Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 14
AMATEURS FLAMANDS
NICOLAS ROCKOX ET GASPAR GEVAËRTS
1560 – 1666
CHAPITRE XXI
Célébrité acquise à la ville d'Anvers par ses artistes. – Réputation des peintres anversois du temps d'Albert Durer et de Hans Holbein. – Culture des sciences et des lettres à Anvers. – L'imprimeur Christophe Plantin. – Richesses et luxe des négociants d'Anvers. – Déclin de la prospérité d'Anvers sous Philippe II. – Gouvernement d'Albert et d'Isabelle.
1454 – 1598
«C'est un fait notoire qu'Anvers a vu naître ou fleurir, depuis un siècle, un plus grand nombre de peintres distingués par leur talent, que toute autre ville. Rome elle-même n'a pas brillé d'un semblable éclat et ne peut lui être comparée, puisqu'il est vrai que presque tous les peintres qui ont décoré de leurs œuvres cette ancienne capitale du monde, ont été des étrangers nés à Urbin, à Florence, à Venise et surtout à Bologne. Anvers peut donc lever la tête, et se glorifier de l'emporter, sous le rapport de l'art, sur toutes les autres villes.»
Telle est l'introduction que Sandrart a placée en tête de sa vie de Pierre-Paul Rubens302. Sans aller aussi loin que l'auteur de l'Académie du très-noble art de la peinture, nous conviendrons volontiers qu'Anvers peut être comparée, dans une certaine mesure, à Venise, Bologne, Rome et Florence; nous reconnaîtrons même que, du temps de Rubens, Anvers l'emportait de beaucoup, au point de vue de l'art, sur toutes les villes situées de ce côté des Alpes303. Paris ne pouvait pas encore se vanter d'avoir vu naître Eustache Lesueur et Charles Le Brun; il n'était pas devenu, comme de nos jours, la capitale de l'art moderne en Europe, et le chef de l'école d'Anvers venait de laisser dans ses murs, en témoignage irrécusable de sa supériorité, les nombreuses et magnifiques toiles de la galerie de Marie de Médicis. Les choses ont bien changé depuis: Paris est devenu la cité la plus célèbre, comme le dit Sandrart: «In proferendis enutriendisque pictoribus singulari artificio claris; soit pour produire, soit pour attirer et nourrir les artistes les plus distingués.» Anvers, comme Venise, Rome, Florence et Bologne, est reléguée au second rang. Mais son histoire atteste que, pendant plus de deux siècles, elle a produit un grand nombre de peintres le plus heureusement doués dans tous les genres. Son école de gravure, due, en grande partie, aux leçons et aux exemples de Rubens, n'a pas été moins brillante, et ses œuvres, répandues dans le monde entier, montrent encore aujourd'hui combien les arts du dessin ont été en honneur dans cette intelligente et riche cité.
Dès le milieu du quinzième siècle, les peintres anversois étaient réunis en corporation ou gilde, et leur liggere, ou registre des artistes inscrits depuis 1454 jusqu'en 1615, constate que l'admission dans cette académie était fort recherchée, non-seulement par les artistes nés ou fixés à Anvers, mais également par les étrangers304.
Albert Durer, dans le journal écrit par lui-même de son voyage aux Pays-Bas, en 1520-1521, fait voir qu'il se plaisait beaucoup à Anvers, où il séjourna plus longtemps que dans les autres villes qu'il visita. Il y fut l'objet, aussitôt après son arrivée, d'une sorte d'ovation de la part des peintres et des amateurs, et voici en quels termes il raconte cette circonstance de son voyage:
«Le dimanche de Saint-Ossvald, les peintres m'ont invité à leur maison, avec ma femme et ma servante: ils avaient préparé un dîner excellent, avec de la vaisselle d'argent et d'autres ornements précieux. Leurs femmes aussi étaient toutes présentes, et lorsqu'on me mena à table, les spectateurs se dressèrent de chaque côté, comme si l'on conduisait un grand seigneur. Il se trouvait parmi eux de hauts personnages, des hommes qui me saluèrent de la manière la plus humble, et se montrèrent très-bienveillants envers moi. Ils me dirent qu'ils voulaient tous faire leur possible pour me plaire en tout ce que je voudrais: et lorsque je fus assis, un messager de messieurs les conseillers d'Anvers arriva avec deux valets, et me fit cadeau, au nom des seigneurs d'Anvers, de quatre pots de vin, en me disant qu'ils voulaient m'honorer par-là et me témoigner leur bonne volonté. Je leur fis mes humbles remercîments et je leur offris mes services. Après, vint maître Pierre, le charpentier de la ville, qui me fit cadeau de deux pots de vin, avec l'offre de son service. Après avoir été joyeusement attablés ensemble jusque fort avant dans la nuit, ils nous reconduisirent avec des flambeaux, d'une manière très-honnête et polie, et me prièrent d'user de leur bonne volonté pour tout ce qui me ferait plaisir, me promettant de m'aider en tout. Je les remerciai et allai me coucher305.»
On voit avec quels honneurs Albert Durer fut reçu à Anvers; on voit aussi que la gilde ou corporation des peintres anversois était alors très-considérée et très-riche, puisqu'elle possédait une maison, ou lieu de réunion, et qu'elle pouvait offrir à un confrère étranger un repas somptueux, servi en vaisselle d'argent et décoré d'autres ornements précieux.
Peu après, Durer va visiter les ateliers des peintres dans leur maison, où ils préparaient les cartons de l'entrée triomphale de l'empereur Charles-Quint, qui devait bientôt venir visiter Anvers. «Cet ouvrage, dit-il, est long de iiii cents feuilles, dont chacune a quarante pieds de long. Il sera déployé de chaque côté de la rue, bien arrangé avec deux gradins. Là-dessus, on fera les pièces. Le tout ensemble coûte, tant pour les peintres que pour les menuisiers, quatre mille florins. Toute cette chose est faite très-précieusement.» Durer n'oublie pas d'aller aussi dans la maison de «maître Quentin (Messis ou Matsys),» l'un des peintres d'Anvers les plus célèbres à cette époque306.
Hans Holbein, cet autre grand artiste allemand, vint également visiter Anvers, lorsqu'il se rendit de Bâle en Angleterre. Nous avons rapporté307 la lettre qu'Érasme lui avait donnée pour Petrus Ægidius, et dans laquelle il priait ce savant d'indiquer également à Holbein la maison de Quentin Matsys.
Ces faits prouvent quelle était, dès le commencement du seizième siècle, la réputation d'Anvers et de ses artistes.
Les sciences et les lettres n'y étaient pas moins cultivées que la peinture et la gravure. Si la capitale du Brabant, moins heureuse que Florence, n'a donné naissance à aucun poëte illustre, elle peut revendiquer un grand nombre de commentateurs et d'antiquaires, de ces savants, communs à l'époque de la Renaissance, qui s'attachaient à l'étude de l'histoire et de l'archéologie chez les Grecs et chez les Romains. Parmi les plus célèbres, on doit citer particulièrement Hubert Goltzius et Juste Lipse, qui, bien qu'étrangers à Anvers, choisirent cette ville pour y publier une partie de leurs curieuses et doctes recherches sur l'histoire, les monuments et les usages de l'ancienne Rome308.
Vers le milieu du seizième siècle, une circonstance heureuse attira les écrivains de tous les pays dans les murs d'Anvers. Un Français, Christophe Plantin, fuyant les troubles de sa patrie, était venu se fixer dans la capitale du Brabant, et y avait porté l'art de la typographie au plus haut degré de perfection. Ami de Juste Lipse et d'autres érudits, et possédant lui-même une instruction profonde, il fut bientôt cité, à l'égal de Robert Estienne, pour la correction et la beauté des livres sortis de ses presses. Il imprima les ouvrages les plus considérables par leur importance et leur étendue, tels que la Bible polyglotte, en huit volumes grand in-folio, qu'il publia sous les auspices du roi d'Espagne Philippe II, dont il était le premier imprimeur (architypographus). Mais il ne se bornait pas à la seule impression des livres: il faisait graver et tirer un grand nombre de planches, pour des ouvrages rares et curieux, par exemple, ceux du savant botaniste Lobel, et beaucoup d'autres.
Dans une ville riche, remplie de savants et d'artistes, il ne pouvait manquer de se trouver un grand nombre d'hommes prenant un intérêt aussi vif aux œuvres des différents arts du dessin qu'aux sciences et aux lettres. L'immense commerce maritime d'Anvers, avant la fermeture de l'Escaut, attirait dans cette industrieuse cité les principaux négociants de l'Europe. La douceur des mœurs flamandes, l'abondance et la facilité de la vie y entretenaient un luxe inconnu aux autres villes du Nord. Les richesses acquises dans le commerce par les intelligents bourgeois d'Anvers étaient souvent employées en constructions de vastes et magnifiques habitations, décorées avec le plus grand soin des chefs-d'œuvre de l'art et de l'industrie. Albert Durer309 raconte qu'il visita la maison du bourgmestre d'Anvers: «Elle est vaste et bien ordonnée, dit-il, avec une infinité de grands et beaux salons, une cour richement ornée et des jardins fort étendus. En somme, c'est une demeure tellement magnifique, que je n'ai jamais rien vu de semblable en Allemagne.»
L'orfévrerie d'Anvers était en grande réputation, et l'art de tailler les diamants, importé de Bruges où il avait été découvert dans le seizième siècle, était devenu, pour cette ville et pour Anvers, une nouvelle source de richesses. Tous les corps d'état, orfévres, peintres, marchands de poissons, tonneliers, arquebusiers, y étaient, depuis le moyen âge, réunis en associations aussi riches que puissantes. Ils rivalisaient de luxe, et ne négligeaient aucune occasion de décorer de tableaux et de peintures leurs lieux de réunions, ainsi que les chapelles de leurs saints patrons. Albert Durer fut traité magnifiquement par les orfévres d'Anvers, au carnaval de 1521… «Les orfévres, dit-il, nous ont invités, ma femme et moi. Il y avait dans l'assemblée beaucoup de braves gens qui m'ont préparé un repas exquis, et m'ont fait beaucoup trop d'honneur. Le soir, le vieux bourgmestre de la ville m'a invité à un excellent repas, et m'a parfaitement accueilli. Il y avait là de drôles de masques… Le lundi soir, on m'a invité au carnaval et au grand banquet, qui était délicieux.»310
La prospérité de la ville d'Anvers semble avoir atteint son apogée, depuis le commencement jusque vers la moitié du seizième siècle. Mais, à partir de l'avènement de Philippe II, la guerre étrangère, les discordes civiles, les discussions religieuses, firent des pays-Bas, et d'Anvers en particulier, l'arène ouverte, pendant plus d'un demi-siècle, aux plus mauvaises passions humaines. Le gouvernement paternel d'Albert et d'Isabelle, à qui Philippe II avait cédé les Pays-Bas, en 1598, essaya de guérir les blessures que ce malheureux pays avait reçues. Si ces princes ne réussirent pas à rétablir l'ancienne prospérité des provinces belgiques, l'histoire doit néanmoins leur tenir compte de leurs efforts et de leur bon vouloir.
Ils furent plus heureux ou mieux récompensés par les arts; c'est sous leur administration que la peinture flamande a brillé de son plus vif éclat, et il serait injuste de méconnaître la part qui revient à l'archiduc et à l'infante dans la brillante auréole qui entoure l'école d'Anvers. Le plus grand des peintres flamands, Rubens, dut à leur protection l'éclat qu'il répandit dans sa patrie à son retour d'Italie; en le retenant à Anvers, ils l'honorèrent d'une protection, ou plutôt d'une considération dont aucun artiste n'avait joui depuis le Titien; et lorsqu'ils le choisirent plus tard comme missionnaire de paix entre l'Espagne et l'Angleterre, ils firent servir son intelligence supérieure et sa renommée d'artiste au rétablissement du plus grand bien qu'il soit possible de faire aux hommes.
Anvers, depuis l'époque où Rubens revint s'y fixer jusqu'à sa mort, fut réellement la capitale de l'art en Europe. Aussi, était-elle alors remplie, non-seulement d'artistes distingués en tous genres, mais en outre de véritables amateurs.
Parmi ceux qui vécurent dans une étroite et constante intimité avec le grand maître anversois, il en est deux que l'histoire de Rubens et sa correspondance signalent comme méritant une notice particulière: nous voulons parler de Nicolas Rockox, bourgmestre, et de Gaspar Gevaërts, secrétaire de la ville d'Anvers.
Mais, avant d'expliquer leurs relations avec le chef de l'école flamande, il nous paraît nécessaire de rappeler, très-sommairement, les principales circonstances de la jeunesse du peintre, jusqu'à l'époque de son retour dans sa patrie.
CHAPITRE XXII
Naissance, éducation et commencements de Rubens. – Il part pour l'Italie. – Ses études à Venise, Mantoue, Bologne, Florence et Rome. – Son premier voyage en Espagne. – Il revient à Mantoue et retourne à Rome, où il trouve son frère Philippe, et travaille avec lui aux deux livres des Electorum. – Il visite Milan et Gênes.
1577 – 1608
On croit généralement que Rubens naquit le 29 juin 1577, à Cologne311 où son père, Jean Rubens, l'un des conseillers du sénat d'Anvers, s'était réfugié en 1568, selon les uns, à cause de ses opinions religieuses312, selon d'autres, seulement pour fuir les troubles de sa patrie313. Jean Rubens était un savant jurisconsulte; il avait fait de très-fortes études tant en Flandre qu'en Italie, où il avait passé sept années, et où il s'était fait recevoir docteur, in utroque jure, au collège de la Sapience, à Rome. Mais il ne put s'occuper longtemps de l'éducation de Pierre-Paul, son dernier fils, car il mourut à Cologne le 1er mars 1587, alors que cet enfant n'avait pas encore atteint sa dixième année. Rentrée à Anvers l'année suivante, Marie Pypeling, mère de Pierre-Paul, résolut de lui donner une éducation brillante. Elle le plaça au collège des Jésuites d'Anvers, établissement renommé pour la bonne direction et pour la force de ses études classiques. C'est aux leçons de ces Pères que Rubens puisa la connaissance approfondie de l'antiquité, aussi bien de la mythologie et de l'histoire que des langues grecque et latine, connaissance qui en fit un artiste à part entre les autres artistes. À sa sortie du collége, sa mère le fit entrer comme page dans la maison de Marguerite de Ligne, douairière de Philippe, comte de Lalaing. Mais cette vie d'oisiveté ne pouvait convenir à l'imagination vive et brillante du jeune homme; il se sentait attiré vers la peinture par un instinct naturel et invincible. Au moins, n'eut-il pas à lutter, comme tant d'autres, contre les obstacles apportés à sa vocation par la volonté de ses parents. Sa mère céda facilement à son désir d'entrer dans l'atelier d'un peintre, et elle choisit Adam Van Noort, pour donner les premiers enseignements à son fils. Les œuvres de cet artiste sont inconnues en France; le catalogue du musée d'Anvers cite de lui314 un tableau de Saint Pierre présentant au Sauveur, à Capharnaüm, le poisson qui contient la pièce d'argent du tribut, tableau qui se trouve dans l'église de Saint-Jacques de cette ville. Rubens resta quatre ans dans l'atelier de son premier maître; il passa ensuite le même temps dans celui d'Otho Vœnius, qui était considéré alors comme le premier des peintres flamands. On ne voit pas néanmoins que cet artiste élégant, mais froid, ait exercé une influence sensible sur la manière de Rubens.
Après avoir achevé ses études, Pierre-Paul fut reçu, en 1598, à l'âge de vingt et un ans, franc-maître peintre de la corporation de Saint-Luc, d'Anvers, ainsi que le constate le Liggere de cette corporation, cité par le Catalogue du musée d'Anvers315. Du jour de sa réception jusqu'à l'époque de son départ pour l'Italie, Rubens continua d'habiter Anvers. Selon Descamps316, Rubens aurait peint, dans cet intervalle, l'Adoration des rois, petit tableau d'autel, sous le jubé de l'église des Carmes: «C'est Notre-Seigneur étendu mort sur les genoux de son père; les anges y portent les instruments de la Passion.» Ce tableau se trouvait encore, en 1768, dans l'église des Carmes chaussés d'Anvers, et il a été gravé par S. – A. Bolswert317.
Avant de partir, Rubens pria son maître de le présenter à l'archiduc Albert et à l'infante Isabelle. Otho Vœnius (Otho Van Veen), issu d'une famille noble, et doublement distingué par son talent comme peintre et par ses publications érudites et poétiques, était attaché au service de ces princes: il ne lui fut pas difficile d'obtenir de leur présenter son élève, dont l'air intelligent, la bonne mine et l'élégance, à en juger par ses portraits, devaient prévenir en sa faveur. Le jeune Pierre-Paul plut effectivement aux gouverneurs des Pays-Bas, et il en obtint des lettres de recommandation pour les principales cours d'Italie.
Rubens partit le 9 mai 1600, et se dirigea vers cette contrée en passant par la France: ce fut à Venise qu'il se rendit d'abord. Cette préférence s'explique naturellement par le goût du peintre anversois pour l'école coloriste. Il ne se borna pas à l'admirer; il voulut s'initier par une étude approfondie aux secrets des maîtres de la couleur, et, pour y parvenir, il se mit à copier, avec autant de fougue que de bonheur, les principales œuvres de Titien, de Paul Véronèse et des autres artistes vénitiens.
On raconte, qu'au milieu de ses études, il fit la connaissance d'un gentilhomme de la cour du duc de Mantoue, Vincent de Gonzague, qui, ayant vu ses ouvrages, les vanta tellement, à son retour, que le duc invita le jeune Flamand à se rendre à sa cour. Rubens n'ignorait pas que Jules Romain avait décoré les palais de Mantoue de ses étonnantes peintures; il désirait les voir et les étudier; il s'empressa donc d'accepter l'offre qui lui était faite. Il fut parfaitement accueilli par Vincent de Gonzague, qui l'attacha bientôt à son service, lui donna toutes facilités pour travailler, et lui permit de faire des excursions tantôt à Venise, tantôt à Bologne, Florence et Rome, afin d'y étudier les œuvres des diverses écoles italiennes. Les biographes de Rubens ne sont pas d'accord sur les époques de ses visites dans ces différentes villes, non plus que sur l'itinéraire qu'il suivit dans ses courses en Italie. On sait seulement que, de juin 1600 au mois de novembre 1608, il séjourna plusieurs fois à Mantoue, à Rome et à Venise318.
Notre artiste était si avant dans la confiance du duc de Mantoue, que ce prince, en 1604, l'envoya en Espagne pour offrir, en son nom, un magnifique carrosse de cour et un attelage de sept chevaux napolitains au roi Philippe III, et d'autres présents d'un grand prix au duc de Lerme, son premier ministre, dont Vincent de Gonzague voulait se ménager l'appui319. On a raconté que, pendant ce premier séjour à Madrid, Rubens y aurait exécuté les portraits du roi et de plusieurs seigneurs de la cour, et qu'il y aurait même fait les copies si célèbres des trois tableaux de Titien: Vénus et Adonis, Diane et Actéon, et l'Enlèvement d'Europe. Mais cette assertion est complètement réfutée par Pacheco, le beau-père de Velasquez, qui prouve clairement, dans son traité del Arte de la pintura320, que ces copies ont été faites par Rubens à l'époque de son second voyage à Madrid. Il ne paraît pas, d'ailleurs, que Rubens ait fait cette première fois un long séjour en Espagne: tout porte à croire qu'il se hâta de revenir à Mantoue, sans doute pour rendre compte au duc de sa mission. Il obtint bientôt après la permission de retourner à Rome, en s'arrêtant à Florence, Bologne et Venise.
Dans la ville des Médicis, Rubens peignit pour le grand-duc Hercule, placé entre Minerve et Vénus, et secouru par le Temps; les Trois Grâces, en grisaille, et un Bacchus avec des Nymphes et des Satyres321. À Bologne, il étudia les ouvrages des Carraches, et se sentant de nouveau attiré vers Venise par sa prédilection pour les grands coloristes, il se remit à faire, dans cette ville, les copies des tableaux qu'il préférait.
À peine âgé de vingt-sept ans, il était revenu à Rome avec une réputation déjà faite et méritée. Aussi le pape Clément VIII s'empressa-t-il de lui commander, pour l'oratoire de son palais de Monte-Cavallo, un tableau représentant la Vierge et sainte Anne adorant l'enfant Jésus, dont il se montra très-satisfait. Les cardinaux, les principaux personnages de la cour pontificale, ainsi que les connaisseurs de Rome, ne furent pas moins frappés du talent supérieur du jeune Flamand, et bientôt Rubens se vit surchargé de commandes. Travaillant avec une verve et une prestesse de main comparables aux Vénitiens ses modèles, il exécuta en peu de temps, pour la Chiesa Nuova des pères de l'Oratoire, trois tableaux d'autel; pour le cardinal Chigi, le Triomphe du Tibre; pour le cardinal Rospigliosi, les Douze Apôtres; pour le connétable Colonna, une Orgie de soldats; pour la princesse de Scalamare, Protée et les Dieux marins à table, servis par trois Néréides, et Vertumne et Pomone, tableaux dans lesquels les poissons, les fruits, les plantes, les animaux et le paysage sont dus au pinceau de Breughel de Velours322.
Rubens était trop instruit, il aimait trop l'antiquité, pour laisser écouler le temps de son séjour dans l'ancienne capitale du monde sans étudier l'art et l'archéologie romaine. Il dessina un grand nombre de statues et de bas-reliefs, ainsi que les restes de plusieurs monuments d'architecture, et, grâce à la connaissance approfondie des langues grecque et latine, il pénétra dans ces recherches beaucoup plus avant qu'aucun artiste ne l'avait fait avant lui. Une circonstance particulière contribua probablement à l'attacher avec une plus grande ardeur à ces études. En arrivant à Rome, il y avait trouvé son frère Philippe, qui, après avoir visité cette ville une première fois avec le fils aîné du président Richardot dont il était secrétaire, y était revenu seul, captus amore loci, comme tant d'autres, pour s'y livrer, en toute liberté, à son goût pour l'étude des langues anciennes et de l'archéologie. Philippe, plus âgé que Pierre-Paul de quelques années323, avait fait ses études au gymnase d'Anvers, et suivi plus tard à Louvain, avec les fils du président Richardot, les leçons de Juste-Lipse. Chargé par le président de conduire en Italie son fils aîné Guillaume, qui devait terminer ses études à l'université de Padoue, Philippe Rubens partit de Louvain en octobre 1501, ainsi que le constate la lettre d'adieu de Juste-Lipse324. Pendant un séjour d'environ deux ans à Padoue, Philippe suivit, comme le jeune Guillaume, les leçons des professeurs les plus habiles. Il entretenait une correspondance latine avec Juste-Lipse, et lui adressa même plusieurs pièces de vers325. On voit par ses lettres, également en latin, à son frère Pierre-Paul, qu'il lui conseillait d'avoir le courage de quitter la cour de Mantoue, et de reprendre sa première et complète indépendance: «Animum obfirma, et aliquando te in plenam, quoe ab aula fere exulat, assere libertatem326.» Ces conseils ne furent probablement pas inutiles au peintre, et ils le déterminèrent sans doute à visiter les principales villes d'Italie, pour y étudier les maîtres en toute liberté. Pendant son premier voyage à Rome, en 1603, Philippe Rubens s'était fait recevoir docteur à l'université de la Sapience; à peine de retour dans les Pays-Bas, il se hâta de remettre au président le précieux dépôt qu'il lui avait confié, et, faisant de nouveau ses adieux à Juste-Lipse, il revint à Rome, où le cardinal Ascagne Colonna le choisit pour bibliothécaire.
C'est à cette époque qu'il retrouva dans cette ville son frère Pierre-Paul, tout occupé de tableaux, et, dans ses moments de loisir, de recherches sur l'antiquité romaine. Les deux frères, unis d'une étroite amitié, possédant une égale instruction classique, ayant la même ardeur pour le travail, le même amour pour les monuments et l'histoire de la langue des anciens Romains, résolurent de consigner leurs recherches dans un ouvrage composé en commun, qui parut à Anvers, in-4º, en 1608, sous ce titre: Electorum libri duo, in quibus antiqui ritus, emendationes censuræ, et fut publié sous le nom de Philippe seul. Mais la part que prit Pierre-Paul à sa composition est rappelée par Philippe lui-même dans le préambule en prose de l'élégie Ad P. – P. Rubenium navigantem, dont nous avons parlé, où il déclare que Pierre-Paul ne l'a pas peu aidé: – «Tum artifici manu, tum acri certoque judicio non parum in Electis me juvit.» – Cet aveu n'étonnera aucun de ceux qui ont étudié avec attention la vie du savant artiste, lu sa correspondance et pu voir bon nombre de ses dessins ou de ses tableaux, composés d'après des sujets empruntés à l'histoire, à la religion et aux usages des anciens Romains. Il ne faudrait pas croire toutefois que les deux livres des Electorum de Philippe Rubens soient un commentaire suivi d'un auteur grec ou latin: loin de là. Ces deux livres ne se composent que d'explications de difficultés ou passages obscurs tirés de différents auteurs, de restitutions de textes que Philippe considérait comme falsifiés, et de dissertations sur certaines parties du vêtement des anciens Romains, telles que la tunique, les casques, etc. Pour rendre plus claires les explications de son frère, Pierre-Paul a dessiné des coureurs en char dans le cirque, des barques, des vases, des vêtements ou d'autres objets, d'après l'antique, et ces dessins ont été gravés dans le livre par Corneille Galle327. Cet ouvrage atteste une profonde connaissance des langues anciennes, et il est à la hauteur des dissertations ou gloses des érudits du dix-septième siècle; mais, aujourd'hui, sa lecture ne peut exciter que la curiosité des bibliophiles328.
Après un long séjour à Rome, notre peintre voulut visiter Milan et Gênes, les deux seules villes importantes d'Italie qu'il ne connût pas encore. Il se rendit d'abord à Milan, où il peignit plusieurs tableaux et où il dessina la fameuse Cène de Léonard de Vinci. Ce dessin a été gravé par Pierre Soutman; à en juger par l'épreuve qui fait partie de l'œuvre de Rubens, au cabinet des estampes de la bibliothèque impériale329, cette reproduction n'a rien gardé de la pureté du maître florentin. Nous ignorons s'il faut s'en prendre à Rubens ou à Soutman d'avoir transformé les Apôtres en d'épais paysans flamands sans aucune expression; mais cette gravure ne donne aucune idée de la beauté sublime de l'original.
Rubens quitta Milan pour Gênes, où il se fixa pendant quelques mois. Il y peignit un grand nombre d'ouvrages pour des couvents et des églises, et fit plusieurs portraits; il trouva même le temps de dessiner les palais anciens et modernes qui décoraient alors cette belle ville. Leur architecture bizarre et tourmentée avait sans doute fait une forte impression sur son esprit, puisqu'il se décida, quatorze ans plus tard, en 1622, à publier ce travail à Anvers, sous ce titre: «Palazzi antichi e moderni di Genova, raccolti et disegnati da P. – P. Rubens.»