Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 25
CHAPITRE XLVII
Winckelmann nommé Président des antiquités de Rome, et plus tard scrittore greco, à la bibliothèque du Vatican. – Il publie son Histoire de l'art. – Critiques que lui attire cet ouvrage. – Mystification à laquelle il se trouve exposé. – Autres ouvrages de Winckelmann.
1763 – 1767
Le 11 avril 1763, Winckelmann fut nommé à la place de Président des antiquités de Rome, devenue vacante par suite de la mort de l'abbé Venuti. «Cette place, qui ne demande aucun travail, est honorable et rapporte cent soixante écus par an; de sorte que j'ai ici mon existence assurée pour le reste de ma vie; car, avec le double, je ne pourrais pas faire à Dresde ce que je fais ici avec cette somme. Le cardinal m'en donne autant, sans compter les autres agréments dont je jouis. Et si, par la suite, je puis parvenir à un emploi de scrittore du Vatican, je ne changerais pas mon sort contre celui d'an conseiller intime en Allemagne; car je jouis ici d'une liberté entière, et personne ne s'ingère à me demander ce que je fais563.»
L'emploi de Scrittore greco, qui rapportait dix-sept écus par mois, lui fut donné le 3 septembre 1765, à la recommandation de son excellent protecteur le cardinal Albani, qui était devenu bibliothécaire du Vatican, après la mort du cardinal Passionei.
Avant de prendre possession de ce dernier emploi, Winckelmann avait fait paraître en allemand, à Dresde, à la fin de 1763 et au commencement de 1764, son Histoire de l'art. Cette publication, en mettant le sceau à sa réputation, souleva, comme il arrive toujours, plus d'une critique. Notre auteur était de la race irritable des poëtes et des artistes; il fut donc vivement blessé de quelques observations dont la justesse ne pouvait lui échapper. Ces remarques lui étaient d'autant plus sensibles, qu'elles émanaient de ses compatriotes Lessing et Klotz, et qu'elles avaient été publiées par eux, en latin, dans les Acta litteraria, recueil fort répandu alors à Rome564. Il se mit incontinent à revoir et améliorer son œuvre. Mais il était toujours en crainte: «Que d'erreurs, que de contre-sens n'aura-t-on pas tirés de mon Histoire de l'art, écrivait-il à Franken, à la fin de décembre 1763565.» Peu à peu, il ajouta des passages considérables à cette histoire, et les publia, également en allemand et à Dresde, en 1767, en attendant qu'il fît paraître une seconde édition de ce grand ouvrage, à laquelle il ne cessait de travailler. Il reconnaissait avec modestie «qu'il n'était pas encore en état d'écrire, lorsqu'il avait commencé ce travail: ses idées n'y étaient pas assez liées; il manquait souvent les transitions nécessaires de l'une à l'autre, ce qui fait la partie essentielle de l'art d'écrire. Les preuves n'avaient pas toujours toute la force qu'elles auraient pu avoir, et il aurait pu s'exprimer quelquefois avec plus de chaleur. Son grand ouvrage italien (I Monumenti inediti) l'avait instruit de ces défauts, et le Tout-Puissant avait répandu sur lui ses bénédictions et ses faveurs566.»
Mais les corrections et améliorations qu'il introduisit dans son Histoire de l'art ne purent lui faire oublier la mystification que lui avait infligée un artiste, qu'il avait considéré longtemps comme son ami. Dès son arrivée à Rome, notre Saxon avait rencontré, dans l'atelier de Raphaël Mengs, un jeune homme nommé Jean Casanova567, peintre médiocre d'histoire et de portraits, mais dessinateur assez habile, et s'occupant volontiers de recherches archéologiques. Winckelmann lui avait confié l'exécution de plusieurs dessins de monuments antiques, destinés à être gravés dans son Histoire de l'art. Mais, soit qu'ils différassent d'opinion sur certains points, soit que Casanova ait cru avoir à se plaindre de notre antiquaire, toujours est-il qu'il résolut de s'en venger, en l'exposant à la risée des savants de tous les pays, charmés de pouvoir trouver à gloser sur le Président des antiquités de Rome. Il l'attaqua donc par son côté sensible, en rendant suspecte cette finesse de tact dont Winckelmann était si fier. Pour y parvenir sûrement, Casanova composa en secret plusieurs tableaux, dans lesquels il imita, de manière à s'y méprendre, les peintures d'Herculanum. On informa sous main Winckelmann que de nouvelles et importantes découvertes venaient d'être faites. Sa curiosité étant ainsi excitée, on l'amena avec mystère à venir les voir, et on les lui vanta comme de véritables chefs-d'œuvre. On lui en raconta l'origine, en lui disant qu'elles venaient d'être découvertes près de Rome par un gentilhomme français, le chevalier Diel, né à Marsilly, en Normandie, et premier lieutenant aux grenadiers des gardes du roi de France. Winckelmann, qui désirait avoir des renseignements plus précis et plus authentiques, chercha à s'aboucher avec l'heureux possesseur de ces peintures. Mais on lui fit savoir, avec les mêmes précautions, que le chevalier Diel était mort à Rome subitement, dans le mois d'août 1761, sans avoir laissé aucune explication sur sa précieuse trouvaille. Il fut ainsi amené à donner dans le panneau, et fit de ces peintures une description emphatique, qu'il inséra dans son Histoire de l'art. À peine cet ouvrage eut-il paru, que Casanova s'empressa de se déclarer l'auteur des peintures, et de réclamer tout l'honneur de leur invention et de leur exécution. On conçoit facilement la douleur de notre savant et la joie de ses émules, parmi lesquels le comte de Caylus ne fut pas le dernier à rendre à l'antiquaire saxon les railleries que celui-ci ne lui avait pas épargnées, à l'occasion de ses ouvrages sur l'archéologie, et particulièrement de sa publication des peintures antiques568. Cependant, quelque douleur que dût ressentir notre savant ainsi mystifié, il n'hésita pas à reconnaître publiquement son erreur. Dans une lettre, du 4 janvier 1765, adressée à son ami Heyne, il le pria de rendre publique la déclaration qu'il faisait, d'avoir été la dupe d'un homme qu'il avait considéré jusque-là comme un ami569.
Tout en corrigeant son Histoire de l'Art, Winckelmann songeait à donner au public un autre ouvrage, dont le projet roulait depuis longtemps dans son esprit, savoir: un Traité sur la dépravation du goût dans les arts et les sciences570. Mais il ne mit pas ce projet à exécution, et, à sa place, il publia son Essai d'une allégorie pour l'art, œuvre qui lui coûta beaucoup de travail, mais qui ne fut pas aussi bien accueillie que l'Histoire des arts du dessin. Ce livre doit être considéré, néanmoins, comme un trésor d'érudition; il renferme d'heureuses idées, et sa lecture, nécessaire à l'archéologue, serait très-utile aux artistes.
Winckelmann poussait sa passion pour l'antiquité, jusqu'à vouloir faire connaître tous ses monuments qui, jusqu'alors, n'avaient pas encore été décrits. Il se mit donc à publier, sous le titre de: Monumenti antichi inediti571, en deux volumes grand in-folio, deux cent vingt-six gravures, représentant des statues, des bas-reliefs et d'autres objets, qui avaient été passés sous silence par Montfaucon et les autres révélateurs des antiquités grecques et romaines. Il se proposait de compléter cet ouvrage en y ajoutant une troisième partie, mais on ignore ce que cette suite est devenue.
Il composa encore un livre sur l'État actuel des arts et des sciences en Italie, et fit beaucoup d'additions au traité De Pictura veterum, de F. Junius, dans l'intention d'en donner une nouvelle édition; mais il n'eut probablement pas le temps de publier ces ouvrages.
CHAPITRE XLVIII
Bonheur et liberté dont Winckelmann jouissait à Rome. – Ses villégiatures à Castel-Gandolfo et Porto-d'Anzio. – Son admiration passionnée de la nature. – Le roi de Prusse essaye de l'attirer à Berlin. Son désir de revoir l'Allemagne. – Il se met en route pour ce pays. – Sa tristesse en s'éloignant de Rome. – Il abrège son voyage et revient de Vienne à Trieste. – Il est assassiné dans cette ville par un repris de justice. – Ses dispositions testamentaires. – Monument qui lui est érigé à Rome. – Appréciation de son influence.
1767 – 1768
Il fallait à Winckelmann une prodigieuse activité d'esprit pour suffire à tant de travaux. La vie qu'il menait à Rome, il est vrai, lui laissait une entière liberté pour l'étude, car sa place de président des antiquités ne lui prenait pas «six heures de son temps par année,» par la raison qu'il se reposait sur ses deux assesseurs572. Son travail de Scrittore Greco, au Vatican, ne l'occupait pas davantage. – «Le cardinal Albani, disait-il à Franken, m'en dispensera, et, après tout, ce n'est pas le travail qu'on exige. Nous sommes ici dans un pays d'humanité, où chacun fait ce que bon lui semble, pourvu qu'on n'aille pas crier dans les rues que le Pape est l'antechrist573.» Il pouvait donc se livrer en toute sécurité à ses études et à ses recherches favorites, sans trop se préoccuper de ses fonctions publiques. Au surplus, pour jouir d'une plus grande liberté, il refusa un canonicat fort lucratif à la Rotonde (Santa Maria della Rotonda, autrefois le Panthéon d'Agrippa); et bientôt après, vers la fin de 1766, il renonça volontairement à son emploi de Scrittore au Vatican.
Il prenait toujours le plus grand intérêt aux découvertes de statues, médailles et autres objets antiques, que le sol de Rome et de sa campagne renferme en si grande abondance, qu'il suffit presque de le remuer pour les remettre au jour. Il examinait toutes ces trouvailles, en discutait, avec les hommes les plus compétents, la signification et la valeur, et en faisait son profit pour la seconde édition de son Histoire de l'Art, ou pour son ouvrage des Monumenti inediti. Il considérait comme découverte nouvelle d'antiquités, non-seulement les ouvrages qu'on trouve en faisant des fouilles, mais encore les éclaircissements nouveaux, donnés sur des figures ou autres monuments restés jusqu'alors sans explications574.
Winckelmann suivait le cardinal Albani dans toutes ses villégiature. Ce prélat, qui n'était pas prêtre, aimait à se délasser de ses études archéologiques, en recevant, soit à sa villa près de Rome, soit à Porto-d'Anzio ou Castel-Gandolfo, suivant les saisons, la société la plus élégante. – «Il y a quinze jours que je suis à l'une des plus belles maisons de campagne de mon maître, écrit Winckelmann de Castel-Gandolfo575, c'est un lieu que la toute-puissance et le prototype de la connaissance de la beauté sublime n'auraient pas pu rendre plus merveilleux; il y a une grande compagnie de cardinaux, de prélats, de dames qui sont même très-belles. Le soir, on joue et on danse; les plus âgés sont spectateurs, et moi, je vais me coucher, pour me lever au soleil… Le cardinal voudrait pouvoir me faire goûter les joies du paradis, et Son Éminence veut bien se passer de ma compagnie pour me laisser à moi-même.» – À Porto-d'Anzio, Winckelmann jouissait d'une égale liberté, dans un site encore plus admirable. – «C'est là le lieu de mes délices; c'est là, mon ami, dit-il à Franken576, que je voudrais vous voir, pour nous promener ensemble, sans souci et sans inquiétude, le long de la tranquille mer, sur une côte élevée et couverte de myrtes, ou bien, pour la regarder sans crainte lorsqu'elle est en fureur, placés sous une arcade de l'ancien temple de la Fortune, ou sur le balcon de ma chambre même. Un mois passé dans un pareil séjour, avec la jouissance de la belle nature et de l'art, qui nourrit le cœur et l'esprit, surpasse tout ce que l'éclat des cours et leur bruyant tumulte peuvent nous offrir.» – Ces réflexions révèlent les sentiments intimes de notre amateur, dont la vie, à Rome, était partagée entre l'étude de l'art et l'admiration de cette nature incomparable qu'on ne rencontre que dans ce pays. Elles montrent aussi quel prix il attachait à son indépendance et à la libre disposition de son temps selon ses goûts et ses idées.
Cependant, il paraît avoir hésité longtemps avant de prendre le parti de rester définitivement à Rome. Sa réputation, répandue en Allemagne, lui attirait, de temps en temps, des propositions faites pour le tenter. Plusieurs États allemands auraient voulu posséder Winckelmann et le mettre à la tête de leurs musées et de leurs bibliothèques. Le roi de Prusse, Frédéric II, aussi jaloux de conquérir les hommes illustres que les provinces voisines de ses États, fit les plus grands efforts pour l'attirer à Berlin. En novembre 1765, il lui offrit par un envoyé spécial, le colonel Quintus Icilius577, la place de bibliothécaire et de directeur de son cabinet de médailles et d'antiquités, vacante par la mort de M. Gautier de la Croze, avec une pension extraordinaire. Winckelmann avait d'abord accepté cette proposition, et fait connaître sa détermination à Berlin et à Rome: mais une difficulté qu'il n'explique pas s'étant présentée, on lui témoigna, au Vatican, beaucoup plus d'égards qu'il n'avait osé espérer. Le Pape lui fit même faire sous main, pour le retenir, des offres avantageuses, et le cardinal Stoppani, qui avait beaucoup d'amitié pour lui, y ajouta une pension particulière de ses propres fonds, de manière qu'il résolut définitivement de rester à Rome. «Il se trouvait trop vieux et craignait de se sentir trop étranger à Berlin; d'ailleurs, il était plus content à Rome, en faisant lui-même son lit, que d'être décoré du titre de conseiller privé, et d'avoir deux laquais pour le suivre578.»
Bien qu'il eût refusé d'aller vivre à Berlin, Winckelmann n'avait pas renoncé au plaisir de revoir la Saxe, Dresde et Nöthenitz en particulier. Au mois de février 1768, il croyait pouvoir annoncer à Franken l'époque où il comptait aller le «surprendre un beau matin.» Il avait même informé de son départ le prince d'Anhalt-Dessau, qu'il devait également visiter. Mais il fut obligé de retirer sa parole, ayant été forcé de rester à Rome pour le passage du grand-duc et de la grande-duchesse de Toscane, qui retournaient dans leurs États, après avoir conduit à Naples la future reine des Deux-Siciles. Il commençait donc à craindre de ne jamais revoir sa patrie; d'autant plus qu'il lui serait difficile de quitter, pour une année qu'exigeait ce voyage, son maître et éternel ami, le cardinal Albani, au grand âge qu'il avait. En outre, on prévoyait la mort du pape Benoît XIV, et comme tous les vœux paraissaient se réunir en faveur du cardinal Stoppani, bienfaiteur de notre savant, il ne pouvait pas s'éloigner de Rome sans porter préjudice à ses intérêts579.
Cependant, vers la fin de mars 1768, Winckelmann changea encore de résolution: mettant de côté tous les obstacles qui s'opposaient à son voyage, il écrivit à Franken pour lui annoncer sa prochaine arrivée à Nöthenitz; il comptait partir au commencement d'avril, suivant la permission qu'il en avait obtenue de son maître et du Pape. Il se proposait de presser sa marche jusqu'à sa première étape, qui serait chez le prince d'Anhalt-Dessau: il avait l'intention de ne passer qu'en courant par Dresde, pour se rendre à Dessau, où il devait attendre son ami Stosch, afin de gagner Brunswick, où il était attendu par le prince héréditaire; il se proposait ensuite de pousser jusqu'à Berlin. Son âme n'avait jamais été plus satisfaite qu'en annonçant à son ami sa prochaine arrivée580.
Winckelmann quitta Rome, qu'il ne devait plus revoir, le 10 avril 1768, accompagné du sculpteur Cavaceppi, qui entreprenait ce voyage, tant par amitié pour lui, qu'afin de rétablir sa santé. Il prit la route du Tyrol, qui l'avait amené à Rome douze années auparavant. Mais, en s'éloignant de cette patrie d'adoption, ses idées devenaient sombres, et il cédait comme à un accès de noire mélancolie. Il paraissait hésiter à continuer son voyage, et parlait de revenir. – «Torniamo a Roma.» Retournons à Rome, répétait-il à son compagnon de route, qui nous a conservé un journal de ce voyage, depuis leur départ de Rome, jusqu'au moment où ils se séparèrent à Vienne581.
La réception enthousiaste qui lui fut faite à Munich, ainsi que dans la capitale de l'Autriche, les honneurs dont il fut entouré, ne purent triompher de sa tristesse. Ses pensées se reportaient constamment vers Rome, où il avait joui pendant si longtemps d'une félicité parfaite: agité par un secret pressentiment, il craignait de ne plus revoir cette ville. Cavaceppi raconte, que le prince de Kaunitz ayant, adressé à Winckelmann les paroles les plus affectueuses, pour le dissuader de retourner en Italie, ces instances ne servirent qu'à le confirmer dans sa résolution. – «Nous ne voulûmes plus lui en parler davantage, dit-il, ayant remarqué qu'il avait les yeux d'un mort.» Il fut donc décidé qu'il renoncerait à Dresde, Berlin et Hanovre, et, qu'après un court séjour à Vienne, il serait libre de repartir pour l'Italie. Rassuré par cette détermination, qui comblait ses vœux les plus ardents, il mit à profit le temps qu'il dut passer à Vienne, pour examiner la bibliothèque et la galerie impériale, celle du prince de Lichtenstein, et d'autres collections particulières. Il revit avec soin le manuscrit de la seconde édition de son Histoire de l'art, qu'il préparait depuis longtemps, et s'occupa de la traduction française, qui devait paraître en même temps que le texte.
Enfin, comblé d'honneurs et de présents, il se hâta de se remettre en route pour sa patrie de prédilection. Il avait eu d'abord l'intention de se diriger sur Venise par la Carniole, mais il changea son itinéraire, et résolut de rentrer en Italie par Trieste. Il y arriva dans les premiers jours de juin 1768.
À peu de distance de cette ville, voyageant à petites journées, selon l'usage de ce temps, il avait rencontré un Italien, qui n'eut pas de peine à découvrir son faible: affectant lui-même un grand amour pour les antiquités, il arracha bientôt au trop confiant voyageur l'énumération des riches et nombreux cadeaux qu'il avait reçus, ainsi que des monnaies et médailles en or et en argent, qu'il remportait en Italie. Ce misérable, nommé Francesco Archangeli, était un repris de justice, condamné à mort précédemment pour ses méfaits, mais dont la peine avait été commuée en celle du bannissement perpétuel. En arrivant à Trieste, il était déjà dans la confiance de Winckelmann, qui lui montra, sans aucun soupçon, ses médailles et autres objets précieux.
Notre antiquaire voulait s'embarquer à Trieste pour Ancône, et, en attendant le vaisseau sur lequel il devait traverser l'Adriatique, il occupait ses loisirs, dans l'hôtellerie où il était descendu, à relire son vieil Homère, le seul livre qu'il eût emporté avec lui. Dans ses moments de méditation et de repos, il s'amusait à jouer avec un enfant de son hôte, qui annonçait beaucoup d'intelligence. Le 8 juin, tandis qu'il était occupé à écrire à une petite table, Archangeli entra dans sa chambre. Après lui avoir exprimé ses regrets d'être obligé de le quitter pour se rendre à Venise, où l'appelaient des affaires importantes, il le pria de lui montrer une dernière fois ses médailles, afin qu'il pût en conserver un souvenir plus présent. Winckelmann, sans aucune méfiance, y consentit de bonne grâce; et comme il se tenait baissé pour ouvrir le coffre dans lequel elles étaient renfermées, le scélérat le pousse et le fait tomber, selon les uns, en lui pressant la tête entre le couvercle et le fond du coffre, selon d'autres, en essayant de l'étrangler avec un lacet. La victime crie et résiste: alors, pour étouffer ses cris, l'assassin lui plonge, à cinq reprises différentes, un stylet dans le ventre. Il l'aurait certainement achevé, si l'enfant, dont nous avons parlé, n'était venu frapper à la porte de la chambre.
Ce bruit fait fuir Archangeli, sans même lui laisser le temps de voler les médailles582. On s'empresse d'accourir au secours du pauvre blessé; mais il était frappé à mort, et il ne tarda pas à expirer, après sept heures d'affreuses souffrances, sans avoir perdu sa présence d'esprit, après avoir pardonné à son meurtrier, dicté ses dernières volontés, et reçu les sacrements de l'Église. Par son testament, il institua le cardinal Albani son légataire universel, et laissa 350 sequins à son graveur Mogali, et 100 autres à l'abbé Pirani.
Ainsi mourut, à cinquante ans et quelques mois, dans toute la force de son talent, un des hommes qui ont le plus contribué à remettre en honneur l'étude de l'antique, si décriée dans la première moitié du dernier siècle.
À Rome, le cardinal Albani, inconsolable de la perte de son ami, voulut lui faire élever un tombeau digne de sa mémoire, mais l'exécution de ce projet fut empêchée par le grand âge du prélat, qui mourut en 1779, à près de quatre-vingt-huit ans. Ce fut un autre ami de l'historien de l'art, le conseiller Reiffenstein, qui se chargea du soin pieux de lui ériger, à ses frais, dans le Panthéon, un monument composé d'un médaillon en marbre, d'après son portrait par Raphaël Mengs, et d'une inscription latine. Dans les premières années de ce siècle, ce médaillon a été transféré, ainsi que presque tous ceux qui étaient à la Rotonde, dans le musée des hommes illustres, au Capitole.
Telle fut la vie et la mort du savant amateur, qui a le mieux connu et le mieux apprécié la langue et l'art des Grecs. Rien que son Histoire des arts du dessin chez les anciens ne soit pas exempte d'erreurs, ainsi qu'il le reconnaît lui-même avec modestie583; bien que la partie consacrée aux Égyptiens, aux Phéniciens, aux Perses, aux Étrusques et aux autres peuples de la Péninsule italique, soit devenue fort incomplète, depuis les nouvelles découvertes faites dans ces contrées, et les beaux travaux de Lanzi et des autres savants modernes, l'histoire de l'art grec n'a rien perdu de son importance et de sa valeur. C'est toujours à cette histoire qu'il faudra recourir, lorsqu'on voudra connaître à fond l'essence de l'art et l'idée du beau chez les anciens; les attributs et les formes de leurs divinités; le costume des dieux, des héros, des athlètes et des personnages célèbres; les moyens mécaniques employés par la statuaire antique; les progrès et le déclin de cet art chez les Grecs, depuis son origine jusqu'à la domination romaine en Grèce; chez les Romains, depuis la république jusqu'à son entière décadence sous les derniers empereurs.
L'influence de Winckelmann sur l'esthétique de l'art a été immense; bien avant notre David, il dirigea souvent Raphaël Mengs dans la voie que le peintre des Horaces, du Combat de Romulus et Tatius, et du Léonidas, a suivie après lui encore de plus près. En Allemagne, son exemple a ramené des écrivains de premier ordre au goût et à l'étude de l'art classique. C'est ainsi, par exemple, que le Laocoon de Lessing584 a été composé, suivant les idées émises quelques années avant par Winckelmann, dans son premier ouvrage de l'Imitation des artistes grecs. C'est également dans les œuvres de Winckelmann, que le savant Heyne puisa l'idée de ses dissertations sur la mythologie, qui ont eu tant de retentissement dans le monde des érudits. L'illustre Gœthe lui-même n'a pas échappé à l'influence de notre antiquaire, et son ouvrage, Winckelmann et son siècle, publié en 1805, prouve l'impression profonde produite, sur les intelligences les plus élevées, par les idées du grand amateur saxon. Enfin, l'art allemand, tel que l'entendaient et le pratiquaient les peintres et les sculpteurs de ce pays, dans la dernière moitié du siècle précédent, jusqu'au commencement du nôtre, a dû à Winckelmann ses plus puissantes inspirations585.
Aujourd'hui, son influence a beaucoup diminué dans sa patrie; la nouvelle école allemande affecte de mépriser l'art des Grecs, pour mettre à sa place un art purement germanique. L'avenir dira si l'originalité de ces tentatives aura réussi à faire oublier les divinités et les héros de Phidias, de Praxitèle et de Lysippe. Quant à nous, sans critiquer ces œuvres nouvelles, dont quelques-unes sont marquées au coin d'un véritable talent, aux forêts d'Odin, aux vieilles forteresses féodales, aux rois et aux guerriers des Niebelungen, nous préférons le Parnasse, le Taygète, les Ruines d'Athènes, l'Apollon du Belvédère, le Laocoon, la Niobé, la Vénus de Milo, l'Amazone blessée, le Lutteur, le Gladiateur mourant, et nous appliquerons à l'art des Grecs, ce qu'un de nos poëtes a si bien dit du vieil Homère, dans ces vers que Winckelmann n'aurait pas désavoués:
«Trois mille ans ont passé sur le tombeau d'Homère,
Et depuis trois mille ans, Homère respecté,
Est jeune encor de gloire et d'immortalité.»
FIN
«J'ai reçu l'ouvrage de M. Lessing; il est bien écrit et avec pénétration; mais il aurait eu besoin de beaucoup d'instructions sur ses doutes et ses découvertes. Qu'il vienne à Rome, et nous causerons ensemble sur le lieu même.» Lettre à Franken, du 10 septembre 1766, t. 1er, p. 175-176.