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Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 23

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CHAPITRE XLII

Artistes attachés à la cour d'Auguste III. – Premier ouvrage de Winckelmann: Réflexions sur l'imitation des artistes grecs dans la peinture et la sculpture.

1755

Ce n'est pas seulement par l'acquisition d'un grand nombre de tableaux que la mémoire du roi Auguste III doit se recommander à la postérité: on sait que pendant le long règne de ce prince l'art brilla d'un vif éclat à sa cour, et qu'on y vit les artistes les plus en vogue appelés de toutes les parties de l'Europe, pour concourir à l'embellissement de la capitale de la Saxe. Tandis que Dieterich, attaché au service du comte Brühl depuis l'âge de dix-huit ans, s'efforçait, comme un nouveau Protée, de donner à ses compositions les apparences les plus disparates, imitant tour à tour Salvator Rosa, Berghem, Watteau et Rembrandt, et peignant même des sujets de miniatures pour la célèbre manufacture de porcelaine de Meissen, dont il fut directeur, on voyait Raphaël Mengs s'élever dans une voie plus sérieuse, avec la prétention avouée de remettre en honneur les vrais principes; la Rosalba décorer de ses délicieux pastels plusieurs salles du palais du roi; le Belotto, dit Canaletto, reproduire avec un grand charme les vues de Dresde et des plus beaux sites de la Saxe; Louis de Silvestre, premier peintre du roi-électeur, peindre soit à fresque, soit à l'huile, tantôt à Varsovie, tantôt à Dresde, de grandes compositions historiques ou mythologiques, exécutées avec facilité, ainsi que les portraits des principaux personnages de la cour507; Charles Hutin diriger l'école de sculpture de Dresde, et Wille, Moitte et Balechou graver les tableaux du roi et de son ministre508.

Vivant au milieu d'une cour où l'art tenait une si grande place, Winckelmann, pour se conformer au désir du nonce Archinto, s'était efforcé de jeter sur le papier les réflexions que la vue de tant de belles choses avait fait naître dans son esprit. Mais, conséquent avec ses études antérieures, tout en admirant les modernes, c'était sur les anciens qu'il avait concentré ses méditations. Il se décida, vers le milieu de 1755, à les publier à Dresde, sous le titre de Réflexions sur l'imitation des artistes grecs dans la peinture et la sculpture. Mais il nous apprend, dans une lettre au comte de Bunau509, du 5 juin 1755, auquel il envoyait quelques feuilles de son travail en communication, qu'elles n'étaient pas destinées pour cet ouvrage, «et je puis dire avec vérité, ajoute-t-il, qu'on me les a, pour ainsi dire, arrachées des mains.»

Les Réflexions de Winckelmann contiennent en germe une partie des idées qu'il développa plus tard dans son grand ouvrage sur l'histoire de l'art. On y voit qu'il fait de l'étude et de l'imitation des ouvrages de la statuaire antique une règle bien préférable à l'étude de la nature, qui, selon lui, ne doit venir qu'après celle des modèles laissés par l'antiquité. Il expose, à sa manière, les causes de la supériorité des artistes grecs, à rendre la beauté des formes du corps humain, et loue ces maîtres d'avoir trouvé une beauté supérieure, en général, à celle que présentent les types les plus remarquables de l'espèce humaine. Il essaye de donner l'explication de la manière, adoptée par les anciens, pour dégrossir et travailler leurs marbres; il la compare aux méthodes modernes, particulièrement à celle de Michel-Ange, qu'il s'efforce d'expliquer d'après Vasari. Il fait un magnifique éloge «de ces grands traits, de cette noble simplicité, de cette grandeur tranquille» qui caractérisent les statues grecques, et il loue, avec raison, Raphaël d'avoir imprimé à ses figures de vierges, particulièrement à la Madone de Saint-Sixte, «un mélange merveilleux de douce innocence et de majesté céleste.» Il cite la statue du Laocoon comme le modèle de l'art, et, avec Pline, celle du Gladiateur mourant comme «le chef-d'œuvre de l'antiquité le plus étonnant pour l'expression.» II fait une excursion dans le champ de la peinture moderne, et dit «qu'on y trouve bien rarement les embellissements d'une imagination poétique, ou les traits expressifs d'une représentation allégorique.» Après avoir vanté, sans les connaître, les compositions de Rubens au Luxembourg, la coupole de la bibliothèque impériale à Vienne, peinte par Grau et gravée par Sedelmeyer, et critiqué, également sans l'avoir vue, l'Apothéose d'Hercule, peinte par Lemoine à Versailles, il termine par les phrases suivantes: – «Le pinceau du peintre, comme la plume du philosophe, doit toujours être dirigé par la raison et le bon sens. Il doit présenter à l'esprit des spectateurs quelque chose de plus que ce qui s'offre à leurs yeux, et il atteindra ce but, s'il connaît bien l'usage de l'allégorie et s'il sait l'employer comme un voile transparent qui couvre ses idées sans les cacher. A-t-il choisi un sujet susceptible d'imagination poétique, s'il a du génie, son art l'inspirera et allumera dans son âme le feu divin que Prométhée alla, dit-on, dérober aux régions célestes. Alors, le connaisseur trouvera dans les ouvrages d'un pareil artiste de quoi exercer son esprit, et le simple amateur y apprendra à réfléchir.»

Ce premier ouvrage lui attira plusieurs critiques, dont la principale fut publiée sous le titre de lettre écrite par un de ses amis. Notre auteur crut devoir y répondre; mais plus tard, mieux instruit par l'étude des monuments antiques de Rome, il reconnut que ses Réflexions renfermaient des erreurs, et portaient des jugements qu'il n'aurait pas voulu confirmer.

Néanmoins, ce premier travail lui fit beaucoup d'honneur. Le roi-électeur lui permit de lui en adresser l'épître dédicatoire, et cette publication contribua le plus à faciliter les arrangements de son voyage d'Italie, «qu'il devait faire aux frais du roi, avec une pension très-modique, mais suffisante à ses besoins pour deux ans à Rome, avec l'assurance de l'employer à Dresde, à son retour510

CHAPITRE XLIII

Départ de Winckelmann pour l'Italie. – Il visite Venise et Bologne, et descend à Rome chez Raphaël Mengs. – Emploi de son temps dans cette ville. – Il fait la connaissance du cardinal Passionei et visite les galeries. – Le sculpteur Cavaceppi. – La statue de la villa Ludovisi. – Sentiments patriotiques de Winckelmann, en apprenant les malheurs de la Saxe. – Ses études. – Première idée de son Histoire de l'art. – Sa vie, ses amis à Rome.

1755 – 1758

Vers le milieu de septembre 1755, Winckelmann quitta Dresde pour se rendre à Rome. Il suivit la route du Tyrol, et se dirigea par Trente sur Venise. L'aspect de cette ville ne lui plut pas: «Venise, écrivait-il à son ancien collaborateur de Nöthenitz, en lui faisant la relation de son voyage511, est une ville dont la vue étonne au premier abord, mais cette surprise cesse bientôt.» Il aurait voulu visiter la bibliothèque de Saint-Marc; mais, en l'absence de Zanetti, conservateur de cette précieuse collection, notre voyageur dut renoncer à ce projet, et repartit presque immédiatement. Il resta cinq jours à Bologne dans la maison du signor Bianconi, médecin et physicien distingué512, attaché comme conseiller à la cour de Saxe, qu'il représenta plus tard à Rome, et pour lequel il avait des lettres de recommandation. Il vit deux belles bibliothèques, celle de San Salvador, trésor d'anciens manuscrits, et celle du couvent des Franciscains, qui ne consistait qu'en livres imprimés. De Bologne, prenant par Ancône et Lorette, il mit, pour arriver à Rome, onze jours, «que j'ai passés, dit-il513, avec beaucoup d'agrément.» Mais on ne devinerait guère, si Winckelmann ne nous l'apprenait lui-même, quelles étaient les distractions du grave antiquaire pendant ce voyage. «Les derniers jours, raconte-t-il à son ami Franken, nous marchâmes presque toujours cinq voitures de compagnie, de sorte que nous nous trouvions le soir quatorze personnes à table. Il y avait dans la compagnie un carme de Bohême, qui jouait fort bien du violon, de sorte que nous dansions, quand le vin était bon514.» Notre Saxon ne haïssait pas le jus de la treille, et on retrouve fréquemment, dans sa correspondance avec Franken, des passages où il se vante de boire sec, sans eau, à la manière de la vieille Allemagne515

Arrivé à la porte du Peuple, à Rome, le 18 novembre 1755, on lui prit ses livres, qu'on lui rendit quelques jours après, à l'exception des œuvres de Voltaire, singulier bréviaire pour un nouveau converti. Il descendit chez Raphaël Mengs, pour lequel il avait une lettre; cet artiste lui rendit tous les services d'un véritable ami, et Winckelmann déclare qu'il n'était nulle part plus content que chez lui. La joie de notre admirateur de l'antiquité éclate en se voyant à Rome, le rêve de sa vie entière, le but constant de ses études. «Je me vois libre jusqu'à présent, écrit-il à Franken, et j'espère de rester libre… Je vis en artiste; je passe même pour tel dans les endroits où l'on permet aux jeunes artistes d'étudier, tels que le Capitole, où est le vrai trésor des antiquités de Rome en sarcophages, bustes, inscriptions, etc.516, et l'on peut y passer en toute liberté la journée; on va partout à Rome, sans cérémonie, car c'est la mode. Je ne dîne qu'avec des artistes français et allemands… Quoique je ne fasse que parcourir Rome depuis quinze jours que j'y suis, je n'ai pas encore vu la moitié de ce qu'il y a à voir, et entre autres aucune bibliothèque.» Il termine sa lettre par une réflexion, qu'ont pu faire comme lui tous ceux qui se sont mêlés d'écrire sur les arts et l'antiquité avant d'avoir vu Rome. «L'expérience m'a appris qu'on ne raisonne que fort mal des ouvrages des anciens d'après les livres, et je me suis déjà aperçu de plusieurs erreurs que j'ai commises.» Il signe sa lettre: «Winckelmann, pittore sassone di nazione, comme il est dit dans la permission que j'ai obtenue pour voir le Capitole.»

Au commencement de 1756, il reçut une lettre du père Rauch, confesseur du roi de Pologne, laquelle, en lui confirmant la promesse d'une pension de cent écus, le rassurait sur son avenir. Il reprit alors ses recherches dans les auteurs classiques, et se mit à fréquenter la bibliothèque Corsini, rassemblée dans le palais de ce nom à la Lungara, dans le Trastevere, par le pape Benoît XIII, et libéralement ouverte au public. Mais, comme il habitait vis-à-vis de Raphaël Mengs, alla trinità dei monti, où de sa chambre et de toute la maison il pouvait voir la ville entière, il avait trois quarts de lieue à faire pour aller à la bibliothèque Corsini, et autant pour revenir, ce qui le gênait fort. Ayant été reçu en audience par le pape Benoît XIV, qui lui promit de favoriser ses recherches, il espérait obtenir bientôt l'accès de la bibliothèque des manuscrits du Vatican, lorsqu'une personne, qu'il ne nomme pas, le présenta au cardinal Passionei.

Ce prélat, l'un des plus honnêtes, des plus instruits et des plus aimables de la cour de Rome, jouissait comme savant d'une réputation européenne. Il était en correspondance avec les écrivains les plus distingués, et l'on sait que Voltaire lui ayant adressé une lettre en italien, le cardinal lui répondit en français pour le complimenter sur la manière dont il écrivait dans une langue étrangère517. Il venait de succéder au docte Quirini518, dans la place de conservateur en chef de la bibliothèque du Vatican. La connaissance du cardinal Passionei ne pouvait qu'être très-utile à un étranger, qui désirait se faire ouvrir les armoires les plus secrètes de ce grand dépôt sacré, politique et littéraire. Le cardinal, savant amateur de livres, surtout des meilleures éditions et des plus belles reliures, possédait lui-même une bibliothèque aussi précieuse et aussi considérable que celle du comte de Bunau. Bon juge du mérite de ses interlocuteurs, le prélat comprit, à la première entrevue, la haute intelligence, le savoir profond de l'ancien co-recteur de Seehausen. Il le conduisit lui-même dans sa bibliothèque, «et comme un abbé qui y écrivait voulait ôter son chapeau, et que le cardinal refusa de s'avancer avant qu'il ne se fût couvert, Son Excellence me dit qu'on devait bannir tous compliments de la république des lettres; et pour mieux me prouver cette liberté, il parla longtemps avec le jeune homme, sans que celui-ci osât toucher à son chapeau. Il m'a accordé pleine liberté dans sa bibliothèque, où rien n'est fermé, et où je suis autant à mon aise qu'à Nöthenitz même519

Ainsi accueilli par le cardinal custode de la bibliothèque du Vatican, Winckelmann espérait obtenir bientôt l'accès de ses trésors; mais il n'avait pas encore le temps d'en jouir. Satisfait du succès de ses Réflexions sur les artistes grecs, et de la traduction qu'en avait publié le graveur Wille, il voulait faire de ce genre d'étude son objet principal. Il venait d'arrêter, avec Mengs, le plan d'un grand ouvrage sur le goût des artistes grecs, de sorte qu'il se considérait comme obligé de relire quelques écrivains grecs, tels que Pausanias et Strabon520. Il ne prenait que le dimanche pour voir Rome, dans la compagnie de quelques artistes français et allemands, avec lesquels il visitait presque toujours deux galeries. Il passait, pour ainsi dire, toute la journée chez Raphaël Mengs, dînait chez lui tous les jours maigres, ne prenait le café que dans sa maison, et avait même ses livres et ses ouvrages dans sa chambre521.

Il paraît qu'il y a cent ans, c'était à Rome comme de nos jours; pour voir les galeries publiques ou particulières, il fallait payer à la porte. Plein de l'idée de son grand ouvrage, Winckelmann voulut avoir ses entrées libres au Vatican. «J'ai payé, comme il est d'usage, dit-il522, une certaine somme d'argent, pour voir, quand je le voudrais, l'Apollon, le Laocoon, etc., afin de donner plus d'essor à mon esprit par la vue de ces ouvrages… Les occupations que je me suis données sont cause que je passe de nouveau mon temps dans des méditations solitaires, et que je dois me priver de toute société. La description de l'Apollon demande le style le plus sublime, et une élévation d'esprit au-dessus de tout ce qui tient à l'homme. Il est impossible de vous dire quelle sensation produit la vue de cet ouvrage523… Je vois bien, avoue-t-il à Franken dans sa lettre du 5 mai 1756524, qu'on ne peut écrire sur les ouvrages des anciens sans avoir été à Rome, et sans avoir l'esprit libre de tout autre objet.»

Mais l'admiration la plus enthousiaste et la mieux sentie des plus belles statues antiques ne le détournait pas de celle de la nature, qui, au commencement du printemps, brille à Rome d'un éclat inconnu aux pays du Nord. «Nous sommes maintenant dans la saison d'aller voir les jardins de Rome et des environs. Mon ami, dit-il à Franken dans la même lettre, je ne puis vous exprimer combien la nature est belle ici. On s'y promène à l'ombre des forêts de lauriers, dans des allées de grands cyprès et sous des berceaux d'orangers, qui ont plus d'un quart de lieue de long dans quelques villas, particulièrement dans la villa Borghèse. Plus on apprend à connaître Rome, plus on y trouve de beautés. Je ne cesse de faire des vœux de pouvoir finir mes jours ici; mais il faudrait, en même temps, que j'y trouvasse un sort assuré, ou que je pusse rester toujours libre525.» Il pensait dès lors à faire un voyage à Naples; mais il ne voulait pas y aller seul, et il espérait avoir Mengs pour compagnon: il devenait de jour en jour plus intimement lié avec ce peintre, et il n'hésite pas à déclarer à Franken «que le plus grand bonheur dont il jouisse à Rome, c'est d'avoir fait la connaissance de M. Mengs526

Le baron de Stosch, qui habitait Florence, où il possédait une magnifique collection de pierres gravées, lui avait écrit pour l'engager à venir en faire le catalogue; mais Winckelmann, bien qu'impatient de voir la ville des Médicis, avait ajourné cette excursion après celle de Naples.

En attendant, il venait de commencer un petit ouvrage sur la Restauration des statues antiques; et pour apprendre en même temps la pratique et la théorie de cet art, il avait fait la connaissance d'un sculpteur romain fort habile, qui se livrait avec beaucoup de succès à ce genre de travail, et faisait un commerce considérable de statues, de bustes et de bas-reliefs antiques, revus, corrigés et augmentés de sa main. Le signor Cavaceppi fut employé souvent à la restauration des statues du Capitole et du Vatican, et il réussissait si bien à refaire l'antique ou à l'imiter, qu'aujourd'hui les artistes et les amateurs considèrent souvent comme intacts des morceaux qui sont dus en grande partie à ses restitutions. Tel est, entre autres, le fameux Bige, dont il a refait un cheval tout entier, après avoir réparé plusieurs parties de l'autre cheval et du char antique. Cavaceppi était un praticien fort au courant des procédés employés par les anciens sculpteurs. Il devint bientôt l'ami de Winckelmann, qui le consultait dans ses appréciations, et qui voulut l'emmener avec lui dans son malheureux voyage en Allemagne, si fatalement terminé à Trieste. Cavaceppi publia, quelques années après, sur ses travaux de restauration527, un magnifique ouvrage fort utile à consulter par les praticiens qui entreprennent la restitution des œuvres de la sculpture antique.

Winckelmann se défiait du jugement porté par les artistes sur les œuvres des anciens: «Il ne faut pas vous imaginer, dit-il à Franken528, que les artistes voient toujours bien les choses; il y en a quelques-uns qui ont la vue bonne; les autres sont aveugles comme des taupes.» Aussi voulait-il examiner par lui-même avant de formuler aucune opinion. Ayant obtenu du prince Ludovisi la permission de visiter sa villa, dans son ardeur pour bien voir une statue, il monta sur le piédestal, pour vérifier de plus près le travail de la tête, croyant que cette statue était retenue par des scellements en fer, comme cela se pratique ordinairement. En descendant, la statue, remuée sans doute par quelque choc, tomba par terre et se brisa, et peu s'en fallut qu'il ne fût écrasé sous sa masse. Notre antiquaire fut alors pris d'une cruelle inquiétude: il ne lui était pas possible de s'en aller tout de suite, parce qu'il avait dit au gardien qu'en revenant il verrait la galerie, et que cet employé avait eu soin de tout ouvrir. Il fut donc obligé de chercher à fermer la bouche de cet homme, en lui donnant quelques ducats. «Jamais, ajoute-t-il, je n'ai été dans de pareilles transes. Par bonheur pour moi, cette affaire n'a pas eu de suites529

Au milieu de cette vie calme, entièrement vouée à l'étude, au culte du beau et véritablement philosophique, la nouvelle des malheurs de la Saxe, si tristement engagée dans la guerre de Sept ans, vint reporter ses pensées vers sa patrie absente. «Si, comme le prétendent les nouveaux faiseurs de contes, les hommes peuvent être visibles en deux endroits à la fois, écrivait-il à Franken, ma figure doit certainement être présente à vos yeux. Au milieu des ruines des temples et du palais des Césars, je m'oublie moi-même quand je pense à Nöthenitz; et, dans le Vatican même, je désire d'être avec vous. Tu partagerais à présent, me dis-je, les malheurs de ta véritable patrie, de tes compatriotes plaints du monde entier, et chez qui tu as goûté le bonheur530

Il travaillait alors à une description des statues du Belvédère, qu'il n'avait fait qu'ébaucher. Il avait réfléchi plus de trois mois à la description poétique du Torse d'Apollonius. Il avait aussi rassemblé beaucoup de matériaux sur les villas et les galeries de Rome, de manière à pouvoir, dans la suite, donner une description de cette ville, en forme de lettres. Tout ce travail allait néanmoins fort lentement, parce qu'il perdait beaucoup de temps par les visites qu'il faisait pour s'instruire dans la compagnie des savants, mais surtout parce qu'il avait voulu relire tous les anciens auteurs grecs et latins.

Il s'était imposé ce travail, non-seulement pour les ouvrages qu'il avait commencés, mais, comme il l'explique à Franken, par une lettre de mars 1757, en vue d'un autre plus considérable, savoir une Histoire de l'Art jusqu'aux temps modernes exclusivement531. Ainsi, c'est à partir de 1757 que l'idée de ce grand ouvrage lui était venue. Il se proposait, en relisant les auteurs classiques, de faire des remarques sur les langues anciennes, parce qu'il se préparait à publier, avec une traduction, les discours de Libanius, qui n'avaient pas encore été imprimés. Peu à peu, il voulait comparer les passages relatifs aux arts avec les manuscrits du Vatican, et il devait commencer son travail en collationnant Pausanias.

Il était alors logé au palais de la chancellerie, où le cardinal Archinto lui avait donné un appartement. Mais il n'avait voulu accepter que les quatre murs, les meubles étant à lui, afin de rester libre. «Il avait pour cela, dit-il, quelque soin des livres du cardinal.»

Comme il lui paraissait absolument nécessaire de connaître à fond les meilleurs auteurs italiens, il se faisait lire et expliquer le Dante par monseigneur Giacomelli, «le plus profond savant qu'il y eût à Rome, chanoine de Saint-Pierre et chapelain particulier du pape, grand mathématicien, physicien, poëte et grec, et auquel il devait céder le pas dans cette partie.» Pour consulter sur les antiquités, il avait deux autres personnes: un père franciscain, vicaire de son ordre, nommé Pierre Bianchi, lequel possédait un grand médaillier rassemblé principalement en Égypte et en Asie; et le prélat Baldani, «un de ces génies… qui n'ont aucune démangeaison d'écrire, étant satisfait qu'on sût qu'il était en état de faire de grandes choses532.» – Dès cette époque (1758), le cardinal Albani voulait beaucoup de bien à notre savant, qui lui avait été recommandé par le baron Stosch de Florence: mais il ne l'avait pas encore attaché à son service.

Comme Winckelmann cherchait son bonheur dans la tranquillité et dans l'étude, il devait se croire heureux, puisqu'il jouissait du repos et de toutes les occasions que peut avoir, à Rome, un étranger pour s'instruire. Il était installé dans le palais de la chancellerie, comme à la campagne; car ce bâtiment est si vaste qu'il n'y entendait rien du bruit de la ville. Tous les trésors de la littérature et du savoir lui étaient ouverts, à l'exception de la bibliothèque du Vatican, où il n'avait pu obtenir qu'on le laissât faire lui-même des recherches dans les manuscrits. Avec la bibliothèque du cardinal Passionei, il avait à sa disposition celle des pères jésuites, très-nombreuse, et où le père gardien lui avait confié la clef des manuscrits. Il s'était lié avec le père Contucci, directeur du Museum antiquitatum curiosarum artificialium, et homme d'un grand savoir533. Il avait commencé à étudier les médailles, principalement dans la vue de s'en servir pour connaître le style de l'art de la gravure à chaque époque, et il se proposait, après son retour de Naples, d'envoyer des empreintes de pierres gravées à son ami Lippert. Bien qu'il dînât souvent en ville, une fois par semaine chez le cardinal Archinto, et deux fois chez le cardinal Passionei, il se retirait et se couchait de bonne heure, ne voyant ni comédie, ni opéra, quoique, se trouvant attaché à la cour, on lui envoyât régulièrement des billets534.

507.Louis de Silvestre, né à Paris le 23 juin 1675, fut appelé en Saxe en 1716 par Auguste II, en qualité de son premier peintre; il fut nommé en 1726 directeur de l'Académie de peinture de Dresde; et décoré, en 1741, par Auguste III, de lettres de noblesse. Il rentra en France en 1748, fut élu le 7 juin de la même année recteur de l'Académie royale de peinture de Paris, où il est mort le 12 avril 1760. – Voy. Abecedario de Mariette, vº Silvestre, p. 217-219.
508.Voy. le Recueil d'estampes gravées d'après les tableaux de la galerie et du cabinet du comte de Brühl, 1re partie, Dresde, 1754, 1 vol. in-fº; il existe au Cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale. – Ce recueil est composé de cinquante estampes, presque toutes gravées par des Français et surtout par Moitte. – Le portrait du comte, d'après Louis de Silvestre, figure en tête de ce recueil; il a été gravé en 1750, par Balechou; il est fort remarquable par le rendu de la physionomie, la délicatesse du burin et le fini des accessoires.
509.Lettres de Winckelmann, t. Ier, p. 58.
510.Lettre au comte de Bunau, ibid., t. Ier, p. 59.
511.Lettre à Franken, de Rome, le 7 décembre 1755; ut suprà t. Ier, p. 85 à 91.
512.Ses œuvres ont été publiées à Milan parmi les classiques italiens, en 4 vol. in-8º, 1802.
513.Ibid., p. 88.
514.Ibid., id.
515.Ibid., p. 96, 115, 121, 132, 133, 152, 254.
516.À l'époque où Winckelmann écrivait cette lettre (7 décembre 1755), le Vatican n'avait pas encore reçu les agrandissements connus sous le nom de Museo Pio-Clémentino, qui font tant d'honneur à Clément XIV et à Pie VI, et qui renferment une collection d'antiquités aussi remarquable que celle du Capitole.
517.Voy. dans les Œuvres de Voltaire, édition Lequien, 1823, in-8º, t. LVIII, nº 857, p. 357.
518.Auquel Voltaire avait écrit plusieurs fois en italien, notamment en lui envoyant son poëme de la Bataille de Fontenoy. —Ibid., p. 330, 353, 364.
519.Lettre à Franken, du 29 janvier 1756, ibid., p. 91-96.
520.Lettre au comte de Bunau, du 29 janvier 1756. —Ibid., p. 60-62.
521.Ibid., p. 94-95.
522.Ibid., p. 97.
523.Voy. la description de cette statue dans l'Histoire de l'art, t. 1er, p. 294, édition italienne de C. Fea.
524.Ibid., p. 99.
525.Ibid., p. 100-101.
526.Ibid., id.
527.Raccolta d'antiche statue, busti, bassi-rilievi, ed altre sculture restaurate da Bartolomeo Cavaceppi, scultore romano; in Roma, vol. I, 1768; vol. II, 1769; in-fº, con figure.
528.Lettres, p. 104.
529.Ibid., p. 107.
530.Ibid., p. 108.
531.Ibid., p. 110.
532.Ibid., p. 114.
533.Véritable auteur, selon Winckelmann, Monumenti inediti, t. II, p. 50, de l'ouvrage intitulé: Maschere sceniche e figure comiche de' antichi Romani, publié sous le pseudonyme de Franc. de' Ficoroni, Roma, 1736, in-4º; et Latinè, ibid., 1750, in-4º.
534.Ibid., p. 116 à 127.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
462 s. 5 illüstrasyon
Telif hakkı:
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