Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 16
§ III.
Des Arabes-Bedouins
Un troisième peuple errant dans la Syrie sont ces Arabes-Bedouins que nous avons déja trouvés en Égypte. Je n'en ai parlé que légèrement à l'occasion de cette province, parce que ne les ayant vus qu'en passant et sans savoir leur langue, leur nom ne me rappelait que peu d'idées; mais les ayant mieux connus en Syrie, ayant même fait un voyage à un de leurs camps près de Gaze, et vécu plusieurs jours avec eux, ils me fournissent maintenant des faits et des observations que je vais développer avec quelque détail.
En général, lorsqu'on parle des Arabes, on doit distinguer s'ils sont cultivateurs, ou s'ils sont pasteurs; car cette différence dans le genre de vie en établit une si grande dans les mœurs et le génie, qu'ils se deviennent presque étrangers les uns aux autres. Dans le premier cas, vivant sédentaires, attachés à un même sol, et soumis à des gouvernements réguliers, ils ont un état social qui les rapproche beaucoup de nous. Tels sont les habitants de l'Yemen; et tels encore les descendants des anciens conquérants, qui forment, en tout ou en partie, la population de la Syrie, de l'Égypte et des états barbaresques. Dans le second cas, ne tenant à la terre que par un intérêt passager, transportant sans cesse leurs tentes d'un lieu à l'autre, n'étant contraints par aucunes lois, ils ont une manière d'être qui n'est ni celle des peuples policés, ni celle des sauvages, et qui par cela même mérite d'être étudiée. Tels sont les Bedouins ou habitants des vastes déserts qui s'étendent depuis les confins de la Perse jusqu'aux rivages de Maroc. Quoique divisés par sociétés ou tribus indépendantes, souvent même ennemies, on peut cependant les considérer tous comme un même corps de nation. La ressemblance de leurs langues est un indice évident de cette fraternité. La seule différence qui existe entre eux, est que les tribus d'Afrique sont d'une formation plus récente, étant postérieures à la conquête de ces contrées par les kalifes ou successeurs de Mahomet; pendant que les tribus du désert propre de l'Arabie remontent, par une succession non interrompue, aux temps les plus reculés. C'est de celles-ci spécialement que je vais traiter, comme appartenant de plus près à mon sujet: c'est à elles que l'usage de l'Orient approprie le nom d'Arabes, comme en étant la race la plus ancienne et la plus pure. On y joint en synonyme celui de Bedâoui, qui, ainsi que je l'ai observé, signifie homme du désert; et ce synonyme me paraît d'autant plus exact, que dans les anciennes langues de ces contrées, le terme Arab désigne proprement une solitude, un désert.
Ce n'est pas sans raison que les habitants du désert se vantent d'être la race la plus pure et la mieux conservée des peuples arabes: jamais en effet ils n'ont été conquis; ils ne se sont pas même mélangés en conquérant; car les conquêtes dont on fait honneur à leur nom en général, n'appartiennent réellement qu'aux tribus de l'Hedjâz et de l'Yemen: celles de l'intérieur des terres n'émigrèrent point lors de la révolution de Mahomet; ou si elles y prirent part, ce ne fut que par quelques individus que des motifs d'ambition en détachèrent: aussi le prophète, dans son Qôran, traite-t-il les Arabes du désert de rebelles, d'infidèles; et le temps les a peu changés. On peut dire qu'ils ont conservé à tous égards leur indépendance et leur simplicité premières. Ce que les plus anciennes histoires rapportent de leurs usages, de leurs mœurs, de leurs langues et même de leurs préjugés, se trouve encore presque en tout le même; et si l'on y joint que cette unité de caractère conservée dans l'éloignement des temps, subsiste aussi dans l'éloignement des lieux, c'est-à-dire que les tribus les plus distantes se ressemblent infiniment, on conviendra qu'il est curieux d'examiner les circonstances qui accompagnent un état moral si particulier.
Dans notre Europe, et surtout dans notre France, où nous ne voyons point de peuples errants, nous avons peine à concevoir ce qui peut déterminer des hommes à un genre de vie qui nous rebute. Nous concevons même difficilement ce que c'est qu'un désert, et comment un terrain a des habitants s'il est stérile, ou n'est pas mieux peuplé s'il est cultivable. J'ai éprouvé ces difficultés comme tout le monde, et, par cette raison, je crois devoir insister sur les détails qui m'ont rendu ces faits palpables.
La vie errante et pastorale que mènent plusieurs peuples de l'Asie, tient à deux causes principales. La première est la nature du sol, lequel se refusant à la culture, force de recourir aux animaux qui se contentent des herbes sauvages de la terre. Si ces herbes sont clair-semées, un seul animal épuisera beaucoup de terrain, et il faudra parcourir de grands espaces. Tel est le cas des Arabes dans le désert propre de l'Arabie et dans celui de l'Afrique.
La seconde cause pourrait s'attribuer aux habitudes, puisque le terrain est cultivable et même fécond en plusieurs lieux, tels que la frontière de Syrie, le Diarbekr, l'Anadoli, et la plupart des cantons fréquentés par les Kourdes et les Turkmans. Mais en analysant ces habitudes, il m'a paru qu'elles n'étaient elles-mêmes qu'un effet de l'état politique de ces pays; en sorte qu'il faut en rapporter la cause première au gouvernement lui-même. Des faits journaliers viennent à l'appui de cette opinion; car toutes les fois que les hordes et les tribus errantes trouvent dans un canton la paix et la sécurité jointes à la suffisance, elles s'y habituent, et passent insensiblement à l'état cultivateur et sédentaire. Dans d'autres cas, au contraire, lorsque la tyrannie du gouvernement pousse à bout les habitants d'un village, les paysans désertent leurs maisons, se retirent avec leurs familles dans les montagnes, ou errent dans les plaines, avec l'attention de changer souvent de domicile pour n'être pas surpris. Souvent même il arrive que des individus, devenus voleurs pour se soustraire aux lois ou à la tyrannie, se réunissent et forment de petits camps qui se maintiennent à main armée, et deviennent, en se multipliant, de nouvelles hordes ou de nouvelles tribus. On peut donc dire que dans les terrains cultivables, la vie errante n'a pour cause que la dépravation du gouvernement, et il paraît que la vie sédentaire et cultivatrice est celle à laquelle les hommes sont le plus naturellement portés.
A l'égard des Arabes, ils semblent condamnés d'une manière spéciale à la vie vagabonde par la nature de leurs déserts. Pour se peindre ces déserts, que l'on se figure, sous un ciel presque toujours ardent et sans nuages, des plaines immenses et à perte de vue, sans maisons, sans arbres, sans ruisseaux, sans montagnes; quelquefois les yeux s'égarent sur un horizon ras et uni comme la mer. En d'autres endroits le terrain se courbe en ondulations, ou se hérisse de rocs et de rocailles. Presque toujours également nue, la terre n'offre que des plantes ligneuses clair-semées, et des buissons épars, dont la solitude n'est que rarement troublée par des gazelles, des lièvres, des sauterelles et des rats. Tel est presque tout le pays qui s'étend depuis Alep jusqu'à la mer d'Arabie, et depuis l'Égypte jusqu'au golfe Persique, dans un espace de six cents lieues de longueur sur trois cents de large.
Dans cette étendue cependant il ne faut pas croire que le sol ait partout la même qualité; elle varie par veines et par cantons. Par exemple, sur la frontière de Syrie, la terre est en général grasse, cultivable, même féconde: elle est encore telle sur les bords de l'Euphrate; mais en s'avançant dans l'intérieur et vers le midi, elle devient crayeuse et blanchâtre, comme sur la ligne de Damas; puis rocailleuse, comme dans le Tîh et l'Hédjâz; puis enfin un pur sable, comme à l'orient de l'Yemen. Cette différence dans les qualités du sol produit quelques nuances dans l'état des Bedouins. Par exemple, dans les cantons stériles, c'est-à-dire mal garnis de plantes, les tribus sont faibles et très-distantes: tels sont le désert de Suez, celui de la mer Rouge, et la partie intérieure du grand désert, qu'on appelle le Nadjd.202 Quand le sol est mieux garni, comme entre Damas et l'Euphrate, les tribus sont moins rares, moins écartées; enfin, dans les cantons cultivables, tels que le pachalic d'Alep, le Haurân et le pays de Gaze, les camps sont nombreux et rapprochés. Dans les premiers cas, les Bédouins sont purement pasteurs, et ne vivent que du produit des troupeaux, de quelques dattes et de chair fraîche ou séchée au soleil, que l'on réduit en farine. Dans le dernier, ils ensemencent quelques terrains, et joignent le froment, l'orge et même le riz, à la chair et au laitage.
Quand on se rend compte des causes de la stérilité et de l'inculture du désert, on trouve qu'elles viennent surtout du défaut de fontaines, de rivières, et en général du manque d'eau. Ce manque d'eau lui-même vient de la disposition du terrain, c'est-à-dire, qu'étant plan et privé de montagnes, les nuages glissent sur sa surface échauffée, comme sur l'Égypte: ils ne s'y arrêtent qu'en hiver, lorsque le froid de l'atmosphère les empêche de s'élever, et les résout en pluie. La nudité de ce terrain est aussi une cause de sécheresse, en ce que l'air le couvre, s'échauffe plus aisément, et force les nuages de s'élever. Il est probable que l'on produirait un changement dans le climat, si l'on plantait tout le désert en arbres, par exemple, en sapins.
L'effet des pluies qui tombent en hiver, est d'occasioner dans le lieu où le sol est bon, comme sur la frontière de Syrie, une culture assez semblable à celle de l'intérieur même de cette province; mais comme ces pluies n'établissent ni sources, ni ruisseaux durables, les habitants éprouvent l'inconvénient d'être sans eau pendant l'été. Pour y obvier, il a fallu employer l'art, et construire des puits, des réservoirs et des citernes, où l'on en amasse une provision annuelle. De tels ouvrages exigent des avances de fonds et de travail, et sont encore exposés à bien des risques. La guerre peut détruire en un jour le travail de plusieurs mois, et la ressource de l'année. Un cas de sécheresse, qui n'est que trop fréquent, peut faire avorter une récolte, et réduire à la disette même de l'eau. Il est vrai qu'en creusant la terre, on en trouve presque partout depuis 6 jusqu'à 20 pieds de profondeur; mais cette eau est saumâtre, comme dans tout le désert d'Arabie et d'Afrique203, souvent même elle tarit: alors la soif et la famine surviennent; et si le gouvernement ne prête pas des secours, les villages se désertent. On sent qu'un tel pays ne peut avoir qu'une agriculture précaire, et que sous un régime comme celui des Turks, il est plus sûr de vivre pasteur errant, que laboureur sédentaire.
Dans les cantons où le sol est rocailleux et sablonneux, comme dans le Tîh, l'Hedjâh et le Nadj, ces pluies font germer les graines des plantes sauvages, raniment les buissons, les renoncules, les absinthes, les qalis, etc., et forment dans les bas-fonds des lagunes où croissent des roseaux et des herbes: alors la plaine prend un aspect assez riant de verdure; c'est la saison de l'abondance pour les troupeaux et pour leurs maîtres; mais au retour des chaleurs, tout se dessèche, et la terre, poudreuse et grisâtre, n'offre plus que des tiges sèches et dures comme le bois, que ne peuvent brouter ni les chevaux, ni les bœufs, ni même les chèvres. Dans cet état, le désert deviendrait inhabitable, et il faudrait le quitter, si la nature n'y eût attaché un animal d'un tempérament aussi dur et aussi frugal que le sol est ingrat et stérile, si elle n'y eût placé le chameau. Aucun animal ne présente une analogie si marquée et si exclusive à son climat: on dirait qu'une intention préméditée s'est plu à régler les qualités de l'un sur celles de l'autre. Voulant que le chameau habitât un pays où il ne trouverait que peu de nourriture, la nature a économisé la matière dans toute sa construction. Elle ne lui a donné la plénitude des formes ni du bœuf, ni du cheval, ni de l'éléphant; mais le bornant au plus étroit nécessaire, elle lui a placé une petite tête sans oreilles, au bout d'un long cou sans chair. Elle a ôté à ses jambes et à ses cuisses tout muscle inutile à les mouvoir; enfin elle n'a accordé à son corps desséché que les vaisseaux et les tendons nécessaires pour en lier la charpente. Elle l'a muni d'une forte mâchoire pour broyer les plus durs aliments; mais de peur qu'il n'en consommât trop, elle a rétréci son estomac, et l'a obligé à ruminer. Elle a garni son pied d'une masse de chair qui, glissant sur la boue, et n'étant pas propre à grimper, ne lui rend praticable qu'un sol sec, uni et sablonneux comme celui de l'Arabie; enfin elle l'a destiné visiblement à l'esclavage, en lui refusant toutes défenses contre ses ennemis. Privé des cornes du taureau, du sabot du cheval, de la dent de l'éléphant et de la légèreté du cerf, que peut le chameau contre les attaques du lion, du tigre, ou même du loup? Aussi, pour en conserver l'espèce, la nature le cacha-t-elle au sein des vastes déserts, où la disette des végétaux n'attirait nul gibier, et d'où la disette du gibier repoussait les animaux voraces. Il a fallu que le sabre des tyrans chassât l'homme de la terre habitable, pour que le chameau perdît sa liberté. Passé à l'état domestique, il est devenu le moyen d'habitation de la terre la plus ingrate. Lui seul subvient à tous les besoins de ses maîtres. Son lait nourrit la famille arabe, sous les diverses formes de caillé, de fromage et de beurre; souvent même on mange sa chair. On fait des chaussures et des harnais de sa peau, des vêtements et des tentes de son poil. On transporte par son moyen de lourds fardeaux; enfin, lorsque la terre refuse le fourrage au cheval si précieux au Bedouin, le chameau subvient par son lait à la disette, sans qu'il en coûte, pour tant d'avantages, autre chose que quelques tiges de ronces ou d'absinthes, et des noyaux de dattes pilés. Telle est l'importance du chameau pour le désert, que si on l'en retirait, on en soustrairait toute la population, dont il est l'unique pivot204.
Voilà les circonstances dans lesquelles la nature a placé les Bedouins, pour en faire une race d'hommes singulière au moral et au physique. Cette singularité est si tranchante, que leurs voisins, les Syriens mêmes, les regardent comme des hommes extraordinaires. Cette opinion a lieu surtout pour les tribus du fond du désert, telles qu'Anazé, Kaibar, Taï et autres, qui ne s'approchent jamais des villes. Lorsque, du temps de Dâher, il en vint des cavaliers jusqu'à Acre, ils y firent la même sensation que feraient parmi nous des sauvages de l'Amérique. On considérait avec surprise ces hommes plus petits, plus maigres et plus noirs qu'aucuns Bedouins connus: leurs jambes sèches n'avaient que des tendons sans mollets; leur ventre était collé à leur dos; leurs cheveux étaient crêpés presque autant que ceux des nègres. De leur côté, tout les étonnait; ils ne concevaient ni comment les maisons et les minarets pouvaient se tenir debout, ni comment on osait habiter dessous, et toujours au même endroit; mais surtout ils s'extasiaient à la vue de la mer, et ils ne pouvaient comprendre ce désert d'eau. On leur parla de mosquées, de prières, d'ablutions; et ils demandèrent ce que cela signifiait, ce que c'était que Moïse, Jésus-Christ et Mahomet, et pourquoi les habitants, n'étant pas de tribus séparées, suivaient des chefs opposés.
On sent que les Arabes des frontières ne sont pas si novices; il en est même plusieurs petites tribus, qui vivant au sein du pays, comme dans la vallée de Beqââ, dans celle du Jourdain, et dans la Palestine, se rapprochent de la condition des paysans; mais ceux-là sont méprisés des autres, qui les regardent comme des Arabes bâtards, et des rayas ou esclaves des Turks.
En général, les Bedouins sont petits, maigres et hâlés, plus cependant au sein du désert, moins sur la frontière du pays cultivé, mais là même, toujours plus que les laboureurs du voisinage: un même camp offre aussi cette différence, et j'ai remarqué que les chaiks, c'est-à-dire les riches et leurs serviteurs, étaient toujours plus grands et plus charnus que le peuple. J'en ai vu qui passaient 5 pieds 5 et 6 pouces, pendant que la taille générale n'est que de 5 pieds 2 pouces. On n'en doit attribuer la raison qu'à la nourriture, qui est plus abondante pour la première classe que pour la dernière205. On peut même dire que le commun des Bedouins vit dans une misère et une famine habituelles. Il paraîtra peu croyable parmi nous, mais il n'en est pas moins vrai que la somme ordinaire des aliments de la plupart d'entre eux ne passe pas 6 onces par jour: c'est surtout chez les tribus du Nadj et de l'Hedjâz, que l'abstinence est portée à son comble. Six ou sept dattes trempées dans du beurre fondu, quelque peu de lait doux ou caillé, suffisent à la journée d'un homme. Il se croit heureux, s'il y joint quelques pincées de farine grossière ou une boulette de riz. La chair est réservée aux plus grands jours de fête; et ce n'est que pour un mariage ou une mort que l'on tue un chevreau; ce n'est qu'aux chaiks riches et généreux qu'il appartient d'égorger de jeunes chameaux, de manger du riz cuit avec de la viande. Dans sa disette, le vulgaire, toujours affamé, ne dédaigne pas les plus vils aliments: de là l'usage où sont les Bedouins de manger des sauterelles, des rats, des lézards et des serpents grillés sur des broussailles; de là leurs rapines dans les champs cultivés, et leurs vols sur les chemins; de là aussi leur constitution délicate, et leur corps petit et maigre, plutôt agile que vigoureux. Il y a ceci de remarquable pour un médecin, dans leur tempérament, que leurs déperditions en tout genre, même en sueurs, sont très-faibles; leur sang est si dépouillé de sérosité, qu'il n'y a que la grande chaleur qui puisse le maintenir dans sa fluidité. Cela n'empêche pas qu'ils ne soient d'ailleurs assez sains, et que les maladies ne soient plus rares parmi eux que parmi les habitants du pays cultivé.
D'après ces faits, on ne jugera point que la frugalité des Arabes soit une vertu purement de choix, ni même de climat. Sans doute l'extrême chaleur dans laquelle ils vivent, facilite leur abstinence, en ôtant à l'estomac l'activité que le froid lui donne. Sans doute aussi l'habitude de la diète, en empêchant l'estomac de se dilater, devient un moyen de la supporter; mais le motif principal et premier de cette habitude, est, comme pour tous les autres hommes, la nécessité des circonstances où ils se trouvent, soit de la part du sol, comme je l'ai expliqué, soit de la part de leur état social qu'il faut développer.
J'ai déja dit que les Arabes-Bedouins étaient divisés par tribus, qui constituent autant de peuples particuliers. Chacune de ces tribus s'approprie un terrain qui forme son domaine; elles ne diffèrent à cet égard des nations agricoles, qu'en ce que ce terrain exige une étendue plus vaste, pour fournir à la subsistance des troupeaux pendant toute l'année. Chacune de ces tribus compose un ou plusieurs camps qui sont répartis sur le pays, et qui en parcourent successivement les parties à mesure que les troupeaux les épuisent: de là il arrive que sur un grand espace il n'y a jamais d'habités que quelques points qui varient d'un jour à l'autre; mais comme l'espace entier est nécessaire à la subsistance annuelle de la tribu, quiconque y empiète, est censé violer la propriété; ce qui ne diffère point encore du droit public des nations. Si donc une tribu ou ses sujets entrent sur un terrain étranger, ils sont traités en voleurs, en ennemis, et il y a guerre. Or, comme les tribus ont entre elles des affinités par alliance de sang ou par conventions, il s'ensuit des ligues qui rendent les guerres plus ou moins générales. La manière d'y procéder est très-simple. Le délit connu, l'on monte à cheval, l'on cherche l'ennemi, l'on se rencontre, on parlemente; souvent on se pacifie, sinon l'on s'attaque par pelotons ou par cavaliers; on s'aborde ventre à terre, la lance baissée; quelquefois on la darde, malgré sa longueur, sur l'ennemi qui fuit: rarement la victoire se dispute; le premier choc la décide; les vaincus fuient à bride abattue sur la plaine rase du désert. Ordinairement la nuit les dérobe au vainqueur. La tribu qui a du dessous lève le camp, s'éloigne à marche forcée, et cherche un asile chez les alliés. L'ennemi satisfait pousse les troupeaux plus loin, et les fuyards reviennent à leur domaine. Mais, du meurtre de ces combats, il reste des motifs de haine qui perpétuent les dissensions. L'intérêt de la sûreté commune à dès long-temps établi chez les Arabes une loi générale, qui veut que le sang de tout homme tué soit vengé par celui de son meurtrier; c'est ce qu'on appelle le târ ou talion: le droit en est dévolu au plus proche parent du mort. Son honneur devant tous les Arabes y est tellement compromis, que s'il néglige de prendre son talion, il est à jamais deshonoré. En conséquence, il épie l'occasion de se venger; si son ennemi périt par des causes étrangères, il ne se tient point satisfait, et sa vengeance passe sur le plus proche parent. Ces haines se transmettent comme un héritage du père aux enfants, et ne cessent que par l'extinction de l'une des races, à moins que les familles ne s'accordent en sacrifiant le coupable, ou en rachetant le sang pour un prix convenu en argent ou en troupeaux. Hors cette satisfaction, il n'y a ni paix, ni trève, ni alliance entre elles, ni même quelquefois entre les tribus réciproques: Il y a du sang entre nous, se dit-on en toute affaire; et ce mot est une barrière insurmontable. Les accidents s'étant multipliés par le laps de temps, il est arrivé que la plupart des tribus ont des querelles, et qu'elles vivent dans un état habituel de guerre; ce qui, joint à leur genre de vie, fait des Bedouins un peuple militaire, sans qu'ils soient néanmoins avancés dans la pratique de cet art. La disposition de leurs camps est un rond assez irrégulier, formé par une seule ligne de tentes plus ou moins espacées. Ces tentes, tissues de poil de chèvre ou de chameau, sont noires ou brunes, à la différence de celles des Turkmans, qui sont blanchâtres. Elles sont tendues sur 3 ou 5 piquets de 5 à 6 pieds de hauteur seulement, ce qui leur donne un air très-écrasé; dans le lointain, un tel camp ne paraît que comme des taches noires; mais l'œil perçant des Bedouins ne s'y trompe pas. Chaque tente, habitée par une famille, est partagée par un rideau en deux portions, dont l'une n'appartient qu'aux femmes. L'espace vide du grand rond sert à parquer chaque soir les troupeaux. Jamais il n'y a de retranchement; les seules gardes avancées et les patrouilles sont des chiens; les chevaux restent sellés, et prêts à monter à la première alarme; mais comme il n'y a ni ordre ni distribution, ces camps, déja faciles à surprendre, ne seraient d'aucune défense en cas d'attaque: aussi arrive-t-il chaque jour des accidents, des enlèvements de bestiaux; et cette guerre de maraude est une de celles qui occupent davantage les Arabes.
Les tribus qui vivent dans le voisinage des Turks, ont une position encore plus orageuse: en effet, ces étrangers s'arrogeant, à titre de conquête, la propriété de tout le pays, ils traitent les Arabes comme des vassaux rebelles, ou des ennemis inquiets et dangereux. Sur ce principe, ils ne cessent de leur faire une guerre sourde ou déclarée. Les pachas se font une étude de profiter de toutes les occasions de les troubler. Tantôt ils leur contestent un terrain qu'ils leur ont loué; tantôt ils exigent un tribut dont on n'est pas convenu. Si l'ambition ou l'intérêt divise une famille de chaiks, ils secourent tour à tour l'un et l'autre parti, et finissent par les ruiner tous les deux. Souvent ils font empoisonner ou assassiner les chefs dont ils redoutent le courage ou l'esprit, fussent-ils même leurs alliés. De leur côté, les Arabes regardant les Turks comme des usurpateurs et des traîtres, ne cherchent que les occasions de leur nuire. Malheureusement le fardeau tombe plus sur les innocents que sur les coupables: ce sont presque toujours les paysans qui paient les délits des gens de guerre. A la moindre alarme, on coupe leurs moissons, on enlève leurs troupeaux, on intercepte les communications et le commerce: les paysans crient aux voleurs, et ils ont raison; mais les Bedouins réclament le droit de la guerre, et peut-être n'ont-ils pas tort. Quoi qu'il en soit, ces déprédations établissent entre les Bédouins et les habitants du pays cultivé, une mésintelligence qui les rend mutuellement ennemis.
Telle est la situation des Arabes à l'extérieur. Elle est sujette à de grandes vicissitudes, selon la bonne ou mauvaise conduite des chefs. Quelquefois une tribu faible s'élève et s'agrandit, pendant qu'une autre, d'abord puissante, décline ou même s'anéantit; non que tous ses membres périssent, mais parce qu'ils s'incorporent à une autre; et ceci tient à la constitution intérieure des tribus. Chaque tribu est composée d'une ou de plusieurs familles principales, dont les membres portent le titre de chaiks ou seigneurs. Ces familles représentent assez bien les patriciens de Rome, et les nobles de l'Europe. L'un de ces chaiks commande en chef à tous les autres; c'est le général de cette petite armée. Quelquefois il prend le titre d'émir, qui signifie commandant et prince. Plus il a de parens, d'enfants et d'alliés, plus il est fort et puissant. Il y joint des serviteurs qu'il s'attache d'une manière spéciale, en fournissant à tous leurs besoins. Mais en outre, il se range autour de ce chef de petites familles qui, n'étant point assez fortes pour vivre indépendantes, ont besoin de protection et d'alliance. Cette réunion s'appelle qâbilé ou tribu. On la distingue d'une autre par le nom de son chef, ou par celui de la famille commandante. Quand on parle de ses individus en général, on les appelle enfants d'un tel, quoiqu'ils ne soient pas réellement tous de son sang, et que lui-même soit un homme mort depuis long-temps. Ainsi l'on dit: beni Temîn, oulâd Taï; les enfants de Temîn et de Taï. Cette façon de s'exprimer est même passée par métaphore aux noms de pays; la phrase ordinaire pour en désigner les habitants, est de dire les enfants de tel lieu. Ainsi les Arabes disent oulâd Masr, les Égyptiens; oulâd Châm, les Syriens; ils diraient oulâd Fransa, les Français; oulâd Mosqou, les Russes; ce qui n'est pas sans importance pour l'histoire ancienne.
Le gouvernement de cette société est tout à la fois républicain, aristocratique et même despotique, sans être décidément aucun de ces états. Il est républicain, parce que le peuple y a une influence première dans toutes les affaires, et que rien ne se fait sans un consentement de majorité. Il est aristocratique, parce que les familles des chaiks ont quelques-unes des prérogatives que la force donne partout. Enfin il est despotique, parce que le chaik principal a un pouvoir indéfini et presque absolu. Quand c'est un homme de caractère, il peut porter son autorité jusqu'à l'abus; mais dans cet abus même il est des bornes que l'état des choses rend assez étroites. En effet, si un chef commettait une grande injustice; si, par exemple, il tuait un Arabe, il lui serait presque impossible d'en éviter la peine: le ressentiment de l'offense n'aurait nul respect pour son titre; il subirait le talion; et s'il ne payait pas le sang, il serait infailliblement assassiné; ce qui serait facile, vu la vie simple et privée des chaiks dans le camp. S'il fatigue ses sujets par sa dureté, ils l'abandonnent, et passent dans une autre tribu. Ses propres parents profitent de ses fautes, pour le déposer et s'établir à sa place. Il n'a point contre eux la ressource des troupes étrangères; ses sujets communiquent entre eux trop aisément, pour qu'il puisse les diviser d'intérêt et se faire une faction subsistante. D'ailleurs, comment la soudoyer, puisqu'il ne retire de la tribu aucune espèce d'impôt; que la plupart de ses sujets sont bornés au plus juste nécessaire, et qu'il est réduit lui-même à des propriétés assez médiocres et déja chargées de grosses dépenses?
En effet, c'est le chaik principal qui, dans toute tribu, est chargé de défrayer les allants et les venants; c'est lui qui reçoit les visites des alliés et de quiconque a des affaires. Sur le prolongement de sa tente, est un grand pavillon qui sert d'hospice à tous les étrangers et aux passants. C'est là que se tiennent les assemblées fréquentes des chaiks et des notables, pour décider des campements, des décampements, de la paix, de la guerre, des démêlés avec les gouverneurs turks et les villages, des procès et querelles des particuliers, etc. A cette foule qui se succède, il faut donner le café, le pain cuit sous la cendre, le riz et quelquefois le chevreau ou le chameau rôti; en un mot, il faut tenir table ouverte; et il est d'autant plus important d'être généreux, que cette générosité porte sur des objets de nécessité première. Le crédit et la puissance dépendent de là: l'Arabe affamé place avant toute vertu la libéralité qui le nourrit; et ce préjugé n'est pas sans fondement; car l'expérience a prouvé que les chaiks avares n'étaient jamais des hommes à grandes vues: de là ce proverbe, aussi juste que précis: Main serrée, cœur étroit. Pour subvenir à ces dépenses, le chaik n'a que ses troupeaux, quelquefois des champs ensemencés, le casuel des pillages avec les péages des chemins; et tout cela est borné. Celui chez qui je me rendis sur la fin de 1784, dans le pays de Gaz, passait pour le plus puissant des cantons: cependant il ne m'a pas paru que sa dépense fût supérieure à celle d'un gros fermier: son mobilier, consistant en quelques pelisses, en tapis, en armes, en chevaux et en chameaux, ne peut s'évaluer à plus de 50,000 livres; et il faut observer que dans ce compte, quatre juments de race sont portées à 6,000 livres, et chaque tête de chameau à 10 louis. On ne doit donc pas, lorsqu'il s'agit des Bedouins, attacher nos idées ordinaires aux mots de prince et de seigneur: on se rapprocherait beaucoup plus de la vérité en les comparant aux bons fermiers des pays de montagnes, dont ils ont la simplicité dans les vêtements comme dans la vie domestique et dans les mœurs. Tel chaik qui commande à 500 chevaux, ne dédaigne pas de seller et de brider le sien, de lui donner l'orge et la paille hachée. Dans sa tente, c'est sa femme qui fait le café, qui bat la pâte, qui fait cuire la viande. Ses filles et ses parentes lavent le linge, et vont, la cruche sur la tête et le voile sur le visage, puiser l'eau à la fontaine: c'est précisément l'état dépeint par Homère, et par la Genèse dans l'histoire d'Abraham. Mais il faut avouer qu'on a de la peine à s'en faire une juste idée, quand on ne l'a pas vu de ses propres yeux.
Prononcez Najd.
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Cette qualité saline est si inhérente au sol, qu'elle passe jusque dans les plantes. Toutes celles du désert abondent en soude et en sel de Glauber. Il est remarquable que la dose de ces sels diminue en se rapprochant des montagnes, où elle finit par être presque nulle; et, tout considéré, cette qualité saline doit être la vraie cause de la stérilité du désert.
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Je connais 4 espèces distinctes de chameaux: la 1re, le chameau tel que je viens de le décrire, et qui est proprement le chameau arabe, porteur de fardeaux, n'ayant qu'une bosse et très-peu de poil sur le corps.
La 2e est le chameau coureur, appelé hedjin au Kaire, plus svelte dans toutes ses formes, n'ayant qu'une bosse; c'est le véritable dromadaire des Grecs. Nous en avons maintenant deux à Paris, que l'on a vus aux fêtes du Champ-de-Mars. Ces deux espèces sont répandues depuis Maroc jusqu'en Perse.
La 3e espèce est le chameau turkman, répandu d'Alep à Constantinople et au nord de la Perse. Il n'a qu'une bosse; il est moins haut que le chameau arabe; il a les jambes plus courtes, plus grosses, le corps plus trapu et infiniment mieux couvert de poil. Celui du cou pend jusqu'à terre et est généralement brun.
La 4e est le chameau tartare ou bactrien, répandu dans toute la Chine et la Tartarie. Celui-là a deux bosses. L'on ne voit que de ceux-là à Pékin, tandis qu'ils sont si rares dans la basse Asie, que je citerais une foule de voyageurs, même Arabes, qui, comme moi, n'y en ont jamais vu aucun.—Buffon a totalement confondu ces espèces.
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Cette cause est également sensible dans la comparaison des chameaux arabes aux chameaux turkmans, car ces derniers, vivant dans des pays riches en fourrages, sont devenus une espèce plus forte en membres, et plus charnue que les premiers.
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