Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 14
Quels accens que ceux du père, à la pensée du jeune fils dont les Espagnols se sont emparés, par une ruse infâme, et qu'ils tiennent en captivité!
«Comme gens forcenez, ils s'adressent à mon fils, jeune enfant escollier, et, contre les privilèges de l'université, le tirent violentement de Louvain: mesmes sur la remonstrance faite par l'université, ce barbare de Vergas respond barbarement: Non curamus vestros privilegios. Ils le tirent hors de Brabant, contre les privilèges du païs, contre le serment du roi, et l'envoient en Espaigne pour l'esloigner de moi qui suis son père, et jusques à présent détiennent cest innocent en prison dure et cruelle: tellement, quand ils ne m'auroient fait aultre tort, je seroi indigne non seulement de ma race et du nom que je porte, mais aussi du nom de père, si je n'emploioi tout le sens et tous les moïens que Dieu m'a donnez, pour essaier de le retirer de ceste misérable servitude, et me faire réparer un tel tort. Car je ne suis point, messieurs, tant desnaturé que je ne sente les affections paternelles, ni si sage, que souvent le regret d'une si longue absence de mon fils ne se présente à mon entendement.»
Au reproche d'être le promoteur de la liberté religieuse dans les Pays-Bas, le prince répond:
»Ils entrelassent que j'ai procuré la liberté de conscience: s'ils entendent que j'ai faict ouverture à telles impiétez qui se commettent ordinairement en la maison du prince de Parme, où l'athéisme et aultres vertus de Rome sont jeu, je respons que c'est chez les héritiers du seigneur Pierre-Louys qu'il fault chercher telle liberté ou plustost licence effrénée. Mais je confesserai bien que la lueur des feus esquelz on a tourmentez tant de pauvres chrestiens n'a jamais esté agréable à mes yeux, comme elle a resjoui la veue du duc d'Albe et des Espaignols, et que j'ai esté d'advis que les persécutions cessassent au Païs-Bas. Je vous confesserai dadvantage, affin que les ennemis cognoissent qu'ils ont affaire à une partie qui parle rondement et sans fard, à savoir que le roi, quand il partist de Zélande, lieu dernier qu'il laissa en ce païs, me commanda de faire mourir plusieurs gens de bien, suspects de la religion, ce que je ne voulus faire et les en advertis eus mesmes, sachant bien que je ne le pouvoi faire en saine conscience, et qu'il falloit plustost obéir à Dieu que non pas aus hommes. Que les Espaignols donc disent ce que bon leur semblera, je sçai que plusieurs peuples et nations qui les valent bien, et qui ont appris que par les feus et les glaives on n'advance rien, me loueront et approuveront mon faict. Mais puisque vous, messieurs, avec le consentement universel du peuple l'avez depuis approuvé, en condamnant la rigueur des placarts et faisant cesser ces cruelles exécutions, je n'ai aulcun soulci de ce que les Espaignols et leurs adhérens en murmurent… Ils jettent des blasmes infinis sur nostre religion, ils nous appellent hérétiques; mais il y a si longtemps qu'ils ont entrepris de le prouver, et n'en ont encore peu venir à bout, que ces injures ne méritent aulcune response.»
Quelle verve d'indignation dans ces paroles de Guillaume à l'adresse de l'instigateur des assassins, et du rémunérateur de leurs crimes!
«Ores que je ne cognoi au monde impudence effrontée qui soit à comparer à celle des Espaignols, toutesfois je ne me puis assez esmerveiller qu'ils ont esté si invereconds, d'oser publier devant toute l'Europe, non seulement qu'ils mettent à pris un chef libre et francq, qui ne les a jamais, Dieu merci, redoubtez, mais qu'ils y adjoustent encore telles récompenses si barbares et si esloignées de toute reigle d'honnesteté et d'humanité, à sçavoir, en premier lieu, qu'ils anobliront celui qui aura faict un acte si généreus, s'il n'estoit noble. Mais, je vous prie, quand celui qui auroit exécuté un si meschant acte (ce que j'espère Dieu ne vouldra permettre) seroit de race noble, pensez-vous qu'il y ait gentilhomme au monde, je dis entre les nations qui sçavent que c'est de noblesse, qui voulust seulement manger avec un si lasche, meschant et si scélérat, qui auroit tué pour argent un homme, voire le moindre et le plus abject qui se puisse trouver? Que si les Espaignols tiennent tels gens pour nobles, si tel est le chemin de l'honneur en Castille, je ne m'esbahis plus de ce que tout le monde croit la plus grande part des Espaignols, et principalement ceus qui se disent nobles, estre du sang des marraus et des juifs, et qui tiennent ceste vertu de leurs ancestres, qui ont faict marché, à baux deniers comptants, de la vie de Nostre Saulveur: ce qui me faict prendre plus patiemment ceste injure. En second lieu, ils lui pardonnent tout délict et forfaict, quelque grief qu'il puisse estre. Mais s'il avoit arraché la religion chrestienne de l'un de ses roïaulmes? S'il avoit ravi sa fille? S'il avoit mesdict de l'Inquisition, qui est le plus grand crime qui soit en Espaigne? Or, puisque mon ennemi vouloit tant s'oublier que d'attenter sur mes biens, sur ma vie et sur mon honneur, et pour avoir plus de tesmoings de son injustice et follie, de la publier ainsi par tout le monde, et en tant de langues, je n'eusse pû désirer, pour mon très grand advantage, qu'il eust enrichi sa proscription d'aultres ornemens que ceus-ci, à sçavoir d'anoblir pour me tuer, non seulement des vilains et infames, mais aussi des plus meschantes gents et des plus exécrables de la terre, et donner telle récompense et si honorable à une tant insigne vertu. Car qu'est-ce qu'il pouvoit trouver plus propre pour vérifier ma justice, que vouloir m'exterminer par tels moïens? Que vouloir par tyrannie, empoisonnements, rémissions de crimes énormes, anoblissement de meschants, opprimer le défenseur de la liberté d'un peuple vexé cruellement et tyranniquement? Je ne doubte, messieurs, que Dieu qui est juste, ne lui aist, et aux siens, osté l'entendement, et qu'il n'aist permis qu'il apprestast à tout le monde matière pour cognoistre son cœur envenimé contre ce païs et contre nostre liberté, d'aultant qu'il n'estime rien tout acte, quelque meschant et détestable qu'il puisse estre, au prix de la mort de celui qui vous a servi jusques à présent et si fidèlement. Et encores il n'a point de honte de mesler en tels sacrilèges le nom de Dieu, se disant son ministre! Le ministre doncq a il ceste puissance, non seulement de permettre ce que Dieu a défendu, mais de le guerdonner de pris d'argent, de noblesse et remission de crimes? Et de quels crimes? De tous crimes, quelque griefs qu'ils puissent estre. Mais je ne doubte que Dieu, par son très juste jugement, ne face tomber la juste vengeance de son ire sur le chef de tels ministres, et qu'il ne maintienne par sa grande bonté mon innocence et mon honneur, de mon vivant et envers la postérité. Quant à mes biens et à ma vie, il y a long temps que je les ai dédiez à son service; il en fera ce qu'il lui plaira, pour sa gloire et pour mon salut.»
Un noble cœur pouvait seul inspirer ces pathétiques et admirables paroles, par lesquelles se termine l'apologie:
«Quant à ce qui me touche en particulier, vous voiez messieurs, que c'est ceste teste qu'ils cerchent, laquelle avecq tel pris et si grande somme d'argent ils ont vouée et déterminée à la mort, et disent pendant que je serai entre vous, que la guerre ne prendra fin. Pleust à Dieu, messieurs, ou que mon exil perpétuel, ou mesme ma mort, vous peut apporter une vraie délivrance de tant de maus et de calamitez, que les Espaignols, lesquels j'ai tant de fois veu délibérer au conseil, deviser en particulier, et que je cognoi dedans et dehors, vous machinent et vous apprestent. O que ce bannissement me seroit dous, que cette mort me seroit agréable. Car pourquoi est-ce que j'ai exposé tous mes biens? Est-ce pour m'enrichir? Pourquoi ai-je perdu mes propres frères, que j'aimoi plus que ma vie? Est-ce pour en trouver d'autres? Pourqui ai-je laissé mon fils si longtemps prisonnier, mon fils, dis-je, que je dois tant désirer, si je suis père? M'en pouvez-vous donner un autre, ou me le pouvez-vous restituer? Pourquoi ai-je mis si souvent ma vie en danger? Quel pris, quel loier puis-je attendre aultre de mes longs travaus qui sont parvenus pour vostre service jusques à la vieillesse et la ruine de tous mes biens, sinon de vous acquérir et acheter, s'il en est besoing, au pris de mon sang, une liberté. Si doncq vous jugez, messieurs, ou que mon absence, ou que ma mort mesme vous peult servir, me voilà prest à obéir: commandez, envoiez-moi jusques aux fins de la terre, j'obéirai. Voilà ma teste, sur laquelle nul prince, ni monarque n'a puissance que vous: disposez-en pour vostre bien, salut et conservation de vostre république. Mais si vous jugez que ceste médiocrité d'expérience et d'industrie qui est en moi, et que j'ai acquise par un si long et si assiduel travail; si vous jugez que le reste de mes biens et que ma vie vous peult encore servir (comme je vous dédie le tout et le consacre au païs), résolvez-vous sur les points que je vous propose. Et si vous estimez que je porte quelque amour à la patrie, que j'aie quelque suffisance pour conseiller, croiez que c'est le seul moien pour nous garantir et délivrer. Cela faict, allons ensemble de mesme cœur et volonté, embrassons ensemble la défense de ce bon peuple, qui ne demande que bonnes ouvertures de conseil, ne désirant rien plus que de le suivre: et ce faisant, si encores vous me continuez ceste faveur que vous m'avez portée par ci-devant, j'espère moiennant vostre aide et la grâce de Dieu, laquelle j'ai sentie si souvent par ci-devant et en choses si perplexes, que ce qui sera par vous résolu pour le bien et conservation de vous, vos femmes et enfans, toutes choses saintes et sacrées, je le maintiendrai.»
L'histoire rend hommage à l'inébranlable constance avec laquelle Guillaume de Nassau maintint ce qu'il s'était solennellement engagé à soutenir.
Le proscripteur et le proscrit ayant parlé, l'opinion publique se prononça en faveur du second contre le premier; et l'arrêt émané d'elle contribua puissamment à rendre plus étroite désormais l'alliance entre celles des provinces qui aspiraient à secouer le joug de l'Espagne et l'homme éminent qu'elles considéraient, à bon droit, comme leur plus ferme appui, comme leur prochain libérateur.
Cette alliance était, sans doute, pour Guillaume, une grande force; mais une force plus grande encore pour lui était celle qu'il puisait dans de saintes inspirations, au foyer domestique, là où un noble cœur de femme, qui s'était consacré à lui, exerçait en secret, avec une exquise délicatesse, le touchant privilège de le seconder dans l'accomplissement de sa haute mission. Plus cette mission venait de grandir, en face des fureurs et des viles attaques d'un Philippe II, plus Charlotte de Bourbon, digne confidente des pensées et des sentiments de Guillaume se sentit heureuse et fière d'être sa compagne, et, comme telle, de partager, avec la fidélité d'une profonde affection, les labeurs, les angoisses, les périls de sa généreuse carrière.
CHAPITRE IX
Tentatives pour opérer un rapprochement entre le duc de Montpensier et sa fille Charlotte. – Le rapprochement a lieu. – François de Bourbon se rend en Angleterre comme chef d'ambassade. – La princesse, sa sœur, l'invite, ainsi que les jeunes fils de la duchesse de Bouillon qui l'accompagnent, à se rendre dans les Pays-Bas avant leur retour en France. – Séjour du prince et de la princesse d'Orange à La Haye. Accueil que le docteur Forestus reçoit d'eux. – Déclaration officielle, par le duc de Montpensier, de l'approbation qu'il donne au mariage de sa fille avec Guillaume de Nassau. – Lettre de la princesse au président Coustureau. – Lettre de la duchesse de Montpensier à sa petite-fille, Louise-Julienne. – Lettres que, dans l'intérêt de sa fille Flandrine, Charlotte de Bourbon adresse à J. Borleeut. – Assemblée à La Haye des députés des Provinces-Unies. —Acte d'abjuration.– Le duc d'Anjou devant Cambrai.
Il est probable qu'en 1581 le duc de Montpensier n'était plus porté à dire, comme en 1565, en parlant du roi d'Espagne, «qu'il se feroit mettre en pièces, pour Sa Majesté, et que, si on lui ouvroit le cœur, on y trouverait gravé le nom de Philippe246.» En effet, que devait être désormais, aux yeux de l'ancien adulateur, ce Philippe II, qui avait osé «toucher à l'honneur» de Charlotte de Bourbon et mettre à prix la tête du prince, son mari? Le duc eut été un chef de famille indigne de ce nom, s'il n'eût pas ressenti, comme s'étendant jusqu'à sa personne, l'outrage fait à ses enfants. Nous aimons à croire qu'en réalité il le ressentit, et comprit qu'il était de son devoir, non seulement de les couvrir de sa protection, mais de se rapprocher d'eux et de leur accorder enfin une part d'affection à laquelle ils avaient droit. Or, quand ce double devoir fut-il accompli dans sa plénitude?
Ainsi qu'on l'a vu, un premier pas avait été fait par le duc dans la voie d'une réconciliation avec sa fille: il avait parlé d'elle, de son mari, de ses enfants avec quelque intérêt, et s'était même prêté à l'examen, par intermédiaires, de diverses questions concernant les droits de sa fille sur certains biens. Mais il fallait qu'il fît plus encore: aussi, en insistant auprès de lui sur la solution de ces questions, le prince dauphin s'efforçait-il de l'amener à établir directement quelques rapports affectueux avec la princesse et le prince.
La preuve des bons offices de François de Bourbon, en cette circonstance, ressort, notamment, de deux lettres écrites, en 1581, l'une par lui, l'autre par Guillaume de Nassau.
Le 21 février, François de Bourbon écrivait à son père247:
«Monseigneur, j'ai receu la lettre qu'il vous a pleu me faire cest honneur de m'escripre par Lamy, et congneu par icelle l'honneur qu'il plaist à monseigneur me faire, de vouloir que j'aille en Angleterre, pour son mariage, dont il m'a aussy particulièrement escript, ayant veu parce qu'il vous a pleu de me mander, que vous l'avez agréable; qui me faict d'autant plus l'affectionner. Toutesfois, monseigneur, je ne fauldray d'escripre bien amplement à mondit seigneur et luy remonstrer l'ennuy et desplaisir que je recepvrois, si je me despartois d'avec vous, premier que vous n'eussiez le contentement tel que désirez en l'affaire que sçavez. Et quant au faict de monsieur le prince d'Orange et de ma sœur, je ne vous sçaurois assez très humblement remercier du soing et peine qu'il vous plaist d'en avoir, me voulant toujours conformer à ce qu'il vous plaira d'en ordonner, et suivre en tout et partout vos commandemens, pour y obéir toute ma vie, etc.»
Le 13 avril, Guillaume s'adressait au prince dauphin en ces termes248:
«Monsieur, aiant entendu, tant par les lettres qu'il vous a pleu m'escrire, comme parce que m'en a dit M. de Sainte-Aldegonde, la bonne affection qu'il vous plaist de me porter, j'en ai esté très aise et ne vous en puis assez humblement remercier, singulièrement pour les faveurs et bons offices que je sçay qu'il vous a pleu faire à ma femme envers monseigneur vostre père, et que vous estes aussy volontairement enclin, de vostre part, à entendre aux affaires qui concernent son bien et des enfans qu'il a pleu à Dieu nous donner, vous asseurant, monsieur, que je m'y sens infiniment vostre obligé pour vous en rendre bien humble service, en ce qu'il vous plaira me faire l'honneur de m'employer. J'ai donné charge à ce porteur de vous aller visiter de ma part pour vous en remercier plus amplement, de bouche; et ensemble pour vous supplier d'adjouster encore ceste faveur aux autres, de ratiffier l'accord et transaction qui a esté faict à Paris, de la part de monseigneur vostre père et de la vostre, par vos députez avec ceux que nous y avions envoyez de la nostre, et pour plus grande asseurance de nos respects qui m'importent, ainsi que ce présent porteur vous pourra déduire plus particulièrement, la signer de vostre main, et par luy mesmes m'envoyer ladite signature, comme je suis pressé de la vous envoyer de ma part, incontinent que je seray adverty de la conclusion faite, et qu'il vous plaira au reste me faire cest honneur de le vouloir escouter, etc.249»
De son côté, le roi de Navarre pressait le duc de Montpensier de ne pas se borner, vis-à-vis de la princesse, sa fille, et de son mari, à un règlement d'affaires, mais de leur tendre la main et de se montrer juste et bon père, en leur accordant une affection dont ils étaient depuis trop longtemps privés. Sur ce second point, le duc, au mépris d'une parole donnée, hésitait encore. Il fallut que le roi de Navarre renouvelât ses instances250; et le père, en y cédant, ouvrit enfin son cœur à sa fille, au prince et à leurs enfants.
Un haut intérêt s'attacherait incontestablement à la connaissance des communications qui furent alors directement échangées entre le duc, Charlotte et Guillaume; mais, malheureusement elles ont, jusqu'à présent, échappé à toutes investigations.
Il ne se rencontre que deux documents qui fassent connaître, l'un, l'époque d'un rapprochement affectueux entre le père et la fille, l'autre, l'impression qu'en reçut le cœur de celle-ci. Le premier de ces documents est du 25 juin 1581, le second, du 29 juillet suivant.
Avant d'en produire la teneur, occupons-nous de quelques faits antérieurs à la double date qui vient d'être signalée.
Le roi de France avait, à la fin de l'hiver de 1581, consenti à l'envoi d'une ambassade en Angleterre, afin d'y aviser à la conclusion du mariage de la reine Elisabeth avec le duc d'Anjou. Le chef de cette ambassade était François de Bourbon, que devaient accompagner le maréchal Artus de Cossé, comte de Secondigny, Louis de Lusignan de Saint-Gelais, sieur de Lansac, Tanneguy le Veneur, sieur de Carrouges, gouverneur de Rouen, Bertrand de Salignac, sieur de La Mothe-Fénélon, qui avait été déjà ambassadeur en Angleterre, Barnabé Brisson, président au Parlement de Paris, Michel de Castelnau, sieur de La Maurissière, et Claude de Pinart, secrétaire d'État.
François de Bourbon, selon le désir de la duchesse de Bouillon, sa sœur, emmenait avec lui les deux jeunes fils de celle-ci.
Le 27 mars, la duchesse avait écrit, de Sedan, à son frère251: «J'envoie le sieur de Nueil, au temps qu'il m'a dit se falloir trouver à Calais, pour l'effect de vostre voïage, estant bien marrye n'avoir eu plus de loisir d'accomoder mieulx le train de mes enfans, auquel j'eusse désiré ne rien manquer, à l'honneur de vostre suite, le défaut duquel sera couvert de vostre faict, et excusé de vous, qui ne sera le premier bienfait receu pour tous lesquels sçachant n'y avoir chose qui vous les face mieulx employés, que quand ils seront sages et vertueux, je supplieray Dieu leur en faire grâce, requérant ceste de vous, qu'il vous plaise leur commander pour vostre service, comme aux plus obligez que vous y ayez.»
Arrivés de Sedan à Paris, pour y rejoindre leur oncle, au moment où il allait s'acheminer vers Calais, les deux jeunes gens avaient mandé au duc, leur grand-père252: «Monseigneur, comme toutes nos intentions tendent à vous rendre la parfaite obéissance que nous vous devons, sitost que la nouvelle de vostre bonne volonté nous a estée représentée ès lettres qu'il vous a pleu nous escripre, pour accompagner monsieur nostre oncle au voïage qu'il a entrepris, sommes retournez en ceste ville, nous rendre à ses pieds, pour luy faire très humble service, en ce qu'il aura agréable nous commander, et ayant mis tout l'ordre qu'il nous a esté possible, afin d'honorer sondit voïage, espérans partir ceste après-disnée, bien disposez de luy rendre toutes nos actions agréables.»
Le chef de l'ambassade, ses neveux, et tous les hauts personnages de sa suite s'embarquèrent à Calais, dans les premiers jours d'avril, et arrivèrent en Angleterre où ils furent honorablement accueillis.
Charlotte de Bourbon, qui se trouvait alors à Amsterdam avec son mari, exprima au prince dauphin combien elle serait heureuse si, à son retour d'Angleterre, elle pouvait recevoir sa visite.
«Quand j'ai entendu, lui disait-elle253, vostre arrivée à Calais, quy n'a esté que depuis ier seulement, je suis demeurée en extrême désir que vostre voïage d'Engleterre me peust aporter tant d'heur et de bien, qu'à vostre retour, vous puissiés passer par Zellande où j'espère, sy Dieu me continue la santé, de me pouvoir trouver, pour avoir cest honneur de vous voir; vous suppliant très humblement, s'il est possible, de me vouloir accorder ma requeste, et me pardonner sy je ne puis avoir tel respect que je doibs aux affaires que vous négociés, car l'affection que j'ay d'estre honorée de vostre présence ne me le permect point. Il vous plaira donc me mander ce que j'en doibs espérer et le temps que vous repasserez, car je ferois en sorte, s'il m'est possible, que monsieur le prince, vostre frère, se trouveroit à Middelbourg, en Zélande, pour participer à ce mesme heur, et pour vous ofrir son service et tant mieulx confirmer l'amitié que vous avez ensemble etc.
»P.S. – Je vous suplie de me mander comme vous vous trouvés, depuis avoir passé la mer; car, ne l'aiant point encore faict, je craignois que vous ne vous trouviés mal.»
Vingt-cinq jours plus tard, Guillaume, à son tour, disait au prince dauphin254: «J'ay esté bien aise d'entendre, par les lettres qu'il vous a pleu d'escrire à ma femme, que vous estes en bonne disposition, et encore plus des grandes faveurs que j'entends, que vous recepvez de la royne d'Angleterre, qui me fait espérer une bonne et heureuse issue de l'affaire que vous avez, de présent, entre mains, vers Sa Majesté, et dont il ne peut réussir qu'un grand bien en toute la chrestienté, lequel aussi, comme je m'y attends, redondra aussi sur nous. J'eusse bien désiré que la commodité de vos affaires, et principalement de l'honorable charge que vous avez, vous eût pû permettre nous faire cest honneur de venir voir ce pays, auquel je me fûsse efforcé de vous y faire bonne chère et vous rendre l'honneur qui vous appartient; mais d'aultant que personne n'en peult mieux juger que vous mesmes, j'en attendray ce qu'il vous plaira ordonner, espérant, si Dieu ne dispose aultrement, qu'il me fera la grâce, une aultrefois, d'avoir cest honneur, ce que toutesfoys, je désireray bien, s'il estoit en ma puissance et disposition, de pouvoir advancer de mesmes, en ceste occasion.» Séparée de la princesse, sa sœur, depuis bien des années, la duchesse de Bouillon tenait à se dédommager de cette privation, au moins en partie, en faisant visiter par ses fils la tante qu'elle aimait à leur représenter, ainsi qu'à sa fille, comme ayant pour eux trois une affection maternelle. Telle était, en effet, celle que Charlotte de Bourbon avait vouée à ses neveux et à sa nièce. Saisissant donc avec ardeur la communication que la duchesse lui avait faite, du désir de voir ses fils quitter momentanément l'Angleterre pour se rendre dans les Pays-Bas, la princesse écrivit aussitôt au prince dauphin255:
«Depuis la dernière depêsche que je vous ai faicte, j'ai encore receu des lettres de madame la duchesse de Bouillon, nostre sœur, où elle me faict entendre le désir qu'elle auroit que messieurs de Bouillon, nos nepveux, pendant vostre séjour en Angleterre, peussent prendre la commodité de venir veoir monsieur le prince, leur oncle, et moy sy vous plaisoit de me faire tant d'honneur de leur permettre et l'avoir agréable, dont tant pour estre asseurée en cest endroit, de sa vollonté, que pour le très grand désir que j'ay d'avoir cest heur de les voir, j'entreprendray de vous supplier très humblement de leur vouloir permettre de faire ce voïage, ce que j'eusse souhaité infiniment eûst peu estre en vostre compagnye. Mais si tant d'honneur et de bien ne m'est permis, à cause de la négociation que vous traictés, j'espère que n'estant mesdits sieurs de Bouillon nos nepveux en cest endroict à rien astreints qu'à suivre vos commandemens, il vous plaira bien, ores que vous partissiez plus tost, m'octroier la très humble requeste que je vous en fais, etc.»
Guillaume joignit ses instances à celles de sa femme, au sujet de ses neveux, auprès de François de Bourbon, par l'envoi de ces lignes256:
«D'aultant que, pour les grandes affaires que vous avez à traicter avec la royne d'Angleterre, de la part du roy, je doubte que vos affaires pourroient bien tirer en longueur, et mesme, pour raison de vostre charge, que vous ne pourrez faire cest honneur à moy et à ma femme de nous venir voir jusque en ce païs, ce que toutefoys je désireray fort que Dieu m'eust faict la grâce d'avoir cest honneur, je vous supplie bien humblement me vouloir accorder, et à ma femme, que messieurs nos nepveux puissent, pour quelques jours, venir passer le temps jusques en ce païs; ce que je sçay aussy que madame de Bouillon prendra à plaisir et contentement, ainsi qu'elle escrit à ma femme, moiennant que ce soit vostre plaisir de leur vouloir accorder; de quoy derechef je vous en prie, et je me tiendray obligé à vous en rendre humble service.»
Rien n'établit que François de Bourbon et ses neveux soient venus dans les Pays-Bas, à l'époque dont il s'agit, ainsi que le désiraient si vivement la princesse et le prince.
D'Amsterdam, Charlotte et Guillaume se rendirent à La Haye. Le docteur Forestus, qui leur était fort attaché, ne manqua pas de quitter sa résidence habituelle de Delft, pour aller les y voir. Il a pris le soin de consigner, dans l'un de ses écrits, l'expression du plaisir qu'il éprouva à se retrouver auprès d'eux, et surtout à recevoir des gracieuses mains de la princesse le charmant cadeau de deux objets d'art, en souvenir des bons soins que le prince avait naguère obtenus de lui, à Delft. Il se montra extrêmement reconnaissant de la bonté de Charlotte de Bourbon à son égard257.
Arrivons maintenant au fait capital du rapprochement qui eut lieu, en 1581, entre le duc de Montpensier et la princesse, sa fille.
Si nous ignorons en quels termes le duc convainquit Charlotte de Bourbon de l'affection paternelle dont il voulait désormais l'entourer, nous savons du moins qu'il proclama noblement, à la face de la France et de l'Europe, l'approbation, sans réserve, qu'il donnait à l'union de sa fille avec le prince d'Orange, et le respect dû par chacun à la dignité morale de la princesse et du prince, dont il tenait à honneur d'être le père.
Voici le ferme langage qu'il tint dans une déclaration officielle qui reçut aussitôt une grande publicité258:
«Loys de Bourbon, duc de Montpensier, pair de France, souverain de Dombes, etc., à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut!
»Comme ce soit chose notoire que nostre très chère et très aimée fille, Charlotte de Bourbon, soubz l'authorité et conduite de défunt très hault et très puissant prince et nostre très cher et honoré cousin, monsieur Friedrich, comte palatin du Rhin, électeur du Saint-Empire, faisant office de père et représentant nostre personne envers nostredite fille, ensemble du vouloir et consentement du roy très chrétien, mon souverain seigneur, et de monseigneur le duc d'Anjou, ait esté conjoincte par mariage avec nostre très cher et très aimé beau-fils, Guillaume de Nassau, prince d'Orange, comte de Nassau, etc., etc., et qu'il a plû à Dieu tellement assister et bénir ledit mariage, que tousjours depuis il a non seulement continué en tout honneur et grande amitié, mais aussi multiplié en lignée, ainsi qu'il fera encores, moïennant sa grâce; au moïen de quoy nul ne doive prendre occasion de le blasmer, ains plustost iceluy louer comme bon et légitime; ce néantmoins, pour autant que, soubz couleur de ce que nous n'aurions assisté et ne serions intervenu audit mariage, quelques-uns en ont parlé et pourroient parler ou présumer aucunement qu'il n'est licite, n'estant esclaircis de nostre intention sur ce; et considérant d'ailleurs que tous princes et grands ne sont jamais sans ennemis et malveillans;
»Sçavoir faisons que nous, ayant recogneu et considéré, comme nous faisons encore, ledit mariage estre utile, profitable et honorable pour nostredite fille et à l'estat et grandeur de nostre maison, avons dit et déclaré, disons et déclarons nostre intention et volonté avoir esté qu'il sortist son plein et entier effect; comme tel l'avons loué, aggréé, ratifié et approuvé, et par ces présentes, en tant que besoin seroit, le louons, aggréons, ratifions et approuvons, tout ainsi que si nous avions esté présent en personne à le passer et contracter; recognoissant les enfans, tant nés qu'à naistre dudit mariage pour nos petits enfans et nepveux, faictz et procréez en loyal et légitime mariage, comme les autres enfans issus et qui issiront d'autres nos filles mariées par nous, et de nostre authorité.
»Parquoy nous supplions et requérons, tant la Majesté Impériale, et tous les rois, princes et potentats souverains, desquels nous avons l'honneur d'estre parens et alliés, que autres princes et seigneurs, nos bons amis, que, si aucune question, trouble ou querelle estoit meue, à cause dudit mariage, ou au préjudice des enfans d'iceluy, nez ou à naistre, soit sur leur estat, condition, ou autrement, il leur plaise prendre leur honneur en main et les avoir et recepvoir en leur bonne protection, leur donnant tel confort, aide et faveur, que tous princes ont accoustumé d'user, les uns envers les autres, et telle comme, en cas semblable, nous voudrions et offrons faire pour eux et les leurs, quand nous en serons requis.
»En tesmoing de quoy nous avons signé ces présentes de nostre main, et à icelles fait mettre nostre scel.
»Donné, à Champigny, le 25e jour de juing, l'an 1581.»Louys de Bourbon.»
Par la publication de cette déclaration solennelle, le duc de Montpensier rompit courageusement, comme père, avec un passé déplorable, et, par là, se concilia la reconnaissance, l'affection, les respectueux égards de cette fille et de ce gendre qui consacraient à son bonheur, pour le reste de ses jours, leurs cœurs et ceux de leurs enfants.
L'impression produite sur Charlotte de Bourbon par la nouvelle attitude du duc à son égard fut, on ne saurait en douter, profonde, et se manifesta certainement par des effusions de gratitude et de tendresse que connurent les intimes confidents de ses sentiments et de ses pensées. S'il ne fût donné qu'à eux de les recueillir, félicitons-nous de pouvoir, du moins, saisir la trace de son émotion filiale, dans ces lignes que, le 29 juillet 1581, elle adressa, de La Haye, au président Coustureau259:
»Recordé à son original par nous, Borleghem et Caron (avec leurs paraphes).
»Collationné à la copie authentique escrite en un livre relié en parchemin blanc, avec des cordons verds, et à icelle trouvé de mot à mot concordant, par moy soubzsigné (signé) Pierre Dulon, notaire impérial.»]