Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 21
CHAPITRE XXXVII
Missions que remplit Pirckheimer dans l'intérêt de sa patrie. – Sa retraite définitive des affaires publiques. —Le char triomphal de l'empereur Maximilien, dessiné et gravé par Durer, et décrit par Pirckheimer. – Agitation de l'Allemagne, chagrins de Bilibalde.
1512 – 1527
Pirckheimer, jouissant d'une immense fortune et souvent atteint de la goutte, paraît avoir fait assez peu de cas des succès de l'ambition satisfaite. Après la mort de sa femme, ses amis l'avaient poussé de nouveau, pour le distraire, à rentrer au sénat de Nuremberg. Il y fut chargé de plusieurs missions importantes. En 1512, envoyé à Cologne pour réclamer de l'empereur le rétablissement et le maintien des priviléges de sa patrie, il fut assez heureux pour réussir à faire agréer sa requête. Dans la suite, il représenta plusieurs fois la ville de Nuremberg aux diètes allemandes et dans d'autres assemblées, et s'y fit constamment remarquer par son éloquence et sa fermeté458. Ces succès excitèrent de nouveau contre lui l'envie et le ressentiment de ses anciens ennemis. Bilibalde, dégoûté de la politique, résolut de se retirer définitivement des fonctions publiques. Indépendamment des calomnies auxquelles il se voyait exposé, il avait une autre raison, malheureusement trop réelle, pour désirer le repos. La goutte, à laquelle il était sujet depuis sa jeunesse, lui laissait peu de moments sans douleurs. Il demanda donc au sénat de le dispenser de prendre part plus longtemps au gouvernement de sa patrie. Mais cette assemblée refusa de faire droit à ce désir. Elle connaissait le zèle, l'intégrité de Pirckheimer; elle n'ignorait pas que son caractère et son talent étaient fort appréciés à la cour impériale, et que son influence était puissante auprès de Charles-Quint, successeur de Maximilien. Le sénat répondit donc qu'il ne pouvait consentir à ce que Bilibalde privât sa ville natale de son savoir, de sa longue expérience des affaires et de son crédit: seulement, il fut décidé qu'en considération de ses infirmités, il serait dispensé d'aller en mission. Pirckheimer se soumit à cette décision, et continua, un peu malgré lui, à prendre part aux délibérations du conseil nurembergeois. Mais, dans l'emploi de son temps, la politique n'occupa plus qu'une petite place: l'art et l'étude des lettres absorbèrent presque tous ses moments. Sa maison devint le rendez-vous des savants, et, selon l'expression de son biographe, elle était considérée comme l'asile des érudits: Hospitium, seu diversorium eruditorum; les affreuses douleurs dont il souffrait ne l'empêchaient pas de se livrer à ses études favorites459. Il entretenait également un commerce fort actif de lettres avec les amis qu'il avait, non-seulement en Allemagne, mais en Italie, en Espagne, en Suisse et dans les Pays-Bas.
C'est à cette époque, que, de concert avec Albert Durer, il composa le char triomphal de l'empereur Maximilien, emblème allégorique des vertus et du gouvernement de ce prince, et dont les gravures passent pour des chefs-d'œuvre. Ce char ne consiste qu'en huit morceaux joints en largeur; ils ont été gravés sur bois. On a souvent confondu cet ouvrage avec l'arc triomphal du même empereur, grand in-folio gravé sur bois également, sous la direction de Durer; mais l'exécution du char est beaucoup mieux réussie, et sa composition n'est pas moins remarquable. Pirckheimer en fit une élégante description en latin, et la dédia, en son nom et au nom d'Albert, à l'empereur Maximilien, qui le remercia et le félicita dans une lettre latine, écrite d'Inspruck le 29 mars 1518460.
Ce prince aimait les arts, et se délassait des plus importantes affaires d'État en cultivant la gravure sur bois: on lui a même attribué celles qui accompagnent le Theuerdank461. Il était donc fort capable d'apprécier le génie de Durer; mais il est probable que, dans cette circonstance, il fut surtout flatté de voir son nom loué comme le modèle de toutes les vertus nécessaires à un grand prince. La composition de Durer est conçue dans un style qui rappelle les errements de l'ancien art germanique. Cependant, elle présente, dans quelques-unes de ses parties, des réminiscences des bas-reliefs de la colonne Trajane, ou des arcs de Titus et de Constantin, à Rome. L'ensemble de cette œuvre révèle une perfection à laquelle la gravure sur bois n'est pas encore revenue, et le dessin du maître s'y montre véritablement supérieur462.
La part que Bilibalde prit à cet ouvrage, dont il fournit le sujet à Durer, fit diversion à ses douleurs physiques et à ses inquiétudes d'homme d'État. L'agitation religieuse redoublait en Allemagne, et elle s'étendait même aux pays limitrophes. La ville de Nuremberg, comme celle de Bâle, était troublée par les doctrines nouvelles de Luther et de ses adhérents ou imitateurs. Au milieu des discussions religieuses, qui allaient bientôt dégénérer en de sanglants combats, les partisans de la modération et de la tolérance, tels qu'Érasme et Pirckheimer, se trouvaient exposés aux récriminations et aux calomnies des deux partis. Érasme lui écrivait de Bâle le 19 octobre 1527463: «Perit concordia, charitas, fides, disciplina, mores, civilitas: quid superest?» «La concorde, la charité, la foi, la discipline, les mœurs, la civilité périt: que reste-t-il?» Pirckheimer ne se plaignait pas moins amèrement. «Vide, mi Erasme, quid iniquitas non audeat, præcipuè illorum hominum qui populi devorant peccata, cœlique claudendi et reserandi se jus habere existimant.» «Vois, mon cher Érasme, ce qu'ose l'iniquité, principalement de ces hommes qui dévorent les péchés du peuple, et prétendent avoir seuls le droit d'ouvrir et de fermer les portes du paradis464.»
Comme il arrive presque toujours aux époques de querelles religieuses, la diversité des opinions pénétra dans les familles, et celle de Pirckheimer, jusqu'alors parfaitement unie, fut bientôt troublée. Bilibalde avait deux sœurs, l'une, nommée Charitas, était abbesse du couvent de Sainte-Claire de Nuremberg, dans lequel l'autre vivait simple religieuse, avec une des filles de son frère. Agité par les doctrines des réformateurs, le couvent n'était plus la maison de l'obéissance et de la prière. Bilibalde avait fait l'éducation de ses sœurs, il leur avait appris le latin, qu'elles écrivaient fort correctement et même avec élégance, et il entretenait avec elles une correspondance qui a été publiée dans ses œuvres465. Les lettres de Charitas donnent une haute idée de son instruction, et montrent qu'elle avait un goût très-vif pour les ouvrages de l'antiquité grecque ou latine, particulièrement pour les traités de Plutarque, que son frère traduisait en latin pour elle. Néanmoins, tout en lisant les auteurs profanes, elle restait scrupuleusement soumise à la règle de son ordre. Bilibalde aimait tendrement ses sœurs; il voulut tenter de ramener la paix dans leur communauté, et plus encore dans leur conscience. Il leur députa donc son ami, Philippe Mélanchthon, dont la modération, la douceur, la charité étaient appréciées des sectes les plus violentes et les plus opposées. Nous ignorons le résultat de cette conférence. Ce qui paraît certain, c'est qu'en voulant garder un milieu entre des doctrines, ou plutôt des passions irréconciliables, Pirckheimer se vit exposé aux attaques des fanatiques de toutes les opinions. Loin de répondre, il n'opposa que le silence et la résignation aux invectives de ses ennemis, et s'éloigna de plus en plus des affaires publiques.
CHAPITRE XXXVIII
Mort d'Albert Durer, regrets de Pirckheimer, sentiments d'Érasme. – Épitaphe de Durer. – Dernières années de Bilibalde. – Gravure faisant allusion à ses chagrins. – Mort de Pirckheimer.
1528 – 1530
Au milieu de ces chagrins, Pirckheimer éprouva bientôt une douleur beaucoup plus vive par la mort de son cher Durer; il le perdit à Nuremberg, le 6 avril 1528, dans toute la force de son génie, et alors qu'il était parvenu à l'apogée de sa gloire. Il s'empressa de faire part de ce triste événement à leurs amis communs, et voici ce qu'il écrivait à Udalric ou Ulrich Hutten466: «Bien que, mon cher Udalric, une longue vie soit au nombre des plus chers désirs des hommes, je pense néanmoins qu'on ne peut rien imaginer de plus intolérable qu'une existence qui se prolonge longtemps. J'en fais moi-même la triste expérience tous les jours: car, pour ne rien dire des maux qu'amène la vieillesse, et du cortége obligé de tant de maladies qu'elle traîne avec elle, que peut-il arriver de plus triste à un homme, que d'avoir à déplorer chaque jour, non-seulement la perte de ses enfants et de ses proches, mais encore celle de ses amis les plus chers? Quoique j'aie été déjà bien souvent éprouvé par la mort inévitable d'un grand nombre des miens, je crois cependant n'avoir jamais ressenti jusqu'à ce jour une douleur aussi vive que celle que m'a causée la perte subite de notre excellent ami Albert Durer. Et ce n'est point à tort, puisque, de tous les hommes qui ne m'étaient point attachés par les liens du sang, il n'en est aucun que j'aie plus aimé, ni que j'aie autant estimé, à cause de ses innombrables vertus et de sa probité. Aussi, mon cher Udalric, n'ignorant pas que tu partages cette douleur avec moi, je n'ai pas craint de me laisser aller, en ta présence, à toute l'effusion de mes regrets, afin que nous puissions ensemble payer à cet ami si cher le juste tribut de nos larmes. Il est mort, notre Albert, mon très-cher Udalric; déplorons, hélas! l'ordre inexorable de la destinée, la misérable condition des hommes, et l'insensible dureté de la mort. Un tel homme, si supérieur, nous est enlevé, alors que tant d'autres, inutiles et sans aucune valeur, jouissent constamment d'une heureuse chance, et prolongent leur vie au delà des limites assignées à la plupart des hommes…»
Nous n'avons pas la réponse de Hutten, mais nous trouvons celle d'Érasme, datée de Bâle, le 24 avril 1528467; elle est laconique et sèche, et l'expression de ses regrets, confondue au milieu d'une foule de nouvelles qui semblent l'intéresser davantage, est formulée à l'aide d'un lieu commun, digne plutôt d'un sophiste grec que d'un philosophe chrétien. «Quid attinet, dit-il, Dureri mortem deplorare, quum simus mortales omnes? Epitaphium illi paratum est in libello meo.» «À quoi sert de déplorer la mort de Durer, puisque nous sommes tous mortels? Je lui ai préparé une épitaphe dans mon petit livre.» (Celui dont nous avons parlé plus haut, et qu'Érasme devait composer pour faire l'éloge d'Albert). – Voilà tout ce qu'Érasme trouve à dire sur la mort d'un artiste qu'il comparait à Apelles.
Pirckheimer se montra beaucoup plus sensible à la mort de son ami; il lui fit ériger, à ses frais, un tombeau dans le cimetière Saint-Jean, de Nuremberg, et, sur une table d'airain fixée à ce monument, il fit graver l'épitaphe suivante468:
Me (Memoriæ) Alb. Dur
Quidquid Alberti Dureri mortale fuit,
Sub hoc conditur tumulo
Emigravit VIII idus aprilis, MDXXVIII
Plus tard, il déplora sa perte dans une élégie en distiques latins, et, peu satisfait de la promesse d'Érasme, il lui composa dans la même langue, et en vers, trois épitaphes469. L'élégie peint bien les sentiments les plus intimes de son âme et sa profonde douleur:
«Toi qui m'étais si attaché depuis tant d'années, Albert, la plus grande part de mon âme, dont la conversation m'était si agréable, et dans le sein duquel je pouvais verser en sûreté mes plus secrètes pensées, pourquoi abandonnes-tu si vite ton malheureux ami, et te hâtes-tu de t'éloigner pour ne jamais revenir? Il ne m'a pas été permis de soulever ta tête, de toucher ta main, ni de t'adresser mes tristes et derniers adieux; car, à peine la maladie t'avait-elle obligé à te mettre au lit, que la mort, accourant, s'est emparée de ta personne. Hélas! espérances vaines! Combien notre esprit est impuissant à prévoir les maux qui nous menacent et qui tombent sur nous à l'improviste! La Fortune, prodigue à ton égard, t'avait tout donné, comme tu le méritais: l'intelligence, la beauté, là bonne foi unie à la probité. La mort s'est hâtée de tout te ravir. Toutefois, la cruelle n'a pu t'enlever ta renommée; car le génie de Durer et son illustre nom brilleront tant que les astres éclaireront cette planète. Ô toi, l'honneur et l'une des gloires les plus pures de notre nation, va, monte au ciel sous la conduite du Christ. Là, tu jouiras à toujours de la récompense due à ton mérite; tandis que nous, ici-bas, nous errons à l'ombre de la mort, prêts à être engloutis, sur notre barque fragile, dans l'océan des âges. Enfin, lorsque Christ voudra bien nous accorder cette grâce, nous pénétrerons après toi dans le même chemin. En attendant, versons sur le sort de notre ami des larmes amères, la plus douce consolation des affligés. Joignons-y des prières pour apaiser le Tout-Puissant, s'il daigne accueillir nos vœux. Et pour que rien ne manque au tombeau d'Albert, répandons-y des fleurs, des narcisses, des violettes, des lis, des guirlandes de roses, – Dors, ami, du sommeil des bienheureux, car l'homme de bien ne meurt pas, il repose dans le sein du Christ.»
La mort de l'artiste éminent avec lequel il passait la plus grande partie de sa vie dans une douce intimité, et le renouvellement des attaques et des calomnies auxquelles il se voyait depuis longtemps exposé, répandirent sur les dernières années de Pirckheimer un voile de sombre tristesse. S'il dédaigna de répondre par des discours ou des écrits aux attaques de ses envieux et de ses ennemis, il voulut néanmoins laisser à la postérité un témoignage irrécusable de leur acharnement et de sa résignation. Vers la fin de 1528, faisant un effort sur lui-même, et luttant contre la cruelle maladie qui l'accablait, il composa le sujet d'un emblème, ou allégorie, faisant allusion à sa vie et aux traverses auxquelles elle avait été exposée. Une colonne, d'ordre composite, surmontée d'une corbeille de fruits et de fleurs, soutient par deux liens, comme on suspend un cadre, un tableau de forme carrée, décoré d'ornements, sculptés dans le sens de sa hauteur. Dans le champ de ce tableau, arrondi par une guirlande de feuilles de myrthe, on voit une enclume, sur la base de laquelle est représenté un bouleau, antique emblème de la maison Pirckheimer. Sous l'enclume, une femme gît étendue, soutenant sa tête avec sa main droite, et endurant avec calme, sans aucun signe d'impatience ou de douleur, les coups violents et répétés qui sont frappés sur l'enclume pesant sur son corps. Son nom, écrit à côté, indique, alors même que son attitude ne le ferait pas reconnaître, que cette femme est la Tolérance. À l'un des côtés de l'enclume, une autre femme se tient debout: c'est l'Envie, qui saisit et enserre dans des tenailles un cœur d'homme, qu'elle place et tient au milieu des flammes qui brûlent sur l'enclume. En face, une troisième femme, la Tribulation, tenant à deux mains un triple marteau, frappe, de toute la force de ses bras, sur le cœur que l'Envie présente à ses coups redoublés. Entre ces deux femmes, qu'on prendrait pour des Furies, est placée une quatrième femme, portant sur son visage l'expression de la résignation et de la sérénité; les yeux tournés vers le ciel, comme pour y puiser sa force et sa consolation, elle élève également la main droite: c'est l'Espérance. À sa prière, on voit descendre d'en haut comme une rosée céleste, qui, tombant goutte à goutte, vient rafraîchir, au milieu des flammes, le pauvre cœur tenaillé par l'Envie et frappé par la Tribulation. Au bas du fût de la colonne, et appuyés sur sa base, deux petits génies ailés, tenant à la main une trompette recourbée, complètent cette composition, qui se distingue par une grande originalité470. «Bilibalde, ajoute son biographe Rittershusius471, voulut sans doute démontrer par cette allégorie quelle était sa tolérance et sa résignation, ayant mis son unique espoir en Dieu, duquel seul il attendait son secours et sa délivrance, disant avec David: «Auxilium meum a Domino, gui fecit cœlum et terram.» Mon secours est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre.»
Pirckheimer fit graver sur cuivre cet emblème, par un artiste habile, probablement par un des meilleurs élèves de son ami Durer; il en fit tirer un grand nombre d'épreuves, et les plaça, comme ses armoiries, au frontispice de ses livres. Le comte d'Arundel retrouva cette gravure, comme un certificat de propriété, lorsque, cent ans plus tard, il acheta en partie la bibliothèque du sénateur de Nuremberg472.
Si la composition de cette allégorie est remarquable au point de vue religieux et philosophique, son exécution, comme œuvre d'art, n'est pas moins curieuse à étudier. Sans présenter la sûreté de traits, la fermeté, la netteté, la délicatesse de dessin d'Albert Durer, elle a été évidemment inspirée par sa manière. Sous le rapport de l'idéal, la figure de l'Espérance laisse beaucoup à désirer; mais l'Envie est d'un style plus pur, tandis que l'expression de la Tolérance est bien dans son rôle de patience et de résignation. Nous regrettons de ne pas connaître le nom de l'artiste qui a gravé cette composition: son talent n'était certainement pas indigne du grand maître qui lui avait enseigné l'art de manier le burin. Cette invention de Bilibalde et le soin qu'il prit à en surveiller l'exécution prouvent qu'il aimait la gravure, cet art dans lequel Durer s'est montré si supérieur et si fécond.
Nous trouvons dans l'œuvre sur bois de Durer473 une composition qui paraît avoir été exécutée pour être placée sur les livres de Bilibalde. – On y voit les armes de Pirckheimer, à droite le bouleau, à gauche un écusson représentant une Syrène couronnée, tenant dans chacune de ses mains ses deux queues de poisson; le tout soutenu par deux Génies, au milieu desquels est un buste en manière de Terme, avec un trident au-dessus de la tête; dans le haut, l'inscription suivante:
Sibi et amicis
Liber Bilibaldi Pirckheimer
On remarque dans le même œuvre une autre composition d'Albert dont l'entourage seul est terminé, tandis que le milieu est resté blanc. Cet espace était probablement destiné à une gravure emblématique des armoiries des Pirckheimer; car, en bas, des Génies soutiennent l'écusson sur lequel est le bouleau, tandis que des colonnes, des ornements, un Satyre et une cigogne entourent le cadre resté en blanc.
On doit croire, d'après l'intimité qui régnait entre l'artiste et Bilibalde, que ce dernier possédait l'œuvre des estampes du maître et de ses élèves, et qu'il devait avoir également quelques-unes de ses peintures; mais son biographe ne nous apprend absolument rien à ce sujet.
Une année à peine après avoir composé et fait graver son emblème, Bilibalde succomba sous les étreintes de la cruelle maladie dont il souffrait depuis longtemps. Il mourut le 21 décembre 1530, et son corps fut déposé dans le cimetière Saint-Jean de Nuremberg, à côté de son cher Durer. On lisait sur son tombeau l'inscription suivante, gravée sur une table d'airain scellée sur la pierre sépulcrale:
Bilibaldo Pirckheimero patritio
Ac senatori Nurimberg. Divorum
Maximil. et Caroli V, Augg. Consiliario,
Viro utique in præclaris rebus
Obeundis prudentiss. Græce
Juxta ac latinè Doctiss
Cognati tanquam stirpis Pirckeimeriæ
Ultimo, Dolenter hoc s. p
Vixit ann. LX.D.XVI. Obiit Die
XXII Mens. Decemb. an christianæ
Salutis MDXXX
Virtus interire nescit474
La mort de Pirckheimer excita de vifs regrets parmi les savants: Érasme, dans une lettre au duc Georges de Saxe, écrite de Fribourg en mai 1531475, fait un pompeux éloge du sénateur de Nuremberg, et rappelle les services qu'il rendit aux lettres, en publiant, pour la première fois, ainsi que nous l'avons rapporté, un grand nombre d'auteurs grecs et latins. Mais encore que son épitaphe ait raison de dire que «la vertu ne périt pas avec la mort,» qui se rappellerait aujourd'hui le nom du dernier des Pirckheimer, si l'art de Durer, son ami, ne s'était chargé de le faire revivre?
JEAN WINCKELMANN
1717 – 1768
CHAPITRE XXXIX
Naissance de Winckelmann. – Pauvreté de ses parents. – Ses études à Steindall. – Le recteur Toppert. – Voyage à Berlin et retour à Steindall. – Il devient précepteur. – Il veut se rendre en France. – Il est admis co-recteur à Seehausen.
1717 – 1748
Winckelmann est un exemple frappant de ce que peut le travail opiniâtre mis au service d'une idée persévérante. Sorti des rangs les plus obscurs de la société, pauvre, sans protecteurs, ne pouvant compter que sur lui-même, il sut trouver dans la force de son caractère les ressources qui lui manquaient et surmonter tous les obstacles. Soutenu par l'étude, il traversa, sans se laisser abattre, les plus belles années de sa jeunesse dans une condition inférieure et tout à fait indigne de son génie. Il fut récompensé de tant d'efforts dans son âge mûr, et les douze dernières années de son existence s'écoulèrent au milieu des jouissances les plus pures que lui procurèrent l'amour du beau et l'admiration la mieux sentie des œuvres de la statuaire antique. Cette dernière partie de sa vie passée à Rome fut si bien remplie, qu'il a pu dire dans une lettre à un de ses amis: «Je crois être du petit nombre des personnes qui sont parfaitement satisfaites, et à qui il ne reste rien à désirer: qu'on trouve un autre homme qui puisse dire cela avec vérité476!»
Winckelmann naquit, le 9 décembre 1717477, à Steindall, petite ville de la vieille marche de Brandebourg. Il y fut baptisé le 12 du même mois, et reçut, ainsi qu'on a pu le constater par son acte de baptême retrouvé dans ses papiers après sa mort, les prénoms de Jean-Joachim. Mais, dans la suite, il supprima ce dernier prénom, soit, comme on l'a dit, qu'il le trouvât peu harmonieux, soit qu'un seul lui parût suffisant478.
Il était fils d'un cordonnier que sa pauvreté condamnait à un travail sans relâche pour vivre et pour soutenir sa famille. En attendant que son enfant fût en âge de l'aider, le père l'envoya suivre les leçons de l'école primaire de Steindall, s'imposant les plus grands sacrifices, dans l'espérance qu'il parviendrait peut-être plus tard à obtenir la place de diacre ou de pasteur d'une petite cure dans les environs. L'enfant fit des progrès rapides sous la direction du recteur de Steindall, nommé Toppert. Mais l'âge et les infirmités ayant obligé son père à cesser tout travail, pour entrer dans une maison de charité où il devait passer le reste de ses jours, le jeune écolier se trouva complétement isolé, sans aucune ressource, à un âge qui ne lui permettait pas encore de gagner sa vie. La Providence, en le soumettant à cette rude épreuve, ne l'abandonna point: elle toucha le cœur du recteur Toppert, et lui inspira la pensée de prendre soin de son élève. Frappé des dispositions de l'enfant, de sa facilité pour apprendre et retenir, de sa supériorité sur ses condisciples et de la douceur de son caractère, le recteur se chargea de pourvoir à son éducation. Il lui accorda une des places de choristes de la cure, et l'autorisa, quoique bien jeune, à donner des leçons ou répétitions de lecture à ses petits camarades et à en percevoir la rétribution. Avec ces ressources si minimes et si précaires, le sous-maître de douze ans pouvait vivre tant bien que mal, en continuant ses études, et il trouvait moyen de mettre de côté quelques petites économies pour adoucir le sort de son malheureux père.
Bientôt, par un retour commun aux choses d'ici-bas, le recteur eut besoin des services de son élève: Toppert devint aveugle, et il n'hésita pas à faire appel aux sentiments généreux de Winckelmann, le priant de lui servir de guide et d'appui. L'élève s'empressa d'aller au-devant du désir de son bienfaiteur, et il fut bientôt admis dans la maison du recteur comme un ami et presque comme un fils.
Toppert aimait les lettres et possédait une bibliothèque assez bien garnie de livres classiques, parmi lesquels on voyait de bonnes éditions des principaux auteurs grecs et latins. Ne pouvant plus parcourir leurs ouvrages avec ses propres yeux, le recteur empruntait ceux de Winckelmann, auquel il faisait faire de fréquentes lectures, à haute voix, des poëtes, des historiens, des orateurs et des philosophes de l'antiquité. Ces lectures, accompagnées des remarques du maître, formaient le goût de l'élève, et le préparaient à pousser plus avant l'étude et l'analyse des langues grecque et latine.
Dès cette époque, Winckelmann révélait son goût d'antiquaire: on raconte qu'à ses heures de loisir, ses récréations consistaient à explorer les collines sablonneuses de Steindall, pour y chercher des vases antiques d'origine romaine. On dit même qu'on peut voir encore aujourd'hui, à la bibliothèque de Seehausen, deux urnes qu'il aurait trouvées dans une de ces fouilles.
En 1733, à l'âge de seize ans, il obtint de son bienfaiteur la permission d'aller à Berlin, pour commencer, ce qu'on appelle en Allemagne, les cours académiques. Adressé, avec une lettre de recommandation du bon Toppert, au recteur d'un établissement d'instruction appelé le gymnase de Kolln, il y fut admis comme sous-maître ou surveillant, fonctions correspondantes à celles, si décriées par les écoliers, de maître d'étude dans nos colléges. Il sortit bientôt de ce gymnase pour entrer dans un autre nommé Baaken, où le recteur lui offrit la table et le logement, ce qui lui permettait de faire passer quelques secours à son père.
Il y avait alors à Berlin, et peut-être cet usage s'y est-il conservé, des associations d'étudiants nommées chœurs, qui, après les heures des classes, se répandaient par bandes dans la ville, en chantant aux portes, dans les rues, sur les places et au milieu des promenades, des morceaux d'opéras ou de musique d'église. Après l'exécution, ils faisaient une collecte parmi les auditeurs, comme nos chanteurs des rues. On raconte que notre savant, en herbe, le futur président des antiquités à Rome, prit part à ces concerts en plein vent, et trouva, dans leurs recettes provenant de la générosité du public, un soulagement à sa gêne, bien voisine de la misère.
Après un séjour d'une année à Berlin, Winckelmann fut rappelé à Steindall par Toppert, qui lui fit donner la place de chef des choristes, emploi qui consistait à diriger une bande de jeunes chanteurs donnant des concerts dans les lieux publics. Quatre années se passèrent ainsi, sans qu'aucun changement de quelque importance vînt améliorer la position du jeune homme.
Mais si la fortune échappait constamment à ses efforts, il trouvait une ample compensation dans les trésors de science et d'érudition qu'il commençait à entasser dans son esprit et dans sa prodigieuse mémoire. Il avait épuisé, par ses continuelles lectures, tous les livres appartenant aux bibliothèques de la petite ville de Steindall. Pressé par le désir d'augmenter ses connaissances, désir qui ne l'abandonna jamais, il résolut de se rendre à l'université de Halle, l'une des premières de l'Allemagne, afin d'y compléter ses études, et aussi dans l'espoir d'y trouver une occupation moins précaire et plus lucrative que celle qu'il remplissait à Steindall. Mais, après deux années d'un travail assidu, il se trouva déçu de cet espoir. Ses amis s'efforcèrent vainement de lui procurer un emploi; et sa position était devenue tellement malheureuse, pendant son séjour à Halle, qu'il fut réduit souvent à ne vivre que de pain et d'eau, et encore le pain lui était-il fourni par ses camarades. Cependant, cette cruelle situation ne l'empêcha pas d'aller visiter, pour la première fois, la ville de Dresde et son musée, et de conserver, de la vue des chefs-d'œuvre qu'il y admira, une impression ineffaçable.
Il fallait vivre, et Winckelmann, perdant l'espérance d'être admis comme professeur dans un établissement public, s'estima heureux d'être accueilli comme précepteur chez un magistrat du pays d'Halberstadt: il y passa quelque temps; mais cet emploi allait mal à l'esprit d'indépendance et à l'imagination exaltée, quoique couverte sous une apparence de froideur, de notre jeune érudit. En étudiant les auteurs grecs et latins, il se transportait avec eux par la pensée dans les pays qu'ils décrivent, et son plus vif désir était de suivre leurs relations sur les lieux mêmes où se sont passés les faits qu'ils racontent. C'est ainsi que la lecture approfondie des commentaires de César lui inspira une telle envie de se rendre en France, que, sans argent, sans aucune lettre de recommandation et, qui plus est, sans savoir un mot de français, il se dirigea, dans le cours de 1741, vers les frontières de ce pays. Mais la guerre, qui venait d'éclater, l'empêcha de mettre son projet à exécution; il revint donc sur ses pas, à son grand regret, et se trouva trop heureux d'être admis de nouveau comme précepteur, d'abord chez un capitaine de cavalerie en garnison à Osterbourg, ensuite chez le grand bailli, à Heimersleben. C'est dans cette dernière maison qu'il fit la connaissance du co-recteur de Seehausen. Ce fonctionnaire, nommé Buysen, ayant apprécié l'instruction aussi variée que solide du jeune précepteur, le prit en amitié, et en quittant son co-rectorat de Seehausen pour un poste plus avantageux, il l'y fit admettre à sa place.
Winckelmann faisait son entrée dans la carrière publique de l'enseignement par un emploi bien modeste et fort au-dessous de son mérite. Son devoir consistait à donner aux enfants les premières leçons des langues grecque et latine, et à leur enseigner les principes de la religion luthérienne. Une trop grande instruction nuit quelquefois à l'enseignement élémentaire, et il est rare qu'un professeur qui possède une vaste érudition et qui voit les choses de haut, sache assujettir son esprit à montrer les premiers éléments de la grammaire, et à corriger les règles du liber Petri ou du que retranché479.
Dans les commencements, Winckelmann ne réussit donc que médiocrement à satisfaire ses élèves et surtout leurs parents. Mais sincèrement résolu à remplir ses fonctions en conscience, il fit bientôt deux parts de son temps. Dans la journée, c'est-à-dire depuis six heures du matin jusqu'à neuf du soir, tout entier à ses devoirs de co-recteur et armé d'une patience inaltérable, il expliquait à ses jeunes élèves les éléments du latin et du grec, corrigeait leurs compositions et savait exciter leurs progrès, en encourageant leur émulation pour le travail. La fin de la classe venue, Winckelmann sans prendre la moindre récréation, consacrait la plus grande partie de la nuit à l'avancement de sa propre instruction. – «Il reprenait ses lectures favorites, méditait, écrivait, faisait des extraits; à minuit il s'endormait; réveillé à quatre heures, il rallumait sa lampe et se remettait au travail jusqu'à six heures, instant auquel il retournait près de ses disciples. Décidé quelquefois à abréger encore le temps de son sommeil, il ne fermait les yeux qu'après s'être attaché au pied une sonnette dont le moindre mouvement l'éveillait480.» Comme son désir de voyager ne l'avait pas abandonné, il apprit à fond, pendant ses longues veilles, les langues italienne, française et anglaise, qu'il avait commencé à étudier précédemment.
Œuvres de Pirckheimer, p. 26. Voici le texte latin de l'élégie:
Qui mihi tam multis fueras junctissimus annis,Alberte, atque meæ maxima pars animæ:Quo cum sermones poteram conferre suaves,Tutus et in fidum spargere verba sinum:Cur subito infelix mærentem linquis amicum,Et celeri properas non redeunte pede?Non caput optatum licuit, non tangere dextram,Ultima nec tristi dicere verba vale.Sed vix tradideras languentia membra grabato,Quum mors accelerans te subito eripuit.Eheu, spes vanas! heu mens ignare malorum!Quam lapsu celeri cuncta repente cadunt!Omnia pro merito dederat fortuna secunda,Ingenium, formam, cum probitate fidem.Omnia sed rursus celeri mors abstulit ausa:Tollere sed laudes improba non potuit.Virtus namque manet Dureri, atque inclyta fama,Splendebunt donec sidera clara polo.I decus, i nostræ non ultima gloria gentis,Ductore et Christu cælica regna pete.Illic non vano gaudebis semper honore,Pro meritis felix, præmia digna ferens:Dum nos hic fragiles erramus mortis in umbra,Et cymba instabili labimur in pelago.Tamdem quum annuerit clementis gratia ChristiNos quoque idem te post ingrediemur iter.Interea mœsti lachrymas fundamus amico,Nil quibus afflictis dulcius esse potest;Accedantque preces, summum placare tonantemQuæ possint, quidquam si pia vota valent.Et ne quid tumulo desit, spargamus odores,Narcissum, violas, lilia, serta, rosas.Felix interea somno requiesce beato,Dormit enim in Christo vir bonus, haud moritur.
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