Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 20
CHAPITRE XXXV
Voyage de Durer à Venise. – Ses lettres à Pirckheimer. – Portraits de Bilibalde dans plusieurs tableaux de Durer et séparément. – Confiance de l'artiste dans le goût de son ami. – Pirckheimer traduit du grec en latin les Caractères de Théophraste, et les dédie à Durer.
1506 – 1527
Deux ans après la mort de Crescentia, Durer résolut de se rendre à Venise, pour perfectionner son style, et s'inspirer des plus beaux modèles de l'art italien. On a pieusement recueilli et conservé les lettres écrites, de cette ville, par l'artiste à son ami et protecteur435. Elles renferment, dans leur naïveté, des détails aussi intéressants que curieux sur la vie d'Albert, à Venise, sur ses relations et ses études.
On y voit d'abord, que Bilibalde avait prêté de l'argent à son ami pour l'aider à faire ce voyage, et qu'Albert s'efforçait de le lui rembourser, soit en économisant sur ce qu'il gagnait par son travail, soit en achetant, pour Pirckheimer, des bagues et des pierres précieuses, dont il paraît qu'il était fort amateur. Les sentiments de Durer pour Bilibalde étaient ceux d'un ami reconnaissant et dévoué. «Je n'ai d'autre ami sur la terre que vous, lui dit-il dans sa seconde lettre;… vous avez été toujours, à mon égard, comme un père.» L'artiste allemand se félicitait de son séjour à Venise où il avait, disait-il, beaucoup d'amis qui l'avaient averti de ne pas manger ni boire avec leurs peintres, parmi lesquels il avait beaucoup d'ennemis. «Ils contrefont mes ouvrages, ajoute-t-il, dans les églises et partout où ils peuvent les voir; après, ils les ravalent et disent que cela n'est pas selon les anciens, et ne vaut rien. Mais Gian. Bellini m'a loué en présence de beaucoup de gentilshommes: il voudrait bien avoir quelque chose de moi; il est venu lui-même chez moi et m'a prié de lui faire quelque chose; il veut bien le payer. Tout le monde me dit combien c'est un homme pieux, de sorte que je suis plein d'affection pour lui. Il est très-vieux et est encore le meilleur dans la peinture.» Il paraîtrait, qu'à cette époque, l'exercice de l'art de la peinture n'était pas libre à Venise, puisqu'il se plaint d'avoir été obligé, par les peintres, de paraître trois fois devant les magistrats, et de payer quatre florins à l'école. Il exécuta un grand tableau pour les Allemands, probablement pour la corporation du Fonsaco dei Tedeschi, et apprend à Bilibalde, par une lettre datée du jour de Notre-Dame de septembre 1506, que ce tableau a bien réussi. «Je donnerais un ducat, lui écrit-il, pour que vous le voyiez, si bon et de belle couleur comme il est. J'en ai recueilli beaucoup d'honneur, mais peu de profit. J'aurais bien pu gagner, pendant le temps, deux cents ducats. J'ai refusé de grands travaux pour pouvoir retourner. J'ai aussi fermé la bouche à tous les peintres qui disaient: Il est bon graveur; mais quant à la peinture, il ne sait pas manier les couleurs. À présent, tout le monde dit qu'ils n'en ont jamais vu de plus belles… Le doge et le patriarche ont aussi vu mon tableau.»
La correspondance de Durer entre plusieurs fois dans des détails intimes sur la vie que son ami menait à Nuremberg. Quelques lettres sont accompagnées de dessins à la plume, en forme de caricatures436. Dans la dernière, datée de quatorze jours environ après la Saint-Michel 1506, il déplore la nécessité qui l'obligeait à quitter Venise: «Oh! que je regretterai le soleil de Venise, dit-il à Pirckheimer: ici, je suis un seigneur; chez moi, je ne suis plus qu'un parasite.»
Rentré à Nuremberg à la fin de 1506, Durer, se laissant diriger par la fécondité de son imagination et la facilité de sa main, se mit à cultiver à la fois la peinture, l'architecture et surtout la gravure dans tous ses genres, c'est-à-dire au burin sur cuivre, et sur bois. Au milieu de tant de travaux, il n'eut garde d'oublier son cher Bilibalde, et il s'attacha à le représenter dans plusieurs de ses compositions. Nous le trouvons d'abord dans le tableau du Crucifiement, qui est à la galerie impériale de Vienne. Le portrait de Bilibalde y est placé à côté de celui du peintre, qui s'y est représenté sous la figure du porte-enseigne. On le voit encore dans un Portement de croix, que le sénat de Nuremberg donna à l'empereur, et dans lequel Albert a peint les portraits des conseillers ou sénateurs de cette ville impériale. Bilibalde a également été placé par Durer dans le tableau de Jésus-Christ sur la croix, peint en 1511, et qui est considéré comme son chef-d'œuvre. Là, encore, le portrait de l'artiste accompagne celui de son ami. Enfin, le burin de l'illustre graveur a reproduit le portrait de l'amateur nurembergeois, que Durer avait peint en 1524, et qu'il avait donné à son ami. Ce portrait est actuellement au musée d'Amsterdam (voir le Catalogue de 1858, page 193, supplément A), et voici la description qu'en donne le Catalogue: «Portrait de Bilibalde Pirckheimer: hauteur 17 cent., largeur 12 cent., sur bois; tête, hauteur 8 cent. Buste, en justaucorps de damas de velours d'où sort le bord plissé de la chemise; manteau garni de fourrure brune; ses longs cheveux grisonnants tombent en boucles sur ses épaules. Le fond est d'un vert tendre uni, et porte l'inscription et le monogramme suivants:
BEL-BALDI
MD-X-X-IV

Les traits de Bilibalde, vus de trois quarts, de gauche à droite, quoique manquant, ainsi que nous l'avons dit, de beauté régulière, annoncent l'intelligence et la résolution: les yeux, grands ouverts, paraissent attentifs, et la bouche fermée révèle également la réflexion. Toute cette physionomie est d'une expression saisissante. Les tailles du burin sont fines et traitées délicatement, quoique avec fermeté, à la manière du maître. Les boucles de cheveux qui couvrent le front et l'oreille gauche sont particulièrement remarquables par leur finesse et leur légèreté. Au bas de la gravure, qui est d'environ dix centimètres de hauteur, on lit:
Bilibaldi Pirkeymeri effigies,
Ætatis suæ anno LIII
Vivitur ingenio, cœtera mortis erunt
MDXXIV

Ce n'est pas la seule fois que le burin de Durer ait reproduit les traits de son ami. On trouve la figure de Bilibalde dans plusieurs de ses gravures, notamment dans celle qui veut représenter la Destruction du monde. Le Temps, à cheval et armé de son trident, accompagné de trois cavaliers, dont un tenant une balance, un soldat brandissant son glaive, et un archer lançant ses flèches, pousse et détruit les hommes et les femmes renversés devant lui. Dans le ciel, un ange assiste et préside, comme dans l'Apocalypse, à cette scène de désolation, qui paraît annoncer la fin du monde. On reconnaît les traits de Pirckheimer dans ceux du cavalier qui tient la balance, comme si Durer l'avait jugé digne de peser les actions des hommes437. On les revoit aussi dans l'Offrande de l'agneau au grand prêtre, par la Vierge et saint Joseph. Bilibalde est placé debout, à côté de l'enfant Jésus, et tient un agneau dans ses bras.
Il paraît que Durer avait grande confiance dans le goût de son ami, et qu'il se soumettait volontiers à ses critiques. On sait qu'il a peint, et ensuite gravé saint Eustache, agenouillé devant un cerf, qui porte un crucifix entre ses cornes, et est entouré de chiens, disposés en différentes attitudes, et tels, suivant Vasari438, qu'il serait impossible d'en trouver de plus beaux. À côté du saint, on voit son cheval de chasse, tout harnaché, d'une exécution véritablement merveilleuse. À l'occasion de ce cheval, Bayle439 rapporte ce qui suit: «Jean Valentin André, docteur en théologie au duché de Wirtemberg, écrivant à un prince de la maison de Brunswick, dit: «Je me rappelle avoir lu que Bilibalde Pirckheimer, noble triumvir de la république de Nuremberg, protecteur, Mécène et soutien presque unique d'Albert Durer, n'avait rien trouvé à reprendre dans le tableau de Saint Eustache, si ce n'est que les étriers étaient trop courts pour qu'Eustache pût commodément monter à cheval. Ayant indiqué à l'artiste comment il fallait faire, pour peindre un cheval équipé à l'usage d'un cavalier, Albert l'exécuta merveilleusement, et j'ai souvent contemplé son œuvre avec le plus grand plaisir.»
De son côté, Pirckheimer ne faisait pas moins de cas du jugement et de l'intelligence, que du pinceau et du burin de l'artiste. Il avait reçu, en septembre 1515440, du fameux Pic de la Mirandole, avec lequel il était en correspondance, le volume grec des Caractères de Théophraste, que ce savant venait de publier. À l'instigation d'Albert Durer, qui ne savait pas le grec, mais qui connaissait bien la langue latine, Pirckheimer traduisit cet ouvrage dans ce dernier idiome, et envoya cette traduction à son ami, avec la dédicace suivante, également écrite en latin441:
«Cet aimable petit livre, qui m'a, été donné par un aimable ami, j'ai résolu de te l'offrir, mon très-aimable Albert, non-seulement à cause de notre mutuelle amitié, mais parce que tu excelles tellement dans l'art de peindre, que tu pourras voir facilement avec quelle habileté le vieux et sage Théophraste savait peindre les passions humaines. Elles sont ordinairement dissimulées, et cependant, elles se laissent voir quelquefois; il ne leur faut qu'une occasion pour s'échapper des plus secrètes profondeurs de l'âme. Alors, dès qu'elles se sont montrées, et qu'elles ne sont plus retenues par la crainte des lois442, elles brisent tout frein, et osent se découvrir ouvertement aux yeux de tous. Cette vérité, observée dans tous les siècles, se fait encore plus remarquer dans le nôtre, où la trop grande liberté engendre un trop grand mépris. C'est ainsi que, bien que l'on prêche partout la vérité, on ne fait cependant rien moins que ce qu'elle exige; comme si le règne de Dieu consistait plutôt en de simples préceptes que dans l'accomplissement des œuvres. C'est pourquoi, comme nous sommes tous faibles, à ce point que personne n'oserait se reprendre de ses propres vices, je ne connais rien de plus utile que de relire ces petits livres, dans lesquels chacun de nous peut contempler, comme dans un miroir, les habitudes de son propre esprit, et, en les contemplant ainsi, peut les amender. Parmi ces livres, je considère celui-ci comme le meilleur, et comme assaisonné d'un sel piquant, qui le fait pénétrer très-agréablement jusqu'au fond de notre cœur. Je l'ai reçu jadis en grec, de très-docte et très-aimable prince, Jean-François Pic de la Mirandole, comte et seigneur de Concordia. Aujourd'hui, je te le dédie, à toi, mon très-excellent ami, en grec et en latin, afin que ceux qui désirent s'instruire aient également un sujet d'étude et de récréation dans ces deux langues. Bien que, dans un grand nombre de passages, le texte ait été altéré, soit par l'incurie du copiste, soit, peut-être, par trop de recherche, je me suis efforcé de l'amender, autant que je l'ai pu, en attendant qu'on en publie un exemplaire plus correct. J'aurais pu le traduire en style plus élégant, mais je n'ai pas voulu m'éloigner du texte grec, bien que ma traduction puisse paraître, pour ce motif, quelquefois obscure. En rapprochant la version grecque de la traduction latine, il sera facile d'éclaircir ces passages…
«Quant à toi, mon cher Albert, accepte avec bienveillance cette peinture, écrite par Théophraste, et si tu ne veux pas l'imiter avec ton pinceau, médite-la au moins avec attention, car elle te sera non-seulement très-utile, en te faisant rire plus d'une fois, mais elle aura pour toi d'autres avantages. – Porte-toi bien. De notre maison, Calendes de septembre, l'an du salut 1527.»
Nous ignorons si l'artiste aura suivi le conseil de son ami: on doit le croire, car il était fort capable d'apprécier toute la vérité des peintures du satirique grec. Mais on voit, par ce qui précède, que l'instruction classique de Durer était à la hauteur de son génie, et ses gravures si nombreuses et si variées, soit sur cuivre, soit sur bois, prouvent que son imagination était égale à son savoir.
CHAPITRE XXXVI
Relations d'Érasme avec Pirckheimer et Durer. – Voyage d'Albert dans les Pays-Bas. – Portraits d'Érasme par Durer et Holbein. – Amour d'Érasme pour l'indépendance.
1518 – 1526
Nous avons dit que Pirckheimer était en correspondance suivie avec Érasme. Dans ces lettres, il est plus souvent question des ouvrages publiés par l'un et par l'autre, et de l'agitation religieuse et politique de l'Allemagne, que de tout autre sujet. Cependant, on y rencontre quelques passages qui montrent qu'Érasme n'était pas plus insensible que son ami aux œuvres du pinceau ou du burin du grand artiste de Nuremberg. Dans une lettre écrite de Bâle, le 19 juillet 1522443, Érasme lui dit: – «Je fais, de cœur, mes compliments à notre Durer: c'est un digne artiste (artifex) qui ne mourra jamais. Il avait commencé à me peindre à Bruxelles; plût à Dieu qu'il eût achevé! Nous avons eu, lui et moi, le même sort; étant aussi maltraités l'un que l'autre par la naissance et la fortune.»
On sait qu'Albert Durer fit un voyage aux Pays-Bas, dans les années 1520-1521: il avait entrepris cette excursion, principalement dans le but de tirer parti de ses gravures, qu'il cherchait à vendre. Après un assez long séjour à Anvers, où il avait été fêté par tous les artistes, il visita Bruxelles, où il fut reçu par l'infante Marguerite, dont il fit le portrait. Quelques mois plus tard, il y vit l'entrée de Charles-Quint, qu'il peignit également, ainsi que le roi de Danemark, Christian II, qui le fit dîner avec lui. Durer a écrit le journal de son voyage444, dans lequel il note exactement toutes ses dépenses, sans doute pour se conformer aux désirs de sa femme, qu'il avait emmenée avec lui, et qu'il appelle, dans une de ses lettres écrites de Venise à Pirckheimer, «son maître de calcul.» Ce journal est surtout intéressant par les détails qu'il donne sur les ouvrages, portraits, tableaux, dessins, que Durer exécuta dans les Pays-Bas. On y voit que sa réputation était très-répandue, et qu'il jouissait d'une très-haute considération.
C'est en 1520, pendant son séjour à Bruxelles, qu'Albert avait commencé le portrait d'Érasme. On verra que, s'il ne l'avait pas terminé alors, l'esquisse qu'il avait faite lui servit plus tard pour l'achever, à la demande d'Érasme lui-même. Mais il paraît que vers la fin de 1522 Durer, dont le génie était universel, avait résolu de fondre un buste ou médaillon d'Érasme445, au revers duquel devait se trouver une figure de Terme antique, probablement tel que celui dont Érasme se servait pour cachet446: c'est, du moins, ce qui semble résulter de plusieurs lettres d'Érasme à Pirckheimer. – Dans celle datée de Bâle, le 9 janvier 1523, après s'être plaint de la gravelle dont il souffrait depuis longtemps, il ajoute: – «De fusili Erasmo rectè conjecturas: felicius provenire solet ex materia cupro stannoque temperata; et Terminus, qui a tergo est, obstat quòminus facies feliciter exprimatur.» – «Vos conjectures sont justes, à l'égard du portrait d'Érasme qu'on veut fondre: un mélange de cuivre et d'étain réussit ordinairement mieux que tout autre, et le Terme qui est par derrière s'oppose à ce qu'on puissè rendre heureusement l'expression de la figure447.» – Il termine en le chargeant de tous ses compliments pour Durer, et en se réjouissant de ce que l'artiste ait trouvé sutorem suum, faisant sans doute allusion à des critiques que Pirckheimer avait faites de ses œuvres, et auxquelles l'artiste s'était probablement soumis.
En novembre 1523, Érasme avait reçu un essai en plomb de son portrait; il l'avait envoyé à un ami, sans doute pour le consulter, et le 21 du même mois, en priant Pirckheimer de saluer de nouveau leur Apelles (Resaluta nostrum Apellem), il lui demandait ce que cet essai était devenu448.
Le 8 février 1524449, il revient sur la fonte de son buste ou médaillon: – «Je vous avais écrit relativement à l'image d'Érasme que l'on devait peindre; mais, à ce que je vois, mes lettres ne vous sont pas parvenues. Si l'artiste voulait faire un modèle en plomb, en retouchant les angles, la foute réussirait mieux. Toutefois, un mélange de cuivre et d'étain rend mieux la figure. Enfin, si la figure d'Érasme était fondue seule, sans le Terme, je pense que l'entreprise réussirait mieux, car l'épaisseur de la pierre et de la masse, qui est par derrière, s'oppose à ce que le visage et le cou soient bien rendus. On pourra essayer des deux manières: s'il réussit, qu'il fonde et vende à son profit: s'il veut m'envoyer quelques-unes des meilleures épreuves, afin que j'en fasse cadeau à mes amis, je lui compterai ce qu'il voudra.»
Il paraît que la fonte réussit; car Érasme annonce à Pirckheimer, le 8 janvier 1525450, qu'il a reçu «la première épreuve de son portrait fondu, avec un médaillon peint par Apelles.» Il ajoute: – «Je désirerais être peint par Durer: pourquoi pas, par un si grand artiste? mais le pourra-t-il? il avait commencé à Bruxelles à tracer mes traits au charbon; mais cette esquisse doit être, je le crois, depuis longtemps détruite. S'il peut quelque chose, d'après mon médaillon fondu et de mémoire, qu'il fasse pour moi ce qu'il a fait pour vous, bien qu'il vous ait donné un peu trop d'embonpoint.»
Bientôt Érasme reçut le portrait fondu de Bilibalde, avec un médaillon peint également de la main d'Albert Durer451. – «Je les ai placés, écrivait-il le 5 février 1525, sur les deux murailles de ma chambre à coucher, afin que, de quelque côté que je me tourne, Bilibalde se présente à ma vue.»
On apprend par une lettre du 28 août suivant452 combien les procédés les plus ordinaires aujourd'hui, pour le moulage, étaient peu répandus à cette époque. Pirckheimer avait voulu faire reproduire en plâtre le buste ou médaillon d'Érasme et le sien; mais Érasme lui répond: – «Je ne trouve ici (à Bâle) personne qui sache mouler en plâtre des figures; aussi aurais-je préféré que le modèle fût resté entre vos mains. Saluez Durer, prince de l'art d'Apelles.»
L'année suivante, l'artiste combla les vœux d'Érasme, en exécutant son portrait de mémoire et avec le secours de son buste ou médaillon. Érasme avait reçu ce portrait à Bâle dans le courant de juin 1526, et il écrivait à Pirckheimer453: – «Je songe à ce que je pourrais faire pour Albert Durer; il est digne d'une éternelle mémoire. Si mon portrait n'est pas très-ressemblant, il n'y a pas lieu de s'en étonner, car je ne suis plus tel que j'étais il y a plus de cinq années. Travaillé par la fièvre depuis deux ans, j'ai tellement souffert de la gravelle, que mon pauvre petit corps a toujours été en s'amoindrissant, comme il arrive après les maladies.»
D'après la gravure de ce portrait, exécutée sur cuivre par Durer lui-même454, Érasme est représenté debout à mi-corps, écrivant sur un pupitre placé sur une table, et tenant son écritoire dans la main gauche. Il est coiffé d'un bonnet qui lui enveloppe toute la tête, ses yeux sont baissés et semblent suivre ce que sa main droite écrit. Une ample robe de docteur l'enveloppe. À l'angle de la table on voit un vase rempli de fleurs. Des livres, dont un tout grand ouvert, se trouvent sur une planche un peu au-dessous de la table. Dans le haut on lit l'inscription suivante:
Imago Erasmi Rotterodami
Ab Alberto Durero ad
Vivam effigiem delineata
Την χρειττω τα συγγαμματα] MDXXVI

Dans cette gravure, le visage d'Érasme est moins maigre que dans les portraits de Holbein. La lettre d'Érasme explique bien ce qui pouvait manquer à la fidèle ressemblance. Néanmoins, satisfait de l'œuvre du maître nurembergeois, Érasme avait voulu célébrer son génie dans un petit traité spécialement composé en son honneur; mais nous n'avons pas trouvé cet éloge parmi ses œuvres, et tout porte à croire qu'il n'aura pas été publié.
Quoi qu'il en soit, Érasme aura eu la gloire d'être peint par les deux plus grands artistes allemands de son siècle: Albert Durer et Hans Holbein. Le premier n'a représenté qu'une fois sa physionomie, tandis que le peintre de Bâle l'a souvent reproduite. Holbein devait à Érasme ces nombreux témoignages de sa reconnaissance, car ce fut Érasme qui, en 1526, lui ayant fait faire son portrait, l'engagea à se rendre en Angleterre et à se présenter, avec ce portrait et une lettre de recommandation, au chancelier Thomas Morus455. Nous n'avons pas trouvé cette lettre dans la correspondance imprimée d'Érasme, qui contient cependant plus de treize cents lettres de cet infatigable écrivain. On peut supposer qu'elle devait être conçue dans le même sens que celle qu'Érasme avait donnée à Holbein pour le savant Pierre Ægidius d'Anvers: – «Celui qui vous remettra cette lettre est celui qui m'a peint. Je ne vous ennuierai point d'une longue recommandation, puisque c'est un artiste remarquable. S'il désire voir Quentin (Matzis), vous pourrez lui indiquer sa maison. Ici (à Bâle) les arts meurent de froid (frigent); il se rend en Angleterre pour ramasser quelques angelots (monnaie d'or anglaise de ce temps)456.» – On sait que, parvenu à Londres, Holbein fut accueilli par Thomas Morus, grâce au portrait et à la lettre d'Érasme, son ami, avec le plus grand empressement: logé dans le palais du chancelier, il y passa près de deux années, occupé à l'orner des peintures les plus remarquables. Il n'oublia pas de faire plusieurs répétitions du portrait de son protecteur de Bâle. Érasme y est ordinairement représenté à mi-corps, la tête couverte d'une sorte de bonnet de velours, et vêtu d'une robe de professeur, les mains placées l'une dans l'autre, à moitié cachées par la bordure. La figure de l'auteur de l'Éloge de la Folie, anguleuse et maigre comme celle de Voltaire, est vue de trois quarts; ses yeux expriment la finesse, la vivacité, l'intelligence, et toute sa physionomie respire le calme et la douceur.
Presque tous les portraits d'Érasme par Holbein sont restés en Angleterre; on peut les y admirer aujourd'hui, soit dans les palais de la reine, soit dans les principales collections particulières. Mais nous ignorons ce qu'est devenu le portrait d'Érasme peint et gravé par Durer. – L'illustre écrivain de Rotterdam, méritait bien d'exercer le pinceau des deux principaux maîtres de l'école allemande. Indépendamment de sa science presque universelle, de son érudition profonde, qui n'avait pas étouffé son imagination, de l'esprit qu'il déploya dans son Encomium Moriæ, en osant railler publiquement les passions, les vices et les folies des hommes de toutes les conditions, sans excepter les rois et les papes, son caractère n'était pas moins recommandable que son talent. Il voulut rester modéré dans un temps de luttes violentes, s'exposant aux calomnies de tous les partis, pour demeurer fidèle aux grands principes de la tolérance et de la charité chrétienne. Il donna l'exemple du désintéressement et de l'indépendance, bien qu'il fût sollicité par les plus puissants princes de l'Europe de mettre sa plume au service de leur cause. – «Je ferais facilement ma fortune auprès des princes, écrivait-il de Bâle en 1518457 à Pirckheimer; mais pour moi la liberté est la chose la plus précieuse qu'il y ait au monde: tout ce qui s'achète à ses dépens m'a toujours paru acheté trop cher.»