Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 8
Ainsi parla Sam; et, étant entré froidement dans la salle, il s'y assit.
Le laquais poudré poussa violemment la porte et fronça les sourcils avec dignité; mais tout cela ne fit nulle impression sur Sam, qui s'occupait à regarder, avec un air de connaisseur satisfait, un élégant porte-parapluie en acajou.
La manière dont M. Bantam reçut la carte disposa apparemment le laquais poudré en faveur de Sam, car, lorsqu'il revint, il lui sourit amicalement et lui dit que la réponse allait être prête sur-le-champ.
«Très-bien, répliqua Sam; vous pouvez dire au vieux gentleman de ne pas se mettre en transpiration. Il n'y a pas de presse, six pieds. J'ai dîné.
– Vous dînez de bien bonne heure, monsieur.
– C'est pour mieux travailler au souper.
– Y a-t-il longtemps que vous restez à Bath, monsieur? Je n'ai pas eu le plaisir d'entendre parler de vous.
– Je n'ai pas encore causé ici une sensation étonnamment surprenante, répondit Sam tranquillement. Moi et les autres personnages distingués que j'accompagne, nous ne sommes arrivés que d'hier au soir.
– Un joli endroit, monsieur.
– Ça m'en a l'air.
– Bonne société, monsieur. Des domestiques fort agréables, monsieur.
– Ça me fait cet effet-là, des gaillards affables, sans affectation, qui ont l'air de vous dire: Allez vous promener; je ne vous connais pas!
– Oh! c'est bien vrai, monsieur, répliqua le laquais poudré, croyant évidemment que le discours de Sam renfermait un superbe compliment. En prenez-vous, monsieur? ajouta-t-il en produisant une petite tabatière.
– Pas sans éternuer.
– Oh! c'est difficile, monsieur; je le confesse; mais cela s'apprend par degrés. Le café est ce qu'il y a de mieux pour cela. J'ai longtemps porté du café, monsieur; cela ressemble beaucoup à du tabac.»
Ici un violent coup de sonnette réduisit le laquais poudré à l'ignominieuse nécessité de remettre la tabatière dans sa poche et de se rendre, avec une humble contenance, dans le cabinet de M. Bantam. Observons, par parenthèse, que tous les individus qui ne lisent et n'écrivent jamais, ont toujours quelque petit arrière-parloir qu'ils appellent leur cabinet.
«Voici la réponse, monsieur, dit à Sam le laquais poudré. J'ai peur que vous ne la trouviez incommode par sa grandeur.
– Ne vous tourmentez pas, répondit Sam en recevant la lettre, qui était enfermée dans une petite enveloppe. Je crois que la nature peut supporter cela sans tomber en défaillance.
– J'espère que nous nous reverrons, monsieur, dit le laquais poudré en se frottant les mains et en reconduisant Sam jusqu'à la porte.
– Vous êtes bien obligeant, monsieur, répliqua Sam; mais, je vous en prie, n'éreintez pas outre mesure une personne aussi aimable. Considérez ce que vous devez à la société, et ne vous laissez pas écraser par l'ouvrage. Pour l'amour de vos semblables, tenez-vous aussi tranquille que vous pourrez; songez quelle perte ce serait pour le monde!»
Sam s'éloigna sur ces mots pathétiques.
«Un jeune homme fort singulier,» dit en lui-même le laquais poudré, avec une physionomie tout ébahie.
Sam ne dit rien, mais il cligna de l'œil, hocha la tête, sourit, cligna de l'œil sur nouveaux frais, et s'en alla légèrement, avec une physionomie qui semblait dénoter qu'il était singulièrement amusé, par une chose ou par une autre.
Le même soir, juste à huit heures moins vingt minutes, Angelo-Cyrus Bantam esq. m.c. descendit de sa voiture à la porte des salons d'assemblée, avec le même toupet, les mêmes dents, le même lorgnon, la même chaîne et les mêmes cachets, les mêmes bagues, les mêmes épingles et la même canne, que celles ou ceux dont il était affublé le matin. Le seul changement remarquable dans son costume était qu'il portait un habit d'un bleu plus clair, doublé de soie blanche, un pantalon collant noir, des bas de soie noire, des escarpins et un gilet blanc, et qu'il était, si cela est possible, encore un peu plus parfumé.
Ainsi accoutré, le maître des cérémonies se planta dans la première salle, pour recevoir la compagnie, et remplir les importants devoirs de son indispensable office.
Bath était comble. La compagnie et les pièces de 6 pence pour le thé, arrivaient en foule. Dans la salle de bal, dans les salles de jeu, dans les escaliers, dans les passages, le murmure des voix et le bruit des pieds étaient absolument étourdissants. Les vêtements de soie bruissaient, les plumes se balançaient, les lumières brillaient, et les joyaux étincelaient. On entendait la musique, non pas des contredanses, car elles n'étaient pas encore commencées, mais la musique toujours agréable à entendre, soit à Bath, soit ailleurs, des pieds mignons et délicats qui glissent sur le parquet, des rires clairs et joyeux de jeunes filles, des voix de femmes retenues et voilées. De toutes parts scintillaient des yeux brillants, éclairés par l'attente du plaisir; et de quelque coté qu'on regardât, on voyait glisser gracieusement, à travers la foule, quelque figure élégante, qui, à peine perdue, était remplacée par une autre, aussi séduisante et aussi parée.
Dans la salle où l'on prenait le thé, et tout autour des tables de jeu, s'entassaient une foule innombrable d'étranges vieilles ladies et de gentlemen décrépits, discutant tous les petits scandales du jour avec une vivacité qui montrait suffisamment quel plaisir ils y trouvaient. Parmi ces groupes, se trouvaient quelques mères de famille, absorbées, en apparence, par la conversation à laquelle elles prenaient part, mais jetant de temps à autre un regard inquiet du côté de leurs filles. Celles-ci, se rappelant les injonctions maternelles de profiter de l'occasion, étaient en plein exercice de coquetterie, égarant leurs écharpes, mettant leurs gants, déposant leurs tasses à thé, et ainsi de suite, toutes choses légères en apparence, mais qui peuvent être fort avantageusement exploitées par d'habiles praticiennes.
Auprès des portes et dans les recoins, divers groupes de jeunes gens, étalant toutes les variétés du dandysme et de la stupidité, amusaient les gens raisonnables par leur folie et leur prétention, tout en se croyant, heureusement, les objets de l'admiration générale. Sage et prévoyante dispensation de la Providence, qu'un esprit charitable ne saurait assez louer.
Sur les bancs de derrière, où elles avaient déjà pris leur position pour la soirée, étaient assises certaines ladies non mariées, qui avaient passé leur grande année climatérique, et qui, ne dansant pas, parce qu'elles n'avaient point de partenaires, ne jouant pas, de peur d'être regardées comme irrévocablement vieilles filles, étaient dans la situation favorable de pouvoir dire du mal de tout le monde, sans qu'il retombât sur elles-mêmes. Tout le monde, en effet, se trouvait-là. C'était une scène de gaieté, de luxe et de toilettes, de glaces magnifiques, de parquets blanchis à la craie, de girandoles, de bougies, et sur tous les plans du tableau, glissant de place en place, avec une souplesse silencieuse, saluant obséquieusement telle société, faisant un signe familier à telle autre, et souriant complaisamment à toutes, se faisait remarquer la personne tirée à quatre épingles, d'Angelo-Cyrus Bantam esquire, le maître des cérémonies.
«Arrêtez-vous dans la salle du thé. Prenez-en pour vos 6 pence. Ils distribuent de l'eau chaude et appellent cela du thé. Buvez,» dit tout haut M. Dowler à M. Pickwick, qui s'avançait en tête de leur société, donnant le bras à Mme Dowler. M. Pickwick tourna donc vers la salle du thé, et M. Bantam, en l'apercevant, se glissa à travers la foule, et le salua avec extase.
«Mon cher monsieur, je suis prodigieusement honoré… Ba-ath est favorisé… Madame Dowler, vous embellissez cette salle. Je vous félicite vos plumes re-marquables!
– Y a-t-il quelqu'un ici? demanda M. Dowler d'un air dédaigneux.
– Quelqu'un? l'élite de Ba-ath! Monsieur Pickwick, voyez vous cette dame en turban de gaze?
– Cette grosse vieille dame? demanda M. Pickwick innocemment.
– Chut! mon cher monsieur, chut! Personne n'est gros ni vieux, dans Ba-ath. C'est la lady douairière Snuphanuph.8
– En vérité! fit M. Pickwick.
– Ni plus ni moins. Chut! approchez un peu par ici, monsieur Pickwick. Voyez-vous ce jeune homme, richement vêtu, qui vient de notre côté?
– Celui qui a des cheveux longs, et le front singulièrement étroit?
– Précisément. C'est le plus riche jeune homme de Ba-ath, en ce moment. Le jeune lord Mutanhed9.
– Quoi, vraiment?
– Oui. Vous entendrez sa voix dans un moment, monsieur Pickwick. Il me parlera. Le gentleman qui est avec lui et qui a un dessous de gilet rouge et des moustaches noires, est l'honorable M. Crushton, son ami intime. – Comment vous portez-vous, mylord?
– Très-saudement, Bantam, répondit Sa Seigneurie.
– En effet, il fait très-chaud, milord, reprit le M.C.
– Diablement,» ajouta l'honorable M. Crushton.
Après une pause durant laquelle le jeune lord s'était efforcé de décontenancer M. Pickwick en le lorgnant, tandis que son acolyte réfléchissait sur quel sujet lord Mutanhed pouvait parler le plus avantageusement, M. Crushton, dit:
«Bantam, avez-vous vu la malle-poste de milord?
– Mon Dieu non. Une malle-poste? Quelle excellente idée. Re-marquable!
– Vaiment, je coyais que tout le monde l'avait vue! C'est la plus zolie, la plus lézère, la plus gacieuse chose qui ait zamais été sur des roues. Peinte en rouge, avec des gevaux café au lait.
– Et avec une véritable malle pour les lettres; tout à fait complète, ajouta l'honorable M. Crushton.
– Et un petit siége devant, entouré d'une tringle de fer pour le cozer, continua Sa Seigneurie. Ze l'ai conduite à Bristol l'aut'matin, avec un habit écalate et deux domestiques courant un quart de mille en arrière, et Dieu me damne si les paysans ne sortaient pas de leurs cabanes, pour m'arrêter et me demander si je n'étais pas la poste! Glo'ieux! Glo'ieux!»
Le jeune lord rit de tout son cœur de cette anecdote, et les auditeurs en firent autant, bien entendu.
«Charmant jeune homme! dit le maître des cérémonies à M. Pickwick.
– Il en a l'air,» répliqua sèchement le philosophe.
La danse ayant commencé, les présentations nécessaires ayant été faites, et tous les préliminaires étant arrangés, Angelo Bantam rejoignit M. Pickwick et le conduisit dans les salons de jeux.
Au moment de leur entrée, lady Snuphanuph et deux autres ladies, d'une apparence antique, et qui sentait le whist, erraient tristement autour d'une table inoccupée. Aussitôt qu'elles aperçurent M. Pickwick, sous la conduite d'Angelo Bantam, elles échangèrent entre elles des regards qui voulaient dire que c'était là justement la personne qu'il leur fallait pour faire un rob.
«Mon cher Bantam, dit la lady douairière Snuphanuph, d'un air engageant, trouvez-nous donc quelque aimable personne pour faire un whist, comme une bonne âme que vous êtes.»
Dans ce moment M. Pickwick regardait d'un autre côté, de sorte que milady fit un signe de tête expressif en l'indiquant.
Le maître des cérémonies comprit ce geste muet.
«Milady, répondit-il, mon ami M. Pickwick s'estimera, j'en suis sûr, très-heureux, re-marquablement. – M. Pickwick, lady Snuphanuph, Mme la colonel Wugsby, miss Bolo.»
M. Pickwick salua et voyant qu'il était impossible de s'échapper, se résigna. On tira les places, et M. Pickwick se trouva avec miss Bolo, contre lady Snuphanuph et Mme Wugsby.
À la seconde donne, au moment où la retourne venait à être vue, deux jeunes ladies accoururent dans la salle et se placèrent de chaque côté de Mme Wugsby, où elles attendirent patiemment et silencieusement que le coup fût fini.
«Eh bien! dit Mme Wugsby en se retournant vers l'une de ses filles, qu'est-ce qu'il y a?
– M'man, répondit à voix basse la plus jeune et la plus jolie des deux, je venais vous demander si je puis danser avec le plus jeune M. Crawley.
– Mais à quoi donc pensez-vous, Jane? répondit la maman avec indignation. N'avez-vous pas entendu dire cent fois, que son père n'a que huit cents livres sterling de revenu, et qui meurent avec lui encore! Vous me faites rougir de honte! Non, sous aucun prétexte.
– M'man, chuchota l'autre demoiselle qui était beaucoup plus vieille que sa sœur, et avait l'air insipide et artificiel; lord Mutanhed m'a été présenté. J'ai dit que je croyais n'être pas engagée, m'man.
– Vous êtes une bonne fille, mon enfant, et on peut se fier à vous, répondit Mme Wugsby, en tapant de son éventail la joue de sa fille. Il est immensément riche, ma chérie.» En parlant ainsi, Mme Wugsby baisa sa fille aînée fort tendrement, admonesta la cadette par un froncement de sourcil, et mêla les cartes.
Pauvre M. Pickwick! il n'avait jamais joué jusqu'alors avec trois vieilles femmes aussi complètement joueuses. Elles étaient d'une habileté qui l'effrayait. S'il jouait mal, miss Bolo le poignardait du regard; s'il s'arrêtait pour réfléchir, lady Snuphanuph se renversait sur sa chaise et souriait, en jetant à Mme Wugsby un coup d'œil mêlé d'impatience et de pitié. À quoi celle-ci répondait en haussant les épaules et en toussant, comme pour demander s'il se déciderait jamais à jouer. À la fin de chaque coup, miss Bolo demandait avec une contenance sombre et un soupir plein de reproche, pourquoi M. Pickwick n'avait pas rendu atout, attaqué trèfle, coupé pique, finassé la dame, fait échec à l'honneur, invité au roi ou quelque autre chose de semblable; et M. Pickwick était tout à fait incapable de se disculper de ces graves accusations, car il avait déjà oublié le coup. Ce n'est pas tout; il y avait des gens qui venaient regarder et qui intimidaient M. Pickwick; enfin, près de la table, s'échangeait une conversation fort active et fort distrayante, entre Angelo Bantam et les deux miss Matinters, qui, étant filles et un peu mûres, faisaient une cour assidue au maître des cérémonies, dans l'espoir d'attraper, de temps en temps, un danseur de rencontre. Toutes ces choses combinées avec le bruit et les constantes interruptions des allants et des venants, firent que M. Pickwick joua véritablement assez mal; de plus, les cartes étaient contre lui, de sorte que quand il quitta la table, à onze heures dix minutes, miss Bolo se leva dans une agitation effroyable et partit dans les larmes et dans une chaise à porteurs.
M. Pickwick fut rejoint bientôt après par ses amis, qui protestèrent unanimement avoir rarement passé une soirée aussi agréable. Ils retournèrent tous ensemble au Blanc-Cerf, et le philosophe s'étant consolé de ses infortunes, en avalant quelque chose de chaud, se coucha et s'endormit presque simultanément.
CHAPITRE VII
Occupé principalement par une authentique version de la légende du prince Bladud, et par une calamité fort extraordinaire dont M. Winkle fut la victime
M. Pickwick, en proposant de rester au moins deux mois à Bath, jugea convenable de prendre pour lui et pour ses amis un appartement particulier. Il eut la bonne fortune d'obtenir, pour un prix modéré, la partie supérieure d'une des maisons sur la Royal-Crescent; et comme il s'y trouvait plus de logement qu'il n'en fallait pour les pickwickiens, M. et Mme Dowler lui offrirent de reprendre une chambre à coucher et un salon. Cette proposition fut acceptée avec un empressement, et des le troisième jour les deux sociétés furent établies dans leur nouveau domicile. M. Pickwick commença alors à prendre les eaux avec la plus grande assiduité. Il les prenait systématiquement, buvant un quart de pinte avant le déjeuner, et montant un coteau; un autre quart de pinte après le déjeuner, et descendant un coteau; et après chaque nouveau quart de pinte, M. Pickwick déclarait, dans les termes les plus solennels, qu'il se sentait infiniment mieux: ce dont ses amis se réjouissaient vivement, quoiqu'ils ne se fussent pas doutés, jusque-là, qu'il eût à se plaindre de la moindre chose.
La grande buvette est un salon spacieux, orné de piliers corinthiens, d'une galerie pour la musique, d'une pendule de Tompion, d'une statue de Nash, et d'une inscription en lettres d'or, à laquelle tous les buveurs d'eau devraient faire attention, car elle fait un touchant appel à leur charité. Il s'y trouve, en outre, un vase de marbre où le garçon plonge sans cesse de grands verres, qui ont l'air d'avoir la jaunisse, et c'est un spectacle prodigieusement édifiant et satisfaisant, que de voir avec quelle gravité et quelle persévérance les buveurs d'eau engloutissent le contenu de ces verres. Tout auprès on a disposé des baignoires, dans lesquelles se lavent une partie des malades; après quoi la musique joue des fanfares pour les congratuler d'en être sortis. Il existe encore une seconde buvette, où les ladies et les gentlemen infirmes sont roulés dans une quantité de chaises et de fauteuils, si étonnante et si variée, qu'un individu aventureux, qui s'y rend avec le nombre ordinaire d'orteils, doit s'estimer heureux s'il les possède encore quand il en sort.
Enfin il y a une troisième buvette où se réunissent les gens tranquilles, parce qu'elle est moins bruyante que les autres. Il se fait d'ailleurs aux environs une infinité de promenades avec béquilles ou sans béquilles, avec canne ou sans canne, et une infinité de conversations et de plaisanteries, avec esprit ou sans esprit.
Chaque matin les buveurs d'eau consciencieux, parmi lesquels se trouvait M. Pickwick, se réunissaient dans les buvettes, avalaient leur quart de pinte, et marchaient suivant l'ordonnance. À la promenade de l'après-midi, lord Mutanhed et l'honorable M. Crushton, lady Snuphanuph, mistress Wugsby, et tout le beau monde, et tous les buveurs d'eau du matin, se réunissaient en grande compagnie. Après cela, ils se promenaient à pied, ou en voiture, ou dans les chaises à porteurs, et se rencontraient sur nouveaux frais. Après cela, les gentlemen allaient au cabinet de lecture, et y rencontraient une portion de la société; après quoi, ils s'en retournaient chacun chez soi. Ensuite, si c'était jour de théâtre, on se rencontrait au théâtre; si c'était jour d'assemblée, on se rencontrait au salon, et si ce n'était ni l'un ni l'autre, on se rencontrait le jour suivant: agréable routine à laquelle on pourrait peut-être reprocher uniquement une légère teinte de monotonie.
Après une journée dépensée de cette manière, M. Pickwick, dont les amis s'étaient allés coucher, s'occupait à compléter son journal, lorsqu'il entendit frapper doucement à sa porte.
– Je vous demande pardon, monsieur, dit la maîtresse de la maison, Mme Craddock, en insinuant sa tête dans la chambre, vous n'avez plus besoin de rien?
– De rien du tout, madame, répondit M. Pickwick.
– Ma jeune fille est allée se coucher, monsieur, et M. Dowler a la bonté de rester debout pour attendre Mme Dowler, qui ne doit rentrer que fort tard. Ainsi, monsieur Pickwick, je pensais que si vous n'aviez plus besoin de rien, j'irais me coucher aussi.
– Vous ferez très-bien, madame.
– Je vous souhaite une bonne nuit, monsieur.
– Bonne nuit, madame.»
Mistress Craddock ferma la porte et M. Pickwick continua d'écrire.
En une demi-heure de temps ses notes furent mises à jour. Il appuya soigneusement la dernière page sur le papier buvard, ferma le livre, essuya sa plume au pan de son habit, et ouvrit le tiroir de l'encrier pour l'y serrer. Il y avait dans ce tiroir quelques feuilles de papier à lettres, écrites serrées et pliées de telle sorte que le titre, moulé en ronde, sautait aux yeux. Voyant par là que ce n'était point un document privé, qu'il paraissait se rapporter à Bath, et qu'il était fort court, M. Pickwick déplia le papier, et tirant sa chaise auprès du feu, lut ce qui suit:
«LA VÉRITABLE LÉGENDE DU PRINCE BLADUD
«Il n'y a pas encore deux cents ans qu'on voyait sur l'un des bains publies de cette ville, une inscription en honneur de son puissant fondateur, le renommé prince Bladud. Cette inscription est maintenant effacée, mais une vieille légende, transmise d'âge en âge, nous apprend que plusieurs siècles auparavant cet illustre prince, affligé de la lèpre depuis son retour d'Athènes, où il était allé recueillir une ample moisson de science, évitait la cour de son royal père, et faisait tristement société avec ses bergers et ses cochons. Dans le troupeau, dit la légende, se trouvait un porc d'une contenance grave et solennelle, pour qui le prince éprouvait une certaine sympathie; car ce porc était un sage, un personnage aux manières pensives et réservées, un animal supérieur à ses semblables, dont le grognement était terrible, dont la morsure était fatale. Le jeune prince soupirait profondément en regardant la physionomie majestueuse du quadrupède. Il songeait à son royal père, et ses yeux se noyaient de larmes.
«Ce porc intelligent aimait beaucoup à se baigner dans une fange molle et verdâtre, non pas au cœur de l'été, comme font maintenant les porcs vulgaires, pour se rafraîchir, et comme ils faisaient même dans ces temps reculés (ce qui prouve que la lumière de la civilisation avait déjà commencé à briller, quoique faiblement); mais au milieu des froids les plus piquants de l'hiver. La robe du pachyderme était toujours si lisse et sa complexion si claire, que le prince résolut d'essayer les qualités purifiantes de l'eau, qui réussissait si bien à son ami. Un beau jour il le suivit au bain. Sous la fange verdâtre, sourdissaient les sources chaudes de Bath; le prince s'y lava et fut guéri. S'étant rendu aussitôt à la cour du roi son père, il lui présenta ses respects les plus tendres, mais il s'empressa de revenir ici, pour y fonder cette ville et ces bains fameux.
«D'abord il chercha le porc avec toute l'ardeur d'une ancienne amitié; mais, hélas! ces eaux célèbres avaient été cause de sa perte. Il avait pris un bain à une température trop élevée et le philosophe sans le savoir n'était plus. Pline qui lui succéda dans la philosophie, périt également victime de son ardeur pour la science.
«Telle était la légende: Écoutez l'histoire véritable.
«Le fameux Lud Hudibras, roi de la Grande-Bretagne, florissait il y a bien des siècles. C'était un redoutable monarque: la terre tremblait sous ses pas, tant il était gros; ses peuples avaient peine à soutenir l'éclat de sa face, tant elle était rouge et luisante. Il était roi depuis les pieds jusqu'à la tête, et c'était beaucoup dire, car, s'il n'était pas très-haut, il était très-puissant, et son immense ampleur compensait et au delà, ce qui pouvait manquer à sa taille. Si quelque prince dégénéré de ces temps modernes pouvait lui être comparé, ce serait le vénérable roi Cole, qui seul mériterait cette gloire.
«Ce bon roi avait une reine qui, dix-huit ans auparavant, avait eu un fils, lequel avait nom Bladud. On l'avait placé dans une école préparatoire des États de son père, jusqu'à l'âge de dix ans, mais alors il avait été dépêché, sous la conduite d'un fidèle messager, pour finir ses classes à Athènes. Comme il n'y avait point de supplément à payer pour rester à l'école les jours de fête, et pas d'avertissement préalable à donner pour la sortie des élèves, il y demeura huit années, à l'expiration desquelles le roi son père envoya le lord chambellan pour solder sa dépense, et pour le ramener au logis. Le lord chambellan exécuta habilement cette mission difficile, fut reçu avec applaudissements, et pensionné sans délai.
«Quand le roi Lud vit le prince son fils, et remarqua qu'il était devenu un superbe jeune homme, il s'aperçut du premier coup d'œil que ce serait une grande chose de le marier immédiatement, afin que ses enfants pussent servir à perpétuer la glorieuse race de Lud, jusqu'aux derniers âges du monde. Dans cette vue il composa une ambassade extraordinaire de nobles seigneurs qui n'avaient pas grand'chose à faire, et qui désiraient obtenir des emplois lucratifs; puis il les envoya à un roi voisin, pour lui demander en mariage sa charmante fille, et pour lui déclarer, en même temps, que, comme roi chrétien, il souhaitait vivement conserver les relations les plus amicales avec le roi son frère et son ami; mais que si le mariage ne s'arrangeait pas, il serait dans la pénible nécessité de lui aller rendre visite, avec une armée nombreuse, et de lui faire crever les yeux. L'autre roi qui était le plus faible, répondit à cette déclaration, qu'il était fort obligé au roi son frère, de sa bonté et de sa magnanimité, et que sa fille était toute prête à se marier, aussitôt qu'il plairait au prince Bladud de venir et de l'emmener.
«Dès que cette réponse parvint en Angleterre, toute la nation fut transportée de joie, on n'entendait plus que le bruit des réjouissances et des fêtes, comme aussi celui de l'argent qui sonnait dans la sacoche des collecteurs, chargés de lever sur le peuple l'impôt nécessaire pour défrayer la dépense de cette heureuse cérémonie.
«C'est dans cette occasion que le roi Lud, assis au sommet de son trône, en plein conseil, se leva, dans la joie de son âme, et commanda au lord chef de la justice de faire venir les ménestrels, et de faire apporter les meilleurs vins. L'ignorance des historiens légendaires attribue cet acte de gracieuseté au roi Cole, comme on le voit dans ces vers célèbres:
«Il fit venir sa pipe, et ses trois violons,
Pour boire un pot, au doux bruit des flonflons.»
«Mais c'est une injustice évidente envers la mémoire du roi Lud, et une malhonnête exaltation des vertus du roi Cole.
«Cependant, au milieu de ces fêtes et de ces réjouissances, il y avait un individu qui ne buvait point, quand les vins généreux pétillaient dans les verres, et qui ne dansait point, quand les instruments des ménestrels s'éveillaient sous leurs doigts. C'était le prince Bladud lui-même, pour le bonheur duquel tout un peuple vidait ses poches, et remplissait son gosier. Hélas! c'est que le prince, oubliant que le ministre des affaires étrangères avait le droit incontestable de devenir amoureux pour lui, était déjà devenu amoureux pour son propre compte, contrairement à tous les précédents de la diplomatie, et s'était marié, dans son cœur, avec la fille d'un noble Athénien.
«Ici nous trouvons un frappant exemple de l'un des nombreux avantages de la civilisation. Si le prince avait vécu de nos jours, il aurait épousé sans scrupule la princesse choisie par son père, et se serait immédiatement et sérieusement mis à l'ouvrage pour se débarrasser d'elle, en la faisant mourir de chagrin par un enchaînement systématique de mépris et d'insultes; puis si la tranquille fierté de son sexe, et la conscience de son innocence, lui avaient donné la force de résister à ces mauvais traitements, il aurait pu chercher quelque autre manière de lui ôter la vie et de s'en délivrer sans scandale. Mais ni l'un ni l'autre de ces moyens ne s'offrit à l'imagination du prince Bladud; il se borna donc à solliciter une audience privée de son père, et à lui tout avouer.
«C'est une ancienne prérogative des souverains de gouverner toutes choses, excepté leurs passions. En conséquence le roi Lud se mit dans une colère abominable; jeta sa couronne au plafond (car dans ce temps-là les rois gardaient leur couronne sur leur tête et non pas dans la Tour); trépigna sur le plancher, se frappa le front; demanda au ciel pourquoi son propre sang se révoltait contre lui, et finalement, appelant ses gardes, leur ordonna d'enfermer son fils dans un donjon: sorte de traitement que les rois d'autrefois employaient généralement envers leurs enfants, quand les inclinations matrimoniales de ceux-ci ne s'accordaient pas avec leurs propres vues.
«Après avoir été enfermé dans son donjon, pendant près d'une année, sans que ses yeux eussent d'autre point de vue qu'un mur de pierre, et son esprit d'autre perspective qu'un perpétuel emprisonnement, le prince Bladud commença naturellement à ruminer un plan d'évasion, grâce auquel, au bout de plusieurs mois de préparatifs, il parvint à s'échapper, laissant avec humanité son couteau de table dans le cœur de son geôlier, de peur que ce pauvre diable, qui avait de la famille, ne fût soupçonné d'avoir favorisé sa fuite, et ne fût puni en conséquence par le roi irrité.
«Le monarque devint presque enragé quand il apprit l'escapade de son fils. Il ne savait sur qui faire tomber son courroux, lorsque heureusement il vint à penser au lord chambellan, qui l'avait ramené d'Athènes. Il lui fit donc retrancher en même temps sa pension et sa tête.
«Cependant le jeune prince, habilement déguisé, errait à pied dans les domaines de son père, soutenu et réjoui dans toutes ses privations par le doux souvenir de la jeune Athénienne, cause innocente de ses malheurs. Un jour, il s'arrêta pour se reposer dans un bourg. On dansait gaiement sur la place, et le plaisir brillait sur tous les visages. Le prince se hasarda à demander quelle était la cause de ces réjouissances.
«O étranger, lui répliqua-t-on, ne connaissez-vous pas la récente proclamation de notre gracieux souverain?
– La proclamation? Non. Quelle proclamation? repartit le prince, car il n'avait voyagé que par les chemins de traverse, et ne savait rien de ce qui se passait sur les grandes routes, telles qu'elles étaient alors.
– En bien! dit le paysan, la demoiselle étrangère que le prince désirait épouser, s'est mariée à un noble étranger de son pays, et le roi proclame le fait et ordonne de grandes réjouissances publiques, car maintenant, sans nul doute, le prince Bladud va revenir, pour épouser la princesse que son père a choisie, et qui, dit-on, est aussi belle que le soleil de midi. À votre santé, monsieur, Dieu sauve le roi!»
«Le prince n'en voulut pas entendre davantage. Il s'enfuit et s'enfonça dans les lieux les plus déserts d'un bois voisin. Il errait, il errait sans cesse, la jour et la nuit, sous le soleil dévorant, sous les pâles rayons de la lune, malgré la chaleur de midi, malgré les nocturnes brouillards; à la lueur grisâtre du matin, à la rouge clarté du soir: si désolé, si peu attentif à toute la nature, que, voulant aller à Athènes, il se trouva un matin à Bath, c'est-à-dire qu'il se trouva dans l'endroit où la ville existe maintenant, car il n'y avait point alors de vestige d'habitation, pas de trace d'hommes, pas même de fontaine thermale. En revanche, c'étaient le même paysage charmant, la même richesse de cotaux et de vallées, le même ruisseau qui coulait avec un doux murmure, les mêmes montagnes orgueilleuses qui, semblables aux peines de la vie quand elles sont vues à distance et partiellement obscurcies par la brume argentée du matin, perdent leur sauvagerie et leur rudesse, et ne présentent aux yeux que de doux et gracieux contours. Ému par la beauté de cette scène, le prince se laissa tomber sur le gazon, et baigna de ses larmes ses pieds enflés par la fatigue.