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Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 8

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CHAPITRE V

Désir exprimé par Charlotte de Bourbon de réunir autour d'elle la mère, le frère et les enfants de Guillaume. – Sa correspondance avec Marie de Nassau et avec François de Bourbon. – Absence de Guillaume. – Naissance d'Élisabeth de Nassau. – Lettres de la princesse au prince son mari. – Elle se rend à Dordrecht, où est baptisée sa fille Élisabeth, ayant pour marraine la reine d'Angleterre. – Tournée du prince et de la princesse dans la partie septentrionale des Provinces-Unies. – Réception qui leur est faite à Utrecht. Incident. – Le duc de Montpensier s'occupe secrètement de Charlotte, en père sur la conscience duquel le remords commence à peser. – Arrivée en Hollande de Marie de Nassau, d'Anne, de Maurice et du comte Jean. – Guillaume est bientôt appelé à se séparer d'eux et de la princesse pour se rendre à Anvers et à Bruxelles. – Nombreuses lettres de Charlotte à son mari. – Guillaume revient à Anvers, où Charlotte le rejoint. – Résumé des événements qui ont motivé le séjour de Guillaume à Bruxelles. – Situation générale des affaires publiques. – Don Juan se retire à Luxembourg. – Guillaume est élevé aux fonctions de Ruart de Brabant. – Arrivée de l'archiduc Matthias dans les Pays-Bas.

Charlotte de Bourbon avait réellement fait de la famille de Guillaume de Nassau sa seconde famille. Elle eût été charmée de pouvoir, dès les premiers jours de son mariage, en réunir autour d'elle les membres épars; mais les circonstances s'y étaient opposées jusqu'au début de l'année 1577; époque qui lui parut enfin favorable à la réalisation de son affectueux désir. Elle approchait alors du terme d'une seconde grossesse, et elle pensait que le berceau d'un nouveau-né deviendrait le plus attrayant centre de réunion qu'elle pût offrir aux parents du prince.

Celui-ci, pour complaire à sa fidèle compagne, écrivit, de Middelbourg, au comte Jean, le 6 février134: «J'ay bien voulu vous prier que, si vostre commodité s'addonne aulcunement, il vous plaise vous trouver, pour quelque temps icy. Et comme ma femme est continuellement avec grand désir de veoir, une fois, madame ma mère et madame ma sœur, votre compaigne, et ma fille Marie, je leur escripts aussy présentement, à cest effect, afin que, s'il ne leur vient à discommodité, elles nous facent cest honneur que de nous venir veoir pardeçà, pour le temps de l'accouchement de ma femme; et se peuvent asseurer qu'elles ne pourroient se trouver en lieu du monde où elles seront mieulx venues et accueillies que pardeçà. Ce néantmoins, en cas que, pour le grand aage de madame ma mère, ou pour quelque aultre empeschement, elle n'y pourroit venir, ny madame ma sœur aussy, je vous prie toutesfois que vous veuilliez venir, menant avecq vous mes deux filles, Marie et Anne, et que vous veuilliez mettre en chemyn au commencement du moys de may advenir.»

Des personnes mentionnées dans cette lettre, les seules qui purent, un peu au delà de l'époque désignée, se rendre auprès de Charlotte de Bourbon, et du séjour desquelles, à ses côtés, il sera parlé plus loin, furent le comte Jean, Marie et sa sœur. Le second fils de Guillaume, Maurice de Nassau, vint, en même temps qu'eux, séjourner aussi sous le toit du prince et de la princesse.

Elle et lui, dès le mois de février, étaient en souci de sa santé et désiraient qu'il pût suivre, sous leurs yeux, un traitement dont une lettre de Jean Taffin135 spécifiait la nature; mais il avait été finalement jugé opportun que Maurice ne fût pas déplacé avant un certain temps.

Tout souffrant qu'il était, il ne s'en livrait pas moins à des études régulières, conjointement avec ses cousins, les fils du comte Jean, sous la direction d'un précepteur zélé. Aussi, Marie de Nassau, en bonne sœur, se prévalut-elle de l'assiduité de son frère, pour lui concilier, en même temps que l'approbation paternelle, l'octroi d'un cadeau, à titre d'encouragement. Naturellement Charlotte, avec une bienveillance toute maternelle, appuya, auprès du prince, ces paroles de Marie à son père136: «Je vous dois bien prier pour Moritz, car le maître me dit qu'il le mérite bien et qu'il prend grand'peine de bien estudier; et j'espère qu'en recevant quelque chose que monsieur luy envoyera, il fera tant plus son devoir de continuer de mieulx en mieulx.»

Les lettres de la princesse à Marie étaient, pour la jeune fille, une source de douces émotions, dont on saisit la trace dans une billet adressé par elle à son père, qu'elle terminait, à la suite de certaines communications intimes, par ces mots137: «Je ne vous saurois aussy jamais exprimer quel contentement ce m'est d'entendre, par la lettre qu'il a plû à Madame m'escripre, datée du 23 de février, vostre bonne santé et celle de Madame; de coy je suis esté fort resjouie, et en loue mon Dieu, en le priant.»

Marie, dont le cœur aimant avait accueilli avec joie la naissance de la petite sœur que Charlotte de Bourbon lui avait donnée, saisissait avec ardeur l'espérance de pouvoir prochainement étendre son affection fraternelle à un second petit enfant.

Peu de jours avant que celui-ci vînt au monde, la princesse d'Orange, recevant de son frère une lettre que les députés des états généraux lui avaient remise, à leur retour de France, insérait dans sa réponse la communication suivante138: «Ma santé est, pour le présent, Dieu mercy, assez passable. Quant à ma fille, elle se fait assez bien nourrir; et, si elle continue, elle se rendra bientost capable de connaistre l'obligation qu'elle a de vous faire service. Elle est icy près de moy, en ce quartier de Zélande, où monsieur le prince d'Orange est continuellement empesché aux affaires dont il a un si grand nombre, que je désireroys bien luy en pouvoir veoir quelque soulagement. Ce m'en seroit un à toutes mes peines, si je pouvois avoir, un jour, cest honneur de vous revoir; ce que je souhaite de tout mon cœur.»

Dans une autre lettre, du 20 mars, à son frère139, Charlotte prouvait que ses pensées se reportaient avec sollicitude sur le père qui affectait toujours de ne pas s'occuper d'elle. En effet, elle écrivait: «Je vous supplie de croire que c'est l'un des plus grands contentemens que j'aye, quand je suis rendue certaine de l'estat de la santé de monseigneur nostre père et de la vostre, que je prie Dieu vouloir conserver bien bonne.»

Un impérieux devoir venait d'obliger Guillaume à s'absenter de Middelbourg, lorsque, le 26 mars, dans cette ville, Charlotte de Bourbon donna le jour à une seconde fille140.

Quel que fût encore son état de faiblesse, elle écrivit, dès le 3 avril, à son mari141:

«Monseigneur, j'ay receu vos deux lettres, la première, du 28e de mars, aujourd'huy, et la seconde, avant-hier soir. J'ai esté très aise d'entendre vostre bonne santé, et particulièrement de ce qu'il vous a pleu m'honorer de vos lettres, vous asseurant, qu'après l'assistance de Dieu, elles servent à ma convalescence, plus qu'autre chose qui soit. Ce qui me fait vous supplier très humblement, qu'en attendant que j'aye cest heur de vous revoir, il vous plaise m'escrire aussy souvent que vos affaires le permettront. – Et quant à ce que madame d'Aremberg142 vous a prié de m'asseurer, de sa part, de la bonne affection et amitié qu'elle me porte, elle ne pouvoit trouver meilleur persuadeur pour me le faire croire que vous, monseigneur, dont aussy je ne faudray de m'en tenir pour asseurée aussy advant que vous en estes persuadé, de votre part. – Je désireroys bien, à vostre retour de Ghertrudenburg, entendre quel advancement il y a au bastiment de la maison, et, en général, quel est, en ce quartier-là, l'estat de vos affaires. Comme aussy ce me seroit plaisir de sçavoir si les Allemands sont sortis de Bréda, et quelle apparence il y a d'en bien espérer. – Quant à ma disposition, j'ay esté quelquefois en tel estat, que j'y appréhendois quelque danger; ce qui me causoit de l'ennuy, singulièrement au regard de votre absence; mais maintenant je ne sens plus d'occasion de craindre, ains plutost d'espérer retour en santé entière, avec la grâce de Dieu. J'ay quelquefois des foiblesses, comme vous sçavez que j'y suis assez encline; mais j'espère que cela aussi se passera. Nos deux filles se portent bien, loué soit Dieu.»

Comment ne pas rapprocher de ces dernières lignes celles dans lesquelles Marie de Nassau exprimait si bien une joie fraternelle et une sollicitude filiale, qui ne touchèrent pas moins le cœur de Charlotte de Bourbon, que celui du prince? «Mon bien aymé père, disoit Marie143, je suis bien resjouie de la délivrance de Madame, et que j'ay encore une petite sœur; mais il me déplaist fort que, depuis sa couche, elle ne s'est point si bien trouvée. Si est-ce, puisque m'escripvez qu'un peu de mieux luy est survenu, j'espère que doresnavant Madame se trouvera de mieux en mieux; ce qui me seroit un grand contentement, car je désire toujours d'estre avertie de vos bonnes prospéritez.»

L'absence de Guillaume se prolongeant, la princesse continuait à le tenir au courant des circonstances de famille qu'elle jugeait devoir l'intéresser. Le 15 avril, par exemple, elle lui mandait de Middlebourg144:

«Madame la comtesse de Schwartzenbourg, vostre sœur la plus jeune, m'a escrit et priée de vous présenter ses très humbles recommandations, désirant fort avoir de vos nouvelles. Si vous aviez commodité de luy escrire, ce luy seroit un grand contentement et plaisir. J'ay aussy receu lettres de madame vostre mère; et, combien que je n'aye personne qui me les puisse bien donner à entendre145, toutefois je luy feray responce146 laquelle j'envoyeray, d'ici à deux ou trois jours, avec celle que je feray à mademoiselle d'Aurange. Monsieur de Hautain et sa femme me viennent souvent veoir. Si vous trouvez bon, luy escrivant, en faire quelque mention, ils auroyent, comme je croy, pour agréable de connoistre que je vous en auroys escrit.»

Le 14 mai, la princesse ajoutait147, en ce qui la concernait personnellement: «Je vous puis asseurer, qu'à ceste heure, j'espère bien de ma santé, moyennant la grâce de Dieu, que je supplie, monseigneur, de faire prospérer l'occasion de vostre voyage et vous ramener bientost en bonne santé.»

Le prince était alors en Hollande, il s'arrêta à Leyde: là, au milieu des soins qu'il devait donner aux affaires publiques, il prit celui d'assurer par un acte régulier148, à sa femme, l'usufruit, et aux enfants nés et à naître de son union avec elle, d'abord la nue propriété, et, s'ils survivaient à leur mère, la pleine propriété d'un immeuble dont sa réintégration dans la principauté d'Orange lui permettait de disposer.

Un peu auparavant, les états de Hollande, mus probablement par le désir de répondre à ses habitudes de prévoyance domestique, avaient pris la résolution suivante149: «Les états ont accordé, qu'au lieu des six mille livres promises à madame la princesse, à l'occasion de sa joyeuse entrée dans ces pays, elle jouira d'un douaire annuel de six mille livres, après la mort de Son Excellence, à payer par les provinces de Hollande et de Zélande.»

Se rendant avec son empressement habituel à un appel qui lui était adressé, Charlotte de Bourbon crut devoir quitter Middlebourg, vers le milieu de mai. Le prince fut informé de son départ par ce billet150:

«Monseigneur, depuis hier avoir receu vos lettres, sur le midi, et ensemble celles que m'escript monsr de Sainte-Aldegonde, je me suis délibéré de partir incontinent, et, pour cet effet, j'ay prié à disner aujourd'huy deux des magistrats de chacune ville, espérant, si le vent continue bon, de partir, à la marée, après minuit. Dieu veuille que je vous puisse trouver en bonne santé!»

Arrivée à Delft, la princesse transmit au prince ces informations, qui témoignent de sa constance à surveiller, en l'absence de son mari, les divers incidents qui se produisaient dans la marche, si souvent compliquée, des affaires publiques151:

«Monseigneur, revenant l'un de vos gens de Dordrecht, je sceus qu'il estoit arrivé quelque personnage avec lettres des états de Brabant; mais, d'aultant que je n'ay peu entendre les particularitez, et que, d'autre part, j'ay esté avertie que messieurs les estats de ces païs vous mandent ce qui en est, je m'en suis reposée là-dessus, combien qu'il me demeure crainte que toutes ces présentations de pardon, dont le bruit court, soit pour, s'il leur estoit possible, esmouvoir quelque sédition pendant vostre absence. Vous aurez aussy entendu comme il a esté pourvu à Saint-Gertrudenberg bien à propos, contre le dessein de l'ennemi. Toutes ces choses qui surviennent, me font croire, qu'avec l'affection que j'ay, monseigneur, d'avoir bientost cest heur de vous revoir, j'ay double raison de le désirer, pour le bien du pays, que Dieu, par sa grâce, veuille conserver, et vous donne, monseigneur, en parfaite santé, très heureuse et longue vie. A Delft, ce 22 may, sur les dix heures du matin.

»Vostre très humble et très obéissante femme, tant que vivera,
»Charlotte de Bourbon.»

«(P.S.) Monseigneur, l'on m'a fait présent de saucisses de Bruxelles, que je vous envoie, à la charge que n'en mangerés guères, et ferés boire les aultres. Je me porte assés bien, et vostre fille encore mieux.»

De Delft, la princesse, dont la seconde fille devait être, le 30 mai, baptisée à Dordrecht, se rendit dans cette dernière ville, pour y attendre son mari.

Le prince avait chargé son principal secrétaire d'inviter les états de Hollande à assister au baptême: ceux-ci prirent, le 28 mai, une résolution ainsi conçue152: «Son Excellence ayant, par le secrétaire, Bruninck, fait demander aux états de vouloir bien assister, comme témoins, au baptême de sa fille, qui aura lieu, jeudi prochain, à Dordrecht, les états ont député deux des nobles, un membre de chacune des grandes villes, et Droushens, pour se rendre à Dordrecht; et est conjointement proposé et accordé, qu'au profit de l'enfant, comme présent de baptême, sera offerte une rente annuelle de deux mille florins.»

La reine d'Angleterre voulant accorder au prince et à la princesse d'Orange une preuve de la haute estime en laquelle elle les tenait, leur avait directement annoncé qu'elle serait marraine de leur fille. Elle le devint, en effet, et le prénom d'Élisabeth, fut, de sa part, officiellement donné à l'enfant, ainsi que le prouve cette mention consignée dans le Mémoire sur les nativités de mesdemoiselles de Nassau153: «La deuxième fille de madame la princesse fut baptisée, le 30 may 1577, en la ville de Dordrecht, en Hollande, et nommée Élisabeth par monsieur de Sidney, grand escuyer de la royne d'Angleterre, au nom de monsieur le comte de Leicester, et par messieurs les estats d'Hollande et Zélande, comme tesmoings dudit baptesme, lesquels dits estats luy ont accordé une rente héritière de deux mille florins par an, dont ceux d'Hollande ont prins à leur charge les quinze cens, et ceux de Zélande les restans cinq cens florins, comme il est porté plus amplement aux lettres sur ce dépeschées et enregistrées.»

La princesse, à l'issue du baptême, se fit un devoir de remercier la reine d'Angleterre de la lettre qu'elle avait bien voulu lui adresser. Elle l'assura que le nombre de ses fidèles servantes s'était accru, à la naissance de la seconde fille que Dieu, dans sa bonté, lui avait accordée; et affirma qu'elle s'efforcerait de rendre la petite Élisabeth capable d'apprécier, un jour, dans toute leur étendue, les éminentes qualités dont était douée la souveraine qui avait daigné lui donner son nom154.

La réponse de la reine ne se fit pas attendre. Elle exprima à la princesse la vive satisfaction que lui avait causée sa missive, empreinte de tant d'affection. Elle ajouta qu'elle avait bon espoir que Dieu, après lui avoir donné deux filles, comblerait son bonheur, en lui accordant des fils155.

De Dordrecht, Charlotte de Bourbon était revenue à Delft. Le prince, qui se trouvait aussi dans cette ville, vers le milieu de juin, se disposait à continuer, mais, cette fois, en compagnie de sa femme, une tournée qu'il avait entreprise, à l'effet de visiter maintes villes et localités de la partie septentrionale des Provinces-Unies. La princesse se montrait heureuse, à la pensée de ne pas être séparée de lui.

Avant de partir avec elle, il lui procura une véritable satisfaction, en lui annonçant qu'il espérait pouvoir prochainement lui présenter Marie et Maurice, que Brunynck irait prendre à Dillembourg, pour les conduire en Hollande, ainsi que le portaient ces lignes adressées au comte Jean156: «Je suis d'intention de redépescher vostre secrétaire avec mon secrétaire Brunynck, dans cinq ou six jours. L'envoy de ce messagier sert seulement pour advertir ma fille qu'elle se tienne preste pour venir faire ung tour pardeçà, lorsque Brunynck sera arrivé à Dillembourg. Je demande sa venue ici pour certaines affaires que j'ay à communiquer avec elle, et le desir que j'ay de la veoir une fois, ne sachant en quel estat mes affaires pourront tomber; espérant que vous ne trouverez sa venue icy mauvaise, mais que ce sera par vostre bon congé. En cas que mon fils Maurice soit retourné de Heydelberg, je seray aussi d'advis qu'il me soit amené avec sa sœur, etc., etc.»

La continuation de la tournée du prince fut pour la princesse une source de douces émotions. Elle se sentait heureuse et fière d'entendre partout, dans les campagnes comme dans les villes, les populations acclamer son mari, par ces paroles sortant des cœurs: «Notre père Guillaume est ici! Le voilà!157» Et quand les hommes, les femmes, les enfants, qui s'étaient groupés autour de ce père, pour le saluer cordialement, saluaient, en même temps, avec une joie mêlée d'admiration, la présence, à ses côtés, de sa noble compagne, qui avait pour tous un geste bienveillant, un gracieux sourire, une aimable parole, l'excellente princesse, dans l'oubli d'elle-même, reportait sur le prince les hommages dont elle était personnellement l'objet.

Une seule ville, dans le cours de la tournée, fut abordée par Charlotte de Bourbon avec anxiété. Il lui suffisait de savoir que l'autorité du prince sur la province d'Utrecht, telle qu'on la lui avait conférée, n'était pas encore reconnue, pour qu'elle redoutât qu'à Utrecht même ne s'élevât, entre les partisans déclarés de Guillaume et des hommes opposés à leurs sentiments, un conflit dont les conséquences seraient funestes. Quant à Guillaume, sans appréhender ce conflit, dont l'imminence lui semblait d'ailleurs douteuse, il se reposait dans la conviction que, franchir l'enceinte de la vieille cité et se montrer confiant, c'était, pour lui, dignement répondre aux vives instances que lui avaient adressées les magistrats locaux, au nom des citoyens qu'ils représentaient. Ces instances étaient, à ses yeux, la garantie d'un accueil favorable.

Au moment où, au bruit des salves d'artillerie, le prince et la princesse traversaient, à leur entrée dans Utrecht, les flots d'une population non seulement étrangère à toute démonstration hostile, mais animée au contraire des meilleurs sentiments, un projectile, traversant la vitre de leur carrosse, atteignit Guillaume, à la poitrine. Saisie d'épouvante, la princesse jeta les bras autour du cou de son mari, en s'écriant: «Nous sommes trahis158!» Mais elle se calma dès que le prince, l'assurant qu'il n'était point blessé, lui fit voir que le projectile qu'elle avait supposé être une balle, n'était, en réalité, qu'un inoffensif fragment de la bourre de l'un des canons dont les coups retentissaient en l'honneur et d'elle et de lui. Il y eut plus: la princesse passa d'une impression de soulagement à celle d'une véritable dilatation de cœur, à mesure que, d'une extrémité à l'autre de la ville, elle entendit les chaleureuses acclamations de la foule.

Elle eut, en outre, quand vint le moment du départ, le bonheur de constater que le prince, par sa présence et par son langage, venait de confirmer les habitants d'Utrecht, ainsi que ceux de la province, dans la résolution de se placer sous son autorité, comme sous l'égide du plus ferme protecteur qu'ils pussent avoir.

Charlotte de Bourbon était loin de se douter qu'au moment où son voyage avec le prince touchait au terme prévu, le duc de Montpensier, retiré dans son domaine de Champigny, s'occupait d'elle, en homme sur la conscience duquel le remords commençait à peser. Sans se reprocher complètement, il est vrai, l'abandon dans lequel, depuis plusieurs années, il laissait la princesse sa fille, il se demandait du moins s'il ne devait pas revenir sur la résolution, secrètement prise, de l'exhéréder, et si «sans offenser Dieu, en sa conscience, il pouvoit, de son vivant, lui assigner dot et partage équipollent à ce que ses sœurs avoient reçu en mariage, à la charge toutefois par elle de renoncer aux successions maternelle et paternelle, au profit du prince dauphin et de ses enfans.» Considérant, non en père, mais en casuiste, la question comme embarrassante, il voulut en soumettre l'examen à l'appréciation d'autrui. En conséquence, il adressa, le 21 juillet, au président Barjot une note159 empreinte de l'étroitesse d'esprit et de la sécheresse de cœur dont, déjà, il n'avait donné que trop de preuves; et il pria ce magistrat de délibérer, avec quelques personnes qu'il lui désignait, sur les questions indiquées dans cette note. Il voulait se régler sur ses conseils et les leurs.

Nous ignorons quel fut le sort de la démarche du duc. Toujours est-il que, depuis l'envoi de l'écrit dont il s'agit, un long temps s'écoula encore avant que Charlotte de Bourbon pût réussir à se concilier les bonnes grâces de son père.

Mais laissons, quant à présent, celui-ci pour revenir au prince et à la princesse.

Le 12 août, le fidèle Brunynck, arrivé à Cologne, les informa de l'accomplissement de la première partie de sa mission, relative à l'organisation du départ des enfants du prince pour la Hollande. Le lendemain, il expédia au comte Jean, qui se proposait de les accompagner, une dépêche dont la teneur nous renseigne sur les dispositions prises pour que le voyage projeté s'effectuât aussi sûrement que possible160.

A quelques semaines de là, Marie de Nassau, Anne, Maurice et le comte Jean arrivèrent en Hollande; mais à peine Guillaume put-il jouir de leur présence, car un impérieux devoir l'appelait à quitter, de nouveau, son foyer.

Des instances réitérées lui avaient été adressées, depuis un certain temps, pour qu'il se rendît à Bruxelles, afin d'y remédier aux difficultés d'une situation que l'obliquité des actes et des paroles de don Juan, vis-à-vis des provinces et des états généraux, avait, de jour en jour, aggravée. Sollicité, en dernier lieu, avec un redoublement d'insistance, par ces états, qui l'adjuraient de venir, au plus tôt, les éclairer de ses conseils, il se décida à s'acheminer vers la grande cité dans laquelle ils siégeaient.

Quels que fussent, à raison des sourdes menées de ses pires ennemis, les dangers auxquels il pût s'y trouver exposé, sa femme voulut les affronter avec lui; mais il l'en dissuada. Soumise, comme toujours, à une volonté qu'elle savait n'être inspirée que par la plus affectueuse sollicitude, elle se résigna donc à une séparation qui la laissait livrée à de douloureuses anxiétés.

Guillaume se dirigea d'abord sur Anvers. Son entrée dans cette ville, récemment affranchie de la domination étrangère dont elle avait eu tant à souffrir, fut saluée avec enthousiasme par la population, qui le considérait, à juste titre, comme le plus ferme et le plus fidèle de ses appuis.

Charlotte de Bourbon adressa au prince, durant le court séjour qu'il fit à Anvers, une lettre dans laquelle elle joignait à l'annonce d'un avantage remporté par son beau-frère sur l'ennemi la recommandation des intérêts de communautés villageoises, desquelles elle venait de recevoir un témoignage de naïve prévenance; aussi tenait-elle beaucoup au succès de son intervention en leur faveur.

«Monseigneur, écrivait-elle161, je croy que monsieur le comte de Hohenlohe vous aura dépesché homme exprès pour vous faire entendre l'accord fait avec les Allemands de Bosleduc162, comme aussy il m'a faict ce bien de m'envoyer le capitaine Racaume, pour m'advertir de toutes les particularitez. Loué soit Dieu qui augmente sa bénédiction et l'advancement de sa gloire!

»Les communautez des villages de Buys-et-Echer situées sous les pays de Cressieux, m'ont prié de vous représenter leur requeste, afin d'entendre bien amplement leur désir, comme ils s'asseurent de vostre bonne volonté à soulager les affligés. Ils m'ont fait présent de deux pièces de toile, dont j'ay donné une à mademoiselle d'Aurange, vostre fille, afin qu'elle s'employe à intercéder avec moy pour eux; comme, à la vérité, je serois marrie de recevoir ou retenir présent d'eux, qu'ils n'en sentissent quelque soulagement. Or, leur désir seroit que M. de Cruynenghen retirast les chevaux de leurs villages tant chargez et foulez, qu'ils n'ont moyen de plus soustenir le faix; ou, s'il vous semble, monseigneur, qu'on ne les puisse encores retirer de là, qu'au moins il vous plaise tant les favorizer, qu'en escrivant audit sieur Cruynenghen, ils obtiennent quelque allégement de la charge qu'il leur est impossible de plus supporter. Je les ay assuré que vous ferez vostre mieux pour les gratifier en tout ce qu'il vous sera possible, comme aussy je vous supplie très humblement vouloir faire, en ce qu'ils puissent sentir quelque fruict de mon intercession conjointe avec celle de mademoiselle vostre fille; nous confians que ceste nostre requeste, au nom de ces pauvres affligez, ne sera sans effet. Sur quoy, je prieray Dieu, etc., etc.»

»De Sainte-Gertruydenberg, le 20 de septembre 1577.

»Monseigneur, je vous supplie encore très humblement de faire ce qu'il vous sera possible pour ces pauvres gens.

»J'ay donné au capitaine Racaume un petit diamant et luy ay dit que je vous ferois entendre comme il estoit venu m'apprendre ces bonnes nouvelles.

»Vostre très humble et très obéissante femme, tant que vivra.
»Charlotte de Bourbon.»

Après un court séjour à Anvers, où une députation des états généraux était venue le trouver, le prince arriva à Bruxelles. Il y fut chaleureusement accueilli par les représentants de toutes les provinces, et surtout par le peuple, heureux d'entourer l'homme d'élite qu'il appelait son père.

Au même moment, loin de la grande cité qui acclamait Guillaume, des milliers de cœurs dévoués demeuraient inquiets de son sort et suppliaient Dieu de le protéger contre une tourbe d'ennemis qui, maudissant les acclamations dont il était l'objet, tramaient, dans l'ombre, sa perte. De là, ce solennel concours de prières qui, tant que le prince fut absent d'Anvers, s'élevèrent au ciel quotidiennement, pour la conservation de ses jours, de l'enceinte de toutes les églises de Hollande et de Zélande, sur la recommandation de la princesse et des états de chacune de ces deux fidèles provinces163.

Le lendemain de l'arrivée du prince à Bruxelles, Charlotte de Bourbon lui adressa ces lignes émues164:

«Monseigneur, je voudrois vous savoir bien de retour en Anvers, et ne suis guère à mon repos jusques à ce que j'entende l'occasion de vostre soudain partement, et s'il est vray que Don Johan soit secouru de monsieur de Guise. Au reste, monseigneur, je vous supplie de prendre meilleure garde à vostre santé, que vous n'avez faict, ces jours passés, car delà dépend la mienne, et après Dieu, tout mon heur, lequel je supplie vous conserver, monseigneur, au milieu de tant de travaux, en santé, heureuse et longue vie… Nos filles, grandes et petites, se portent bien, et moy aussy moïennement.»

Tant que dura le séjour du prince à Bruxelles, sa femme lui écrivit, à peu près, chaque jour; l'entretenant de divers sujets, qu'on ne peut mieux faire connaître qu'en la laissant en tracer elle-même le tableau dans ceux des fragments de son active correspondance que voici:

«Dordrecht, 2 octobre 1577165.

»Monseigneur, j'arrivai ier en ceste ville, sur ungne heure après midy, et vins avec le bateau jusques auprès du logis, où j'ay trouvé nos petites filles en bonne santé. Les grandes, espérant vostre retour bien de bref, n'ont point voulu loger en vostre quartier. Elles ont ung bon logis, mais il est un peu trop loing, à mon gré… Demain votre sirurgien commencera à pencer M. le comte Maurice. Nous nous portons tous bien, grâce à Dieu, et désirons fort que puissiés bientost revenir. Ceulx à qui j'ay parlé de ceste ville m'ont dit que les estats de ce païs vous avoient déjà prié de retourner, et s'y attendent, et leur semble que vous pouvés aussy bien donner conseil d'icy que plus près, et plus seurement, sy la paix est conclue avec Don Joan. Je ne sçay, monseigneur, si vous aurés affaire d'y séjourner plus longuement; et puis monsieur vostre frère est absent de vous, quy ne peut sans quy luy ennuye beaucoup. Nous désirerions bien fort qu'y fust pardeçà. Sy vous plaisoit de luy escrire pour le prier de vous laisser le précepteur qui est auprès de monsieur votre fils, je serois bien de cet avis; car ledit précepteur est en peine d'estre incertain de sa demeure, et sera tout fâché de quoy l'on l'aura retenu, sy ce n'est pour tousjours. Aussy fauldroit-il bien sçavoir l'entretenement qu'il vous plaira luy bailler. Je vous romps la teste, monseigneur, de beaucoup de petites choses, mais il est besoin de sçavoir vostre volonté. Je vouldrois bien sçavoir si vous aurés remercié la roine d'Engleterre de tant de bons offices qu'elle fait faire par son embassadeur qui est à Bruxelles, ce que je prens la hardiesse de vous ramentevoir.»

«Dordrecht, 4 octobre 1577166.

»J'ay aujourd'huy receu les bonnes nouvelles de la rendicion de Bréda, et comme les Allemans doibvent sortir aujourd'hui; dont j'ay esté fort aise et en loue Dieu167. Les pauvres sujets nous y desirent bien et disent qu'ils ont déjà faict provision de tourbe pour tout nostre yver. Quant j'auré sceu vostre voullonté, alors je seray bientost preste, pourvu que j'espère d'avoir cest honneur de vous y voir. Le capitaine Bastien m'a escript pour vous supplier très humblement de vouloir escripre aux estats de pardeçà, affin qu'il puisse estre païé de son entretenement, depuis que les compagnies françoises sont cassées, ainsy qu'il vous a pleu de luy promettre. Je me souviens fort bien que, deux jours devant que vous particié, vous commandâtes les lettres; mais elles ont esté oubliées. Il me prie de vous faire une très humble requeste pour luy, pour luy donner la capitainerie de Bréda; mais je pense, monseigneur, que vous y aurés desjà pourveu. Il dit qu'il pourroit vous y faire service pour le regard des fortifications. Je sçay que vous cognoissés que c'est ung homme de bien et qui vous est fidèle serviteur; quy me faict vous supplier, monseigneur, que si ne le pouvés gratifier en cest endroict, que veuillés penser de l'avancer en quelque aultre chose… Au reste, ils desirent fort icy monsieur vostre frère, et luy ont préparé le logis qu'avoit monsieur le comte de Schwartzembourg; mais il me semble bien loing. Tous nos enfans, grands et petits se portent bien. Je prie Dieu qu'il en soit ainsy de vous, et qu'il vous donne, monseigneur, en très bonne santé, très heureuse et longue vie.»

134.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 610.
135.Lettre du 22 février 1577. (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 624.)
136.Lettre du 19 mars 1577. (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 15.)
137.Lettre du 2 avril 1577. (Archives de la maison d'Orange-Nassau, no 2241a.)
138.Lettre du 20 février 1577. (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 49.)
139.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 51.
140.Mémoire des nativités de mesdemoiselles de Nassau. (Archives de M. le duc de La Trémoille.)
141.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 44.
142.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 44. Mme d'Aremberg, Anne de Croy, était fille du duc d'Arschot; il suffit de connaître la nature fort peu cordiale des rapports existant entre les maisons de Nassau et de Croy pour apprécier la véritable portée et la finesse des expressions employées ici par Charlotte de Bourbon.
143.Lettre du 6 mai 1577. (Archives de la maison d'Orange-Nassau, no 2.241a.)
144.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 69.
145.La mère du prince n'écrivait qu'en allemand.
146.Ces mots permettent de supposer que, si la mère du prince n'écrivait pas le français, elle pouvait du moins comprendre cette langue.
147.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 86.
148.Du 4 mai 1577. (Voir Appendice, no 10.)
149.Archives générales du royaume de Hollande, 7 février 1577.
150.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 88.
151.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 86.
152.Collection des Résolutions des états de Hollande, à la date du 28 mai 1577. (Archives générales du royaume de Hollande.) – La même collection contient, à la date du 17 août 1577, cette mention: «Ceux de Zélande ont adopté et consenti le présent de baptême de la demoiselle Élisabeth d'Orange, fille du seigneur prince, jusqu'à deux mille livres.» – Il importe de remarquer que le Mémoire sur les nativités de mesdemoiselles de Nassau, se référant, quant au don fait par les états, à des lettres sur ce dépeschées, établit que l'allocation définitive se composa d'une rente de deux mille florins, dont quinze cents à la charge des états de Hollande, et cinq cents à celle des états de Zélande.
153.Archives de M. le duc de La Trémoille. – La reine d'Angleterre, parlant plus tard des filles de Charlotte de Bourbon dans des termes prouvant la sincérité de l'intérêt qu'elle leur portait, ne manqua pas de dire: «La seconde d'entre elles est notre filleule.» (Lettre du 17 octobre 1584. British museum. Bibl. Cott., t. II, fo 188.)
154.Lettre du 2 juin 1577. (Calendar of State papers, foreign series, no 1.451.)
155.Lettre du 28 juin 1577. (Calendar of State papers, foreign series, no 1.486.)
156.Lettre du 18 juin 1577, datée de Delft. (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 100.)
157.Hoofts Nederlandshe historien, p. 525. —Wagenaar Vaderlandsche hist., t. VII, p. 159.
158.P. Bor, X Boeck. —Hoofts Neder. hist., p. 527. —Wagenaar Vaderl. hist., t. VII, p. 160.
159.Bibl. nat., mss. f. tr., vol. 3.182, fo 134. – Coustureau, Vie du duc de Montpensier, p. 225. – Voir à l'Appendice, no 11, le texte de la note.
160.Voir Appendice, no 12.
161.Archives de la maison d'Orange-Nassau, no 2.241a.
162.Voir sur l'expulsion des Allemands, de Bois-le-Duc, l'Histoire des troubles et guerres civiles des Pays-Bas, par Théophile D. L., in-12, 1582.
163.P. Bor, loc. cit., p. 870.
164.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 172.
165.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 173.
166.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 174.
167.Les Allemands en garnison à Bréda, sous les ordres de Frosberg, y avaient causé de grands dégâts au palais du prince.
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Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
441 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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