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Kitabı oku: «Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange», sayfa 9

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«Dordrecht, 5 octobre 1577168.

»Monseigneur, je desirerois bien estre asseurée que vous n'allés plus sy souvent manger hors de vostre logis, du soir, car l'on m'a dict que les bourgeois ont esté tout fâchés169. Je vous supplie, monseigneur, de prendre ung peu plus garde à ce quy est pour vostre conservation170. Aussy je desirerois fort sçavoir sy les estats ne vous auront point permis quelque exercice de la religion, soit secrètement ou aultrement; car je ne voy point, monseigneur, comme vous pourrez demeurer plus longuement sans cela. Je sçay bien que vous y pensés, mais le desir que j'ay que Dieu face tousjours de plus en plus prospérer vostre labeur me faict prendre la hardiesse de vous dire ce mot. Je voudrais que monseigneur put venir, ung jour, à Breda, car je ne sçay sy sera bon de parler de ces choses cependant que vous estes là.»

«Dordrecht, 7 octobre 1577171.

»Monseigneur, j'ay receu, ce matin, à mon réveil, vos lettres, en date du troisième de ce mois, et vous asseure que j'ay esté bien joïeuse d'estre rendue certaine de vostre bonne santé, dont je loue et remercie Dieu, et luy supplie de vous y voulloir bien maintenir.

»Aujourd'hui est arrivé, sur ungne heure après midy, en ceste ville monsieur le comte vostre frère, quy a esté avec le grand contentement du bourgmestre et de tout le peuple. Nous avons esté, nos filles et moy, plus ayses encores que tout le reste, et avons dîné ensemble, et bien bû à vostre santé, desirant fort, monseigneur, que eussiés esté en présence, pour nous faire raison.

»Je feray tout le mieulx que je pourray, touchant ce que vous me mandez; mais ceulx de ceste ville se sont desjà avisés de faire leur présent172, à part, d'ungne coupe dont le vase est de licorne, le reste d'argent, quy vaut quelques cent livres de gros. Sy toutes les aultres (villes) font le semblable, seroit quelque tesmoignage de leur bonne voullonté; mais j'eusse mieulx aymé que tous les estats eûssent faict ung présent de chose qui parust et de quoy l'on se peust servir ensemble. Toutesfois, monseigneur, je n'ay osé empescher, espérant que l'on pourra bien encore remédier à ce que le général supplée en ce que le particulier auroit défailly; ce que je feray le plus discrètement que je pourray.

»Quant aux mille florins, j'ay mandé Jan Back, pour sçavoir s'il les pourra fournir; et où il n'auroit moïen pour le tout, j'en trouveroy ungne partie; tellement que j'espère, avec l'aide de Dieu, que je ne fauldray de satisfaire à vostre commandement; comme nous ferons, nos filles et moy, de prendre la meilleure pacience que nous pourrons, combien qu'elle nous sera bien difficile, quand monseigneur vostre frère partira d'icy; car, cependant qu'il y est, il ne nous semble point que vous soiés du tout (entièrement) absent.

»Je me réconforte, monseigneur, sur ce que vous espérés que les affaires prendront ung meilleur chemyn; et je suis bien estonnée de ce quy ne sont point encores résolus, car il est plus que temps. J'estime que ceste petite deffaicte les avancera. Dieu veuille quy vous puissent bien croire; aultrement j'aurois double regret de quoy vous estes là.

»Quant à la plate, je n'en ay fait nulle mention, ny ne feray encores, et attendray M. Dorpt.

»Au reste, monseigneur, j'ay faict vos recommandations à nos filles, qui vous présentent les leurs très humblement à vostre bonne grâce. Nous nous aimons bien, l'une l'autre, et sommes bien privément ensemble, et elles ont bien grant soin de leurs petites. Tous se portent bien, et monsieur le comte Maurice, que l'on panse tous les soirs et tous les matins.»

Un billet, sans date, mais qui semble se rattacher au contenu de la lettre ci-dessus, du 7 octobre, porte:

«Je viens de penser aux gentilshommes qui sont près de monsieur vostre frère, qu'y me semble leur fauldroit donner quelque chose. S'il vous plaist que je face faire en or vostre pourtrait et le mien, tout en ugne médaille, ou à part, avec les devises, vous me le manderés; et, s'il fauldroit quelque petite chaîne pour les pendre, de quelle valeur vous les vouldriés avoir.»

«Dordrecht, 8 octobre 1577173.

»Monseigneur, j'ay receu le présent qu'il vous a pleu m'envoyer, de la part de la roine (d'Angleterre), que j'ay trouvé fort bien et joliment faict. Quant à la signification de la lésarde, d'aultant que l'on escript que sa propriété est, quand ugne personne dort et qu'un serpent la veut mordre, la lésarde la réveille, je pense que c'est à vous, monseigneur, à quy cella est attribué, quy esveillés les Estats, craignant quy ne soyent mordus. Dieu veuille, par sa grâce, que les puissiés bien garder du serpent!

»Nous avons vû, ce matin, monsieur et madame de Mérode, et sa fille, la marquise de Bergue, quy est belle et fort grande pour son âge, quy est de dix-sept ans. Je l'ay bien regardée, pour vous en dire, quand je vous voiré, ce qui m'en semble. – Ce 8 octobre, sur les onze heures devant diné.»

«Dordrecht, 10 octobre 1577174.

»Monseigneur, j'ay esté bien contente de savoir par monsieur le conte de Hohenlohe comme vous estes en bonne santé, dont je loue Dieu, et desire qu'il luy plaise vous y maintenir, en sorte que je puisse avoir bientost cest heur de vous voir à Bréda, dont mondit sieur le conte m'a donné bonne espérance, et m'a dict, de vostre part, qu'il vous plaist que j'aille incontinent à Bréda; à quoy je ne feray faulte; et mesme monsieur vostre frère est en voullonté que nous allions ensemble, dont je suis fort aise, estimant que cela vous fera encores venir plus tost. Je ne pense pas que puissions plus promptement que lundi ou mardi prochain, à cause que, dimanche, messieurs de ceste ville ont prié au banquet monsieur vostre frère. Nous donnerons aussy ce loisir pour apprester les logis, et feray tout le mieux que je pourray, m'attendant à monsieur le conte de Hohenlohe pour la sécurité des chemins.

»Monseigneur, depuis vous avoir escript ceste après-disnée, j'ay pensé que j'avois oublié à savoir vostre voullonté comme je me dois conduire, pour l'exercice de la religion, à Bréda; sy fault se face qu'y secrétement, ou si j'en pourray user comme en ce lieu (Dordrecht). Et encores que j'espère bien, qu'à vostre venue, la chose pourra estre bien reiglée et quy n'y aura point de difficulté, sy ay-je voulu vous en escripre ce mot pour tant mieulx estre esclarcie de vostre intension, laquelle je sçay estre bonne; et en priant Dieu de la vouloir bénir, je le supplie vous donner en bien bonne santé, heureuse et longue vie. – Tous nos enfans font bonne chère et se portent bien, et se recommandent très humblement à vostre bonne grâce.»

«Bréda, 11 octobre 1577175.

»Monseigneur, depuis la dépesche que je vous fis ier, je suis demeurée en paine, craignant que vous pensiés que je ne considère point assés les difficultés en quoy vous retrouvés à présent, et le travail et labeur que vous prenés à y remédier; mais je vous puis asseurer, monseigneur, que je n'ay aultre chose plus en l'esprit que cella, et que l'observacion de la pacification me rompt bien la teste; toutesfois j'espère, qu'à vostre venue, vous y pourés pourvoir, laquelle j'ay tant desirée en ce lieu, que, devant que d'y venir, je n'ay point eu d'aultre pensée. Mr. Taffin s'est retiré à Dordrecht, jusqu'à ce que je luy fasse entendre vostre voullonté. Quant à tout le reste, nous nous portons, grâce à Dieu, tous fort bien; et ay trouvé vostre maison en meilleur estat que je ne l'eûsse espéré. L'on travaille tant que l'on peut pour faire un toît et racoutrer le logis du boulever qui récompense, au plaisir de l'assiette, l'inégalité qu'il y a de la beauté de l'autre.»

«Bréda, 21 octobre 1577176.

»Monseigneur, suyvant ce qu'il vous a pleu m'escripre, nous nous conduirons pardeçà où vostre venue est bien desirée, dont D… m'a encores mis en quelque doute. Il m'a parlé selon le commandement que vous luy aviez faict, de la dépesche vers monsieur mon père; j'espère qu'y pourra servir à faire entendre à Mr. de Mansart mon intension. Au reste, monseigneur, je vous supplie très humblement, s'il est possible, ne retarder plus votre partement, car les affaires de deçà requièrent aussy vostre présence; et vient fort mal à propos que monsieur le conte de Hohenlohe se trouve assés mal d'une fiebvre tierce. Quant à monsieur vostre frère, je l'ay encores fort prié, de vostre part, qu'il luy plaise vous attendre en ce lieu. Il me semble qu'il le fera, car il m'asseure ne s'ennuyer point.»

La date de cette dernière lettre coïncidait presque avec celle du départ du prince, de Bruxelles pour Anvers.

De retour dans cette dernière ville, Guillaume écrivit, le 23 octobre, au comte Jean177:

«Monsieur mon frère, je vous envoyé Mr. de Malleroy pour vous advertir de ma venue à Anvers, ensemble pour vous donner compte de tout ce qui est passé à Bruxelles et vous prier quant et quant de vous vouloir trouver issi avecques ma femme et mes filles, car ne sçay si je seray retenu issi plus longtemps que j'ay proposé. Or, puisque vous entendrés le tout plus particulièrement dudit porteur, ne vous feray ceste plus longue; me recommandant très affectueusement à vostre bonne grâce, etc., etc.»

L'ardent désir de la princesse allait être satisfait. Précipitant son départ pour Anvers, elle eut bientôt la joie d'y revoir son mari. Ses enfants et le comte Jean l'avaient accompagnée. Délivrée des inquiétudes imposées par la séparation, la famille se sentait heureuse d'avoir recouvré son chef vénéré, et de pouvoir désormais, au foyer domestique, l'entourer de cette affection, de cette sympathie, de ces délicates prévenances, qui toujours rassérénaient son âme, au cours d'une vie d'austères labeurs, d'incessantes agitations, et, souvent même, de périls à affronter.

Quelle impression Guillaume rapportait-il de son séjour à Bruxelles? Telle fut la question que Charlotte de Bourbon se posa à elle-même, et sur la solution de laquelle ses entretiens avec le prince ne tardèrent pas à la fixer. Si le secret de ces entretiens nous échappe, car l'histoire demeure nécessairement étrangère à leur intimité, nous connaissons du moins les circonstances qui motivèrent, en 1577, la présence du prince à Bruxelles, et les mesures dont alors il proposa l'adoption. Arrêtons-nous ici, un instant, non à l'exposé des unes et des autres, mais uniquement à leur indication sommaire.

Investi par Philippe II des fonctions de gouverneur général des Pays-Bas, don Juan y était arrivé, porteur d'instructions secrètes, qui se résumaient en ces deux points: 1o soumission de la population néerlandaise à l'autorité absolue du roi; 2o exercice exclusif de la religion catholique, et, comme corollaire, châtiment de l'hérésie.

Dès ses premiers rapports avec une députation des états généraux, don Juan se heurta, non sans dépit, à l'impossibilité de concilier l'absolutisme de l'autorité royale avec le maintien, soit des prérogatives de ces états, soit des libertés et privilèges des provinces ou des villes.

Force lui fut, en outre, de reconnaître que l'exercice exclusif du culte catholique était en opposition directe avec le régime inauguré, en matière religieuse, par la pacification de Gand.

Il vit enfin, avec mécontement, se dresser devant lui la nécessité de se prononcer, sans délai, sur le renvoi des troupes étrangères, énergiquement réclamé de toutes parts.

S'abandonnant, sous le poids de ces constatations, à des regrets, à des tergiversations, parfois même à une incohérence d'idées et de paroles, qui ne compromettaient pas moins les intérêts publics que sa situation personnelle, il ne savait à quel parti s'arrêter, quand lui fut officieusement donné le conseil de recourir à la voie des négociations.

Celles qui s'ouvrirent entre lui et les députés des états généraux aboutirent, le 12 février 1577, après maintes discussions, à un traité, décoré du nom d'Édit perpétuel, que le roi d'Espagne déclara, quelques semaines plus tard, approuver. Ce traité ratifiait la pacification de Gand, promettait le renvoi des troupes étrangères, la conservation des chartes et privilèges des Pays-Bas, et la mise en liberté des prisonniers, à l'exception du comte de Buren, qui ne serait libéré que lorsque son père, le prince d'Orange, aurait adhéré aux résolutions prises par les états généraux.

Blessé, comme il devait l'être, de ce qu'on l'avait tenu à l'écart des préliminaires et de la conclusion du traité dont il s'agit, Guillaume répondit à la demande que lui adressaient les états généraux d'en approuver la teneur, en élevant contre cet acte les critiques suivantes: la constitution du pays était violée, en ce que lesdits états se trouvaient dépouillés du droit de s'assembler quand ils le jugeraient opportun; les lois régissant les Provinces étaient violées aussi par le fait révoltant de l'incarcération prolongée du comte de Buren, auquel on ne pouvait imputer aucun crime; la ratification de la pacification de Gand était dérisoire, attendu que des subterfuges, immanquablement mis en jeu par la politique espagnole, en paralyseraient les effets; les états généraux s'étaient laissés entraîner à une concession désastreuse, en s'engageant à payer la solde de troupes étrangères, flétries et expulsées, à raison des effroyables excès qu'elles avaient commis.

Quelque fondées que fussent ses critiques, le prince déclara cependant qu'il ne refuserait pas son adhésion à l'édit perpétuel, pourvu que les états généraux promissent formellement, en prévision du cas où les troupes espagnoles ne partiraient point, de s'abstenir de toute communication ultérieure avec don Juan, et de contraindre ces troupes, même par la force des armes, à sortir des Pays-Bas.

Elles en sortirent, il est vrai, en avril; mais dix ou douze mille soldats allemands restèrent encore au service du roi d'Espagne dans les Provinces. Les méfaits commis par plusieurs d'entre eux soulevèrent des conflits et motivèrent, plus d'une fois, une énergique répression.

La versatilité du caractère de don Juan, ses réponses ambigües, ses réticences en plus d'une occasion, la divulgation partielle du secret des trames ourdies entre lui et les agents de Philippe II, au détriment des Pays-Bas, l'inconsistance de la plupart des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions de gouverneur, excitèrent, au sein des Provinces, un mécontentement général. Sa position étant devenue de plus en plus difficile, il crut ne pouvoir mieux en sortir qu'en prenant une attitude ouvertement hostile. Sa brusque mainmise sur la citadelle de Namur, qu'il occupa pour s'y retrancher, et son infructueuse tentative pour s'emparer du château d'Anvers, équivalurent à une déclaration de guerre.

La conséquence du défi qu'il porta ainsi aux états généraux fut la résolution prise par ceux-ci de soutenir contre lui la lutte, si, à la suite de pourparlers qu'il venait d'entamer avec eux, il ne désavouait pas hautement ses actes agressifs et ne se soumettait pas à certaines conditions qu'ils formulaient.

Tel était l'état des choses lorsque, répondant à leur appel dicté par l'anxiété, Guillaume arriva à Bruxelles.

Le conseil qu'aussitôt il donna aux états généraux fut celui d'élargir le cercle des conditions imposées par eux au gouverneur général, en stipulant le maintien formel de la pacification de Gand et de l'édit perpétuel, l'obligation pour don Juan d'évacuer la citadelle de Namur, d'abandonner les autres citadelles et les places fortes, de renvoyer les troupes allemandes au delà des frontières, de licencier, à l'intérieur, tous les soldats servant encore sous ses ordres, de s'abstenir de toutes levées en pays étranger, de réintégrer dans leurs grades tous les officiers destitués, de restituer les biens frappés de confiscation, de libérer les prisonniers, de s'engager à faire cesser, à l'expiration d'un délai de deux mois, la captivité du comte de Buren, enfin de se retirer dans le Luxembourg, et, en y attendant la nomination d'un successeur dans le gouvernement des Pays-Bas, d'obtempérer aux décisions qui émaneraient du conseil d'Etat institué par les états généraux.

Don Juan repoussa ces conditions comme constituant une déclaration de guerre; et, laissant une forte garnison dans la citadelle de Namur, il se retira à Luxembourg, espérant y concentrer les forces nécessaires pour lutter avec avantage lorsque éclateraient les hostilités.

La retraite forcée de don Juan et les conséquences qu'elle devait entraîner n'étonnèrent nullement Guillaume: il s'y était attendu, au moment où il avait donné aux états généraux le conseil, bientôt suivi par eux, que lui inspirait son inébranlable dévouement à la cause de la liberté civile et de la liberté religieuse.

Selon lui, l'établissement de l'une et de l'autre ne pouvait reposer sur le terrain mouvant des compromis ou d'une paix douteuse. Seule, une guerre soutenue pour anéantir le régime de compression et d'intolérance trop longtemps pratiqué dans les Pays-Bas par les Espagnols pouvait conduire à un affranchissement final, et par cela même, à l'inauguration d'un régime de sage liberté.

Or, dans ses généreux efforts pour atteindre ce but, sur qui comptait le prince en dehors du concours que lui prêtaient, dans l'élan de la reconnaissance, les fidèles provinces de Hollande et de Zélande? Ce n'était ni sur les nobles ni sur le clergé officiel des quinze autres provinces; c'était uniquement sur le peuple et sur la bourgeoisie. Ce double levier lui suffisait, car il était d'une puissance telle, que Guillaume, par le judicieux usage qu'il en faisait, imprimait aux états généraux, à l'époque dont il s'agit en ce moment, la direction que lui paraissaient commander les circonstances.

Vainement les nobles et les hauts dignitaires du clergé, jaloux de l'influence prépondérante du prince dans le maniement des affaires publiques, se concertèrent-ils pour tenter de la détruire: leurs tentatives échouèrent contre sa fermeté et son habileté consommée, de même que contre la résistance du peuple et de la bourgeoisie. On le vit bien, surtout, lorsque l'intrigue qu'ils avaient nouée en secret, durant son séjour à Bruxelles, pour attirer dans les Pays-Bas, à titre de nouveau gouverneur, l'archiduc Matthias, fut paralysée, dans ses effets, par l'élévation instantanée de Guillaume aux suprêmes fonctions de Ruart du Brabant, et par le rôle qu'il sut remplir, aux côtés du jeune archiduc, ainsi que bientôt on en pourra juger.

En résumé, la présence et la dignité d'attitude du prince, à Bruxelles, avaient porté leurs fruits, en dégageant les intérêts généraux du pays des principales entraves qui les compromettaient, et en consolidant, au point de vue des nouveaux services à rendre, la situation personnelle de l'homme éminent sous l'égide duquel s'abritaient ces mêmes intérêts.

CHAPITRE VI

Lettres de Charlotte de Bourbon à son frère. – Lettre de Guillaume au même. – Attitude de Guillaume vis-à-vis de l'archiduc Matthias. – Nouvel acte d'union signé à Bruxelles le 10 décembre 1577. – Alliance conclue avec l'Angleterre. – Reprise des hostilités par don Juan. – Défaite de Gembloux. – Guillaume domine la crise qui agite les Provinces. – Il rallie à sa cause Amsterdam. – Il appelle Lanoue dans les Pays-Bas. – Lettre de Charlotte de Bourbon à Lanoue. – Conseils donnés par Lanoue au duc d'Anjou. – Lettres de la princesse a Desprumeaux. – Lanoue nommé maréchal de camp dans les Pays-Bas. Sa loyauté, son énergie. – Relations du prince et de la princesse avec M. et Mme de Mornay arrivés dans les Pays-Bas. – Naissance de Catherine-Belgia de Nassau. – Résolutions des états généraux à l'occasion de son baptême. – Détails sur ce baptême. – Difficultés provenant du duc d'Anjou et du duc Jean-Casimir. – Troubles de Gand. – Lettre de Guillaume à sa femme, au sujet de ces troubles, qu'il réussit à réprimer. – La princesse rejoint Guillaume à Gand et revient avec lui à Anvers. – Traité d'Arras. – Union d'Utrecht. – Mort de don Juan. – Alexandre Farnèse lui succède.

A peine la princesse avait-elle rejoint son mari à Anvers, que, d'accord avec lui, elle envoya en France un gentilhomme qu'elle chargeait de s'acquitter, auprès du duc de Montpensier, d'une mission dont on ignore l'objet. Mais, soit que cette mission tendît à convaincre le duc de la nécessité de rendre enfin justice à sa fille et de lui accorder au moins quelque bienveillance; soit, comme une lettre de Guillaume au prince dauphin178 pourrait le faire croire, qu'il fût uniquement question, pour Charlotte de Bourbon, d'obtenir, au sujet d'une affaire personnelle, l'appui de son père, toujours est-il que la démarche tentée par elle se caractérisait, dans l'une et l'autre hypothèse, comme preuve manifeste de sa confiance en ce cœur paternel qu'elle supposait, même en souffrant de ses injustes rigueurs, ne lui être pas encore totalement fermé.

Convaincue, qu'une fois de plus, l'affection fraternelle lui viendrait en aide, dans cette circonstance, elle écrivit au prince dauphin179:

«… Par le moïen de ce gentilhomme, présent porteur, que monsieur le prince, vostre frère, et moy envoïons vers monsieur nostre père, je vous supplie très humblement de croire que je ne sçaurois recevoir plus de faveur et contentement, que de sçavoir souvent des nouvelles de vostre santé, aïant été extrêmement peinée de savoir celle de madame ma sœur en si mauvais estat, et vous asseure que, s'il y avoit chose, en ce monde, en mon pouvoir, qui peust avancer sa guérison, je l'en voudrois servir. Vous me ferez donc cest honneur de m'escrire comme elle se trouve à présent. – Quant à nos nouvelles, ce gentilhomme vous les pourra faire entendre, lequel, en ce qu'il a à requérir de mondit seigneur et père, en nostre part je vous supplieray très humblement le vouloir favoriser et nous obliger tant, que vostre prière et moyen nous y sera, comme je sçay qu'il y peult beaucoup, espérant tant de l'amitié qu'il vous a tousjours pleu me porter, que prendrez mon faict en main; dont je demeurerai obligée à vous rendre, toute ma vie, très humble service, etc.»

Lorsque, à quelques semaines de là, le prince dauphin perdit sa femme, il reçut de Charlotte de Bourbon ces lignes empreintes d'une affectueuse sympathie180:

«L'ennuy que j'ay receu, ayant entendu par M. de Mansart la perte que vous avez faite de madame ma sœur, est tel quy ne me permect quasi point de vous pouvoir escrire si promptement, et toutesfois sçachant bien l'affliction que vous avez receue par ungne telle séparacion, je me suis contrainte à vous faire ceste lettre pour vous supplier très humblement que la part que j'ay à vostre douleur et fascherie la puisse diminuer, et que vous regardiés, le plus qu'il vous sera possible, à vous conformer à la voullonté de Dieu, de laquelle il nous faut tous dépendre. Je sçay quy vous a départy beaucoup de grâce, mais c'est à ceste heure qu'il est besoing de faire paroistre vostre vertu, de laquelle encore que je ne doubte point, si est-ce que je désire plus que jamais d'estre prés de vous pour m'essaïer à vous divertir et soulager en vostre ennuy, à quoy, monsieur, vous me ferés cest honneur de croîre que je m'y voudrois emploier de toute ma puissance, comme aussi feroit monsieur le prince, vostre frère, qui est extrêmement desplaisant de vous sçavoir en cest estat. Luy et moy avons grande crainte que vostre santé en soit diminuée, ce quy faict que je desire que me faciés cest honneur de commander à l'un de vos secrétaires de me faire entendre de vos nouvelles, qui ne me pourront, de longtemps, apporter le contentement pareil à la tristesse et regrets que j'ay à présent; et, pour n'accroistre point la vostre, je n'useray de plus long discours, sinon pour prier Dieu de vous donner quelque soulagement en vostre ennuy, avec très heureuse et longue vie. Vous me permettrez de présenter, en ceste lettre, mes bien humbles recommandations à madame la marquise, accompagnées d'un témoignage de la douleur que j'ay de nostre commune perte; ne luy en osant sitost rafraîchir la mémoire, cela me gardera de luy en dire davantage, pour ceste fois, désirant néantmoins que me faciés cest honneur, que ceste lettre serve pour vous deux, à qui je prie Dieu donner la constance et résolution qui vous est bien nécessaire.»

Une missive, plus explicite que ne l'étaient ces lignes, ne tarda pas à les suivre. Elle portait181:

«Sy la crainte que j'ay que vous n'aiés point receu la lettre que je vous avois escripte par le sieur X… bientost après avoir entendu la perte que vous avés faicte de feu madame ma sœur, est véritable, je suis doublement ennuiée, d'aultant que vous pouvés penser qu'il y aye de ma faulte; et, d'aultre part, je me voy privée du soulagement que je m'asseurois vous donner, en rendant le debvoir en quoy je suis obligée. Cela faict que, depuis deux jours que M. de Mansart est arrivé, je me suis résolue vous faire ceste dépesche, tant pour avoir cest heur de sçavoir de vos nouvelles, comme pour ce que celluy qui s'estoit chargé de mes lettres est revenu avec luy, n'aïant osé passer oultre, à cause du danger des chemins; et encores combien quy m'ayt asseuré de vous avoir faict tenir bien seurement mes lettres, sy ne me puis-je contenter de cella, pour le doubte en quoi j'en suis. Je vous suplie donc très humblement de vouloir avoir agréable ce que j'en fais maintenant et excuser les incommodités survenues, au reste me faisant cest honneur d'avoir égard à l'amitié que je vous porte et à l'obéissance très humble que je desire, toute ma vie, vous rendre, qui me faict estre en continuel soucy de vostre santé, craignant bien fort, qu'à la longue elle soit rendue moindre par l'extrême ennuy que vous recevez; ce qui m'affligeroit plus que toute aultre chose ne me sauroit contenter. Faites-moy, s'il vous plaist, cette faveur de le croire, et que mon plus grand desir est d'avoir encores cest honneur de vous voir et faire service qui vous soit agréable, et aussy d'estre si heureuse de recevoir vostre conseil, faveur et support en toutes mes affaires, pour y vouloir dépendre entièrement de vous, que je supplie très humblement qu'il luy plaise me le départir, sur ce que vous dira de ma part M. de Malleroy, en quoy vous me pouvez beaucoup plus obliger que je ne le saurois jamais deservir, mais non point plus que je l'espère, et que je me fie entièrement à vous, qui me ferés cet honneur me départir des nouvelles de monsieur mon nepveu, de quoy je me trouve, à ceste heure, avec plus grand soin que jamais, vue la grande perte qu'il a faicte, combien que je n'ignore point avec quelle affection vous le conservez, comme chacun qui l'a veu, oultre ce qu'il vous est, l'en trouve bien digne, pour estre un prince des plus accomplis pour son âge. Je supplie Dieu, monsieur, de le vous bien garder, et que je le puisse, ung jour, voir. Mondit sieur de Malleroy vous dira des nouvelles de mes petites filles, que je vous supplie très humblement avoir toujours pour recommandées, et moy, en vos bonnes grâces, etc., etc.

»(P.S.) Depuis huit jours, je me suis trouvée assés mal; quy m'a fait retarder cette dépesche, pour vous pouvoir mander meilleure nouvelle de ma santé, laquelle est si souvent afoiblie par maladie, que cella me faict de tant plus desirer que Dieu me fist la grâce, pendant que j'ai à vivre, d'avoir cest honneur de vous voir encore.»

Quelles sérieuses et émouvantes pensées s'éveillent, à la lecture de ce simple post-scriptum!

La princesse y parle de l'affaiblissement de sa santé, sans proférer la moindre plainte, car elle accepte, en chrétienne, toute dispensation émanant de la volonté divine. Il semble qu'elle ait le pressentiment de la brièveté de son existence. N'y a-t-il pas, en effet, pour son cœur à la fois si tendre et si pieux, plus de mélancolique résignation que d'espoir, dans ces paroles: «pendant que j'ai à vivre?» Hélas! Charlotte de Bourbon n'avait plus, alors, que quelques années à passer sur cette terre! Mais quel admirable emploi ne fit-elle pas de ces trop courtes années, en consacrant au bonheur de tous ceux qu'elle aimait les trésors de son affection, de son dévouement et de son inépuisable bonté!

C'est de l'impérissable souvenir de tels trésors que se compose, dans l'ensemble des données biographiques, la meilleure partie du patrimoine de l'histoire. Honneur à elle quand elle les ravive et quand ses annales en reflètent la splendeur!

Partageant, dans le cercle des relations de famille, les sentiments de sa noble compagne, Guillaume de Nassau s'était lié d'amitié avec le frère de celle-ci. Aussi, fut-ce le langage d'un frère affectionné qu'il lui fit entendre, en l'entretenant, à son tour, du deuil à l'occasion duquel Charlotte de Bourbon lui avait exprimé sa profonde sympathie.

«Monsieur, disait-il au prince dauphin182, si les lettres que j'ay esté si heureux de recevoir de vous par M. de Mansard n'eûssent esté accompagnées du rafraîchissement de la perte que vous avez faite de feu madame vostre femme, j'eûsse eu occasion de recevoir beaucoup de contentement de tant d'honneur qu'il vous plaist me faire, lequel, je vous asseure, monsieur, que j'estime double, voïant qu'estant en si grand ennui, vous me faites cette faveur d'avoir encore si bonne souvenance de moi, qui vous plains extrêmement d'une telle séparation. Mais je désire, monsieur, qu'il plaise à Dieu vouloir fortifier vostre patience, et j'espère aussi que la prudence et sagesse qu'il vous a départie vous feront de tant plus conformer à sa volonté. Au reste, monsieur, je voudrais qu'il y eust en ma puissance chose par laquelle je vous peusse tesmoigner combien me touche ce qui vous arrive, soit bien, soit mal; et lors vous cognoistriés, monsieur, que, quand j'aurois cest honneur de vous estre propre frère, je ne sçaurois de plus grande affection désirer vostre soulagement et d'avoir moïen de vous faire bien humble service. Quant à l'estat de ce païs, M. de Maleroy, lequel nous envoyons exprès pour vous visiter de nostre part, vous pourra particulièrement raconter ce qui est advenu pardeça, depuis l'arrivée de M. l'archiduc Matthias, et la cause de sa venue, les difficultés qui se présentent, d'heure à autre, et le travail que j'ay pour amener le tout à une bonne fin, qui est tel, que le peu de loisir que j'ay m'a souventes fois empesché de faire mon devoir envers vous, comme je suis obligé. Mais, monsieur, vous me ferez cest honneur de croire qu'il n'y a point de faute de bonne volonté; ce que cognoistrés tousjours quand j'auray cest heur de recevoir de vos commandemens, à quoy je me sens plus obligé que jamais, veu l'honneur que faites à ma femme de prendre ses affaires en main, pour les recommander à monseigneur vostre père, ce qu'elle vous supplie bien humblement vouloir continuer, et moy en vostre bonne grâce, à laquelle je présente mes très humbles recommandations, et prie Dieu vous donner, monsieur, en parfaite santé très heureuse et longue vie.

168.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 177.
169.Ils voyaient avec peine que le prince, par excès de confiance, exposait sa personne.
170.On lit dans une lettre de Charlotte de Bourbon à Guillaume Martinij, greffier d'Anvers, en date du 4 octobre 1577: «Je vous prie de vouloir tousjours me mander comme le tout se passe pardelà et ce que je doibs espérer. Je désirerois bien qu'il plûst à monseigneur le prince me mander, ou bien qu'il revint pardecà; car encores que je cognois bien le bon zèle et cœur que ceulx de vostre ville d'Anvers et ceulx de Bruxelles luy portent, toutesfois l'esloignement de sa présence me donne beaucoup de peines et de craintes. Néantmoins je remets le tout en la main de Dieu et le supplie de vouloir bien garder mondit seigneur avec tous les bons patriotes, dont vous tenez des premiers rangs, et conduire par eux les affaires à une heureuse fin.»]
171.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 181.
172.Ce présent était destiné probablement au comte Jean de Nassau, pour fêter sa bienvenue.
173.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 190.
174.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 198, 199.
175.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 200.
176.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 205.
177.Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. VI, p. 207.
178.Cette lettre, en date du 20 décembre 1577, sera reproduite ci-après.
179.Lettre du 30 octobre 1577, datée d'Anvers. (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 53.)
180.Lettre du 9 décembre 1577. (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 55.)
181.Lettre du 23 décembre, datée d'Anvers (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 82).
182.Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 23.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
441 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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