Kitabı oku: «Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique», sayfa 16
Quant à la question du caractère contagieux, je ne puis admettre ni la négative absolue que soutiennent quelques médecins, ni le cas général et constant que supposent plusieurs autres: cette dernière alternative est exclue par trop de faits incontestables; et la première, c’est-à-dire, la négative, me semble contradictoire avec l’origine même du mal; car dès que les miasmes des marais et des matières putrides ont la propriété de l’exciter, à plus forte raison les miasmes du corps humain infecté auront cette vertu, eux qui ont bien plus d’affinité avec les humeurs vivantes. Aussi a-t-on remarqué en 1797, à Philadelphie, que plusieurs familles au retour de la campagne, rentrant dans leurs maisons, où il y avait eu mort ou maladie, sans avoir pris soin de désinfecter, furent immédiatement saisies du mal, quoique la saison fût froide et qu’il eût cessé. A Norfolk, on a fait la remarque encore plus générale, que ceux qui s’absentent de la ville y deviennent plus exposés que ceux qui restent constamment dans son atmosphère; et ce cas correspond avec celui des étrangers, surtout ceux du nord, que l’on a remarqué à Philadelphie et à New-York, etc., être spécialement attaqués.
Des théoriciens veulent expliquer cette singularité, en disant que c’est par une surabondance de gaz oxygène, infusé dans le sang, par l’air plus pur de l’Europe et de la campagne, que les étrangers sont plus susceptibles de la fièvre; mais outre que cette surabondance est hypothétique, les notions que l’on a du gaz oxygène, essentiellement salubre, y sont si contraires, que l’on a droit d’exiger de plus fortes preuves; et prétendre, comme ils le font, que l’oxygène est plus abondant dans les lieux bas que dans les lieux élevés, est une supposition nouvelle en chimie, d’autant plus inadmissible que les plus savants chimistes de l’Europe regardent le contraire comme prouvé; ce n’est pas l’oxygène que leurs expériences trouvent se dégager des marais et des matières putrides, mais le carbone, l’hydrogène et l’azote; il paraît même que la combinaison des deux premiers de ces gaz a la propriété spécifique d’engendrer les fièvres intermittentes et rémittentes, et qu’elles ne deviennent putrides malignes que par l’addition de l’azote à cette combinaison.
De nouvelles études développeront sans doute l’action de tous les gaz morbifiques: pour le présent, les meilleurs moyens curatifs paraissent être, de combattre l’inflammation, premier degré du mal, par les délayants et les tempérants; peut-être les bains à la température du léger frisson150 seraient-ils un des plus efficaces, administrés dès le premier soupçon, et prolongés à huit et dix heures. C’est aux maîtres de l’art à prononcer sur les bains très-froids, et presque à la glace, dont quelques médecins d’Amérique prétendent avoir retiré de bons effets: il est certain que dans des cas de frénésie, ils ont quelquefois opéré des cures étonnantes; l’époque de leur application a une influence décisive, puisque leur effet, dans la période d’inflammation, est très-différent de ce qu’il sera dans la période de décomposition. Les antiasphyxiques peuvent aussi avoir leur utilité, puisque des gaz pernicieux paraissent jouer un rôle. L’objet essentiel est d’empêcher l’inflammation de s’élever jusqu’au point de décomposer les humeurs, car alors rien ne peut empêcher le mal de parcourir ses trois phases; par cette raison, les premières heures sont décisives et demandent toute la célérité possible; la saignée à petites doses peut y être très-utile. Un préservatif tout-puissant est la diète la plus absolue151, avec les boissons aqueuses, sitôt que l’on a la sensation de pesanteur, de lassitude et de perte d’appétit; et il faut la continuer deux ou trois jours rigoureusement, jusqu’au retour de la faim et de l’alacrité de corps et d’esprit.
A l’égard des préservatifs généraux, applicables aux villes des États-Unis, ils dépendent du gouvernement central, et ils consistent:
1º A mesurer la sévérité des lazarets établis, sur l’exigeance bien constatée des cas de maladies importées par les vaisseaux. Les vaisseaux de la Méditerranée méritent le plus d’attention.
2º A interdire les abus de prétendu droit de propriété et de liberté des particuliers qui se permettent au voisinage et au sein des grandes villes des comblements de terrains bas à force d’immondices, et même de charognes. Les Américains vantent leur propreté, mais je puis attester que les quais de New-York et de Philadelphie, avec certaines parties des faubourgs, surpassent en saleté publique et privée, tout ce que j’ai vu en Turkie, où l’air a l’avantage d’être d’une sécheresse salutaire.
3º A établir des règlements de police jusqu’à ce jour inusités ou méprisés pour le pavage des rues, des faubourgs, et même du centre des villes. On a remarqué en Europe que les grandes épidémies de Paris, de Lyon, de Londres, et autres villes très-peuplées ont cessé depuis l’établissement du pavage général et régulier.
4º A empêcher toute eau croupissante, et tout amas de matières putrides; à écarter du sein des villes les vastes cimetières, dont l’usage pestilentiel est généralement conservé avec un respect superstitieux. Philadelphie a dans ses plus beaux quartiers quatre énormes cimetières, dont j’ai très-bien senti l’odeur en été, et n’a pas une seule promenade ni allée plantée de salutaire verdure.
5º A obliger les citoyens à murer et paver les fosses d’aisance qui, dans l’état actuel, communiquent si immédiatement par un sol sableux, avec les puits et les pompes aussi non murés, que, dans les fontes de neiges en hiver, et dans les sécheresses en été, l’on voit les eaux des uns et des autres se niveler: il est si vrai que les eaux bues dans les parties basses de la ville reçoivent les filtrations des cimetières et des fosses, que j’ai remarqué en Front-Street, l’eau de mes carafes devenir filante le troisième jour en mai, et finir par une infection cadavéreuse152.
Enfin, le gouvernement, en dirigeant sur ces objets de police domestique l’attention des habitants des États-Unis, devrait provoquer leur instruction sur l’une des causes les plus essentielles et les plus radicales de toutes leurs maladies, je veux dire sur le régime alimentaire qu’à raison de leur origine ils ont conservé des Anglais et des Allemands. J’ose dire que si l’on proposait au concours le plan du régime le plus capable de gâter l’estomac, les dents et la santé, l’on ne pourrait en imaginer un plus convenable que celui des Anglo-Américains. Dès le matin à déjeuner, ils noient leur estomac d’une pinte d’eau chaude chargée de thé ou de café si léger, que ce n’est que de l’eau brune; et ils avalent presque sans mâcher du pain chaud à peine cuit, des rôties imbibées de beurre, du fromage le plus gras, des tranches de bœuf ou de jambon salé, fumé, etc., toutes choses presque indissolubles. A dîner, ce sont des pâtes bouillies, sous le nom de pouding; les plus graisseuses sont les plus friandes; toutes les sauces, même pour le bœuf rôti, sont le beurre fondu; les turneps et les pommes de terre sont noyés de saindoux, de lard, de beurre ou de graisse: sous le nom de pye (païe), de pumkine, leurs pâtisseries ne sont que de vraies pâtes graisseuses, jamais cuites: pour faire passer ces masses glaireuses, on reprend le thé presque à l’issue du dîner, et on le charge tellement qu’il est amer au gosier: dans cet état, il attaque si efficacement les nerfs, qu’il procure, même à des Anglais, des insomnies plus opiniâtres que le café. Le souper amène encore quelques salaisons ou des huîtres, et comme le dit Chastelux, la journée entière se passe à entasser des indigestions l’une sur l’autre; pour donner du ton au pauvre estomac fatigué et relâché, l’on boit le madère, le rum, l’eau-de-vie de France ou celle de genièvre et de grain, qui achèvent d’attaquer le genre nerveux. Un tel régime put convenir aux Tartares, souche primitive des Germains et des Anglo-Saxons, qui n’usaient d’aucun de ces stimulants dangereux: leur vie équestre et nomade les rendait et les rend encore capables de tout digérer; mais quand les nations changent de climat, ou que se poliçant elles deviennent oiseuses et riches, elles éprouvent en masse les altérations des particuliers. Les paysans ou les manœuvres d’Allemagne et d’Angleterre peuvent encore sans inconvénient se nourrir comme leurs ancêtres: il n’en est pas de même des citadins; et moins encore de ceux qui, émigrant de leur humide et froid climat, vont s’établir dans des pays chauds, tels que la Géorgie, les Carolines, la Virginie, etc. La puissance même de l’habitude natale ne parviendra point à y naturaliser un système essentiellement contraire au climat. Aussi de tous les peuples d’Europe, voyons-nous que les Anglais sont ceux qui résistent le moins aux climats du tropique; et si leurs enfants, les Anglo-Américains ne modifient pas leurs vieilles habitudes à cet égard, ils en éprouveront les mêmes inconvénients.—Il est tellement vrai que leur régime est une des grandes causes prédisposantes aux maladies et à la fièvre jaune, que dans le plus fort des épidémies, jamais un seul accident ne s’est montré dans l’enceinte de la prison de Philadelphie, et cela évidemment parce que le système alimentaire y est calculé sur une échelle de tempérance qui ne laisse prise à aucune surcharge d’estomac, ni par conséquent à aucune dépravation des sucs. L’abus des boissons spiritueuses est surtout banni totalement de cet établissement admirable; et cet abus est si général dans le peuple des États-Unis, que l’ivrognerie y est un vice aussi dominant que chez les sauvages: croire que l’on puisse aisément et promptement changer sur tous ces chefs les mœurs et les goûts d’une nation, n’est point mon erreur; j’ai trop bien appris à connaître l’automatisme de l’espèce humaine, et la puissance machinale de ce qu’on appelle habitude; mais je pense qu’un gouvernement qui emploierait à éclairer le peuple, à diriger sa raison, la moitié des soins employés si souvent à l’égarer, obtiendrait des succès dont n’ont point d’idée ceux qui le méprisent: s’il est ignorant et sot, ce peuple, c’est parce que l’on met beaucoup d’esprit à cultiver son ignorance et sa sottise; et en supposant qu’une génération vieillie dans de mauvais usages n’eût pas la force de s’en corriger, elle serait néanmoins capable, par tendresse pour ses enfants, d’établir un système d’éducation qui leur procurerait un bonheur dont elle sentirait avoir été privée.
Je termine cet article, qu’un tel vœu m’a fait prolonger, par une remarque sur la cause qui a suscité la fièvre jaune depuis l’époque si précise de 1790. Cette cause me paraît être l’accroissement subit que les villes maritimes des États-Unis, et New-York entre autres, ont retiré des effets de la guerre française, et de la convulsion des colonies des Antilles. Les richesses mobiliaires, les capitaux, les émigrants fugitifs, en affluant tout à coup dans ces villes, ont occasioné une multitude de constructions hâtives, et l’emploi de terrains non préparés qui ont causé une sorte de révolution. Le commerce y a versé dans le peuple une aisance auparavant inconnue, et l’ouvrier qui a gagné un dollar et demi et deux dollars par jour (7 à 10 l.), l’agriculteur qui a vendu depuis 8 jusqu’à 14 piastres le baril de farine qui ne se vendait que quatre et cinq, se sont livrés à des jouissances dont la plus désirée, la plus pratiquée a été l’usage du vin et de l’eau-de-vie; ainsi, en même temps que des ferments de putridité et d’inflammation se sont établis, les corps se sont trouvés plus disposés à en recevoir l’impression, et intempérance, l’imprévoyance et la saleté ont produit leurs effets constants et accoutumés.
Tels sont les caractères principaux du climat et du sol des États-Unis dont j’ai tracé un tableau aussi exact que le permet un modèle si divers dans son étendue, si sujet à exceptions de localités. Maintenant c’est au lecteur d’asseoir son jugement sur les avantages et les inconvénients d’un pays devenu si célèbre, et que sa situation géographique comme son génie politique, destinent à jouer un rôle si important sur la scène du monde. Je prétends d’autant moins influencer l’opinion à cet égard, par l’expression de la mienne, que j’ai souvent éprouvé que sur ce sujet plus que sur aucun autre, les goûts diffèrent selon les sensations et les préjugés de l’habitude. Souvent aux États-Unis, dans des réunions de voyageurs de toutes les parties de l’Europe, j’ai vu exprimer des avis tout-à-fait contrastants. L’Anglais et le Danois trouvaient trop chaude la température que l’Espagnol et le Vénitien trouvaient modérée; le Polonais et le Provençal se plaignaient de l’humidité là où le Hollandais trouvait l’air et le sol un peu secs; tous jugements produits, comme l’on voit, par la comparaison du climat originaire et habituel de chaque opinant. Il est cependant vrai que nous tous Européens, nous accordions à reprocher à ce climat son excessive variabilité du froid au chaud et du chaud au froid; mais les Anglo-Américains qui se tiennent presque offensés de ce reproche, défendent déja leur climat comme une propriété, et ils y portent trois motifs puissants de partialité;
1º L’amour-propre individuel, commun à tous les hommes, et la vanité nationale qui chaque jour s’exalte davantage:
2º Une habitude déja contractée par la naissance, et qui se convertit en nature;
3º Un intérêt pécuniaire aussi cher à l’état qu’aux particuliers, l’intérêt de vendre des terres et d’attirer des hommes et des capitaux étrangers.
Avec de tels motifs, il serait difficile de leur persuader que les États-Unis ne sont pas le meilleur pays du monde; néanmoins, si l’émigrant qui veut se fixer, recueille les avis d’État à État, l’habitant du sud le dégoûtera de s’établir dans le nord à raison des trop longs hivers, des froids pénibles et rigoureux, des besoins dispendieux de tout genre qui en résultent pour se loger, se vêtir, se chauffer, etc., de la nécessité d’entretenir pendant six mois les bestiaux clos à l’étable, et par suite, de faire des provisions et des cultures de fourrages, des constructions de granges, etc.; enfin, à raison de la modicité des produits du sol… De son côté, l’habitant du nord vantant sa santé, son activité, effets du froid de son climat, de la maigreur de son sol, et de la nécessité du travail, décriera les États du sud à cause de l’insalubrité de leurs marais et de leurs cultures de riz, de l’incommodité de leurs insectes, mosquites et mouches, de la fréquence de leurs fièvres, de la violence de leurs chaleurs, de l’indolence et de la faiblesse de constitution qui en résultent et qui produisent les habitudes oiseuses, la vie dissipée, l’abus des liqueurs, l’amour du jeu, etc., tout cela favorisé encore par l’abondance même du sol et la richesse des produits; de plus, l’habitant de la Caroline s’accordera avec celui du Maine pour décréditer les États du Centre comme ayant les inconvénients des extrêmes sans en avoir les avantages; ainsi, j’ai entendu moi-même à Philadelphie les Caroliniens se plaindre de la chaleur, et les Canadiens du froid, parce que l’on ne sait y prendre de précaution ni contre l’un, ni contre l’autre; enfin, si dans un même canton reconnu pour insalubre, l’émigrant veut prendre des informations précises, chaque habitant l’assure que ce n’est pas sur sa ferme, mais sur celle de son voisin qu’est le foyer d’insalubrité, et que c’est d’un sol étranger que lui vient la fièvre… En résultat, le fait est que chaque individu, chaque nation, tout en se plaignant de leur sol, de leur situation, préfèrent néanmoins leur pays, leur ville, leur ferme, par égoïsme, par intérêt, et par-dessus tout, par un motif moins senti, mais bien plus puissant, le motif de l’habitude. L’Égyptien préfère son fleuve, l’Arabe ses sables brûlants, le Tartare ses prairies découvertes, le Huron ses immenses forêts, l’Indien ses plaines fertiles, le Samoïède et l’Eskimau, les rivages stériles et glacés de leurs mers boréales; aucun d’eux ne voudrait changer, abjurer son sol natal; et cela uniquement par la puissance de cette habitude dont on parle si souvent, mais dont on ne connaît toute la magie que quand on est sorti de son cercle pour éprouver les effets des habitudes étrangères. L’habitude est une atmosphère physique et morale que l’on respire sans s’en apercevoir, et dont l’on ne peut connaître les qualités propres et distinctives qu’en respirant un air différent. Aussi les gens qui ont le plus d’esprit, lorsqu’ils ne sont pas sortis de leurs habitudes, et qu’ils veulent parler de celles d’autrui, c’est-à-dire, de sensations qu’ils n’ont pas éprouvées, sont-ils de véritables aveugles qui veulent parler des couleurs: et parce que la sobriété à porter de tels jugements, constitue l’esprit raisonnable si décrié par les aveugles ou les hypocrites, sous le nom d’esprit philosophique, je me bornerai à dire que, comparativement aux pays que j’ai vus, et sans renoncer aux préjugés de mes sensations et de ma constitution natale, le climat de l’Égypte, de la Syrie, de la France et de tout ce qui entoure la Méditerranée, me paraît très-supérieur en bonté, salubrité et agrément aux États-Unis; que dans l’enceinte même des États-Unis, si j’avais à faire un choix sur la côte atlantique, ce serait la pointe de Rhode-Island, ou le chaînon de Sud-ouest en Virginie, entre le Rappahannok, et le Rônoake; dans le pays d’Ouest, ce serait les bords du lac Érié en cent ans d’ici, lorsqu’ils n’auront plus de fièvres; mais pour le présent, ce serait, sur la foi des voyageurs, les coteaux de la Géorgie et de la Floride lorsqu’ils ne sont pas sous le vent des marais.
APPENDICE
(Voyez page 159)
LES débordements excessifs qui, pendant l’été de 1800, eurent lieu en Suède, sans que l’on pût en rendre raison par les pluies tombées dans le pays, m’ayant fait soupçonner que ces débordements étaient dus aux nuages accumulés sur des montagnes limitrophes par un courant d’air ou vent dominant, je m’adressai pour éclaircir ce fait à un ami zélé des sciences et des arts, le C. Bourgoing, ministre de la république à Copenhague, et je le priai de me procurer des réponses exactes à diverses questions que je lui envoyai. Il communiqua ces questions à plusieurs savants, tels que MM. Melanderhielm, Svanberg, Loevener, Schoenhenter, Wibbe, Grove, Buch; et les notes séparées qu’ils eurent la complaisance de lui fournir, m’ayant présenté dans leur comparaison un ensemble de faits corrélatifs, je crus devoir en envoyer le résumé au ministre, à titre de remercîments. Comme ce résumé se lie au sujet que j’ai traité dans cet ouvrage, je l’insère ici avec l’intention ultérieure et additionnelle, d’attirer l’attention des météorologistes sur la totalité du système des vents de la zone polaire, et de parvenir à connaître le jeu correspondant du nord-ouest et du nord-est d’Amérique, avec les vents de la Russie et de la Suède.
Lettre au citoyen Bourgoing, ministre de la république française près le roi de Danemarck
Paris, 1er ventôse an 9 (10 février 1801).
Vos obligeantes notes, citoyen ministre, me sont parvenues précisément dans l’ordre inverse de leurs dates.... et par cette raison j’ai dû attendre la dernière pour vous faire tous mes remercîments; j’ai d’ailleurs désiré de vous envoyer un résultat de travail qui me disculpât près de vous et près de quelques-uns de vos consultés, de l’emploi de votre temps en systèmes et en théories sans fondement comme sans utilité. Quel que soit le résultat de mon travail, il ne serait pas sans utilité s’il prouvait qu’il y a, ou même qu’il n’y a pas de marche fixe dans les courants de l’air; et que l’on peut ou que l’on ne peut pas juger du vent qui règne dans un lieu par le vent qui a régné ou qui règne dans un autre. La navigation, l’agriculture, sont intéressées à ce problème, puisque sa solution influerait beaucoup sur les spéculations de commerce, d’achats ou de ventes de grains.—Quant au reproche d’esprit systématique, j’en suis peu affecté, parce que je ne me sens point du tout atteint de l’engouement qui en fait le vice et le ridicule.—A vingt ans j’avais des systèmes dont j’étais très-persuadé.—Nos maîtres, vous le savez, citoyen ministre, nous enseignaient à ne point douter, à tout prouver par atqui et ergo, à tout expliquer sans demeurer à quia; mais à mesure que l’expérience a refait mon éducation, j’ai vu qu’il fallait renoncer à l’esprit doctoral, et s’il m’est resté une doctrine à suivre et à prêcher, c’est celle de douter beaucoup; de ne pas être pressé d’assurer, et d’être toujours prêt à revoir la question et à écouter d’autres faits. Après cela, je n’ai pas néanmoins la duperie d’accorder à mes adverses plus d’infaillibilité qu’à moi; et quel que soit d’ailleurs leur mérite, s’ils n’ont pas fait une étude particulière de la question en débat, s’ils prétendent en juger par aperçu et analogie, je leur rétorque à mon tour l’esprit de système, et j’invoque le jury des faits; car je suis, selon l’expression de S***, de la faction des faits. Or, voici mon dire dans le cas présent.
Il résulte des diverses notes que vous m’avez envoyées, et entre autres de l’exposé court, clair et méthodique de M. Schoenhenter (évêque de Drontheim):
1º Que la Norwège est traversée de l’est à l’ouest, par un chaînon appelé Dovrefield ou Dofre, qui la partage en sud et en nord.
2º Que ce chaînon, l’un des plus élevés de ce royaume, a environ trois mille pieds rhinlandais d’élévation (—2901 pieds de Paris—941 mètres—483 toises).
3º Qu’il forme dans le système de l’air, une ligne de démarcation tellement positive, que le nord et le sud n’ont presque jamais les mêmes vents en même temps. S’il pleut dans le pays d’Agherrhous, Christiansandt, etc., il fait sec dans le Drontheim, dans le Nordland, etc.: M. Buch dit les mêmes choses.
4º Ce dernier cas a été surtout remarquable dans l’été de 1800, où le pays de Drontheim, nord du Dofre, a éprouvé des pluies continuelles, au point de perdre toute la récolte; tandis que les gouvernements d’Agherrhous et de Berghen, sud du Dofre, ont éprouvé une sécheresse excessive.—Dans le Drontheim, les vents, depuis juin jusqu’au vingt août, furent si constamment nord-ouest, qu’à peine y eut-il vingt jours d’exception; et le thermomètre variant de six à huit, ne passa point 11° de Réaumur.—Dans l’Agherrhous et le Berghen, les vents furent habituellement sud, sud-est, même sud-ouest, le mercure variant de 14 à 18°; à peine y eut-il sept jours pluvieux, avec cette différence remarquable, que les tables météorologiques de Drontheim et de Christiansandt, comparées l’une à l’autre, offrent plus de vingt exemples, où il pleuvait dans le Drontheim par le vent nord-ouest, tandis qu’il faisait beau et sec dans l’Agherrhous par le vent sud-est; c’est-à-dire, qu’il régnait à la fois deux vents diamétralement opposés. M. Schoenhenter observe que le Iempterland en Suède, à l’est du Drontheim, essuya les mêmes pluies, mais il ignore si le vent y fut le même.—
D’accord avec MM. Wibbe, Grove et Buch, il dit que sur la côte de Norwège les vents dominants sont du quart de l’ouest; qu’ils y sont les vents pluvieux (à raison de l’océan), tandis que le nord-est, le sud-est et l’est, y sont les vents secs: qu’au nord du Dofre, le nord-ouest domine avec le sud-ouest; que l’ouest pur et l’est pur sont rares: que sur la côte de Berghen et dans le bassin de Louken, les dominants sont le sud-ouest et l’ouest, tous deux pluvieux: et que dans le bassin du Glomen et tout le golfe d’Agherrhous, ce sont le sud-ouest grand pluvieux, et le sud-est tantôt sec et tantôt pluvieux: voilà pour la Norwège.
A Stockholm, MM. Svanberg et Melanderhielm, disent que les vents dominants sont l’ouest et le sud-ouest qui sont secs: que les vents pluvieux, plus rares, sont l’est, le nord-est, et en été le sud-est; mais que la péninsule de Scanie et le Smaland, participent au climat du golfe d’Agherrhous: ils observent que juin et juillet, dans l’été de 1800, furent très-pluvieux à Stockholm; mais ils n’ont point joint les tables des vents (qui durent souffler de l’est); alors le nord-ouest régnait à Drontheim, le sud et le sud-est dans l’Agherrhous, et l’est sur le golfe Bothnique; de manière que le Dofre était le point de rencontre et de choc de trois courants opposés.
Expliquer ce qui se passait dans l’air en ce lieu, me menerait trop loin; je me borne à vous observer: 1º Que les inondations de la Suède n’ont pu provenir de la fonte des neiges, comme le pense M***; en juin et juillet les neiges d’hiver sont fondues: 2º qu’il est évident que le Dofre, encore qu’il ne soit pas une chaîne pleine comme muraille, a cependant exercé sur les courants de l’air une action incontestable: si M*** le nie, ce sera de sa part une théorie plus que hasardée. Quoique des groupes de montagnes ne soient pas immédiatement joints, surtout quand leurs vallons marchent en sens divers, il n’en résulte pas moins un obstacle capable de ralentir le fleuve aérien, de la même manière que des files de rocs dans les lits des rivières, barrent et ralentissent le courant des eaux. Au reste, j’aurai l’occasion de développer plus amplement ma théorie à cet égard.—Agréez mes remercîments de l’exemplaire de la Théorie des vents de la Coudraye, qui se trouve être exactement ce que j’attendais d’un marin instruit et observateur.