa maîtresse, et le gros joufflu était revenu, plus démonté qu'auparavant.
M. Wardle et Ben Allen échangèrent plusieurs coups d'œil.
«Joe, dit M. Wardle.
– Oui, monsieur.
– Pourquoi êtes-vous sorti?»
Le gros joufflu regarda d'un air troublé chacun des convives, et bégaya qu'il n'en savait rien.
«Oh! dit Wardle, vous n'en savez rien. Portez ce fromage à M. Pickwick.»
Or, M. Pickwick, se trouvant en parfaite santé et en parfaite humeur, s'était rendu universellement délicieux pendant tout le temps du dîner, et paraissait en ce moment, engagé dans une intéressante conversation avec Émily et M. Winkle. Courbant gracieusement sa tête du côté de ses auditeurs, et tout rayonnant de paisibles sourires, il agitait doucement sa main droite, pour donner plus de force à ses observations. Il prit un morceau de fromage sur l'assiette et allait se retourner pour continuer sa conversation, quand le gros garçon se baissant de manière à amener sa tête au même niveau que celle de M. Pickwick, dirigea son pouce par-dessus son épaule comme pour lui montrer quelque chose, et fit en même temps la grimace la plus hideuse qu'on ait jamais vue.
«Eh mais! s'écria M. Pickwick en tressaillant, voilà qui est… Eh…?» il s'arrêta court, car Joe venait de se redresser, et était ou prétendait être profondément endormi.
«Qu'est-ce qu'il y a? demanda M. Wardle.
– Votre jeune homme est si singulier, continua M. Pickwick en regardant Joe d'un air inquiet. Cela vous étonnera peut-être, mais sur ma parole, j'ai peur qu'il n'ait quelquefois l'esprit un peu dérangé.
– Oh! monsieur Pickwick ne dites point cela, s'écrièrent ensemble Émily et Arabelle.
– Je n'en répondrais pas, bien entendu, reprit le philosophe, au milieu d'un profond silence et d'une épouvante générale; mais ses manières avec moi, en ce moment, étaient vraiment alarmantes! Oh là là! cria M. Pickwick en sautant sur sa chaise. Je vous demande pardon, mesdames; mais il vient de m'enfoncer quelque chose de pointu dans la jambe… Réellement, il est très-dangereux.
– Il est soûl! vociféra le vieux Wardle avec colère. Tirez la sonnette, appelez les garçons! il est soûl!..
– Je ne suis pas soûl! s'écria le gros bouffi en tombant à genoux, pendant que son maître le saisissait par le collet, je ne suis pas soûl!
– Alors vous êtes fou, ce qui est encore pis; appelez les garçons!
– Je ne suis pas fou, je suis très-raisonnable, répliqua Joe en commençant à pleurer.
– Alors pourquoi diable piquez-vous la jambe de M. Pickwick?
– Il ne voulait pas me regarder, j'avais quelque chose à lui dire.
– Que vouliez-vous lui dire?» demandèrent une demi-douzaine de voix à la fois.
Joe soupira, regarda la porte de la chambre à coucher, soupira encore, et essuya ses larmes avec les jointures de ses deux index.
«Qu'est-ce que vous vouliez lui dire? demanda M. Wardle en le secouant.
– Arrêtez! dit M. Pickwick, laissez-moi lui parler. Qu'est-ce que vous désiriez me communiquer, mon pauvre garçon?
– Je voulais vous parler tout bas.
– Vous vouliez lui mordre l'oreille, je suppose, interrompit M. Wardle; ne l'approchez pas, Pickwick, il est enragé. Tirez la sonnette pour qu'on l'emmène en bas.»
À l'instant où M. Winkle prenait le cordon de la sonnette, il fut arrêté par d'universelles exclamations de surprise. L'amant captif, avec un visage pourpre de confusion, était soudainement sorti de la chambre à coucher, et faisait un salut général à toute le compagnie.
«Oh! ah! s'écria M. Wardle en lâchant le collet du gros joufflu et en reculant d'un pas, qu'est-ce que cela signifie?
– Monsieur, répliqua M. Snodgrass, je suis caché dans la chambre voisine depuis votre retour.
– Émily, ma fille, dit M. Wardle d'un ton de reproche, vous savez pourtant bien que je déteste les cachoteries et les mensonges. Ceci est tout à fait indélicat et inexcusable. Je ne méritais pas cela de votre part, Émily, en vérité.
– Cher papa, dit Émily, j'ignorais qu'il était là. Arabelle peut vous le dire, et Joe aussi, et tout le monde. Auguste, au nom du ciel, expliquez-vous!»
M. Snodgrass, qui avait attendu seulement qu'on voulût bien l'entendre, raconta immédiatement comment il avait été placé dans cette position embarrassante; comment la crainte d'exciter des dissensions domestiques l'avait seule engagé à éviter la rencontre de M. Wardle; comment il voulait simplement s'en aller par une autre porte, et comment, la trouvant fermée, il avait été forcé de rester, contre sa volonté. Il termina en disant qu'il se trouvait placé dans une situation pénible; mais qu'il le regrettait moins maintenant, puisque c'était une occasion de déclarer devant leurs amis communs qu'il aimait profondément et sincèrement la fille de M. Wardle; qu'il était orgueilleux d'avouer que leur penchant était mutuel, et que, quand même il serait séparé d'elle par des milliers de lieues, quand même l'Océan roulerait entre eux ses ondes infinies, il n'oublierait jamais un seul instant cet heureux jour où, pour la première fois, etc., etc., etc.
Ayant péroré de cette manière, M. Snodgrass salua encore, regarda dans son chapeau, et se dirigea vers la porte.
«Arrêtez! s'écria M. Wardle. Pourquoi, au nom de tout ce qui est…
– Inflammable, suggéra doucement M. Pickwick, pensant qu'il allait venir quelque chose de pis.
– Eh bien! au nom de tout ce qui est inflammable, dit M. Wardle en adoptant cette variante, pourquoi ne m'avez-vous pas dit cela, à moi, en premier lieu?
– Ou pourquoi ne vous êtes-vous pas confié à moi? ajouta M. Pickwick.
– Voyons, dit Arabelle, en se chargeant de la défense, à quoi sert de faire tant de questions; maintenant surtout, quand vous savez que vous aviez choisi, dans des vues intéressées, un beau-fils beaucoup plus riche, et que vous êtes si méchant et si emporté, que tout le monde a peur de vous, excepté moi? Donnez-lui une poignée de mains, et faites-lui servir quelque chose à manger, pour l'amour du ciel! Vous voyez bien son air affamé! et, je vous en prie, faites apporter votre vin tout de suite, car vous ne serez pas supportable jusqu'à ce que vous ayez bu vos deux bouteilles, au moins.»
Le digne vieillard tira Arabelle par l'oreille, l'embrassa sans le plus léger scrupule, embrassa également sa fille avec une grande affection, et secoua cordialement la main de M. Snodgrass.
«Elle a raison sur un point, tout au moins, dit-il joyeusement; sonnez pour le vin.»
Le vin arriva, et Perker entra en même temps. M. Snodgrass fut servi sur une petite table, et quand il eut dépêché son dîner, il tira sa chaise auprès d'Émily, sans la plus légère opposition de la part du vieux gentleman.
La soirée fut charmante. Le petit Perker était tout à fait en train. Il raconta plusieurs histoires comiques, et chanta une chanson sérieuse qui parut presque aussi comique que ses anecdotes. Arabelle fut ravissante, M. Wardle jovial, M. Pickwick harmonieux, M. Ben Allen bruyant, les amants silencieux, M. Winkle bavard, et toute la société fort heureuse.
CHAPITRE XXVI
M. Salomon Pell, assisté par un comité choisi de cochers, arrange les affaires de M. Weller senior
«Samivel, dit M. Weller en accostant son fils, le lendemain des funérailles, je l'ai trouvé; je pensais bien qu'il était ici.
– Qu'est-ce que vous avez trouvé?
– Le testament de ta belle-mère, Sammy, qui fait ces arrangements dont je t'ai parlé, pour les fontes.
«Quoi! elle ne vous avait pas dit où il était?
– Pas un brin, Sammy. Nous étions en train d'ajuster nos petits différents, et je la remontais, et je l'engageais à se remettre sur pieds, si bien que j'ai oublié de lui parler de cela. Ensuite, je ne sais pas trop si j'en aurais parlé, quand même je m'en serais souvenu, car c'est une drôle de chose, Sammy, de tourmenter quelqu'un pour sa propriété, quand vous l'assistez dans une maladie. C'est comme si vous mettiez la main dans la poche d'un voyageur de l'impériale, qui a été jeté par terre, pendant que vous l'aidez à se relever, et que vous lui demandez, avec un soupir, comment il se porte.»
Après avoir donné cette illustration figurée de sa pensée, M. Weller ouvrit son portefeuille, et en tira une feuille de papier à lettre, passablement malpropre, et sur laquelle étaient inscrits divers caractères, amoncelés dans une remarquable confusion.
«Voilà ici le document, Sammy; je l'ai trouvé dans la petite théière noire, sur la planche de l'armoire du comptoir. C'est là qu'elle mettait ses bank-notes avant d'être mariée, Sammy; j'y en ai vu prendre bien des fois. Pauvre créature! elle aurait pu remplir de testaments toutes les théières de la maison, sans se gêner beaucoup, car elle ne prenait guère de cette boisson-là dans les derniers temps, excepté dans les soirées de tempérance, ous-ce qu'elle mettait une fondation de thé pour poser les esprits par-dessus.
– Qu'est-ce qu'il dit? demanda Sam.
– Juste ce que je t'ai raconté, mon garçon: deux cents livres sterling dans les fontes, à mon beau-fils Samivel, et tout le reste de mes propriétés de toute sorte à mon mari, M. Tony Veller, que je nomme mon seul équateur.
– Est-ce tout?
– C'est tout. Et comme c'est clair et satisfaisant pour vous et pour moi, qui sont les seules parties intéressées, je suppose que nous pourrons aussi bien mettre ce morceau de papier ici dans le feu.
– Qu'est-ce que vous allez faire, lunatique? s'écria Sam en saisissant le testament, tandis que son père attisait innocemment le feu avant de l'y jeter. Vous êtes un joli exécuteur, véritablement.
– Pourquoi pas? demanda M. Weller en se retournant d'un air sévère, avec le fourgon dans sa main.
– Pourquoi pas! Parce qu'il faut qu'il soit égalisé, et falziflé, et juré, et toutes sortes de manières de formalités.
– C'est-y sérieux tout ça? demanda M. Weller en déposant le fourgon.»
Sam boutonna soigneusement le testament dans sa poche, en intimant, par un geste, qu'il parlait fort sérieusement.
«Alors je vas te dire la chose, reprit M. Weller après une courte méditation; voilà une affaire qui regarde l'ami intime du chancelier. I faut que Pell mette son nez là dedans. C'est un fameux gaillard dans une question de loi difficile. Nous allons faire produire ça sur-le-champ devant la Cour des insolvables, Sammy.
– Je n'ai jamais vu une vieille créature aussi écervelée! s'écria Sam colériquement. Old Baileys, et la Cour des insolvables, et les alébis, et toute sorte de fariboles qui se brouillent dans sa cervelle. Vous feriez mieux de mettre votre habit du dimanche et de venir avec moi à la ville, pour arranger cette affaire ici, que de rester là à prêcher sur ce que vous n'entendez pas.
– Très-bien, Sammy, je suis tout à fait concordant à ce qui pourra expédier les affaires. Mais fais attention à ceci, mon garçon, il n'y a que Pell, il n'y a que Pell, dans une affaire législative.
– Je n'en demande pas un autre; mais êtes-vous prêt à venir?
– Attends une minute, Sammy, répliqua M. Weller en attachant son châle à l'aide d'une petite glace accrochée à la fenêtre; attends une minute, Sammy, poursuivit-il en s'efforçant d'entrer dans son habit au moyen des plus étonnantes contorsions; quand tu seras devenu aussi vieux que ton père, tu n'entreras pas dans ta veste aussi aisément qu'à présent, mon garçon.
– Si je ne pouvais pas y entrer plus aisément que cela, je veux être pendu si j'en mettais jamais une.
– Tu penses comme ça, maintenant, répliqua M. Weller avec la gravité de l'âge; mais tu t'apercevras que tu deviendras plus sage quand tu deviendras plus gros. La grosseur et la sagesse vont toujours ensemble, Sammy.»
Ayant débité cette infaillible maxime, résultat de beaucoup d'années et d'observations personnelles, M. Weller parvint, par une habile inflexion de son corps, à boutonner le premier bouton de sa lourde redingote. Ensuite, s'étant reposé quelques secondes pour reprendre haleine, il brossa son chapeau avec son coude, et déclara qu'il était prêt.
«Comme quatre têtes valent mieux que deux, Sammy, dit M. Weller en conduisant sa carriole sur la route de Londres, et comme cette propriété ici est une tentation pour un gentleman de la justice, nous prendrons deux de mes amis avec nous qui seront bientôt sur ses talons, s'il veut faire qué'que chose d'inconvenant: deux de ceux que tu as vus à la prison l'autre jour. C'est les meilleurs connaisseurs en chevaux que tu aies jamais rencontrés.
– Et en hommes d'affaires aussi?
– L'homme qui sait former un jugement judiciaire d'un cheval peut former un jugement judiciaire de n'importe quoi,» répondit M. Weller si dogmatiquement, que Sam n'osa point contester cet aphorisme.
En conséquence de cette notable résolution, M. Weller mit en réquisition les services du gentleman au teint marbré et ceux de deux autres très-gros cochers, choisis apparemment à cause de leur ampleur et de leur sagesse proportionnelle. Le quintette se rendit alors à la taverne du Portugal-Street, d'où un messager fut dépêché à la Cour des insolvables, pour requérir la présence immédiate de M. Salomon Pell.
Le messager le trouva dans la salle, occupé à prendre une petite collation froide, composée d'un biscuit et d'un cervelas. Les affaires étaient un peu languissantes en ce moment; aussi à peine le message lui eut-il été soufflé dans l'oreille qu'il fourra les restes de son déjeuner dans sa poche parmi plusieurs autres documents professionnels, et se dirigea vers ses clients avec tant de vivacité qu'il avait atteint le parloir de la taverne avant que le messager se fût dégagé de la salle d'audience.
«Gentlemen, dit M. Pell en touchant son chapeau, je vous offre mes services. Je ne dis pas cela pour vous flatter, gentlemen, mais il n'y a pas dans le monde cinq autres personnes pour qui je fusse sorti de la cour aujourd'hui.
– Fort occupé? dit Sam.
– Occupé par-dessus les épaules, comme mon ami le défunt lord chancelier me disait souvent, quand il venait d'entendre des appels dans la chambre des Lords. Il n'était pas bien robuste, et il se ressentait beaucoup de ces appels. J'ai pensé bien des fois qu'il ne pourrait pas y résister, en vérité.»
En achevant ces paroles, M. Pell branla la tête et s'arrêta. Aussitôt M. Weller, poussant du coude son voisin pour lui faire remarquer les connaissances distinguées de l'homme d'affaires, demanda à celui-ci si les fatigues en question avaient produit quelques mauvais effets permanents sur la constitution de son noble ami.
«Je ne pense pas qu'il s'en soit jamais remis, répliqua Pell. En fait, je suis sûr que non. «Pell, me disait-il souvent, comment diable pouvez-vous soutenir tout le travail que vous faites? C'est un mystère pour moi. – Ma foi, répondais-je, sur ma vie, je ne le sais pas moi-même. – Pell, ajoutait-il en soupirant et en me regardant avec un peu d'envie… une envie amicale, comme vous voyez, gentlemen, pure envie amicale… je n'y faisais pas attention; Pell, disait-il, vous êtes étonnant, vraiment étonnant.» Ah! vous l'auriez beaucoup, aimé si vous l'aviez connu, gentlemen. Apportez-moi pour trois pence de rhum, ma chère.»
Ayant adressé cette dernière phrase à la servante d'un ton de douleur comprimée, M. Pell soupira, regarda ses souliers, puis le plafond, but son rhum et tirant sa chaise plus près de la table: «Quoi qu'il en soit, un homme de ma profession n'a pas le droit de penser à ses amitiés privées, quand son assistance légale est requise. Par parenthèse, gentlemen, depuis la dernière fois que je vous ai vus, nous avons eu à pleurer sur une mélancolique circonstance. (M. Pell tira son mouchoir en prononçant le mot pleurer, mais il n'en fit pas d'autre usage que d'essuyer une légère goutte de rhum qui teignait sa lèvre supérieure.) J'ai vu cela dans l'Advertiser, monsieur Weller, poursuivit-il. Et dire qu'elle n'avait pas plus de cinquante-deux ans!»
Ces exclamations d'un esprit pensif étaient adressées à l'homme au teint marbré, dont M. Pell avait fortuitement rencontré le regard. Malheureusement, la conception de celui-ci était, en général, d'une nature fort nuageuse. Il s'agita d'un air inquiet sur sa chaise en déclarant qu'en vérité… quant à cela… il n'y avait pas moyen de dire comment les choses en étaient venues là: proposition subtile, difficile à détruire par des arguments, et qui, en conséquence, ne fut controversée par personne.
«J'ai entendu dire que c'était une bien belle femme, monsieur Weller, ajouta-t-il d'un air de sympathie.
– Oui, monsieur, c'est vrai, répliqua le cocher, quoiqu'il n'aimât pas trop cette manière d'entamer le sujet; mais il pensait que l'homme d'affaires, vu sa longue intimité avec le défunt lord chancelier, devait se connaître mieux que lui en politesse et en bonnes manières. Elle était fort belle femme quand je l'ai connue, monsieur; elle était veuve alors.
– Voilà qui est curieux, dit Pell, en regardant les assistants avec un douloureux sourire; Mme Pell, aussi, était une veuve.
– C'est un fait fort extraordinaire, fit observer l'homme au teint marbré.
– Oui, c'est une singulière coïncidence, reprit Pell.
– Pas du tout reprit M. Weller d'un ton bourru, il a y plus de veuves que de filles qui se marient.
– Très-bien, très-bien, répondit Pell, vous avez tout à fait raison, monsieur Weller. Mme Pell était une femme élégante et accomplie; ses manières faisaient l'admiration générale du voisinage. J'étais orgueilleux quand je la voyais danser. Il y avait quelque chose de si ferme, de si noble, et cependant de si naturel dans son maintien! Sa tournure, gentlemen, était la simplicité même… Ah! hélas! – Permettez-moi cette question, monsieur Samuel, poursuivit l'avoué d'une voix plus basse, votre belle-mère était-elle grande?
– Pas trop.
– Mme Pell était grande; c'était une femme superbe, d'une magnifique figure, et dont le nez, gentlemen, avait été fait pour commander. Elle m'était fort attachée, fort! Elle avait de plus une famille distinguée: le frère de sa mère, gentlemen, avait fait une faillite de huit cents livres sterling comme Law stationer24.
– Maintenant, interrompit M. Weller, qui s'était montré inquiet et agité pendant cette discussion, maintenant, pour parler d'affaires…»
Ces paroles furent une délicieuse musique aux oreilles de M. Pell. Il cherchait depuis longtemps à deviner s'il y avait quelque affaire à traiter, ou s'il avait été simplement invité pour prendre sa part d'un bol de punch ou de grog; et le doute se trouvait résolu sans qu'il eût témoigné aucun empressement capable de le compromettre. Il posa son chapeau sur la table et ses yeux brillaient en disant:
«Quelle est l'affaire sur laquelle… hum? – Y a-t-il un de ces gentlemen qui désire passer devant la cour? Nous avons besoin d'une arrestation: une arrestation amicale fera l'affaire. Nous sommes tous amis ici, je suppose?
– Donne-moi le document Sammy, dit M. Weller à son fils, qui paraissait jouir étonnamment de cette scène. Ce que nous désirons, mossieu, c'est vétrification de ceci.
– Une vérification, mon cher monsieur; vérification, fit observer Pell.
– C'est bien, mossieu, reprit M. Weller aigrement; vérification, ou vétrification, c'est toujours la même chose. Si vous ne me comprenez pas, j'espère que je trouverai quelqu'un qui me comprendra.
– Il n'y a pas d'offense, monsieur Weller, répondit Pell d'un ton doux. Vous êtes l'exécuteur à ce que je vois, ajouta-t-il en jetant les yeux sur le papier.
– Oui, mossieu.
– Ces autres gentlemen sont légataires, à ce que je présume? demanda Pell avec un sourire congratulatoire.
– Sammy est locataire, répliqua M. Weller. Ces autres gentlemen sont de mes amis, venus avec moi pour voir que tout se passe comme il faut, des espèces d'arbitres.
– Oh! très-bien; je n'ai aucune raison pour m'opposer à cela, assurément. Je vous demanderai la légère somme de cinq livres sterling25 avant de commencer, ha! ha! ha!»
Le comité ayant décidé que les cinq livres sterling pouvaient être avancées, M. Weller produisit cette somme. Ensuite on tint, à propos de rien, une longue consultation, dans laquelle M. Pell démontra, à la parfaite satisfaction des arbitres, que si le soin de cette affaire avait été confié à tout autre qu'à lui, elle aurait tourné de travers pour des raisons qu'il n'expliquait pas clairement, mais qui étaient, sans aucun doute, satisfaisantes. Ce point important dépêché, l'homme de loi prit pour se restaurer trois côtelettes, arrosées de bière et d'eau-de-vie, puis ensuite toute la troupe se dirigea vers Doctor's Commons.
Le lendemain, on fit une autre visite à Doctors' Commons, mais les attestations nécessaires furent un peu enrayées par un palfrenier ivre, qui se refusait obstinément à jurer autre chose que des jurons profanes, au grand scandale d'un procureur et d'un délégué du lord chancelier. La semaine suivante, il fallut faire encore d'autres visites à Doctor's Commons, puis au bureau des droits d'héritage; puis il fallut rédiger au contrat pour la vente de l'auberge, ratifier ledit contrat, dresser des inventaires, accumuler des masses de papier, expédier des déjeuners, avaler des dîners, et faire enfin une foule d'autres choses également nécessaires et profitables. Aussi M. Salomon Pell, et son garçon, et son sac bleu par-dessus le marché, se remplumèrent-ils si bien qu'on aurait eu infiniment de peine à les reconnaître pour le même homme, le même garçon et le même sac, qui flânaient à vide, quelques jours auparavant, dans Portugal-Street.