Kitabı oku: «Leçons d'histoire», sayfa 15
NOTE relative à la page 229. (Les Hébreux s'étaient éclairés par quelques progrès de civilisation.)
Chez tous les peuples anciens, les erreurs nécessaires que commirent les prêtres dans les prédictions ou oracles qu'ils étaient obligés de faire très-souvent, ne purent manquer, par leur répétition, d'atténuer la confiance en leur véracité. Hérodote, en parlant des oracles divers consultés par Crésus, nous rend sensible cet état de choses, d'ailleurs très-naturel: il eut lieu chez les Hébreux comme chez les autres. Le livre des Juges nous offre un exemple frappant de l'une de ces erreurs sacerdotales. Toutes les tribus s'étant armées contre celle de Benjamin, pour la punir du crime atroce commis envers le lévite dont la femme avait été publiquement violée dans la ville de Gabaa, les chefs d'Israël, après une première défaite, allèrent pleurer devant l'arche et consultèrent l'oracle, en disant: «Devons-nous combattre encore les enfants de Benjamin qui sont nos frères? (chap. XX, vers. 23) et l'oracle répondit: Marchez contre eux et leur livrez bataille.»
Il est évident que le prêtre a entendu qu'ils seraient vainqueurs: il devait le croire, vu leur immense supériorité de nombre; cependant ils furent battus avec beaucoup de perte; le prêtre leur aura dit: «C'est que vous aviez péché, et que Dieu aura voulu vous purifier.» Mais ceci impliquerait une extrême injustice de Dieu, puisque le châtiment eût tombé sur beaucoup d'innocents. On sent que ce ne sont là que des raisons évasives.—Les chefs revinrent encore pleurer et consulter: alors l'oracle leur assura la victoire, qui cette fois eut lieu; mais la leçon avait rendu le prêtre et les chefs plus prudents; ils avaient concerté un stratagème auquel ils la durent. Dans la guerre du prêtre babylonien Bélésys contre Sardanapale, nous voyons le même cas arriver.
ÉTAT PHYSIQUE DE LA CORSE
LA Corse est une île de la Méditerranée, située obliquement entre l'Italie, qui l'avoisine au levant, et la France qu'elle regarde au nord, et nord-ouest: au sud, elle n'est séparée de la Sardaigne, que par un détroit de trois lieues, tandis qu'à l'ouest sa côte est baignée par une vaste mer qui ne trouve de limites qu'aux rivages de l'Espagne. Sa latitude, selon des observations récentes et précises des ingénieurs du cadastre de cette île, est entre les 41° 21' 04", et 43° 00' 04" nord; ce qui détermine sa longueur à 1° 39' 04"; sa longitude entre les 6° 11' 47", et 7° 13' 03", pris du méridien de Paris, fixe sa plus grande largeur à 1° 01' 16". Mais comme sa forme est ovale, abstraction faite de la longue saillie du cap Corse, il s'en faut beaucoup que le carré résultant de ces dimensions soit plein. Les incertitudes et les variantes des auteurs sur son évaluation, viennent d'être résolues par les ingénieurs du cadastre; et désormais, l'on devra, sur leur autorité, porter la superficie de la Corse à 442 lieues 84/100, faisant 2,072,441 arpents 25 perches (l'arpent de 20 pieds pour perche), ou 874,741 hectares 19 ares 26 centiares. Cette superficie, qui maintient la Corse au cinquième rang de grandeur des îles de la Méditerranée, la place au premier des départements de France; mais lorsque nous ferons le calcul de ses rocs arides et incultivables, elle ne sera pas tentée de se prévaloir de ce mérite, puisqu'elle se trouve au dernier rang des valeurs.
A proprement parler, la Corse n'est qu'un entassement de rochers, dont les nombreux chaînons s'élèvent brusquement des bords de la mer, pour aller vers le centre de l'île, se joindre à une ligne dominante qui court du midi au nord; on la suit sans interruption depuis les croupes arides du Cagna en face de Bonifacio, jusqu'aux sommets nuageux de Monte-Grosso sur Calvi; dans tout cet espace, elle marche sur une hauteur de 800 à 1400 toises, marquant au loin sa route par les pointes élevées de Coscione, la Cappella, Denoso, d'Oro-Rotondo, Paglia-Orba, et Monte-Grosso75; là même elle se replie à l'est, jusqu'aux montagnes de Tenda et d'Asto, où elle tombe sur une branche inférieure de 6 à 700 toises de hauteur, qui vient du cap Corse, et va se terminer par les sommets du San-Pietro et Sant-Angelo, à la vallée du Tavignano; de ces deux lignes de sommets, mais principalement de la première, les eaux des neiges et des pluies se versant à droite et à gauche, plongent dans des vallons qui vont en forme de conques se perdre à la mer; et si l'on remarque que de ses rivages au comble des monts, il n'y a pas quelquefois quatre lieues de ligne droite, et jamais plus de douze; que par conséquent, la pente du terrain est excessivement inclinée, l'on concevra que les eaux s'y précipitent plutôt qu'elles n'y coulent; que leur marche s'y fait par sauts et par bonds; que, tantôt par les fontes des neiges et les grandes pluies, elles forment des torrents qui debordent à pleines vallées; et que tantôt épuisées, elles laissent à sec un lit de pierres et de cailloux: que par ce jeu, les terres légères sont emportées, les pentes déchirées, les cimes dénudées, les rochers minés, renversés; et que la nature y présente partout une scène à grands mouvements violents; ajoutez à ce tableau, le coloris d'une bande supérieure de sommets neigeux durant l'hiver, grisâtres l'été; d'une moyenne région de pentes, tapissée d'arbres et arbustes toujours verts; et d'une plage maritime, souvent marécageuse, où les eaux s'égarent dans des sables qu'elles n'ont plus la force de rouler; jetez sur ce paysage des blocs de granit, de marbres, de jaspes roux et gris; des cascades, des sapins, des châtaigniers, des chênes verts, des lentisques, des azeroliers, des myrtes, des bruyères, et vous aurez de la Corse une idée pittoresque aussi juste qu'en puisse procurer le souvenir des objets passés.
Revenons aux idées géographiques: en traversant l'île dans sa longueur, la haute chaîne dont j'ai parlé, la partage en deux portions très-distinctes, surtout à raison de la difficulté de leurs communications réciproques: l'on ne peut passer de la côte d'Ajaccio à celle de Bastia, qu'en franchissant la barrière des Monts, par des gorges appelées à juste titre dans le pays des Escaliers (Scale). Une des plus célèbres et la plus pratiquée de ces gorges, celle dite de Bogognano, ou de Vizzavona, est un canal d'environ 500 toises de largeur, et de 4000 de longueur, sur une élévation de 1000 au-dessus du niveau de la mer. Dans ce canal tapissé d'une forêt de sapins, de hêtres, et de quelques châtaigniers, les neiges s'entassent de deux, trois, et jusqu'à six pieds de hauteur; et elles obstrueraient le passage pendant des mois entiers, si une police souvent négligée ne les faisait déblayer par les villages voisins. Il résulte donc de cet état une division naturelle, sur laquelle les Italiens Génois et Pisans, ont, dès long-temps, calqué leur division administrative de pays d'en-deçà, et de pays d'au-delà les monts; ou encore de bande intérieure, et de bande extérieure. Mais comme ces dénominations, relatives au continent de l'Italie, cessent de convenir en changeant de lieux; qu'en Corse même elles sont équivoques, puisqu'elles sont réciproquement employées par les deux parties, je ne désignerai désormais les deux côtes opposées, que par les noms de côte d'est ou orientale, appliqué à celle qui regarde l'Italie; et de côte d'ouest, ou occidentale, à celle qui regarde l'Espagne. Dans l'usage des Génois et des Corses, l'en-deçà comprenait aussi la côte du nord, c'est-à-dire le Nebbio et la Balagne à raison de la facilité des communications et de l'unité de régime: et alors l'au-delà ne formait qu'un tiers de la totalité de l'île, puisqu'il ne comptait que vingt et un cantons ou pièves contre quarante-cinq. Mais si l'on voulait établir une division raisonnée, il faudrait faire de cette côte du nord une troisième région, puisqu'elle a d'ailleurs, ainsi que les deux autres, des caractères distinctifs et particuliers. Ceux de la côte d'est, sont une plage en général basse, marécageuse et dépourvue de ports; un air pesant et humide; un sol moins élevé et plus gras: ceux de la côte d'ouest, au contraire, ont un air vif et ventilé; un terrain sablonneux et très-élevé, une plage sèche taillée à pic et pleine de golfes et de ports: et ceux de la côte du nord, un air plus salubre, plus tempéré; un ordre de saison plus égal. Mais ce qui établit la différence la plus remarquable entre ces régions, est la nature même du sol, qui, dans la bande d'est depuis le cap Corse jusqu'au Tavignano, c'est-à-dire dans toute la chaîne inférieure, est généralement calcaire, tandis que dans la bande d'ouest et dans celle du nord, c'est-à-dire dans toute la haute chaîne, il est purement graniteux, à l'exception de trois ou quatre points calcaires, tels que Bonifacio, Saint-Florent, et un des sommets de Venaco, d'où l'on a tiré la chaux des deux forts de la gorge de Vivario. Ce serait l'occasion sans doute, de faire sur cette singularité des recherches et des réflexions physiques; mais cette partie étant étrangère à mon objet, le lecteur me permettra de le renvoyer à deux mémoires de M. Barral, ingénieur des ponts et chaussées en Corse, qui l'a spécialement traitée, et qui a donné une nomenclature détaillée de toutes les espèces de granits, marbres, jaspes et autres pierres dont la Corse est malheureusement trop riche.
Un article qui se lie mieux à mon sujet par son utilité est celui des eaux thermales et des mines. Quoique l'on ait parlé des mines d'argent près de Caccia, de plomb et de cuivre en d'autres endroits, il paraît que la Corse n'en possède que de ferrugineuses dans le Nebbio à Nonza près de Fossa d'Arco; et la rareté du bois, la cherté des transports, et le voisinage de la riche mine d'Elbe, ne leur laissé que bien peu de mérite. Les eaux minérales et thermales ont infiniment plus de prix; l'on en compte plusieurs sources de diverses espèces: l'une des plus célèbres est celle de Pietra-Pola, ou Fium'Orbo; côte d'est, sur le torrent d'Abatesco, canton de Castello, district de Cervione. Ses eaux sont thermales sulfureuses, et portent leur chaleur dans le puits principal, jusqu'au 45° degré de Réaumur. Des expériences multipliées ont constaté leur efficacité dans les maladies de la peau, dans les obstructions des viscères, dans les rhumatismes les plus invétérés, et même dans la goutte et les maladies vénériennes; mais on y change ces maladies contre la fièvre de marais, parce que le lieu étant désert et sauvage, l'on y manque de toutes les commodités nécessaires; l'on est obligé de s'y faire des cabanes de feuillages, dans lesquelles le vent saisit les malades et répercute la transpiration de la manière la plus dangereuse; d'ailleurs le lieu est malsain, parce qu'étant situé au fond d'un vallon, toutes les vapeurs des marais de la plage, qui en est remplie, viennent s'y engouffrer. Il paraît que jadis les Romains se servaient de ces bains, car l'on y trouve des traces de bâtiment, des débris de canaux enfoncés, des gradins, et quelques restes d'une salle qui fut revêtue intérieurement de pouzzolane; le tout d'une telle épaisseur et d'une telle solidité, que l'on y reconnaît sensiblement la main des maîtres de l'Italie. Au reste, il paraîtra quelque jour, sur cette source, un mémoire analytique fait par des gens de l'art, et dont on m'a communiqué le manuscrit. Une autre source non moins célèbre sur la côte d'ouest, est celle de Guagno à deux lieues de Vico; l'on n'en a pas fait l'analyse, mais ses effets sont absolument les mêmes. Ses inconvénients aussi sont égaux, car l'on n'y trouve pas plus de secours, ni de commodités. Il n'y a de toute construction que les murs ruinés de deux petites chambres sans toit, et un bassin rond en pouzzolane de huit pieds de diamètre, et de trois de profondeur avec ses bancs ou gradins. Le robinet donne environ un pouce cube d'eau qui marque 42 degrés de chaleur. Si l'on formait, soit là, soit au Fium'Orbo, un établissement commode et bien dirigé, il procurerait les secours les plus précieux, non-seulement à la Corse, mais encore à l'Italie et à tout le midi de la France. L'article seul des soldats français indemniserait de toute dépense; car on estime qu'il en coûte plus de vingt mille livres par an pour envoyer les malades aux eaux du continent, sans compter la perte du temps, et la circonscription que l'on donne à la liste des malades.
Il y a encore des eaux thermales à Guitéra, canton de Talavo; mais l'on n'y trouveras même de bassin, et il faut s'y baigner dans la boue.
En eaux minérales froides, les plus justement vantées, sont celles d'Orezza, côte d'est, district de la Porta, près des sources de Fium'Alto. Elles sont acidules et gazeuses à tel point, qu'elles brisent les bouteilles, et piquent le nez, comme le vin de Champagne; elles contiennent du fer et du sel marin; elles sont souverainement efficaces dans les cas d'obstructions, d'hydropisie, de maux d'estomacs invétérés avec vomissement, de migraines, de coliques, de marasme, de suppression ou de pertes dans les femmes, etc. On compte dans tout le pays voisin huit ou dix de ces sources, mais la meilleure est celle de Stazzona, au lieu que j'ai indiqué; elle a d'autant plus de prix, qu'elle est la seule avec celle de Vals qui existe dans le midi de la France, et qu'à leur défaut on est obligé d'aller jusqu'en Lorraine.
L'historien Filippini rapporte qu'un savant et charitable évêque de Nebbio avait fait des recherches sur toutes les eaux minérales de Corse; mais les lumières d'alors ne suffisaient pas pour cette partie, difficile encore aujourd'hui, et ces recherches ne nous procurent que les noms des sources de Carozzica, Pantone di Cacci, de Maranzana près de Mariana; de Nebbio et Campo Cardetto, qui veulent être prises chaudes; et d'Attalla, sur la route de Sarteno.
Il semblait que ces eaux minérales et thermales dussent tenir à des volcans; mais l'on n'en aperçoit aucune trace en Corse, malgré le voisinage de l'Italie. L'on n'y connaît pas davantage les tremblements de terre, et du moins la nature, en refusant à cette île les richesses de Naples et de Messine, lui a accordé pour dédommagement la sécurité.
L'on ne peut pas non plus accuser la nature de l'avoir maltraitée pour le climat; j'y en ai trouvé, comme dans la Syrie, trois bien distincts, mesurés par les degrés d'élévation du terrain: le premier qui est celui de toute la plage maritime embrasse la région inférieure de l'atmosphère depuis le niveau de la mer, jusque vers 300 toises perpendiculaires d'élévation, et celui-là porte le caractère qui convient à la latitude de l'île, c'est-à-dire qu'il est chaud comme les côtes parallèles d'Italie et d'Espagne.
Le second est celui de la région moyenne, qui s'étend depuis 300 toises jusque vers 900 toises, et même vers 1000 toises; et il ressemble à notre climat de France, particulièrement à celui de la Bourgogne, du Morvan et de la Bretagne.
Le troisième est celui de la région supérieure, ou cime des montagnes, et ce dernier est froid et tempétueux comme la Norwège.
Dans le premier climat, c'est-à-dire, sur toute la côte de la mer, il n'y a, à proprement parler, que deux saisons: le printemps et l'été; rarement le thermomètre y descend au-dessous d'un ou deux degrés sous zéro, et il ne s'y maintient que peu d'heures. Sur toutes les plages, le soleil, même en janvier, se montre chaud, si le vent ne le tempère; mais les nuits et l'ombre y sont froides, et le sont en toutes saisons. Si le ciel s'y voile, ce n'est que par intervalles; le seul vent de sud-est, le lourd scirocco, apporte les brumes ténaces que le violent sud-ouest se plait à chasser. S'il fait mauvais, c'est par tempêtes; s'il pleut, c'est par ondées: la nature n'y marche que par extrêmes.
A peine les froids modérés de janvier sont-ils ramollis, qu'un soleil caniculaire leur succède pour huit mois, et la température passe de huit degrés à dix-huit, et jusqu'à vingt-six à l'ombre. Malheur à la végétation, s'il ne pleut dans les mois de mars ou avril; et ce malheur est fréquent: aussi dans toute la Corse, les arbres et arbustes sont-ils généralement des espèces à feuilles dures et coriaces qui résistent à la sécheresse, tels que le laurier-cerise, le myrte, le cyste, le lentisque, l'olivier sauvage dont la verdure vivace tapisse en tout temps les pentes, et contraste d'une manière pittoresque avec les blocs gris et roux de granit et de marbre. Dans ce climat inférieur sont situés les ports et villes principales de l'île, tels que Bastia, Porto-Vecchio, Bonifacio, Ajaccio, Calvi, l'Ile-Rousse, Saint-Florent: là, comme à Hyères, l'on peut cultiver en plein sol, des orangers, des citronniers, et toutes les plantes des pays chauds; le jardin de la famille Arena à l'Ile-Rousse, et deux ou trois vergers près d'Ajaccio en offrent d'heureux exemples, puisque l'on y cueille des oranges et des citrons de la plus grande beauté; mais dans ces jardins, il faut se garder de l'attrait des ombrages et de la fraîcheur des eaux si recherchées dans le nord de la France. En Corse, comme dans tous les climats chauds, les vallons, les eaux, les ombrages, sont presque pestilentiels; l'on ne s'y promène point le soir sans y recueillir des fièvres longues et cruelles, qui, à moins de changer absolument d'air, se terminent par l'hydropisie et la mort. Nous en avons fait de cruelles épreuves dans nos colonies de Galeria, de Chiavari, de Paterno, au camp des Lorrains, puisque de tous les sujets envoyés, il n'en survivait au bout de trois ans qu'un très-petit nombre.
Dans le second climat, c'est-à-dire, dans les montagnes, depuis le niveau de 300, jusqu'à 900 et même 1000 toises, les chaleurs sont plus modérées, les froids sont plus longs, plus vifs; la nature est moins extrême, sans être moins variable. Du jour à la nuit, du matin à midi, de l'ombre au soleil, du vent à l'abri, les passages de température sont fréquents et brusques: la neige et la gelée, qui se montrent dès novembre, persistent quelquefois pendant quinze ou vingt jours. Il est remarquable qu'elles ne tuent point les oliviers jusqu'à la hauteur d'environ 600 toises; que même la neige les rend plus féconds. Le châtaignier qui les accompagne depuis 300 toises, semble être l'arbre spécial de ce climat, puisqu'il finit vers mille toises, et cède la place aux chênes verts, aux sapins, aux hêtres, aux buis, aux genevriers plus robustes contre la violence des hivers. C'est aussi dans ce climat qu'habite la majeure partie de la population Corse, dispersée dans des hameaux et villages situés la plupart généralement sur des pointes, et aux endroits ventilés. Une telle position est pour eux une condition nécessaire de salubrité; car dans cette région comme dans l'inférieure, les bas-fonds, vallons, et conques, sont avec raison décriés pour leur mauvais air, soit à raison de son humidité, soit à raison de ses excès de température opposée; car dans tous les vallons et conques, où l'air est stagnant, le moindre soleil produit une chaleur qui prive la respiration de son aliment. C'est ce que l'on éprouve en partie à Corté, qui, quoique au niveau de près de 700 toises, éprouve en été des ardeurs plus violentes et plus opiniâtres que la plage, puisqu'elles ne se calment même pas pendant la nuit.
En juillet 92, l'on y a vu le thermomètre à 30 degrés à l'ombre, pendant plusieurs jours, tandis qu'en décembre 88, il était tombé jusqu'à 4 degrés sous zéro. Dans un même jour, le 4 février 92, je l'ai vu à midi marquer à l'ombre et au vent du nord, 3 degrés au-dessus de zéro; et présenté au soleil au revers du même mur, il marquait peu de minutes après 20 degrés; en sorte que là, comme au Mexique, on peut dire avec l'Espagnol, que l'hiver et l'été ne sont séparés que par une cloison; ce qui provient surtout de la disposition du local en conque dont les parois composées de rocs nus, reflètent en été l'ardeur qui les brûle, et en hiver la bise piquante des neiges dont elles se trouvent tapissées.
Le troisième climat, celui de la haute cime des monts est le siége des frimas et des ouragans pendant 8 mois de l'année, et d'un air parfaitement pur ou semé de nuages légers pendant la saison d'été. Les seuls lieux habités dans cette région, sont le Niolo, et les deux forts de Vivario et Bogognano, ou plus proprement de Vizzavona, situés aux deux extrémités de la gorge ou canal de ce nom.
Les quinze à vingt Suisses qui vivent en garnison dans chacun, se louent de la douceur du climat depuis mai jusque vers septembre, et de l'excellence de l'air en toute saison. Il n'est point de fièvre contractée à la plage, qui ne s'y guérisse en quinze jours. Mais pendant l'hiver, ces forts battus d'ouragans furieux, et souvent clos par six à dix pieds de neige, sont une vraie prison où l'on vit de provisions salées comme dans un vaisseau. Il y a entre eux deux cette différence que dans celui de Vivario, situé du côté de l'est, l'air est sec, et que ni le pain ni le bois ne s'y moisissent, tandis que dans celui de Vizzavona, situé à 4000 toises seulement, du côté de l'ouest, les murs sont sans cesse humides, et les planchers déja pourris. Au-dessus de ces forts, l'œil n'aperçoit plus de végétaux que quelques sapins suspendus à des rochers grisâtres: séjour sauvage, il est vrai, des oiseaux de proie et des bêtes fauves: mais, qui, tout affreux qu'il paraît, offre un puissant sujet d'intérêt au contemplateur de la nature, puisque c'est là qu'elle établit par les amas de neiges et de glace, les provisions d'eau, des sources et des rivières pour toute l'année. Jadis ces cimes étant plus hautes encore et plus couvertes d'arbres, il n'est pas douteux que les neiges n'y fussent plus abondantes, plus durables, et que même il n'y eût des glaciers, puisqu'il en reste encore un petit sur un revers du Monte-Rotondo. Mais à mesure que les rocs s'écroulent et se dépouillent, ces utiles provisions diminuent; et ce qui ajoute à l'importance de l'observation que j'ai faite sur la conservation des bois, c'est qu'en même temps que le pays est moins abreuvé, il est moins salubre, puisque l'intempérie commence et finit précisément avec la disparition et le retour des neiges.
Il résulte de ce tableau que la Corse peut se considérer comme une masse pyramidale divisée en trois tranches d'air horizontales, dont l'inférieure est chaude et humide, la supérieure froide et sèche, et la moyenne participant de ces qualités. Or, si l'on observe que ces couches d'air sont par leur nature mobiles et flottantes, et de plus que la couche inférieure, dilatée par la chaleur, fait sans cesse effort contre la supérieure que le froid condense, l'on concevra qu'il doit arriver de fréquents dérangements dans leur équilibre, ou plutôt que sans cesse elles se mélangent et se confondent; et ceci explique tous les phénomènes physiques de ce climat, et entre autres un problème de végétation remarquable: on s'est souvent étonné que la végétation en Corse, étant à peine suspendue pendant l'hiver, et se ranimant dès la fin de janvier, fût cependant aussi lente dans ses résultats que dans le milieu de la France; que, par exemple, le froment semé en novembre et végétant sans gelée à la plage, ne fût cependant mûr qu'à la fin de juillet; que la vigne qui fleurit en mars, ne fût propre à la vendange qu'à la fin de septembre et même en octobre, comme sur les coteaux de la Loire; mais l'étonnement cesse quand on réfléchit que le degré de chaleur nécessaire à la fructification, est sans cesse interrompu par le froid piquant des nuits, et de toutes les bises neigeuses. Et cette alternative de chaud et de froid a un effet de diastole et de systole, qui sans doute contribue à la vigueur et à l'énergie que présente la végétation des arbres; car ils ont ceci de remarquable, que leur développement et leur force de sève surpassent tout ce que nous voyons dans notre continent. Du sein des rocs les plus secs, partent des troncs d'oliviers qui loin d'être rabougris comme ceux de Provence, s'élèvent droits et lisses à la hauteur de 25 à 40 pieds. J'ai vu un sumac et un peuplier, qui, plantés en février, n'ayant pas alors plus de dix-huit pouces de hauteur, avaient au 25 août surpassé celle de six pieds. A la pépinière de l'Arena en Casinca, les branches de citronniers et d'orangers taillées en août, et sur-le-champ replantées, donnent des fruits l'année suivante. Les émondes des poiriers et des pêchers, employées à ramer des légumes, après être restées sur terre pendant dix et douze jours, ont repris racine: en sorte que l'ingénieur français qui rendait compte de ce pays au ministre Choiseul, avait presque raison de dire que si l'on y plantait un bâton il prendrait racine.
Mais pour revenir aux effets des diverses couches d'air, ils expliquent très-bien pourquoi la température en Corse éprouve les vicissitudes rapides dont j'ai parlé; pourquoi en été le vent qui tombe des montagnes est brûlant comme leurs roches, tandis qu'en hiver ce même vent est glacial comme la neige qui les couvre; pourquoi dans un même lieu, et quelquefois dans un même instant, l'on éprouve tour à tour des courants d'air chaud et d'air frais qui passent comme des nuages. Et ceci m'amène naturellement à parler du système des vents dans cette île.
Je ne répéterai point ce que j'ai déja dit de leur mécanisme dans mon voyage de Syrie (t. 2), et quoique j'aie étudié de nouveau cette matière sans avoir égard à mes opinions antérieures, il m'a paru que mes nouvelles observations ne faisaient qu'ajouter à la solidité des causes que je leur ai développées. En Corse, comme en Syrie, j'ai retrouvé le vent de terre avec toutes ses circonstances; tombant le soir des hautes montagnes, à mesure que l'air refroidi se condense et s'appesantit; remontant de la mer le matin, précisément lorsque le soleil échauffe la terre, et que l'air dilaté grimpe le long des roches, et décèle sa marche par les flocons nébuleux qu'il entraîne; plus régulier, plus sensible l'été où les contrastes extrêmes sont plus prononcés; plus faible, plus interrompu l'hiver où l'atmosphère se ressemble davantage, et où les grands vents en occupent l'empire. Ce vent de terre est surtout remarquable sur la côte d'ouest, et dans le golfe d'Ajaccio, où il imite parfaitement les brises des Antilles, sans doute par la raison que dans cette partie la pente des montagnes plus rapide, essuie en outre la plus forte chaleur du jour; et lorsque je considère que le prolongement du golfe d'Ajaccio dans l'intérieur des terres, est une vallée droite et profonde, où le vent de mer remonte comme dans un tuyau, il me paraît évident que c'est lui qui gorge d'humidité, et fait au fort de Vizzavona le dépôt dont j'ai parlé, et qui devient d'autant plus nécessaire, que là, il rencontre une forêt de sapins, et habituellement un vent contraire qui le force de déposer.
En général, il n'existe jamais pour la Corse un même vent, un même courant d'air; alors même que toute l'atmosphère de la Méditerranée s'ébranle dans une même direction, ce grand fleuve d'air produit pour la Corse des tournoiements, des contre-reflux, des déviations absolument semblables à ceux que l'on remarque dans les fleuves d'eau, aux piles des ponts, aux grèves aux rochers; dans tous les obstacles de cette espèce, l'on peut observer qu'il se fait aux pointes d'avant, mais surtout à celles d'arrière, c'est-à-dire au bas du courant, des mouvements de tourbillon, d'engouffrement, de déviation, très-compliqués, et cependant soumis à des lois fixes de frottement et de rapidité, de la part des lames d'eau qui se heurtent ou qui glissent les unes contre les autres. A la différence près de légèreté, ces effets sont les mêmes dans les courans d'air, et les deux pointes de la Corse en offrent des preuves palpables; car il arrive tous les jours qu'un vaisseau vogue par un vent d'ouest vers le Cap-Corse ou Bonifacio, et qu'à peine il a dépassé la pointe, il se voit pris par un vent debout, qui lui plie ses voiles, et le promène en lignes courbes et en circuit. Les marins savent qu'à ces deux pointes il règne habituellement des vents opposés et toujours violents, parce qu'ils y sont resserrés comme dans un détroit. Le canal ou bouche de Bonifacio est célèbre pour les vents terribles; ceux du sud-ouest y sont si constants, que tous les arbres y sont inclinés dans le sens de leur souffle, et que les oliviers avec leurs branches jetées d'un seul côté, présentent l'aspect singulier de femmes échevelées dans les tempêtes de Vernet. La même chose arrive au Cap-Corse, et y rend impossible la culture des grains et de toutes plantes à tiges faibles: observez d'ailleurs, qu'un même vent change de direction selon les côtes qu'il rencontre, et que le vent qui est ouest sur la bande d'Ajaccio, devient sud-ouest à Calvi et au Cap-Corse. C'est ce sud-ouest qui règne habituellement sur ces parages, et qui, lorsqu'il franchit les montagnes de Saint-Florent, tombe avec tant de roideur sur Bastia, qui est au revers de la côte, à 500 toises de profondeur, qu'il enlève quelquefois les toits des maisons, et que l'on est jusqu'à 8 jours sans que l'on puisse sortir. Les vieillards du pays assurent qu'autrefois ce vent ne passait pas au delà du Bevinco, et maintenant il ravage au loin toute la plaine. Ce fait constaté trouverait très-bien sa solution dans le dépouillement du mont Penda, et des hauteurs adjacentes, jadis couvertes des sapins et des chênes de la foret de Stella, aujourd'hui rasée.
L'on ne donne point assez d'attention à l'importance des bois sur les cimes des hauteurs, et il faudra que quelque jour un gouvernement éclairé dresse un code spécial sur cette partie de la richesse et de la santé publiques.
Par opposition aux vents d'ouest et sud-ouest, régnants sur la bande d'Ajaccio, les vents d'est et sud-ouest dominent sur celle de Bastia. D'après les observations des ingénieurs du cadastre du terrier, ils y occupent eux seuls les cinq sixièmes de l'année: leurs effets y sont diamétralement contraires à ceux de leurs antagonistes; car tandis que l'ouest et sud-ouest dessèchent tout à Bonifacio, à Calvi, au Cap-Corse, l'est et surtout le sud-est engraissent et fomentent la végétation par leurs brouillards moites, et par leurs douces pluies, depuis Bastia jusqu'à Porto-Vecchio; mais ils compensent chèrement ce bienfait à l'égard des animaux par le malaise et l'accablement dont ils les affectent. Le sud-est particulièrement rend la tête pesante, le corps fiévreux, l'estomac nauséabond; c'est lui qui est si justement décrié en Italie sous le nom de scirocco ou vent syrien, et dans nos provinces du Midi, sous le nom de vent marin. Ses mauvaises qualités s'exaltent sur la côte orientale de Corse, par les nombreux marais dont elle est bordée; il contribue même à leur formation, en imprimant à la mer un mouvement qui engorge de sable toutes les embouchures des rivières, et les ferme dans le sens de sa direction. Par ce mécanisme, les eaux débordent facilement, se répandent, stagnent, se corrompent; et quand la chaleur vient, leurs exhalaisons poussées par l'est et le sud-est au pied des montagnes, y causent l'insalubrité dont on s'y plaint à des hauteurs et à des distances considérables; elles remontent même dans l'intérieur du pays par les canaux des vallons, et on leur attribue entre autres ce qui se passe à l'auberge de Ponto-Nuovo sur le Golo, où l'air est tellement vicié, que l'on n'y couche pas deux nuits sans y prendre la fièvre. Cependant si, comme il est vrai, tout vallon en Corse est malsain, il faut admettre à ce phénomène une raison plus générale, et elle me paraît exister dans la stagnation de l'air, dans l'alternative du chaud et du froid, mais par-dessus tout, dans l'humidité excessive du soir et de la nuit. Au reste, en Corse, comme dans tous les pays chauds, tout vent qui passe sur un marais, devient malsain à une distance proportionnée au volume des exhalaisons qu'il transporte. Porto-Vecchio offre en ce genre un fait vraiment lumineux. Là, ce même vent d'est et presque de sud-est, qui empeste les villages situés sous la direction des marais de Biguglia et d'Aléria, est le vent agréable et sain, parce qu'il vient immédiatement de la mer; tandis que le vent d'ouest et sud-ouest, si sain à Bonifacio, est pestiféré à Porto-Vecchio, parce qu'il y pousse toute la vapeur du marais qui est à une demi-lieue dans le sud-ouest. Il y a plus, ce même vent d'est, salubre à Porto-Vecchio, devient en été pénible et malsain, jusque sur les hauteurs de Quenza; et, lorsque de là il retombe sur Sarténé et Ajaccio, il égale le kamsin d'Egypte, parce qu'il arrive chargé de tout le feu des roches pelées, la Rocca. Cet exemple seul développe la théorie des vents; quant à leurs qualités, il suffit d'inspecter la carte géographique pour savoir quel vent est humide, et quel vent est sec dans un pays. Si l'ouest et le sud-ouest sont si secs en Corse, on sent que c'est parce qu'ils arrivent du vaste continent de l'Espagne, où ils ont déposé leur humidité, sans avoir eu le temps de la repomper sur le bras étroit de la Méditerranée qu'ils parcourent. Si l'est et sud-est, au contraire, sont les vents humides et pluvieux, c'est parce qu'ils ont parcouru cette mer dans toute sa longueur, en provoquant par leur chaleur son évaporation; si le vent du nord est frais et sec sur la côte de Balagne, où il règne, c'est qu'il vient du continent de France et des Alpes; et s'il est modéré, c'est qu'arrêté par la barrière des monts, et par le Cap-Corse, il est forcé de se tenir dans un état de stagnation et de remous.