Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 24
CHAPITRE XLIV
Voyage à Naples. – Le marquis Tanucci, le comte de Firmian. – Retour à Rome et voyage à Florence. – Le baron de Stosch et ses collections. – Winckelmann rédige en français le catalogue de ses pierres gravées.
1758 – 1759
Winckelmann partit pour Naples au commencement du printemps 1758, afin de continuer dans cette ville ses études et ses recherches favorites. Son premier soin fut de visiter Herculanum et Portici, et de se mettre en rapport avec les savants soit napolitains, soit étrangers, fixés dans ce pays. Parmi ces derniers, il cite le marquis Tanucci, ministre et secrétaire d'État, ci-devant professeur à Pise, comme «n'ayant pas son pareil dans le monde, et étant l'homme que cherchait Diogène535.» Mais s'étant permis de critiquer l'ouvrage des peintures antiques de Portici, dont le premier volume venait de paraître, et de faire d'autres remarques peu favorables aux savants napolitains, il eut, dans la suite, à se repentir de cette franchise, et, à ses autres voyages, il se vit exposé à des tracasseries.
À Naples, Winckelmann fut accueilli avec la plus grande bienveillance par le comte de Firmian, ministre et envoyé de l'empereur, qui fut nommé l'année suivante grand chancelier du duché de Milan et gouverneur du duché de Mantoue. Notre antiquaire était chez ce ministre comme à Rome chez le cardinal Passionei: il y dînait souvent, et vivait dans son intimité. Il considérait le comte comme un des plus grands, des plus sages, des plus humains et des plus savants hommes qu'il connût. Il lui avait communiqué par écrit les meilleurs passages de son manuscrit de l'Histoire de l'art, et il avait une telle confiance dans son amitié, qu'il avait formé le projet, dans le cas où la résidence de Rome pourrait un jour lui déplaire, ce que néanmoins il ne prévoyait pas, d'établir sa retraite auprès de lui536.
Il revint à Rome au commencement de l'été (1758), mais pour se rendre bientôt à Florence, où l'appelait depuis longtemps le baron de Stosch. Il voulait faire ce voyage «en partie pour se dissiper, en partie pour s'instruire.» Il se proposait de parcourir toute la Toscane et d'y examiner les antiquités Étrusques. Parti de Rome, le 2 septembre 1758, il ne trouva plus à Florence le baron de Stosch, qui était mort quelque temps avant son arrivée. Reçu par son neveu, chez lequel il descendit, on mit à sa disposition les trésors de glyptique, de numismatique, de cartes et de dessins du vieux baron, qui, dans ses derniers moments, avait exprimé le désir que Winckelmann rédigeât un catalogue raisonné de ses pierres gravées. Il se mit donc à l'œuvre, en français, et fut obligé de s'exercer dans cette langue. – Le baron de Stosch, pendant le cours de ses fonctions publiques, un peu équivoques537, avait profité de son séjour dans plusieurs pays, et particulièrement en Italie, pour réunir des collections de pierres gravées, de camées, de médailles, de cartes géographiques et de dessins. Il y avait là un vaste champ à exploiter, et en dressant le catalogue des pierres gravées, Winckelmann ne pouvait pas manquer d'acquérir de nouvelles connaissances, qu'il faisait servir à son Histoire de l'art. C'est ainsi qu'il trouva, sur deux pierres de ce cabinet, l'explication de la manière employée par les cavaliers des anciens, pour monter à cheval. On supposait généralement qu'il y avait, pour cet usage, des pierres placées sur les grands chemins. Mais notre antiquaire fait observer que ces pierres n'auraient pas été assez hautes pour servir à cette destination; comme on peut le voir, entre autres, par celles qui sont sur la route de Terracine à Capoue. Et comment, d'ailleurs, les cavaliers s'y seraient-ils pris en plein champ et pendant une bataille? – À leur javelot, il y avait un crampon qui leur servait à monter à cheval, et cela ne se faisait pas comme chez nous, par le côté gauche du cheval, mais par le côté droit. C'est ce dont il put s'assurer par deux différentes pierres du cabinet Stosch. – «Ne savons-nous pas beaucoup, conclut-il, en étant instruit de ces choses-là538?»
Cette étude constante des mœurs et des usages antiques ne l'empêchait cependant pas de se donner quelques distractions. Après avoir travaillé toute la journée au catalogue, le soir venu, il allait à l'opéra. Il croyait se retrouver à Dresde, car Pilaja chantait, et Lenzi et sa femme dansaient à Florence; il considérait cette ville comme la plus belle qu'il eût vue, et lui donnait, à tous égards, la préférence sur Naples; il se trouvait heureux et récupérait le temps perdu. – «J'avais aussi le droit de le réclamer du ciel, écrivait-il à Franken539, car ma jeunesse s'est passée trop tristement, et je n'oublierai de la vie ma situation au collége.» Il avait projeté, pour le mois de mars 1759, un voyage en Sicile et en Calabre, dans la compagnie d'un jeune peintre écossais, qui possédait bien le grec: de cette vie errante et vagabonde, il concluait qu'il était libre.
Cependant cette dernière assertion n'est pas complétement exacte; ayant perdu pour toujours «les secours qu'il recevait de Sion,» c'est-à-dire la pension que lui faisait le père Rauch avec l'argent du roi Auguste, il s'était de nouveau engagé et avait accepté la place de bibliothécaire du cardinal Albani, et celle de directeur de son cabinet de dessins et d'antiquités. Mais «comme le cardinal voulait qu'il fût avec lui sur le pied d'ami, cela ne devait le gêner en rien540.»
CHAPITRE XLV
Winckelmann attaché au cardinal Albani. – Notice sur ce prélat, sur sa villa et ses collections d'antiquités. – Le plafond de Raphaël Mengs; portraits de Winckelmann.
1759 – 1762
Winckelmann revint à Rome vers le commencement du printemps 1759, et il prit alors possession de son emploi auprès du cardinal Albani. Comme ce prélat fut le plus zélé protecteur de l'historien de l'art, auquel il rendit les plus grands services, nous croyons devoir entrer dans quelques détails, puisés à des sources authentiques541, sur sa vie et sur les encouragements qu'il ne cessa, pendant sa longue carrière, d'accorder aux savants et aux artistes.
La famille Albani, originaire de l'Épire, fut obligée de quitter ce pays dans le seizième siècle, par suite des avanies intolérables que les Turcs faisaient subir aux chrétiens. Elle vint se fixer en Italie, et choisit Urbin pour sa résidence. Alexandre Albani naquit dans cette ville le 13 novembre 1692; à l'âge de huit ans, il suivit ses parents, qui s'établirent à Rome à l'époque où le cardinal Jean-François Albani fut élevé à la papauté, sous le nom de Clément XI. Protégé par ce pontife, il fit de brillantes études de belles-lettres et de jurisprudence; à seize ans, nommé commandant de la cavalerie légère, il fut envoyé par le pape, son oncle, pour surveiller les troupes autrichiennes de Joseph Ier, qui s'étaient emparées de Comacchio. Rentré à Rome, il reprit ses études, et les termina bientôt avec une grande distinction. Dès cette fleur de jeunesse, il avait le goût des arts et de l'antiquité, et il commençait à réunir des statues et des bas-reliefs, encouragé par Clément XI lui-même, qui subvenait généreusement aux dépenses occasionnées par ces recherches. Quoique très-jeune encore, sa réputation s'étendait même au delà des Alpes: son biographe prétend que le père Montfaucon manifesta le désir de lui dédier son grand ouvrage; ce qui peut s'expliquer, non-seulement par le savoir reconnu du jeune Alexandre, mais surtout à cause de la parenté, qui le rendait cher au souverain pontife et lui donnait beaucoup de crédit. Après avoir rempli avec succès plusieurs missions importantes en Italie et en Allemagne, il fut fait cardinal, à l'âge de vingt-huit ans, par Innocent XIII, sans être encore prêtre. C'est à partir de cette époque (1721) qu'il reprit à Rome ses études sur l'antiquité, et qu'il ne discontinua pas, jusqu'à la fin de sa longue carrière542, d'accroître la somme de ses connaissances archéologiques et d'épurer son goût, afin d'acquérir ce jugement fin et délicat que les anciens exigeaient d'un amateur de l'art:
Judicium subtile videndis artibus illud
Le cardinal avait une véritable passion pour les vénérables restes de l'antiquité: il les interrogeait, cherchant à expliquer leur signification; les relevait et s'efforçait de faire opérer leur restitution. Par exemple, ayant trouvé dans des fouilles faites sur l'Aventin une reproduction du célèbre Apollon Sauroctone, il le fit transporter et restaurer à ses frais avec le plus grand soin. Il réunit bientôt la plus belle collection d'antiques qu'il y eût à Rome. On demeurera facilement convaincu de cette assertion si l'on réfléchit que la plus grande partie des statues, bustes, bas-reliefs et inscriptions du musée du Capitole provient des dons que fit ce cardinal. Il s'appliqua également à l'étude de la numismatique et des inscriptions (lapides litterati), et rassembla un grand nombre de médailles et de pierres ou marbres écrits, tant grecs que latins, et aussi bien païens que chrétiens. Il les offrit au pape Clément XII, qui les acheta moyennant soixante-douze mille écus romains (385,200 fr.) et les fit placer au Vatican et au Capitole.
Après cette cession, le cardinal recommença ses recherches, et eut bientôt recueilli une nouvelle collection d'inscriptions grecques et latines, avec une immense quantité de statues, bas-reliefs, sarcophages, vases, colonnes et autres objets antiques rares et précieux. Il rassembla également un grand nombre de livres et de manuscrits, dont il faisait les honneurs avec beaucoup de bonne grâce aux érudits et aux étrangers qui venaient le visiter543.
C'est alors que, ne pouvant plus placer tous ces trésors dans son palais, alle quattro Fontane, le cardinal prit la résolution de construire, à un demi-mille de la porte Salara, cette villa fameuse, restée encore aujourd'hui, en dépit des pertes qu'elle a subies, un musée antique plus précieux que la plupart des collections du nord de l'Europe. Il donna lui-même le plan des bâtiments, modèles de bon goût et d'élégance, que l'architecte Carlo Marchionni éleva sous sa direction. Mais ce qui ajoute un prix infini à tous les objets qui ornent cette villa, c'est la participation prise par Winckelmann à leur placement, et la description qu'il a donnée d'un grand nombre d'entre eux dans son Histoire de l'art et dans ses Monumenti inediti. Nous n'entreprendrons pas de décrire après lui ces précieux restes de l'art, échappés à la barbarie des hommes plus encore qu'à la destruction du temps: il nous suffira de renvoyer, soit aux ouvrages de notre antiquaire, soit aux notices spéciales qui ont été publiées sur cette célèbre villa544.
Elle fut commencée vers 1756, et elle était terminée au commencement de 1758; ce qui paraîtrait peu croyable, vu la grandeur et le soin de la construction, si Winckelmann ne l'attestait dans ses lettres545. C'est dans son enceinte, au milieu de ses statues, sous ses portiques, à côté de ses bassins et de ses fontaines, et à l'ombre de ses beaux arbres, que notre antiquaire passa, de 1758 à 1768, ses heures les plus heureuses et les mieux remplies. «Que ne pouvez-vous la voir? écrivait-il à Franken: elle paraît à tous les yeux un chef-d'œuvre de l'art. Le cardinal est le plus grand antiquaire qu'il y ait au monde; il produit au jour ce qui était enseveli dans les ténèbres, et le paye avec une générosité digne dun roi… Le palais de cette villa est garni d'une si grande quantité de colonnes de porphyre, de granit et d'albâtre oriental, qu'elles formaient une espèce de forêt avant qu'elles ne fussent en place; car j'ai vu jeter les fondations de ce palais. On s'y rend vers le soir, et l'on s'y promène avec le cardinal comme avec le moindre particulier546.»
Le traitement du bibliothécaire, directeur des antiquités du cardinal, était de cent soixante écus romains (856 fr.) par an; somme fort modique, et néanmoins suffisante alors à Rome pour assurer une complète indépendance. «J'élève tous les matins les mains vers celui qui m'a fait échapper au malheur, et qui m'a conduit dans ce pays, où je jouis non-seulement de la tranquillité, mais encore de moi-même, et où je puis vivre et agir selon ma volonté. Je n'ai rien à faire, si ce n'est d'aller tous les après-dîners avec le cardinal à sa magnifique villa, qui surpasse tout ce qui a été fait dans les temps modernes, même par les plus grands rois. Là, je laisse Son Éminence aux personnes qui viennent la voir, pour aller lire et réfléchir547.» Ces lectures, ces méditations dans ce beau lieu, ont inspiré plus d'un passage de l'Histoire de l'art. Souvent aussi, Winckelmann retrouvait à la villa les savants qu'il affectionnait le plus, et avec lesquels il prenait plaisir à éclaircir, par la vue des monuments, des points obscurs de l'archéologie grecque ou romaine. C'étaient Bianchi, Giacomelli, Baldani, Bottari, Fantoni, et Zaccharia, tous admis dans l'intimité du cardinal, tous plus ou moins antiquaires, et, comme lui, voués au culte du beau.
Il eut, également la satisfaction d'y voir son fidèle Mengs travailler à la composition dont il décora le plafond du cabinet du cardinal. Cet artiste était alors dans toute la force de son talent, et sa réputation, répandue en Allemagne et en Espagne aussi bien qu'en Italie, le faisait considérer comme le premier peintre de l'époque. On voyait en lui un restaurateur du goût et des belles formes; on trouvait ses inventions philosophiques, et son exécution était comparée à celle des plus grands maîtres du seizième siècle. Winckelmann et le cavalier d'Azzara, ambassadeur d'Espagne à Rome, n'avaient pas peu contribué à élever Mengs au-dessus de sa véritable valeur. Mais il faut leur rendre cette justice, que si leurs éloges dépassaient le but, ils avaient néanmoins raison de préférer les ouvrages de Mengs aux compositions fades, maniérées et sans aucun caractère, des autres artistes alors en vogue. Winckelmann exerçait une assez grande influence sur les opinions de l'artiste saxon: il est facile de s'en convaincre en lisant les Pensées sur la beauté et sur le goût dans la peinture, que Mengs avait dédiées à son ami, et qu'il publia chez Fuesli, à Zurich, en 1762. Selon Winckelmann548, «on trouve dans ce traité des choses qui n'ont encore été ni pensées, ni dites.»
Raphaël Mengs peignit, à la villa du cardinal, Apollon sur le Parnasse, entouré des neuf Muses; ce plafond passe pour son chef-d'œuvre, et il réunit en effet au mérite du dessin une très-grande habileté dans la pratique de la fresque, une ordonnance disposée savamment selon les données de la mythologie, qualité archéologique, qui en doublait le prix aux yeux de Winckelmann et de son patron. Ce qui manque à cette œuvre, c'est l'inspiration et la chaleur: elle est compassée et froide, comme si le dieu du jour et les Muses eussent été dans le climat glacé des contrées du Nord.
Avant cette époque, le peintre saxon avait fait le portrait de son ami; mais nous ignorons la date précise de cet ouvrage. Quelques années plus tard, en 1764, le portrait de Winckelmann fut de nouveau peint à l'huile pour un étranger, probablement le cavalier d'Azzara, par Angelica Kauffmann, dont nous avons parlé ailleurs549. Il est représenté à mi-corps et assis: Angelica le grava elle-même à l'eau-forte; un autre artiste le reproduisit à la manière noire, et lui fit présent de la planche. Winckelmann, touché de cet acte de déférence, vante la beauté de la jeune Allemande, et compare son talent à celui des premiers maîtres de ce temps550. Mais comme elle ne fit pas alors un long séjour à Rome, il n'en reparle plus dans sa correspondance.
CHAPITRE XLVI
Nouveaux voyages à Naples. – Sir W. Hamilton, d'Hancarville, le baron de Riedesel. – Excursion au Vésuve. – Opuscules composés à Rome. – Winckelmann sert de cicerone aux étrangers de distinction. – Son opinion sur les Anglais, les Allemands et les Français. – Sa correspondance. – Ses regrets, en apprenant la mort du comte de Bunau.
1762
En acceptant l'emploi de bibliothécaire et de directeur des antiquités du cardinal Albani, Winckelmann n'avait pas entendu aliéner la liberté de voyager, qui était, après sa passion pour l'étude et pour l'antiquité, son goût le plus dominant. Il fit encore deux excursions à Naples, l'une dans le carnaval de 1762, avec l'un des fils du comte de Brühl; l'autre, deux années plus tard. Il profita de ces voyages pour visiter de nouveau les restes d'Herculanum et des monuments antiques des environs de Naples. Mais étant naturellement enclin à la critique, et à trouver que les autres antiquaires ne savaient rien à côté de lui, il se fit à Naples de puissants ennemis, en publiant à Dresde, en 1762, ses Lettres au comte de Brühl sur Herculanum. En 1764, il y ajouta une Relation des nouvelles découvertes faites dans cette ville antique, avec seize lettres551 écrites à Bianconi sur le même sujet.
Il s'était lié à Naples avec l'ambassadeur d'Angleterre, sir William Hamilton, qui publiait, en compagnie de d'Hancarville, sous le titre de Antiquités étrusques, grecques et romaines, la description des vases et autres objets composant son cabinet. En 1767, accompagné du baron de Riedesel, auteur d'un voyage en Sicile et dans la grande Grèce, il entreprit l'ascension du Vésuve, pendant une éruption terrible qui faisait fuir les habitants de Portici. Ils passèrent une nuit sur cette montagne, firent rôtir des pigeons sur les bords d'un fleuve de feu, et Winckelmann y soupa nu comme un cyclope552. Il aurait voulu visiter la Calabre, la Sicile et la Grèce; mais sur la fin de sa carrière il renonça complétement à ce projet.
Le catalogue des pierres gravées composant le cabinet du baron Stosch, imprimé en français à Florence, en 1760, avait été le premier ouvrage publié par Winckelmann depuis son arrivée en Italie. En 1761, il fit paraître à Leipzig ses Remarques sur l'architecture des anciens; quelque temps après, ses Réflexions sur le sentiment du beau dans les ouvrages d'art, et sur les moyens de l'acquérir; et ensuite, De la grâce dans les ouvrages d'art553.
Mais ces opuscules n'étaient que le prélude de son Histoire de l'art, à laquelle il ne cessait de travailler. Malheureusement, il portait alors le poids de sa réputation, qui lui attirait plus d'un dérangement désagréable. Aucun étranger de distinction ne pouvait passer par Rome sans avoir vu Winckelmann; et, si c'était quelque souverain, prince ou grand seigneur, sans s'être fait guider par le savant antiquaire, transformé en véritable cicerone. Pour perdre le moins de temps à ces promenades sans cesse renaissantes, il avait rédigé en italien une courte notice de ce qu'il y a de plus intéressant à voir à Rome554. Il était quelquefois l'homme le plus tourmenté qu'il y eût dans cette ville: par exemple, le prince de Mecklembourg ne voulait pas sortir sans lui; il devait rester deux heures à table, tandis que quinze minutes lui suffisaient pour dîner. Le prince régnant d'Anhalt-Dessau voulait qu'il sortît au moins deux fois par semaine avec lui555. Il accompagna de cette manière le duc d'York, le duc de Brunswick, le grand-duc de Toscane, et beaucoup d'autres. En général, il préfère les voyageurs anglais. «Le croiriez-vous, écrit-il à Franken556, c'est la seule nation qui soit sage; quels pauvres et tristes personnages ne sont pas, en général, nos seigneurs allemands qui voyagent, en comparaison des Anglais!» Cependant, il en cite dans le nombre dont il fut fort mécontent. «J'ai servi pendant quelques semaines de cicerone à un certain milord Baltimore, qui est bien l'Anglais le plus singulier que j'aie vu. Tout l'ennuie et il n'y a eu que l'église de Saint-Pierre et l'Apollon du Vatican qui lui aient fait quelque plaisir. Il veut aller à Constantinople, et cela par désespoir. Il m'était devenu tellement à charge, que j'ai été obligé de lui déclarer nettement ma pensée, et de ne plus retourner chez lui. Il a trente mille livres sterling à dépenser par an (750,000 fr.), dont il ne sait pas jouir. L'année dernière, nous avons eu ici le duc de Roxborough, qui était un homme de la même trempe557.» Il dit ailleurs558, en parlant du cabinet du baron de Stosch, marchandé par des Anglais: «Ces barbares d'Anglais achètent tout, et, dans leur pays, personne ne peut parvenir à voir ces trésors.»
Quant aux Français, son opinion ne leur fut presque jamais favorable. «Cette nation, disait-il559, n'était pas du tout faite pour s'appliquer au solide.» Il refusait même de reconnaître le mérite des savants français les plus éminents. Ainsi, en parlant du père Montfaucon, il lui reproche d'avoir tout parcouru à la hâte, comme un vrai Français, tant à Rome qu'ailleurs. Il ajoute que son Antiquité expliquée fourmille d'erreurs grossières560. Néanmoins, il se radoucit à l'égard du duc de La Rochefoucauld, qui visitait Rome en compagnie du célèbre physicien Desmarets, et convient que «c'est le voyageur le plus instruit qu'il connaisse561.»
Les nombreuses et brillantes relations que sa réputation lui avait attirées, obligeaient Winckelmann à entretenir une correspondance active, non-seulement avec ses compatriotes, mais encore avec une foule de savants et de personnages distingués d'autres pays. Il était continuellement consulté sur des questions d'archéologie, et la nécessité de répondre à tant de lettres absorbait, à son grand regret, une partie de son temps. Ses lettres ont été précieusement recueillies et publiées après sa mort; elles forment plusieurs volumes, et sont en général remplies d'intérêt. On y trouve souvent des explications savantes sur des questions qui se rattachent, soit à l'histoire de l'art, soit à des découvertes nouvelles de fragments de statues et d'autres monuments antiques. Mais ce qui en fait le plus grand charme, c'est la simplicité, la candeur avec laquelle ses sentiments les plus intimes sont exposés au grand jour. On y voit la pureté de son âme, son désintéressement, son amour pour l'indépendance, et ce culte de l'étude et du beau, qui s'alliait si bien en lui avec les pensées les plus élevées. Parmi ses correspondants habituels, nous retrouvons Franken, Heyne, le comte de Bunau, le conseiller de Munchausen, le baron de Riedesel, Gessner, Fuesli, le duc de La Rochefoucauld et d'autres. Winckelmann avait inspiré à tous ces hommes, si différents par les idées et la condition sociale, une estime profonde pour son caractère, et une admiration sincère pour son goût et son érudition.
Il apprit, en mai 1762, la mort de son ancien maître le comte de Bunau: «Je vous plains, mon ami, écrit-il à Franken, du fond de mon âme, d'avoir fait cette perte, laquelle vous sera toujours sensible. Moi-même, je perds la douce satisfaction que je goûtais déjà en quelque sorte d'avance, de renouveler de vive voix à cet homme rare et précieux, le fauteur de tout mon bonheur, les sentiments de ma sincère et vive reconnaissance. Je me représentais la visite imprévue que je me proposais de lui faire dans sa retraite; maintenant toutes ces illusions sont évanouies, et qui sait si je pourrai même vous embrasser un jour? Je songe à lui laisser un monument public de ma reconnaissance éternelle; mais le temps s'avance, et peut-être que mon âme sera réunie à la sienne avant que je puisse remplir ce projet562.»
Ces tristes prévisions devaient malheureusement se réaliser.