Kitabı oku: «Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique», sayfa 15
De là, une première indication curative très-simple, qui consiste à changer d’atmosphère, et à choisir un air reconnu pour élastique et pur, tel qu’il se trouve assez ordinairement dans nos climats, sur les lieux élevés: je ne fais pas une règle générale ni absolue de cette condition des lieux élevés, parce que même en France, nous avons des lieux élevés qui sont malsains et fiévreux143, et cela parce qu’ils sont au voisinage ou sous le vent de terrains humides et marécageux: le cas est beaucoup plus commun dans les pays chauds; et une foule de coteaux et de hauteurs en Corse et en Italie sont tout-à-fait inhabitables, parce qu’encore qu’ils soient quelquefois très-distants des marais, ils ont l’inconvénient grave d’être placés dans la ligne et dans le lit du vent le plus habituel qui leur en apporte les exhalaisons.
La même chose a lieu dans le Bengale où les troupes anglaises ont trouvé sur des hauteurs boisées, de l’aspect le plus séduisant dans un pays chaud, la fièvre décrite par leurs médecins sous le nom de fièvre de colline (hilly fever). L’on n’imaginerait pas qu’avec ce nom elle fût la même que celle des lieux bas et marécageux, et néanmoins elle est réellement telle, ayant pour causes non-seulement une humidité locale excessive, établie par les pluies énormes des moussons, mais encore l’évaporation de toute la plaine du Bengale, dont les nuages sont arrêtés et fixés par les bois qui couvrent ces monts ou chaînons. L’on ne doit donc désigner les lieux élevés comme salubres qu’autant qu’ils joignent les conditions de sécheresse locale, d’abri des courants d’air infectés et de ventilation fraîche et libre.
Une seconde indication plus compliquée, est de procurer par art cette espèce ou qualité d’air que la nature produit en certaines circonstances sur les hauteurs, et de neutraliser les gaz morbifiques des lieux infectés. La chimie a fait depuis 20 ans d’heureuses et savantes découvertes en ce genre, et la sagacité que semble inspirer cette science donne le droit d’en attendre d’autres des esprits distingués qui la cultivent. Ils ont prouvé que dans l’air atmosphérique, le principe favorable à la respiration et à la vie était le gaz appelé oxygène: que de sa dose plus ou moins grande dépendait cette plus ou moins grande pureté ou salubrité dont on parlait sans la bien connaître. Les expériences de Lavoisier ont porté la dose de ce gaz oxygène à 27 parties sur 100 d’air ordinaire, les 73 restantes étant de l’azote ou air fixe: plus récemment celles de Berthollet l’ont réduite à 22 et demie; et peut-être cette différence n’implique-t-elle pas erreur ou contradiction, puisqu’il est probable que la dose varie selon les vents régnants. Elle doit également varier selon les contrées; il serait intéressant d’appliquer ces recherches à des pays de température très-diverse, et de comparer l’air sec et froid de la Sibérie à un air tantôt chaud et humide comme celui des Antilles144, tantôt chaud et sec comme celui d’Égypte et d’Arabie, et aussi de comparer l’air des couches terrestres à l’air des couches moyennes et supérieures. Les ballons peuvent rendre d’utiles services pour cet objet: quant à présent il paraît certain que dans nos zones tempérées, l’air n’est plus pur sur les hauteurs que parce qu’il contient plus d’oxygène, et moins de gaz exhalés; et dans le cas cité de Vitzavona et de Vivario, le poids spécifique de l’oxygène, qui est un peu plus fort que celui de l’air atmosphérique, n’est pas une circonstance contradictoire, puisque la fraîcheur du local doit l’y retenir et l’y fixer de préférence à la plage brûlante dont il serait chassé.
D’autre part, des expériences récentes ont constaté que l’acide muriatique oxygéné possède à un degré éminent la qualité de désinfecter l’air atmosphérique, c’est-à-dire de neutraliser et détruire les gaz morbifiques qu’il contient: ce moyen ne fût-il que préservatif, il serait encore un nouveau bienfait précieux par sa simplicité et son énergie. Mais il nous reste beaucoup à connaître sur les diverses espèces des gaz pernicieux qui flottent dans l’air, et sur leur manière d’attaquer la santé et la vie; je dis diverses espèces, parce qu’en effet il en est de si subtiles, que jusqu’à ce jour les instruments n’ont pu les saisir. A juger ce gaz par leurs effets, l’on peut les considérer comme des poisons dont les particules agissent sur les humeurs, du système tantôt sanguin et tantôt nerveux, à la manière des levains de fermentation, qui, appliqués à une masse, y développent un mouvement intestin d’un progrès croissant rapidement. L’action de divers gaz, et particulièrement du muriatique oxygéné, qui sans secousse et sans avertissement anéantit la vie, non-seulement par la respiration, mais encore par l’absorption de la peau, est un exemple de l’activité que d’autres peuvent avoir. C’est à de telles causes qu’il faut attribuer ces épidémies dont l’invasion est si brusque en certaines constitutions de l’atmosphère et en certains pays: et quant aux affectations fébriles, spécialement celles avec frisson et avec retours périodiques, si l’on remarque que dans ces retours réguliers de 12, de 24, de 36 heures, etc., elles suivent une marche semblable à celle de plusieurs fonctions essentielles de la vie, telles que le sommeil, la faim, etc., l’on sera porté à croire que le foyer de perturbation n’est ni dans les premières voies, ni dans le sang, mais dans l’organe immédiat de la vitalité, dans le système nerveux: c’est par une action quelconque sur le fluide qui abreuve la pulpe des nerfs, que la fièvre en général se déclare si subitement, qu’elle n’a besoin que d’un coup de soleil, d’un coup de vent frais, d’une ondée de pluie, d’une transition brusque du chaud au froid, et même du froid au chaud. Si l’on ajoute qu’elle se déclare de préférence dans les saisons et dans les lieux sujets aux vicissitudes de froid et de chaud; qu’elle-même n’est qu’une sensation alternative de chaud et de froid; que la sueur qui suit le paroxysme est un symptôme spécial de toute crispation des nerfs: le foyer que j’indique acquerra une nouvelle vraisemblance; et alors le mécanisme des contagions deviendra évident, simple, puisque le poumon et les parois du nez mettent d’immenses faisceaux de nerfs en contact immédiat avec les miasmes flottants dans l’air respiré, et l’on concevra pourquoi les drogues et les remèdes bus et mangés pendant plusieurs mois, ont moins d’efficacité à guérir les fièvres, surtout automnales, que le changement d’atmosphère et la respiration de l’air oxygéné de Vitzavona et de Vivario.
De la fièvre jaune
Une maladie qui devient de plus en plus fréquente aux États-Unis est la fièvre trop connue sous le nom de fièvre jaune. J’en parlerai avec quelque détail à cause de l’importance du sujet, et parce que, profitant de quelques anciennes études en médecine, état auquel je m’étais destiné, j’ai pu raisonner de cette maladie avec des personnes de l’art et discuter des opinions diverses, avec la réserve toutefois qui convient à celui qui n’a fait qu’apercevoir l’étendue de la carrière. Sans cette sorte de compétence je me garderais de m’en mêler; car parler médecine sans l’avoir étudiée, c’est vouloir parler astronomie, mécanique, ou art militaire sans instruction préalable; encore serait-il possible de mieux raisonner de ces sciences, attendu que leurs principes sont simples et fixes; au contraire, ceux de la médecine, quoiqu’ils aient une sphère de régularité, sont soumis à des circonstances compliquées et variables, qui exigent une finesse de tact, une justesse de coup d’œil, une prestesse d’application dont la difficulté constitue le mérite: dire, comme on l’entend tous les jours, qu’en médecine tout est hasard et conjecture, cela est un travers d’autant plus bizarre, que l’on commence par déclarer qu’on n’y entend rien: or, comment juger de ce que l’on ignore? Aussi à la moindre égratignure, ces Hippocrates innés font-ils courir chez le médecin, heureux, en l’attendant, de trouver une garde-malade qui elle-même est une première ébauche de science médicale, à raison des faits et des observations dont elle a acquis la pratique. Revenons à la fièvre jaune.
Elle a tiré ce nom d’un de ses symptômes distinctifs, la couleur de citron foncé, que dans la dissolution des humeurs, prennent les yeux, puis la peau de tout le corps. Les Français l’appellent fièvre ou mal de Siam, soit parce qu’elle vint d’abord de ce pays, soit parce que la couleur de ces Asiatiques est assez semblable. Chez les Espagnols elle a le nom de vomito preto, vomissement noir, autre accident grave qui la caractérise. Les symptômes les plus ordinaires et les plus généraux sont les suivants qui se succèdent rapidement dans le court espace que met cette maladie à se juger pour la mort ou la convalescence (ordinairement trois jours).
Dans les jours qui précèdent l’attaque, il y a sensation de lassitude générale, rouement de membres, assoupissement, quelquefois stupeur… La fièvre se déclare par un violent mal de tête, surtout au-dessus des yeux et derrière les orbites; l’on se plaint de douleurs le long de l’épine dorsale, dans les bras et dans les jambes: des chaleurs vives et des frissons se succèdent alternativement… La peau est sèche, brûlante et souvent parsemée de taches rougeâtres, puis violettes; le blanc des yeux est injecté de sang et humide d’une rosée brillante: la respiration est oppressée, les soupirs fréquents; l’air exhalé du poumon est brûlant: le pouls varie selon les tempéraments et selon certaines circonstances: en général, il est dur, fréquent, irrégulier, même intermittent; s’il ressemble à l’état naturel, le danger est plus grand: les évanouissements et la surdité au début du mal sont aussi un signe fâcheux; la soif est ardente; la langue d’abord rouge, se couvre d’un limon noirâtre qui devient fétide. Le malade se plaint d’une violente chaleur à l’estomac; les vomissements passent du glaireux à l’acide le plus corrosif, quelquefois sans bile, plus souvent avec de la bile verte et jaune, puis une matière noirâtre, comme de la lie d’encre ou du marc de café, avec odeur d’œufs pourris, et tellement âcre, que la gorge en est excoriée: la constipation a souvent lieu, d’autres fois c’est une diarrhée noirâtre… Alors le mal a déja parcouru la période d’inflammation, par suite de laquelle les humeurs se trouvent décomposées; la fièvre semble s’abattre, mais c’est à raison de la chute même des forces vitales; le pouls devient petit, convulsif, déprimé: le malade est agité, mal à l’aise, quelquefois délirant: les déjections colliquatives et fétides, le vomissement noir comme de grains de café, l’affaiblissent de plus en plus par leur fréquence et leur abondance: il affecte la position sinistre d’être couché sur le dos, élevant ses genoux et glissant vers le pied du lit; les yeux deviennent jaunes, et de suite la peau de tout le corps: alors la dissolution des humeurs est complète. S’il a été saigné au commencement de la maladie, les cicatrices se relâchent et s’ouvrent; la macération et la gangrène gagnent les solides, et se manifestent de toutes parts avec l’odeur infecte qui annonce une mort prochaine.
Depuis long-temps la fièvre jaune était connue dans les parties chaudes et marécageuses de l’Amérique méridionale et dans l’Archipel des Antilles; ses exemples étaient fréquents à Carthagène, à Porto-Bello, à la Vera-Cruz, à la Jamaïque, à Sainte-Lucie, à Saint-Domingue, à la Martinique; la Louisiane même, et le littoral des Florides, de la Géorgie, des Carolines et de la Virginie, y participaient par les mêmes motifs de chaleur et d’humidité; la Nouvelle-Orléans, Pensacola, Savanah, Charlestown, Norfolk, comptaient rarement 4 ou 5 années sans en recevoir quelque atteinte. Il semblait que le Potômac dût lui servir de limite, puisque vers la fin du siècle qui vient de finir l’on ne citait que les années 1740 et 1762, où elle se fût montrée au nord de ce fleuve, d’abord à New-York, puis à Philadelphie; mais depuis 1790, ses apparitions ont été si répétées et si funestes, qu’elle semble s’y être naturalisée comme dans le sud. Quelques cas individuels l’avaient annoncée à New-York en 1790; elle y devint un fléau épidémique en 1791, et y laissa des traces même en 1792. L’année suivante, 1793, elle ravagea Philadelphie comme une peste; et ses germes déposés ou ranimés se développèrent encore dans les étés de 1794 et 1795. Elle attaqua New-York derechef en 1794 et 1796.... Philadelphie en 1797.... A la même époque elle désolait Baltimore, Norfolk, Charlestown, Newburyport. Ses avant-coureurs s’étaient montrés à Sheffields, et même à Boston. Enfin, l’on en citait encore d’autres exemples, l’un à Harrisburg en 1793, un autre à Baltimore, un à Oneida en Genesee, à quoi je puis ajouter des cas nombreux au fort anglais sur le Miâmi du lac Érié.
Les médecins anglo-américains pour qui cette maladie a été une nouveauté, ont eu à se créer une méthode curative adaptée à leur climat et à la constitution de ses habitants. Malheureusement, j’ose le dire, la plupart se sont trop pressés de croire l’avoir trouvée dans les principes théoriques de Brown, dont la doctrine a été accueillie aux États-Unis avec un engouement scolastique: ce système qui explique tout par deux états simples de débilité directe ou indirecte, et par la soustraction ou l’application de stimulants aussi directs et indirects, a fait d’autant plus de prosélytes qu’il a ce caractère tranchant et positif qu’aime la jeunesse, et qu’il dispense des lenteurs de l’expérience que redoute la paresse de tous les âges. Raisonnant donc avec cette dangereuse confiance de certitude qui exclut le doute et l’observation, ils ont le plus souvent administré les cordiaux et les toniques les plus actifs, au début de la maladie, prétendant qu’il fallait relever les forces accablées, quand il fallait relâcher les fibres trop tendues; ils y ont joint les purgatifs drastiques les plus stimulants pour chasser les humeurs morbifiques, quand ces humeurs n’étaient pas encore à l’état de coction.
Ce traitement fut surtout mis en usage à Philadelphie dans la funeste année de 1793. La pratique la plus générale des médecins de cette ville, fut de donner le jalap à 20 et 25 grains; la préparation mercurielle, dite calomel, à 10 et 15; la gomme-gutte même, le tout par doses répétées. Pour boissons, on ordonnait les eaux de camomille, de menthe, de cannelle, et le vin de Madère, jusqu’à plus d’une pinte par jour. Or, l’on sait qu’il entre une portion d’eau-de-vie dans la fabrication primitive du meilleur Madère. En outre, dans les mois d’août et de septembre, et dans un pays chaud à 25° de R. par temps calme et étouffant, l’on tenait les malades hermétiquement clos dans leurs chambres; on surchargeait de deux et trois couvertures de laine leurs lits de plumes, et quelquefois l’on faisait du feu dans la cheminée; l’objet était de provoquer impérieusement une sueur, que l’état inflammatoire et crispé de tout le système refusait encore plus opiniâtrément.
Les effets de ce traitement furent ce qu’ils devaient être; une mortalité effrayante par le nombre et par la rapidité; peu de malades passaient trois jours, et l’on peut dire que sur 50 il ne s’en sauvait pas deux. Tous portaient des signes de suffocation gangréneuse, suite naturelle d’une inflammation fomentée. La terreur s’empara des esprits; le mal fut regardé comme contagieux et pestilentiel, son atteinte comme incurable. Quelques médecins, influents par leur esprit et leur activité, accréditèrent cette rumeur pernicieuse, même dans les papiers publics. Tout malade fut abandonné: le mari par sa femme, les parents par leurs enfants, les enfants même par les parents. Les maisons désertes restèrent infectées par les cadavres. Le gouvernement intervint, d’abord pour faire enlever les corps, puis pour faire transporter de force les malades à l’hôpital. Les maisons furent marquées à la craie comme en temps de proscription, et les habitants éperdus s’enfuirent dans les villages voisins, ou campèrent en rase campagne, comme si l’ennemi eût pris leur ville. Le hasard voulut que dans ces circonstances quelques médecins et chirurgiens français, fugitifs du Cap incendié, vinssent chercher un asile sur le continent; l’un d’eux, conduit à Philadelphie145, eut occasion d’être appelé, et appliquant au mal dont il avait vu les analogues à Saint-Domingue, le traitement de l’école française, il obtint des succès qui attirèrent l’attention du gouvernement, et qui le firent placer à la tête de l’hôpital de Bushhill. Le compte qu’il rendit l’hiver suivant de sa méthode curative146, ne fait pas moins d’honneur à son cœur qu’à son esprit, puisque ce compte répandit des idées neuves et salutaires dans tout le pays. L’on voit par cet écrit, qu’il considère la maladie comme divisée en trois périodes, que l’on ne doit pas confondre; mais qui quelquefois marchent si rapidement, qu’à peine le médecin a-t-il le temps de les saisir. La première est un état d’inflammation violente, compliquée d’engorgement au cerveau et de spasme nerveux, qui demande non les toniques, mais les calmants et les relâchants. La seconde est un état de dissolution et de ségrégation des fluides, dont la chaleur inflammatoire a rompu la combinaison, état qui ne peut se terminer que par l’évacuation des humeurs devenues inaptes et nuisibles au mouvement vital; l’art doit s’y borner à aider la crise, en suivant la nature, plutôt qu’en la prévenant. Enfin la troisième est un état de recomposition et de recombinaison, qui n’a besoin du médecin que pour diriger le régime du convalescent.
En conséquence, au début du mal, il fit de légères saignées lorsque le sujet était trop plein de sang; il administra les délayants, les acidules aromatisés, et il obtint d’heureux effets de l’acide carbonique en boisson. Il essayait quelle espèce de boisson plaisait le plus à l’estomac, cet organe si capricieux; il rassurait les esprits contre l’idée de contagion, de laquelle il nie entièrement l’existence pendant toute l’épidémie. Il procurait un air frais, et il ne provoquait point les sueurs, dont il remarque que presque jamais la nature ne fit son moyen de crise.
Lorsque ce premier traitement avait modéré la fièvre, il épiait dans la seconde période les tentatives de la nature pour opérer la crise, et choisir un organe qui en devînt le foyer. Ordinairement ce furent des suppurations abondantes; il les favorisa, et tâcha de les diriger par des vésicatoires, par des cataplasmes appliqués au-dehors, tandis qu’au dedans il aidait le travail épuratif par des boissons aromatiques de cannelle, de menthe, même de vin de Bordeaux, trempé d’eau et mêlé de sucre; par quelques purgatifs doux et à petites doses, et enfin par le kina. L’opium, si vanté par les médecins du pays, ne lui montra jamais de bons effets.
L’on conçoit que par un cas commun à tous les pays, ce ne fut pas sans lutte et sans contradiction qu’un étranger isolé obtint tant de confiance et de succès; mais enfin par une marche également naturelle, la raison et la vérité se firent jour à force de preuves et de faits. Les malades appelèrent de préférence le médecin qui guérissait le plus, et plusieurs médecins finirent par l’imiter.
Soit que l’écrit et les cures de M. de Vèze et des autres Français aient eu une heureuse influence sur les esprits; soit que par leur propre raisonnement et leurs expériences, ils aient modifié leurs idées et dissipé d’anciens préjugés: il est du moins vrai qu’à dater de cette époque, il a commencé de s’introduire dans la pratique et la théorie des changements heureux. Dès l’année suivante (1794), dans l’épidémie de New-York, plusieurs médecins de cette ville substituèrent aux purgatifs violents divers sels, et entre autres le sel de Glauber, qui réussit dans les délayants. Ils ne prodiguèrent plus les toniques ni le vin de Madère; ils usèrent de la saignée avec discrétion: s’ils provoquèrent encore les sueurs, ce fut par des bains et des fomentations de vinaigre qui quelquefois soulagèrent; et de ce moment il s’est formé dans les divers colléges un schisme salutaire qui a ébranlé les vieilles habitudes et ouvert les routes nouvelles à la science et à l’esprit d’observation.
Ce schisme a surtout éclaté sur la question de l’origine de la fièvre jaune. Les uns ont prétendu qu’elle était toujours apportée du dehors, spécialement des Antilles, et qu’elle n’était et ne pouvait en aucun cas être le produit du sol des États-Unis. En preuve de leur opinion, ils ont cité la non-existence, ou l’extrême rareté des épidémies avant la paix de 1783, et ils ont attribué leur fréquence depuis cette époque aux relations de commerce plus actives et plus directes avec les îles et avec la terre-ferme espagnole: ils ont même inculpé nominativement certains vaisseaux comme auteurs et importateurs de la contagion dont ils ont supposé l’existence à un degré peu inférieur à la peste.
D’autres médecins, au contraire, ont soutenu que par sa nature même, la fièvre jaune pouvait naître dans les États-Unis, toutes les fois que ses causes disposantes et occasionelles de temps et de lieu se trouvaient réunies; et d’abord remontant à la source des prétendus faits d’importation, ils ont démontré par les témoignages les plus positifs, que non-seulement les vaisseaux accusés n’avaient point apporté avec eux la maladie ou son germe, mais encore qu’elle ne s’était déclarée à leur bord que depuis leur ancrage aux quais, et dans le voisinage des lieux notés à New-York et à Philadelphie comme foyers du mal; avec cette particularité additionnelle que même elle avait commencé par les gens du bord qui avaient eu le contact le plus immédiat avec le lieu infecté147: puis, rassemblant toutes les circonstances de la maladie, quant aux lieux, aux saisons, et aux tempéraments affectés, ils-ont démontré: 1º qu’elle attaquait les villes populeuses plutôt que les villages et les campagnes.
2º Que dans les villes populeuses, telles que New-York, Philadelphie, Baltimore, elle affectait constamment et presque exclusivement les quartiers bas, remplis d’immondices, d’eaux croupies, les rues non aérées, non pavées, boueuses, et surtout les quais, et leur voisinage, couverts d’ordures à un point inimaginable; où chaque jour à marée basse, les banquettes fangeuses sont exposées à un soleil brûlant. Par exemple, à New-York, M. Richard Bayley a calculé que pour combler l’égout et le bassin de White-hall, les propriétaires y avaient fait verser dans un an 24,000 tombereaux de toutes les ordures de la ville et même de charognes de chevaux, de chiens, etc.; d’où il résulta qu’en juillet l’infection devint si exaltée et si forte, qu’elle excitait le soir, dans le voisinage, des nausées et des vomissements qui furent le début de l’épidémie.
3º Que dans le cours des saisons, elle n’apparaissait qu’en juillet, août et septembre, c’est-à-dire, à l’époque où les chaleurs opiniâtres et intenses, de 24 et 25 degrés R. excitent une fermentation évidente dans ces amas de matières végétales et animales, et en dégagent des miasmes que tout indique être les corrupteurs de la santé. Ces médecins ont remarqué que l’épidémie redoublait par les temps seulement humides, par les vents de sud-est, et même de nord-est; qu’elle diminuait par le froid et la sécheresse du nord-ouest, et même par les pluies abondantes du vent de sud-ouest; que dans la diversité des années, la fièvre choisissait celles où les chaleurs de l’été étaient accompagnées de plus de sécheresse, et de calme dans l’air; sans doute parce qu’alors les miasmes accumulés exercent une action plus puissante sur le poumon, et par son intermède, sur tout le système de la circulation.
Enfin, ils ont constaté que dans le choix des sujets, elle attaque de préférence les habitants mal nourris et sales des faubourgs et des quartiers pleins d’ordures et de marécages: les ouvriers exposés au feu, tels que les forgerons, les bijoutiers, ceux qui abusent des liqueurs fortes; observant que très-souvent la fièvre jaune a immédiatement suivi l’ivresse: qu’elle attaque encore de préférence les gens replets, sanguins, robustes, les adultes ardents, les étrangers des pays du nord, les noirs, les gens épuisés de la débauche des femmes: qu’elle ménage les étrangers des pays chauds, les gens sobres dans le boire et surtout dans le manger; les personnes aisées, propres, vivant plutôt de végétaux que de viande, et habitant des rues pavées, aérées, et des quartiers élevés.
Enfin, poursuivant le mal jusque dans les lieux désignés pour être le berceau et le foyer de son origine, ils ont démontré qu’aux Antilles même, aux îles de la Grenade, de la Martinique, de Saint-Domingue, de la Jamaïque, la fièvre jaune ne naissait que là où se réunissent les mêmes circonstances; qu’elle ne s’y montre qu’en certains lieux, en certaines années précisément semblables aux cas cités dans les États-Unis; que là où il n’y a ni marécages, ni ordures, comme à Saint-Kits, à Saint-Vincent, à Tabago, à la Barbade, la santé est constamment excellente; que si la fièvre s’est montrée à Saint-Georges (Grenade) et à Fort-Royal (Martinique), c’est dans le local du carénage, voisin de marais infects, et dans un moment où la surabondance des vaisseaux, la sécheresse excessive de la saison avaient contribué à développer les ferments; que si elle n’eût dû son apparition dans les villes de New-York, Baltimore, Philadelphie, qu’à l’importation, elle aurait dû y être importée habituellement des villes de Norfolk et de Charlestown, avec lesquelles l’on avait des relations multipliées et où la réunion de toutes les causes citées les rendait presque endémiques chaque été.
Les faits qui établissent ces résultats se trouvent répandus en divers écrits, publiés depuis 1794 jusqu’à l’année 1798, époque à laquelle je quittai les États-Unis148.
L’on ne peut les lire avec attention, sans être frappé de la corrélation et de l’harmonie constante qui existe partout entre les causes premières et secondes, médiates ou immédiates, les circonstances accessoires et les effets, soit isolés, soit réunis en série. Partout l’on voit la fièvre naître et s’augmenter en raison composée de la température chaude de l’air, de sa sécheresse opiniâtre ou de son humidité temporaire, du calme de l’atmosphère, du voisinage des marais, de leur étendue, et surtout en raison des masses entassées de matières animales formant un foyer de putréfaction et d’émanations délétères. L’on voit même les fièvres se graduer selon l’intensité de toutes ces causes; n’y a-t-il qu’excès de chaleur, sans amas putrides et sans marécages, elles sont du genre simplement inflammatoire, c’est-à-dire, scarlatines et bilieuses, sans complication de malignité; y a-t-il des marais boueux et fangeux, mais non infectés de matières animales, les miasmes causent déja des esquinancies gangréneuses, des vomissements bilieux atroces, appelés cholera-morbus, des dyssenteries pernicieuses; s’y joint-il des amas de matières animales en putréfaction alors le mal se complique d’accidents et de symptômes qui toujours dénotent l’affection du genre nerveux par une sorte de poison; quand le mal est à son maximum, tous les autres degrés tendent à s’y assimiler. D’où il résulte que l’on pourrait graduer et mesurer les fièvres par les degrés du thermomètre; et par l’intensité des miasmes putrides, et suivre dans le cours d’une même saison d’été et d’automne leur progrès et leur affinité, depuis la simple synoque jusqu’à la peste, qui n’est que le dernier échelon et le maximum des causes réunies. Dans un tel état de choses, il est évident que tout pays qui réunira chaleur et foyers putrides à un degré suffisant, sera capable d’engendrer toutes ces maladies. J’avais déja cru remarquer en Égypte et en Syrie, que 24 degrés de Réaumur étaient un terme auquel s’établissent dans le sang une disposition et un mouvement fébrile d’un genre pernicieux et désigné par le nom de fièvres malignes; j’ai vu avec plaisir et surprise que la même opinion avait été inspirée par les mêmes faits au docteur G. Davidson, à la Martinique, et qu’il pense, comme moi, qu’à partir de ce degré (86° de F.) en montant, le caractère de malignité et de contagion s’exalte jusqu’à former la peste.
Par tous les écrits et faits que j’ai cités, ces principes ont acquis aux États-Unis un tel degré d’évidence, que la très-grande majorité des médecins de New-York, Boston, Baltimore, Norfolk et Charlestown, s’est réunie à déclarer que la fièvre jaune pouvait naître et naissait aux États-Unis. Le seul collége de Philadelphie a persisté dans l’affirmative de l’importation, et cette opinion qui a en sa faveur l’avantage de la primauté dans l’esprit du peuple, conservera long-temps des partisans dans toutes les classes, par plusieurs motifs très-puissants.
1º Parce qu’elle flatte la vanité nationale, et que beaucoup de gens ne demandent qu’un prétexte pour autoriser la leur.
2º Parce qu’elle caresse l’intérêt mercantile de la vente des terres, et de l’émigration des étrangers dans un pays qui aurait le privilége de ne pas engendrer la fièvre. Il est vrai que se l’inoculer aussi aisément ne serait guère moins fâcheux; mais les partisans de l’importation n’entendent pas raillerie; et j’ai trouvé beaucoup d’Américains à qui la contradiction sur ce point devenait un sujet sérieux de mauvaise humeur.
3º Parce que les médecins, qui les premiers ont établi cette croyance, ont pris de tels engagements avec leur amour-propre ou avec leur persuasion149, qu’ils se sont presque interdit toute modification; et parce qu’ils ont fait prendre au gouvernement des mesures si tranchantes et si gênantes pour le commerce, que si aujourd’hui elles se trouvaient sans motif, ils encourraient une véritable défaveur. Et cependant je regarde comme une sage institution celle des bureaux de santé ou lazarets dans les ports des États-Unis, surtout quand on y veut faire le commerce avec la Méditerranée et les échelles turques.
4º Enfin, parce que le caractère contagieux presque pestilentiel que l’on joint au préjugé de l’importation, excuse très-heureusement les non-succès de ceux qui ne guérissent pas souvent. En me rangeant à l’opinion des médecins qui regardent la fièvre jaune comme un produit indigène des États-Unis, je suis loin d’attaquer les intentions de ceux qui soutiennent la thèse contraire; mais je tiens pour dangereuse et imprudente la doctrine de l’importation, 1º à cause du ton dogmatique et intolérant qu’elle a déployé, jusqu’à attaquer la sûreté et la liberté domestiques, et à compromettre le gouvernement; 2º parce qu’en provoquant des mesures exagérées au-dehors, elle a endormi sur les mesures bien plus nécessaires à prendre au-dedans, et qui découlent immédiatement de l’opinion contraire.
Certes, s’il est une doctrine dangereuse, surtout en médecine, c’est celle qui exclut le doute philosophique, sans lequel l’esprit demeure fermé à toute instruction, à tout redressement; et cette doctrine est surtout pernicieuse pour les jeunes gens, en qui le désir de savoir et le besoin de croire s’associent au besoin d’aimer, et qui s’attachent aux opinions par suite d’attachement pour les maîtres. Aussi l’une des plus fécondes sources d’erreur, de fanatisme et de calamités, a été et est encore ce funeste principe d’éducation musulmanique, adopté dans tous les genres d’éducation.