Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 17
CHAPITRE XI
Attentat commis par Jauréguy sur la personne de Guillaume de Nassau. – Paroles de Guillaume. – Soins que lui donne Charlotte de Bourbon. – Émotion générale causée par l'attentat. – Lettres des états généraux aux provinces et aux villes de l'Union. – Générosité de Guillaume à l'égard de deux des complices de Jauréguy. – Prières pour demander à Dieu la guérison de Guillaume. – Lettre de Guillaume aux magistrats des villes de l'Union. – Amélioration de son état suivie d'une rechute. – Désolation de la princesse. – Propos outrageants tenus sur elle et sur le prince par Farnèse et par Granvelle. – Guillaume est hors de danger. – Lettre de la princesse au comte Jean. – Service d'actions de grâces. – Dernière maladie de la princesse. – Sa mort. – Ses obsèques. – Deuil général. – Lettres de Guillaume à Condé et du duc de Montpensier à Louise-Julienne de Nassau. – Conclusion.
Le dimanche 18 mars 1582, Guillaume de Nassau, après avoir, le matin, assisté au prêche, vient, dans la citadelle où il a établi sa demeure, de retenir à dîner les comtes de Laval et de Hohenlohe, Henri Gouffier de Bonnivet, Roch de Sorbier, sieur des Pruneaux, et quelques autres gentilshommes. A sa table doivent aussi s'asseoir ses enfants et deux de ses neveux, fils du comte Jean.
Le prince, ayant l'habitude de dîner, le dimanche, en public, les hallebardiers de service dans la salle à manger remarquent, parmi les spectateurs qui s'y sont introduits et dont la contenance est parfaitement convenable, un jeune homme de mauvaise mine qui s'approche indiscrètement de la table: ils le repoussent dans la direction d'une porte auprès de laquelle il se fixe. Au moment où, à l'issue du dîner, le prince, suivi de ses convives, se dirige vers sa chambre et s'arrête devant une tapisserie qu'il fait considérer au comte de Laval, le jeune homme dont il s'agit obtient d'un hallebardier qu'il le laisse, sous le prétexte d'une requête à présenter au prince, s'approcher de celui-ci; et aussitôt il décharge, à bout portant, sur Guillaume un pistolet284, dont la balle l'atteint au-dessus de l'oreille droite et franchit le palais, près de la mâchoire supérieure, sans léser la langue ni les dents. Étourdi d'abord du coup, le prince revient promptement à lui, se sent blessé, s'aperçoit que le feu est à ses cheveux, et, au milieu du tumulte causé par l'attentat commis sur sa personne, s'écrie qu'on doit s'abstenir de tuer l'assassin; qu'il lui pardonne; mais déjà le misérable a succombé sous les coups d'épées et de hallebardes que les assistants lui ont portés285.
Guillaume, se croyant frappé à mort, dit aux seigneurs français, qui l'entourent: «Ah! que Son Altesse perd un fidèle serviteur.» Puis, s'adressant au bourgmestre van Aelst, il ajoute: «S'il plaît à Dieu, mon Seigneur, de m'appeler à lui, dans cette conjoncture, je me soumets à sa volonté avec patience, et je vous recommande ma femme et mes enfants.»
Sa femme…! à quelles poignantes angoisses n'est-elle pas, alors, en proie! vainement s'efforce-t-elle de les surmonter: elle succombe sous leur poids, s'affaisse, et ne se relève d'un évanouissement, que pour retomber dans un autre286.
Ses enfants…! éperdus, atterrés, fondent en larmes et jettent des cris de détresse.
L'un deux cependant, Maurice de Nassau, avec une présence d'esprit au-dessus de son âge, fait immédiatement explorer, sous ses yeux, le cadavre et les vêtements de l'assassin. On trouve sur lui un poignard, des heures, un catéchisme de jésuite, des tablettes, un paquet de lettres, des agnus Dei, une médaille à l'effigie du Christ, une image de la Vierge, un petit cierge de couleur verte, deux pièces de peau. Toutes les lettres et les tablettes sont en langue espagnole. Ces dernières contiennent des transcriptions de prières et de vœux adressés à Jésus-Christ, à la Vierge, à l'ange Gabriel, afin qu'ils favorisent l'entreprise de l'assassin287.
De l'exploration de ces divers objets ressort la preuve que le coupable et les instigateurs de son crime sont espagnols.
Marnix de Sainte-Aldegonde se hâte d'informer de cette circonstance capitale les magistrats d'Anvers, ainsi que le duc d'Anjou, et l'agitation qui régnait dans la ville commence à se calmer. On ne tarde pas à connaître le nom de l'assassin (Juan Jauréguy), et l'on réussit à arrêter deux de ses complices, Venero et Timmermann.
Cependant la princesse, dont l'énergie morale est toujours à la hauteur d'un devoir sacré à remplir, parvient à maîtriser, dans une certaine mesure, ses douloureuses émotions; et, dès qu'elle a recouvré assez de force physique pour se tenir au chevet du lit de son mari, elle s'y établit et lui prodigue les plus tendres soins, le soutient de ses ferventes prières.
Deux femmes d'élite l'assistent, en amies dévouées, dans l'accomplissement de sa sainte tâche: l'une est la comtesse de Schwartzenburg, sœur du prince288, l'autre, Mme Ph. de Mornay.
Écoutons de Mornay nous retraçant une scène solennelle qui se passa, en présence de sa femme et de la princesse, peu après l'attentat commis par Jauréguy:
«Il est digne de mémoire, dit-il289, que monsieur le prince se croyant mort il fut consolé par le sieur de Villiers, Pierre Loiseleur, son ministre; et, comme n'espérant plus rien de sa vie, se dispensa de la défense que les médecins lui avaient faite de parler. S'enquérant donc quel compte il pourroit rendre à Dieu de tant d'excès commis en la guerre, de tant de sang répandu, il (de Villiers) lui disoit qu'il avoit fait la guerre sous l'empereur Charles, et, qu'étant commandé par son prince légitime, il n'en étoit pas tenu. Pour les guerres civiles aussi, démenées pour une juste querelle, soit de la religion, soit de la patrie, y ayant apporté une bonne conscience, que tout cela étoit couvert de la justice de la cause. Lors le prince: A la miséricorde, monsieur de Villiers, mon ami! à la miséricorde, à la miséricorde!! c'est là mon recours, et n'y en a point d'autre!– Ma femme y étoit présente avec madame la princesse d'Orange, en cette extrémité.»
De Mornay dit encore290: «Pendant l'incertitude de cette blessure, n'est point croiable en quel soin en étoit tout ce peuple. Cette grande place entre la ville et la citadelle, dès le point du jour, étoit pleine de personnes de tout sexe, âge et condition, qui se venoient enquérir de son état; vraye récompense de ce qu'il avoit travaillé pour ce peuple.»
Les états généraux, qui, le jour même de l'attentat, s'étaient empressés d'en informer par écrit les magistrats de Bruges, leur adressèrent, dès le lendemain, 19 mars, les informations suivantes291:
«Nobles seigneurs, nous ne doutons nullement que vous ne soyez desireux de connaître comment les choses se sont passées ici, depuis la nouvelle que vous avez reçue hier de la tentative d'assassinat sur la personne de Son Excellence. En conséquence, nous n'avons pas voulu nous dispenser de vous mander par la présente que quelques complices de l'assassin ont été arrêtés ici hier, et que la situation de Son Excellence n'est jusqu'à présent, Dieu en soit loué, pas empirée. D'après l'opinion et le jugement des médecins et des chirurgiens, la blessure n'est pas mortelle, à moins, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'une fièvre ou une autre maladie ne vienne s'y joindre. L'assassin ayant été tué sur la place, on transporta immédiatement son cadavre sur un échafaud, devant l'hôtel de ville, où on le reconnut comme étant celui de Jean Jauréguy, sous-caissier du sieur Gaspard Anastro, marchand espagnol, parti d'ici, selon la rumeur publique, mercredi dernier, pour Calais. Aussitôt on arrêta, à son domicile, tous les domestiques qui s'y trouvèrent, et entr'autres un prêtre qui a avoué avoir entendu, hier avant midi, la confession du meurtrier et lui avoir administré la communion, après qu'il l'eut absous du crime qu'il se proposoit de commettre. De plus, il a encore avoué que, pendant la semaine passée, il a dit, tous les jours, la messe et des prières pour la réussite du projet. Et afin de donner à l'assassin plus de force pour accomplir son crime, ce prêtre lui avait attaché au cou un agnus Dei et un petit cierge béni, sous lequel était lié un billet renfermant divers caractères inconnus; tous ces objets ont été trouvés sur le meurtrier. On a encore accusé de complicité, ou du moins comme paraissant ne pas avoir ignoré le complot, un autre caissier appartenant à la même maison, ainsi qu'un sieur Adrien de la Maça et son domestique. Ils sont tous arrêtés et on les interroge sévèrement, il est à espérer qu'on découvrira encore d'autres coupables. Conformément aux ordres de Son Alteze, quelques-uns d'entre nous ont été désignés pour assister, conjointement avec le magistrat de cette ville, à l'interrogatoire des prisonniers. Nous ne manquerons pas de vous informer de ce qui sera fait plus tard, et de ce que nous devons penser de cette conspiration.»
L'instruction de l'affaire fut rapidement conduite: Venero et Timmermann furent condamnés à mort, le 27 mars, et exécutés le lendemain.
Avant leur exécution, Guillaume de Nassau, toujours généreux à l'égard de ses ennemis, avait écrit à Marnix de Sainte-Aldegonde292: «J'ay entendu que l'on doit demain faire justice des deux prisonniers estant complices de celui qui m'a tiré le coup. De ma part, je leur pardonne très volontiers de ce qu'ils me peuvent avoir offensé; et s'ils ont peut-estre mérité un chastoy grand et rigoureux, je vous prie vouloir tenir la main, devers messieurs les magistrats, qu'ils ne les veullent faire souffrir grand tourment, et se contenter, s'ils l'ont mérité, d'une courte mort.»
Charlotte de Bourbon se releva un peu de son abattement, en recevant des médecins et chirurgiens l'assurance que la blessure du prince quoique grave, ne leur inspirait cependant pas de sérieuses inquiétudes: «Il avoit la veue et la parole bonnes, l'entendement et le jugement bien certains; et luy estant défendu de parler beaucoup, il escrivoit ferme et bien courant293.»
Des prières extraordinaires, pour demander à Dieu la guérison du prince, avaient été dites dans toutes les églises d'Anvers, en présence d'une foule émue, à laquelle s'étaient joints les membres des états généraux.
«Icy, écrivait un contemporain294, parut l'affection du peuple d'Anvers envers ce débonnaire prince. Après ce détestable coup, toute la ville print le sac et la cendre, humiliée devant Dieu en jeunes, en prières, en oraisons. Les églises françoises et flamandes retentirent en pleurs et gémissemens, pour sa guérison. Des larmes de contrition et de repentance y furent répandues abondamment, et cette action fut célébrée avec tel zèle et dévotion, l'affluence et l'attention y furent si grandes, que, dès le matin jusqu'au soir, on demeura dans les églises.»
Quoi de plus beau, de plus grand dans la vie d'un peuple, que cet élan de tant d'âmes vers Dieu, en des circonstances empreintes d'une telle gravité! Aussi, quels sentiments de gratitude ce magnifique élan n'inspira-t-il pas au noble cœur de Charlotte de Bourbon!
Ces sentiments furent partagés par le prince, son mari.
Vivement touché de l'ardente sympathie dont il était l'objet, il adressa, le 23 mars, aux magistrats des villes et de l'Union, des lettres, dont on rencontre un spécimen dans celle que reçurent de lui, vers cette époque, les représentants de la ville d'Ypres; elle portait295:
«Nobles, honorables, savants, discrets et bons amis, nous ne doutons nullement que vous n'ayez été informez du malheur qui nous est arrivé, dimanche dernier, et nous sommes convaincus que vous en avez été vivement peinés. Mais, puisque telle a été la volonté de Dieu, il est juste que nous supportions avec reconnaissance ce qu'il a bien voulu nous envoyer; et, quoique la main du seigneur nous ait atteint, nous espérons cependant qu'il nous sauvera. Sa colère contre nos ennemis s'étant encore accrue pour un crime aussi abominable, peut-être daignera-t-il manifester d'une manière éclatante sa miséricorde pour son peuple. Quant à nous, à en juger d'après l'état que présente la blessure, et d'après l'avis que les médecins et chirurgiens peuvent émettre dans cette circonstance, nous avons grand espoir de guérir et de revenir à la santé, sans qu'il y ait beaucoup d'apparence de blessure. Ainsi, avec l'aide de Dieu, nous espérons pouvoir, de nouveau et dans peu de temps, prêter à Son Altesse notre appui et nos services, pour le bien-être et la conservation de ces pays. Nous sommes heureux que Dieu ait accordé aux pays d'en ça un prince aussi brave et aussi vertueux que l'est Son Altesse. Si, par la volonté de Dieu (car nous sommes soumis à tous les accidents et à tous les maux qui affligent l'humanité), nous devions quitter ce monde, nous vous prions de conserver toujours à Son Altesse vostre respect et vostre obéissance, de ne pas perdre courage, et surtout de vous tenir en garde contre les menées des ennemis, qui ne manqueront certainement pas de mettre tout en œuvre pour accomplir sur vous leurs perfides desseins. A cette fin, nous vous avons conseillé maintes fois de prendre de bonnes mesures pour leur résister, en donnant vos avis aux villes vos voisines et en les exhortant à la persévérance.
»Nobles, honorables, savants, discrets et bons amis, nous vous recommandons à Dieu. D'Anvers, le 23e jour de mars 1582.
»Comme nous avons d'abord signé les présentes, le 23 de ce mois, nous ne voulons pas manquer de vous informer également, qu'avec l'aide de Dieu, nous éprouvons, de jour en jour, de l'amélioration.»
Cette amélioration se soutint jusqu'au 31 mars, jour auquel se déclara une hémorragie que, pendant quelque temps, on ne put réussir à arrêter.
A la vue de cette sinistre hémorragie, Charlotte de Bourbon éprouva l'une de ces commotions violentes qui compromettent, au plus haut degré, les derniers ressorts d'un organisme graduellement affaibli par la souffrance. Frappée au cœur, elle suppliait Dieu de la soutenir, au milieu de ses indicibles angoisses, dans l'accomplissement de son ministère de compagne dévouée et de consolatrice, alors surtout qu'elle entendait Guillaume, qui ne se faisait aucune illusion sur la gravité de sa rechute, parler de sa mort comme prochaine.
Dans son abnégation illimitée, la princesse était prête à tout sacrifier, même sa vie, pour que les jours de son mari fussent épargnés.
Ils le furent, en effet, alors, d'une manière inopinée.
De Thou prétend296 que tous les remèdes ordinaires ayant été inutilement employés, Léonard Botal, de la ville d'Asti, médecin du duc de Brabant, conseilla de boucher la plaie avec le pouce, et de faire succéder continuellement diverses personnes, les unes aux autres, pour la fermer, de cette manière; qu'on eut recours au procédé qu'il indiquait, et, qu'au bout de quelques jours la plaie se ferma.
Mais Duplessis-Mornay, qui ne quittait pas le prince, et était dès lors en position d'apprécier la nature et l'efficacité des soins qui lui étaient donnés, fournit sur le point dont il s'agit un renseignement à la précision duquel il y a lieu de s'attacher exclusivement297.
«La vérité est, dit-il, que le coup de pistolet tiré de si près, avait cautérisé le rameau de la veine jugulaire, en le perçant, et par conséquent étanché le sang, jusques à ce que l'escarre tomba! Mais ce ne fut pas l'invention de Botal qui la fit fermer; car, quelque bien qu'on y tînt les pouces, le sang tombait par le dedans, tellement qu'en un matin, je lui en vis rejeter par la bouche plus de cinq livres; mais les chirurgiens, par mégarde, ayant poussé une tente en la playe, oincte de quelques onguens, plus avant qu'ils ne vouloient, et ayant en vain tâché de la retirer, au bout de quelques jours, nature avec un peu d'ayde la repoussa, et y fut trouvé un pus blanc au bout, qui donna argument que la veine était fermée; ce qui se trouva vray.»
Alors que ce résultat favorable n'était pas encore obtenu, les quatre membres du pays et comté de Flandre donnèrent charge au grand bailli de Gand et à un magistrat d'Ypres de se rendre auprès du prince d'Orange. L'instruction dont ils étaient munis portait298, entre autres choses: «Lesdits sieurs visiteront, de la part des quatre membres, Son Excellence. Ils représenteront devant luy, sy sa disposition le peult aucunement permettre, et lui feront entendre le grand regret qu'ils ont d'apprendre sa rechûte, et lui tiendront les propos qu'ils trouveront convenir pour le consoler, avec présentation de tout service et témoignage d'affection. Et s'ils ne peuvent avoir accès à Son Excellence, représenteront tout le mesme à madame la princesse, en tels termes qu'ils sçauront appartenir.»
A peine est-il nécessaire d'ajouter que la vive sollicitude des populations inspira, depuis l'attentat du 18 mars, maintes démarches analogues à celle que les délégués des quatre membres de Flandre furent ainsi chargés d'accomplir; démarches éminemment significatives, qui touchèrent extrêmement le prince et la princesse.
L'un et l'autre, à cette époque, étaient l'objet d'outrages révoltants, que déversaient sur eux certains coryphées du parti espagnol.
Alexandre Farnèse, croyant Guillaume tué par Jauréguy, osait écrire à Philippe II, le 24 mars299: «Le cœur me crevoit de voir que tant de méchancetés et d'insolence contre le service de Dieu, de la religion et de Votre Majesté tardassent si longtemps à recevoir le salaire convenable, et qu'il ne se trouvât personne pour le donner; mais enfin nous devons remercier Dieu qui a permis que la chose s'effectuât, quand le moment a paru en être venu, en ôtant du monde un homme si pernicieux et méchant, et en délivrant ces pauvres pays d'une peste et d'un poison tel que lui.»
Insulteur non moins indécent et lâche envers la princesse d'Orange que son émule en fait de haine et de bassesse, le cardinal de Lorraine l'avait été naguère envers la pieuse et héroïque princesse de Condé300, le cardinal Granvelle, instigateur, à la cour de Philippe II, de l'assassinat de Guillaume de Nassau, se déshonorait en écrivant à tel ou tel de ses affidés: «On a envoyé le prince en l'autre monde, que y fût esté mieulx il y a vingt ans… Il a enduré une poyne extrême, et vous pouvez penser quel étoit alors son beau visaige, pour donner contentement à sa nonnain apostate301.» – «Il fust esté bon pour les affaires, que le prince d'Orange fust mort soubdainement, car je m'asseure qu'il aura procuré, devant que de sortir du monde, d'accommoder ses bâtards et sa nonnain, mère d'iceulx302… – On assure fort que sa nonnain apostate soit morte de pleurésie: il seroit bien les avoir enterrés ensemble tous deux303.»
Mais laissons-là ces infamies, qui pèsent, de tout leur poids sur la mémoire de leurs auteurs; et attachons-nous à ces belles paroles du psalmiste304: «Ils maudiront, mais tu béniras, Seigneur!!»
Quatorze jours s'étaient écoulés depuis la cessation de la redoutable hémorragie, lorsque Charlotte de Bourbon rendit compte de l'état de son mari à Jean de Nassau, dans une lettre qui, très probablement est la dernière de celles qu'elle ait écrites, et à laquelle dès lors s'attache un intérêt particulier. Elle lui disait305:
«Monsieur mon frère, s'en retournant vostre secrétaire vous trouver, je n'ay voullu faillir de vous escrire, pour me ramentevoir en vos bonnes grâces, et vous assurer que je n'ay laissé d'avoir tousjours fort bonne souvenance de vous et de madame la comtesse, ma sœur, encore que de longtemps je ne vous en aye rendu tesmoignage par mes lettres; aïant esté taut moins soigneuse d'en faire mon debvoir, pour ce que je me suis tousjours promis qu'il vous plaist n'en faire point de doubte, et aussi d'autant que mademoiselle d'Orange, ma fille, vous advertit souvent de nos nouvelles, lesquelles hélas! ont esté, quelque temps, extrêmement mauvaises, par la blessure de monsieur le prince, vostre frère, dont, par diverses fois, nous sommes passez tels changemens et dangers, à cause d'une veine blessée, que, selon le jugement humain, il estoit tenu plus près de la mort que de la vie. Mais Dieu, par sa grâce, y a miraculeusement mis la main, lorsque nous estions au bout de nostre espérance, aïant cessé le sang depuis quatorze jours en çà; et dès lors la playe s'est tousjours portée de mieux en mieux; mesme, devant-hier, au matin, est sortie une tente qui y avoit été cachée depuis ledit jour qu'il saignoit pour la dernière fois; et se guérit, à ceste heure, la playe si naturellement, que nous ne doutons point de sa convalescence, moiennant la grâce de Dieu, laquelle je luy supplie de tout mon cœur nous vouloir continuer; ainsi que jusques icy il nous en a fait sentir les effets, et qu'il vous donne, monsieur mon frère, en bien bonne santé, heureuse et longue vie; me recommandant, sur ce, bien humblement en vostre bonne grâce. D'Anvers, ce 18 d'apvril 1582.
»Vostre bien humble et obéissante sœur, à vous faire service.
»Charlotte de Bourbon.»
La grâce de Dieu, en réponse aux ferventes supplications de la princesse, continuait si manifestement à faire sentir ses effets, que Guillaume écrivit, le 25 avril, à Condé306: «Je vous remercie humblement de ce qu'il vous a pleu avoir soing de moy, durant ma blessure, et comme je suis assuré que vous louerez Dieu avec moy de la guérison que, j'espère, il m'envoyera bientost; mais je vous en ay bien voulu escrire ce mot par les présentes: c'est que, comme tous les médecins et chirurgiens m'assurent, et comme je le sens aussy en moy mesme, Dieu m'a mis non seulement hors de ce danger, mais moyennant son ayde et l'apparence d'une briefve guérison, laquelle j'essayeray d'employer pour vous en rendre service, en ce qu'il vous plaira me commander.»
A peu de jours de là, la guérison étant complète, les états généraux, en corps, allèrent offrir au prince leurs félicitations.
Par ordre du duc d'Anjou, eurent lieu, dans les églises de toutes les villes des services d'actions de grâces.
Guillaume assista à celui qui fut célébré à Anvers, le 2 mai, «au milieu d'une telle affluence de personnes venues pour le voir, et dont plusieurs pleuroient de joie, qu'à peine, à un certain moment, pouvait-on pénétrer dans l'église, ou en sortir307».
Si la reconnaissance du prince envers Dieu était profonde; quelle n'était pas, en même temps, celle de sa pieuse et fidèle compagne! Elle voyait comblé le plus cher de ses vœux, par le rétablissement de son mari; et, heureuse d'avoir pu accomplir, dans sa plénitude, vis-à-vis de lui, une tâche sacrée, elle acceptait avec une entière soumission l'austère dispensation sous laquelle désormais elle devait s'incliner. Les angoisses, les veilles, les fatigues de tout genre avaient, depuis le 18 mars, épuisé ses forces physiques, et un mal irrémédiable devait, en peu de jours, tarir chez elle les sources de la vie: elle allait mourir, et le savait.
Elle envisagea en chrétienne la mort qui, sur cette terre, allait la séparer de tous ceux qu'elle chérissait; et ce fut, en priant pour eux, en les bénissant, que, confiante en un revoir éternel, elle exhala son dernier soupir.
Quel moment solennel pour tous ceux qui l'entouraient, que celui où elle remit, en paix, son âme entre les mains de Dieu! Que de larmes, mais aussi quelle puissance de relèvement et d'espérance dans ces admirables paroles: «Toute mort des biens-aimés de l'Éternel est précieuse devant ses yeux308.» – «Bienheureux sont dès à présent ceux qui meurent au Seigneur, car ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent309.»
L'histoire ne fournit aucuns détails sur la durée de la maladie à laquelle la princesse succomba, ni sur ses derniers entretiens, soit avec son mari, soit avec ses enfants, soit avec Mme de Mornay, qui l'assista, à l'heure suprême310 ni sur les recommandations qu'elle put faire entendre, dans l'intérêt de ceux qu'elle aimait. L'intuition de quiconque peut aujourd'hui se faire une juste idée du caractère et des généreux sentiments de cette femme éminente suppléera aisément ici au silence de l'histoire.
Ce fut le 5 mai 1582, vers quatre heures du matin, que Dieu rappela à lui sa fidèle servante311.
Les obsèques de la princesse furent célébrées à Anvers avec une solennité exceptionnelle312.
«Si la douleur causée par sa mort pouvoit être capable de recevoir quelque allégement, ce fut qu'on la voyoit comme partagée par un grand nombre, et que chacun y prenoit part. Non seulement tout Anvers étoit tendu de deuil, mais aussi les yeux et la face de tous les habitans de cette superbe ville y rendoient des preuves sincères d'une véritable douleur. Ce qu'on peut contribuer d'honneur et de pompe pour un appareil funèbre y fut contribué; et le corps où une si belle âme avoit habité fut conduit par tous les ordres du pays, en une foule indicible, en ce superbe vaisseau que le vulgaire appelle la grande église, et fut mis, avec les regrets d'un grand peuple, en la chapelle de la Circoncision313.»
La mort de Charlotte de Bourbon plongea dans le deuil tous ceux qui, au sein des Pays-Bas, de même qu'en France et ailleurs, l'aimaient et l'honoraient.
La douleur de Guillaume fut profonde; car, que n'avait pas été constamment, pour lui, son incomparable compagne?
«Monsieur, écrivit-il au prince de Condé314, encore que j'aie senti de plus près la perte que j'ai faite de ma femme, pour plusieurs raisons, si est-ce que je ne laisse de cognoistre que plusieurs gens de bien y ont perdu avecq moy, par la grande amytié et affection qu'elle a portée à tous ceux qui ont aimé Dieu. Et quant à vous, monsieur, je vous puis assurer que vous y avez perdu une bonne parente et amie, qui vous honoroit et aimoit autant que prince de la chrestienté. J'espère que vous ne lairrez, pour cette affliction qu'il a plû à Dieu m'envoyer, de continuer, en mon endroict et de mes petits enfans, la mesme bonne volonté qu'il vous a pleu nous porter par cy-devant.»
Ces petits enfants, en perdant une mère telle que la leur, étaient bien à plaindre: leur aïeul maternel le sentit, pour sa part, et la lettre suivante ne prouve pas seulement la sympathie qu'il éprouvait pour eux; elle constitue surtout un hommage rendu aux sentiments élevés de la fille qui, si longtemps méconnue par lui, avait enfin gagné son cœur.
Trois mois avant de descendre, à son tour, au tombeau315, le duc de Montpensier écrivit à sa filleule, Louise-Julienne de Nassau316:
«Ma petite-fille, je plains beaucoup vous et vos petites sœurs, pour la perte que vous avez faicte en feu ma fille, vostre bonne mère, que j'eusse bien désiré qu'il eut pleu à Dieu vous conserver plus longuement, pour achever de vous rendre bien saiges et bonnes filles, comme j'ay entendu elle avoit bien commencé, en vous principalement, qui pouvez croire que, si vous suivez les vertus et bonnes mœurs dont elle estoit douée, obéissant bien à vostre père, je ne vous oublieray jamais, ny voz sœurs pareillement, et supplie Nostre Seigneur, ma petite-fille, de vous en faire à toutes la grâce et de vous conserver en la sienne.
Arrêtons-nous à ces touchants hommages, rendus par un mari et par un père à la jeune princesse dont nous avons tenté de retracer la vie.
Il y a eu pour nous, dans notre tentative, moins un devoir à remplir, qu'un respectueux besoin de cœur à satisfaire, en saluant ainsi, à trois siècles de distance, la pure et radieuse image de celle qui, tout en s'identifiant avec une seconde patrie, n'oublia jamais sa patrie d'origine, cette France, au sein de laquelle s'était écoulée la majeure partie de son existence, et qui doit s'honorer de la compter au nombre de ses enfants.
Qu'il nous soit permis, en terminant, d'exprimer ici une conviction qui déborde, en quelque sorte du cadre étroit de cette simple esquisse biographique.
S'il est bon, sans doute, de chercher parfois à planer sur les hautes cimes de l'histoire et d'étendre de là ses regards jusqu'à de lointains horizons, il est surtout bon de se limiter à la contemplation d'horizons prochains, plus fructueusement accessibles. En d'autres termes, il est au point de vue moral et intellectuel, pratiquement salutaire de s'attacher, dans la vaste généralité des milieux historiques, à l'étude intime des grandes individualités, et d'entretenir avec elles un commerce dont la familiarité sympathique ne fait qu'accroître le respect et l'admiration qu'elles commandent.
Cette vérité, toute d'expérience, s'applique, nous sommes heureux de le constater, aussi bien à telles individualités contemporaines, qu'à telles autres des siècles passés; car ceux-ci n'ont pas, eux seuls, l'apanage des natures d'élite.
Or, de cette importante vérité, tirons une conclusion bienfaisante:
Aimons, honorons, dans le présent, ainsi que dans le passé, la grandeur morale, partout où il nous est donné d'en saisir l'aspect; et sachons, nous hommes surtout, proclamer avec gratitude, comme fils, comme frères, comme maris, comme pères, que jamais, soit au sein de la société, soit, bien plus encore, au foyer domestique, nous n'avons rencontré cette sainte grandeur plus féconde et plus touchante, que dans un cœur de femme, vivifié par la foi chrétienne, s'épanouissant dans l'inaltérable sphère du dévouement et de la bonté; puis, demeurons inébranlables dans la consolante conviction que ce noble cœur, lorsqu'il a cessé de battre, sur cette terre, laisse après lui, en s'élevant à la vie supérieure de l'Éternité, une trace lumineuse qui nous montre le chemin du ciel!!