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Kitabı oku: «Robinson Crusoe. II», sayfa 2

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LE GUIDE ATTAQUÉ PAR DES LOUPS

Mon esprit étant ainsi harassé par ces perplexités, mon vieux pilote, à qui je ne celais rien, me pria instamment de ne point aller sur mer, mais de me rendre par terre jusqu'à La Corogne, de traverser le golfe de Biscaye pour atteindre La Rochelle, d'où il était aisé de voyager sûrement par terre jusqu'à Paris, et de là de gagner Calais et Douvres, ou bien d'aller à Madrid et de traverser toute la France.

Bref, j'avais une telle appréhension de la mer, que, sauf de Calais à Douvres, je résolus de faire toute la route par terre; comme je n'étais point pressé et que peu m'importait la dépense, c'était bien le plus agréable chemin. Pour qu'il le fût plus encore, mon vieux capitaine m'amena un Anglais, un gentleman, fils d'un négociant de Lisbonne, qui était désireux d'entreprendre ce voyage avec moi. Nous recueillîmes en outre deux marchands anglais et deux jeunes gentilshommes portugais: ces derniers n'allaient que jusqu'à Paris seulement. Nous étions en tout six maîtres et cinq serviteurs, les deux marchands et les deux Portugais se contentant d'un valet pour deux, afin de sauver la dépense. Quant à moi, pour le voyage je m'étais attaché un matelot anglais comme domestique, outre VENDREDI, qui était trop étranger pour m'en tenir lieu durant la route.

Nous partîmes ainsi de Lisbonne. Notre compagnie étant toute bien montée et bien armée, nous formions une petite troupe dont on me fit l'honneur de me nommer capitaine, parce que j'étais le plus âgé, que j'avais deux serviteurs, et qu'au fait j'étais la cause première du voyage.

Comme je ne vous ai point ennuyé de mes journaux de mer, je ne vous fatiguerai point de mes journaux de terre; toutefois durant ce long et difficile voyage quelques aventures nous advinrent que je ne puis omettre.

Quand nous arrivâmes à Madrid, étant touts étrangers à l'Espagne, la fantaisie nous vint de nous y arrêter quelque temps pour voir la Cour et tout ce qui était digne d'observation; mais, comme nous étions sur la fin de l'été, nous nous hâtâmes, et quittâmes Madrid environ au milieu d'octobre. En atteignant les frontières de la Navarre, nous fûmes alarmés en apprenant dans quelques villes le long du chemin que tant de neige était tombée sur le côté français des montagnes, que plusieurs voyageurs avaient été obligés de retourner à Pampelune, après avoir à grands risques tenté passage.

Arrivés à Pampelune, nous trouvâmes qu'on avait dit vrai; et pour moi, qui avais toujours vécu sous un climat chaud, dans des contrées où je pouvais à peine endurer des vêtements, le froid fut insupportable. Au fait, il n'était pas moins surprenant que pénible d'avoir quitté dix jours auparavant la Vieille-Castille, où le temps était non-seulement chaud mais brûlant, et de sentir immédiatement le vent des Pyrénées si vif et si rude qu'il était insoutenable, et mettait nos doigts et nos orteils en danger d'être engourdis et gelés. C'était vraiment étrange.

Le pauvre VENDREDI fut réellement effrayé quand il vit ces montagnes toutes couvertes de neige et qu'il sentit le froid de l'air, choses qu'il n'avait jamais ni vues ni ressenties de sa vie.

Pour couper court, après que nous eûmes atteint Pampelune, il continua à neiger avec tant de violence et si long-temps, qu'on disait que l'hiver était venu avant son temps. Les routes, qui étaient déjà difficiles, furent alors tout-à-fait impraticables. En un mot, la neige se trouva en quelques endroits trop épaisse pour qu'on pût voyager, et, n'étant point durcie; par la gelée, comme dans les pays septentrionaux, on courait risque d'être enseveli vivant à chaque pas. Nous ne nous, arrêtâmes pas moins de vingt jours à Pampelune; mais, voyant que l'hiver s'approchait sans apparence d'adoucissement, – ce fut par toute l'Europe l'hiver le plus rigoureux qu'il y eût eu depuis nombre d'années, – je proposai d'aller à Fontarabie, et là de nous embarquer pour Bordeaux, ce qui n'était qu'un très-petit voyage.

Tandis que nous étions à délibérer là-dessus, il arriva quatre gentilshommes français, qui, ayant été arrêtés sur le côté français des passages comme nous sur le côté espagnol, avaient trouvé un guide qui, traversant le pays près la pointe du Languedoc, leur avait fait passer les montagnes par de tels chemins, que la neige les avait peu incommodés, et où, quand il y en avait en quantité, nous dirent-ils, elle était assez durcie par la gelée pour les porter eux et leurs chevaux.

Nous envoyâmes quérir ce guide. – «J'entreprendrai de vous mener par le même chemin, sans danger quant à la neige, nous dit-il, pourvu que vous soyez assez bien armés pour vous défendre des bêtes sauvages; car durant ces grandes neiges il n'est pas rare que des loups, devenus enragés par le manque de nourriture, se fassent voir aux pieds des montagnes.» – Nous lui dîmes que nous étions suffisamment prémunis contre de pareilles créatures, s'il nous préservait d'une espèce de loups à deux jambes, que nous avions beaucoup à redouter, nous disait-on, particulièrement sur le côté français des montagnes.

Il nous affirma qu'il n'y avait point de danger de cette sorte par la route que nous devions prendre. Nous consentîmes donc sur-le-champ à le suivre. Le même parti fut pris par douze autres gentilshommes avec leurs domestiques, quelques-uns français, quelques-uns espagnols, qui, comme je l'ai dit avaient tenté le voyage et s'étaient vus forcés de revenir sur leurs pas.

Conséquemment nous partîmes de Pampelune avec notre guide vers le 15 novembre, et je fus vraiment surpris quand, au lieu de nous mener en avant, je le vis nous faire rebrousser de plus de vingt milles, par la même route que nous avions suivie en venant de Madrid. Ayant passé deux rivières et gagné le pays plat, nous nous retrouvâmes dans un climat chaud, où le pays était agréable, et où l'on ne voyait aucune trace de neige; mais tout-à-coup, tournant à gauche, il nous ramena vers les montagnes par un autre chemin. Les rochers et les précipices étaient vraiment effrayants à voir; cependant il fit tant de tours et de détours, et nous conduisit par des chemins si tortueux, qu'insensiblement nous passâmes le sommet des montagnes sans être trop incommodés par la neige. Et soudain il nous montra les agréables et fertiles provinces de Languedoc et de Gascogne, toutes vertes et fleurissantes, quoique, au fait, elles fussent à une grande distance et que nous eussions encore bien du mauvais chemin.

Nous eûmes pourtant un peu à décompter, quand tout un jour et une nuit nous vîmes neiger si fort que nous ne pouvions avancer. Mais notre guide nous dit de nous tranquilliser, que bientôt tout serait franchi. Nous nous apperçûmes en effet que nous descendions chaque jour, et que nous nous avancions plus au Nord qu'auparavant; nous reposant donc sur notre guide, nous poursuivîmes.

Deux heures environ avant la nuit, notre guide était devant nous à quelque distance et hors de notre vue, quand soudain trois loups monstrueux, suivis d'un ours, s'élancèrent d'un chemin creux joignant un bois épais. Deux des loups se jetèrent sur le guide; et, s'il s'était trouvé, seulement éloigné d'un demi-mille, il aurait été à coup sûr dévoré avant que nous eussions pu le secourir. L'un de ces animaux s'agrippa au cheval, et l'autre attaqua l'homme avec tant de violence, qu'il n'eut pas le temps ou la présence d'esprit de s'armer de son pistolet, mais il se prit à crier et à nous appeler de toute sa force. J'ordonnai à mon serviteur VENDREDI, qui était près de moi, d'aller à toute bride voir ce qui se passait. Dès qu'il fut à portée de vue du guide il se mit à crier aussi fort que lui: – «O maître! O maître!» – Mais, comme un hardi compagnon, il galopa droit au pauvre homme, et déchargea son pistolet dans la tête du loup qui l'attaquait.

Par bonheur pour le pauvre guide, ce fut mon serviteur VENDREDI qui vint à son aide; car celui-ci, dans son pays, ayant été familiarisé avec cette espèce d'animal, fondit sur lui sans peur et tira son coup à bout portant; au lieu que tout autre de nous aurait tiré de plus loin, et peut-être manqué le loup, ou couru le danger de frapper l'homme.

Il y avait là de quoi épouvanter un plus vaillant que moi; et de fait toute la compagnie s'alarma quand avec la détonation du pistolet de VENDREDI nous entendîmes des deux côtés les affreux hurlements des loups, et ces cris tellement redoublés par l'écho des montagnes, qu'on eût dit qu'il y en avait une multitude prodigieuse; et peut-être en effet leur nombre légitimait-il nos appréhensions.

Quoi qu'il en fût, lorsque VENDREDI eut tué ce loup, l'autre, qui s'était cramponné au cheval, l'abandonna sur-le-champ et s'enfuit. Fort heureusement, comme il l'avait attaqué à la tête, ses dents s'étaient fichées dans les bossettes de la bride, de sorte qu'il lui avait fait peu de mal. Mais l'homme était grièvement blessé: l'animal furieux lui avait fait deux morsures, l'une au bras et l'autre un peu au-dessus du genou, et il était juste sur le point d'être renversé par son cheval effrayé quand VENDREDI accourut et tua le loup.

On imaginera facilement qu'au bruit du pistolet de VENDREDI nous forçâmes touts notre pas et galopâmes aussi vite que nous le permettait un chemin ardu, pour voir ce que cela voulait dire. Sitôt que nous eûmes passé les arbres qui nous offusquaient, nous vîmes clairement de quoi il s'agissait, et de quel mauvais pas VENDREDI avait tiré le pauvre guide, quoique nous ne pussions distinguer d'abord l'espèce d'animal qu'il avait tuée.

Mais jamais combat ne fut présenté plus hardiment et plus étrangement que celui qui suivit entre VENDREDI et l'ours, et qui, bien que nous eussions été premièrement surpris et effrayés, nous donna à touts le plus grand divertissement imaginable. – L'ours est un gros et pesant animal; il ne galope point comme le loup, alerte et léger; mais il possède deux qualités particulières, sur lesquelles généralement il base ses actions. Premièrement, il ne fait point sa proie de l'homme, non pas que je veuille dire que la faim extrême ne l'y puisse forcer, – comme dans le cas présent, la terre étant couverte de neige, – et d'ordinaire il ne l'attaque que lorsqu'il en est attaqué. Si vous le rencontrez dans les bois, et que vous ne vous mêliez pas de ses affaires, il ne se mêlera pas des vôtres. Mais ayez soin d'être très-galant avec lui et de lui céder la route; car c'est un gentleman fort chatouilleux, qui ne voudrait point faire un pas hors de son chemin, fût-ce pour un roi. Si réellement vous en êtes effrayé, votre meilleur parti est de détourner les yeux et de poursuivre; car par hasard si vous vous arrêtez, vous demeurez coi et le regardez fixement, il prendra cela pour un affront, et si vous lui jetiez ou lui lanciez quelque chose qui l'atteignit, ne serait-ce qu'un bout de bâton gros comme votre doigt, il le considérerait comme un outrage, et mettrait de côté tout autre affaire pour en tirer vengeance; car il veut avoir satisfaction sur le point d'honneur: c'est là sa première qualité. La seconde, c'est qu'une fois offensé, il ne vous laissera ni jour ni nuit, jusqu'à ce qu'il ait sa revanche, et vous suivra, avec sa bonne grosse dégaine, jusqu'à ce qu'il vous ait atteint.

Mon serviteur VENDREDI, lorsque nous le joignîmes, avait délivré notre guide, et l'aidait à descendre de son cheval, car le pauvre homme était blessé et effrayé plus encore, quand soudain nous apperçûmes l'ours sortir du bois; il était monstrueux, et de beaucoup le plus gros que j'eusse jamais vu. À son aspect nous fûmes touts un peu surpris; mais nous démêlâmes aisément du courage et de la joie dans la contenance de VENDREDI. – «O! O! O! s'écria-t-il trois fois, en le montrant du doigt, O maître! vous me donner congé, moi donner une poignée de main à lui, moi vous faire vous bon rire.»

VENDREDI MONTRE À DANSER À L'OURS

Je fus étonné de voir ce garçon si transporté. – «Tu es fou, lui dis-je, il te dévorera!» – «Dévorer moi! dévorer moi? répéta VENDREDI. Moi dévorer lui, moi faire vous bon rire; vous touts rester là, moi montrer vous bon rire.» – Aussitôt il s'assied à terre, en un tour de main ôte ses bottes, chausse une paire d'escarpins qu'il avait dans sa poche, donne son cheval à mon autre serviteur, et, armé de son fusil, se met à courir comme le vent.

L'ours se promenait tout doucement, sans songer à troubler personne, jusqu'à ce que VENDREDI, arrivé assez près, se mit à l'appeler comme s'il pouvait le comprendre: – «Écoute! écoute! moi parler avec toi.» – Nous suivions à distance; car, ayant alors descendu le côté des montagnes qui regardent la Gascogne, nous étions entrés dans une immense forêt dont le sol plat était rempli de clairières parsemées d'arbres çà et là.

VENDREDI, qui était comme nous l'avons dit sur les talons de l'ours, le joignit promptement, ramassa une grosse pierre, la lui jeta et l'atteignit à la tête; mais il ne lui fit pas plus de mal que s'il l'avait lancée contre un mur; elle répondait cependant à ses fins, car le drôle était si exempt de peur, qu'il ne faisait cela que pour obliger l'ours à le poursuivre, et nous montrer bon rire, comme il disait.

Sitôt que l'ours sentit la pierre, et apperçut VENDREDI, il se retourna, et s'avança vers lui en faisant de longues et diaboliques enjambées, marchant tout de guingois et d'une si étrange allure, qu'il aurait fait prendre à un cheval le petit galop. VENDREDI s'enfuit et porta sa course de notre côté comme pour demander du secours. Nous résolûmes donc aussi de faire feu touts ensemble sur l'ours, afin de délivrer mon serviteur. J'étais cependant fâché de tout cœur contre lui, pour avoir ainsi attiré la bête sur nous lorsqu'elle allait à ses affaires par un autre chemin. J'étais surtout en colère de ce qu'il l'avait détournée et puis avait pris la fuite. Je l'appelai: « – Chien, lui dis-je, est-ce là nous faire rire? Arrive ici et reprends ton bidet, afin que nous puisions faire feu sur l'animal.» – Il m'entendit et cria: – «Pas tirer! pas tirer! rester tranquille: vous avoir beaucoup rire.» – Comme l'agile garçon faisait deux enjambées contre l'autre une, il tourna tout-à-coup de côté, et, appercevant un grand chêne propre pour son dessein, il nous fit signe de le suivre; puis, redoublant de prestesse, il monta lestement sur l'arbre, ayant laissé son fusil sur la terre, à environ cinq ou six verges plus loin.

L'ours arriva bientôt vers l'arbre. Nous le suivions à distance. Son premier soin fut de s'arrêter au fusil et de le flairer; puis, le laissant là, il s'agrippa à l'arbre et grimpa comme un chat, malgré sa monstrueuse pesanteur. J'étais étonné de la folie de mon serviteur, car j'envisageais cela comme tel; et, sur ma vie, je ne trouvais là-dedans rien encore de risible, jusqu'à ce que, voyant l'ours monter à l'arbre, nous nous rapprochâmes de lui.

Quand nous arrivâmes, VENDREDI avait déjà gagné l'extrémité d'une grosse branche, et l'ours avait fait la moitié du chemin pour l'atteindre. Aussitôt que l'animal parvint à l'endroit où la branche était plus faible, – «Ah! nous cria VENDREDI, maintenant vous voir moi apprendre l'ours à danser.» – Et il se mit à sauter et à secouer la branche. L'ours, commençant alors à chanceler, s'arrêta court et se prit à regarder derrière lui pour voir comment il s'en retournerait, ce qui effectivement nous fit rire de tout cœur. Mais il s'en fallait de beaucoup que VENDREDI eût fini avec lui. Quand il le vit se tenir coi, il l'appela de nouveau, comme s'il eût supposé que l'ours parlait anglais: – «Comment! toi pas venir plus loin? Moi prie toi venir plus loin.» – Il cessa donc de sauter et de remuer la branche; et l'ours, juste comme s'il comprenait ce qu'il disait, s'avança un peu. Alors VENDREDI se reprit à sauter, et l'ours s'arrêta encore.

Nous pensâmes alors que c'était un bon moment pour le frapper à la tête, et je criai à VENDREDI de rester tranquille, que nous voulions tirer sur l'ours; mais il répliqua vivement: – «O prie! O prie! pas tirer; moi tirer près et alors.» – Il voulait dire tout-à-l'heure. Cependant, pour abréger l'histoire, VENDREDI dansait tellement et l'ours se posait d'une façon si grotesque, que vraiment nous pâmions de rire. Mais nous ne pouvions encore concevoir ce que le camarade voulait faire. D'abord nous avions pensé qu'il comptait renverser l'ours; mais nous vîmes que la bête était trop rusée pour cela: elle ne voulait pas avancer, de peur d'être jetée à bas, et s'accrochait si bien avec ses grandes griffes et ses grosses pattes, que nous ne pouvions imaginer quelle serait l'issue de ceci et où s'arrêterait la bouffonnerie.

Mais VENDREDI nous tira bientôt d'incertitude. Voyant que l'ours se cramponnait à la branche et ne voulait point se laisser persuader d'approcher davantage: – «Bien, bien! dit-il, toi pas venir plus loin, moi aller, moi aller; toi pas venir à moi, moi aller à toi.» – Sur ce, il se retire jusqu'au bout de la branche, et, la faisant fléchir sous son poids, il s'y suspend et la courbe doucement jusqu'à ce qu'il soit assez près de terre pour tomber sur ses pieds; puis il court à son fusil, le ramasse et se plante là.

– Eh bien, lui dis-je, VENDREDI, que voulez-vous faire maintenant? Pourquoi ne tirez-vous pas?» – «Pas tirer, répliqua-t-il, pas encore; moi tirer maintenant, moi non tuer; moi rester, moi donner vous encore un rire.» – Ce qu'il fit en effet, comme on le verra tout-à-l'heure. Quand l'ours vit son ennemi délogé, il déserta de la branche où il se tenait, mais excessivement lentement, regardant derrière lui à chaque pas et marchant à reculons, jusqu'à ce qu'il eût gagné le corps de l'arbre. Alors, toujours l'arrière-train en avant, il descendit, s'agrippant au tronc avec ses griffes et ne remuant qu'une patte à la fois, très-posément. Juste à l'instant où il allait appuyer sa patte de derrière sur le sol, VENDREDI s'avança sur lui, et, lui appliquant le canon de son fusil dans l'oreille, il le fit tomber roide mort comme une pierre.

Alors le maraud se retourna pour voir si nous n'étions pas à rire; et quand il lut sur nos visages que nous étions fort satisfaits, il poussa lui-même un grand ricanement, et nous dit: «Ainsi nous tue ours dans ma contrée.» – «Vous les tuez ainsi? repris-je, comment! vous n'avez pas de fusils?» – «Non, dit-il, pas fusils; mais tirer grand beaucoup longues flèches.»

Ceci fut vraiment un bon divertissement pour nous; mais nous nous trouvions encore dans un lieu sauvage, notre guide était grièvement blessé, et nous savions à peine que faire. Les hurlements des loups retentissaient toujours dans ma tête; et, dans le fait, excepté le bruit que j'avais jadis entendu sur le rivage d'Afrique, et dont j'ai dit quelque chose déjà, je n'ai jamais rien ouï qui m'ait rempli d'une si grande horreur.

Ces raisons, et l'approche de la nuit, nous faisaient une loi de partir; autrement, comme l'eût souhaité VENDREDI, nous aurions certainement dépouillé, cette bête monstrueuse de sa robe, qui valait bien la peine d'être conservée; mais nous avions trois lieues à faire, et notre guide nous pressait. Nous abandonnâmes donc ce butin et poursuivîmes notre voyage.

La terre était toujours couverte de neige, bien que moins épaisse et moins dangereuse que sur les montagnes. Des bêtes dévorantes, comme nous l'apprîmes plus tard, étaient descendues dans la forêt et dans le pays plat, pressées par la faim, pour chercher leur pâture, et avaient fait de grands ravages dans les hameaux, où elles avaient surpris les habitants, tué un grand nombre de leurs moutons et de leurs chevaux, et même quelques personnes.

Nous avions à passer un lieu dangereux dont nous parlait notre guide; s'il y avait encore des loups dans le pays, nous devions à coup sûr les rencontrer là. C'était une petite plaine, environnée de bois de touts les côtés, et un long et étroit défilé où il fallait nous engager pour traverser le bois et gagner le village, notre gîte.

Une demi-heure avant le coucher du soleil nous entrâmes dans le premier bois, et à soleil couché nous arrivâmes dans la plaine. Nous ne rencontrâmes rien dans ce premier bois, si ce n'est que dans une petite clairière, qui n'avait pas plus d'un quart de mille, nous vîmes cinq grands loups traverser la route en toute hâte, l'un après l'autre, comme s'ils étaient en chasse de quelque proie qu'ils avaient en vue. Ils ne firent pas attention à nous, et disparurent en peu d'instants.

Là-dessus notre guide, qui, soit dit en passant, était un misérable poltron, nous recommanda de nous mettre en défense; il croyait que beaucoup d'autres allaient venir.

Nous tînmes nos armes prêtes et l'œil au guet; mais nous ne vîmes plus de loups jusqu'à ce que nous eûmes pénétré dans la plaine après avoir traversé ce bois, qui avait près d'une demi-lieue. Aussitôt que nous y fûmes arrivés, nous ne chômâmes pas d'occasion de regarder autour de nous. Le premier objet qui nous frappa ce fut un cheval mort, c'est-à-dire un pauvre cheval que les loups avaient tué. Au moins une douzaine d'entre eux étaient à la besogne, on ne peut pas dire en train de le manger, mais plutôt de ronger les os, car ils avaient dévoré toute la chair auparavant.

Nous ne jugeâmes point à propos de troubler leur festin, et ils ne prirent pas garde à nous. VENDREDI aurait bien voulu tirer sur eux, mais je m'y opposai formellement, prévoyant que nous aurions sur les bras plus d'affaires semblables que nous ne nous y attendions. – Nous n'avions pas encore traversé la moitié de la plaine, quand, dans les bois, à notre gauche, nous commençâmes à entendre les loups hurler d'une manière effroyable, et aussitôt après nous en vîmes environ une centaine venir droit à nous, touts en corps, et la plupart d'entre eux en ligne, aussi régulièrement qu'une armée rangée par des officiers expérimentés. Je savais à peine que faire pour les recevoir. Il me sembla toutefois que le seul moyen était de nous serrer touts de front, ce que nous exécutâmes sur-le-champ. Mais, pour qu'entre les décharges nous n'eussions point trop d'intervalle, je résolus que seulement de deux hommes l'un ferait feu, et que les autres, qui n'auraient pas tiré, se tiendraient prêts à leur faire essuyer immédiatement une seconde fusillade s'ils continuaient d'avancer sur nous; puis que ceux qui auraient lâché leur coup d'abord ne s'amuseraient pas à recharger leur fusil, mais s'armeraient chacun d'un pistolet, car nous étions touts munis d'un fusil et d'une paire de pistolets. Ainsi nous pouvions par cette tactique faire six salves, la moitié de nous tirant à la fois. Néanmoins, pour le moment, il n'y eut pas nécessité: à la première décharge les ennemis firent halte, épouvantés, stupéfiés du bruit autant que du feu. Quatre d'entre eux, frappés à la tête, tombèrent morts; plusieurs autres furent blessés et se retirèrent tout sanglants, comme nous pûmes le voir par la neige. Ils s'étaient arrêtés, mais ils ne battaient point en retraite. Me ressouvenant alors d'avoir entendu dire que les plus farouches animaux étaient jetés dans l'épouvante à la voix de l'homme, j'enjoignis à touts nos compagnons de crier aussi haut qu'ils le pourraient, et je vis que le dicton n'était pas absolument faux; car, à ce cri, les loups commencèrent à reculer et à faire volte-face. Sur le coup j'ordonnai de saluer leur arrière-garde d'une seconde décharge, qui leur fit prendre le galop, et ils s'enfuirent dans les bois.

Ceci nous donna le loisir de recharger nos armes, et, pour ne pas perdre de temps, nous le fîmes en marchant. Mais à peine eûmes-nous bourré nos fusils et repris la défensive, que nous entendîmes un bruit terrible dans le même bois, à notre gauche; seulement c'était plus loin, en avant, sur la route que nous devions suivre.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
451 s. 3 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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