Kitabı oku: «Cyrano de Bergerac», sayfa 3
Scène VI
Cyrano, Le Bret, la duègne.
LA DUÈGNE, avec un grand salut.
De son vaillant cousin on désire savoir
Où l’on peut, en secret, le voir.
CYRANO, bouleversé.
Me voir ?
LA DUÈGNE, avec une révérence.
Vous voir.
– On a des choses à vous dire.
CYRANO.
Des ?…
LA DUÈGNE, nouvelle révérence.
Des choses !
CYRANO, chancelant.
Ah ! mon Dieu !
LA DUÈGNE.
L’on ira, demain, aux primes roses
D’aurore, – ouïr la messe à Saint-Roch.
CYRANO, se soutenant sur Le Bret.
Ah ! mon Dieu !
LA DUÈGNE.
En sortant, – où peut-on entrer, causer un peu ?
CYRANO, affolé.
Où ?… Je… mais… Ah ! mon Dieu !…
LA DUÈGNE.
Dites vite.
CYRANO.
Je cherche !…
LA DUÈGNE.
Où ?
CYRANO.
Chez… chez… Ragueneau… le pâtissier…
LA DUÈGNE.
Il perche ?
CYRANO.
Dans la rue – Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! – Saint-Honoré !…
LA DUÈGNE, remontant.
On ira. Soyez-y. Sept heures.
CYRANO.
J’y serai.
(La duègne sort.)
Scène VII
Cyrano, Le Bret, puis les comédiens, les comédiennes, Cuigy, Brissaille, Lignière, le portier, les violons.
CYRANO, tombant dans les bras de Le Bret.
Moi !… D’elle !… Un rendez-vous !…
LE BRET.
Eh bien ! tu n’es plus triste ?
CYRANO.
Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j’existe !
LE BRET.
Maintenant, tu vas être calme ?
CYRANO, hors de lui.
Maintenant…
Mais je vais être frénétique et fulminant !
Il me faut une armée entière à déconfire !
J’ai dix cœurs ; j’ai vingt bras ; il ne peut me suffire
De pourfendre des nains…
(Il crie à tue-tête.)
Il me faut des géants !
(Depuis un moment, sur la scène, au fond, des ombres de comédiens et de comédiennes s’agitent, chuchotent : on commence à répéter. Les violons ont repris leur place.)
UNE VOIX, de la scène.
Hé ! pst ! là-bas ! Silence ! on répète céans !
CYRANO, riant.
Nous partons !
(Il remonte ; par la grande porte du fond ; entrent Cuigy, Brissaille, plusieurs officiers, qui soutiennent Lignière complètement ivre.)
CUIGY.
Cyrano !
CYRANO.
Qu’est-ce ?
CUIGY.
Une énorme grive
Qu’on t’apporte !
CYRANO, le reconnaissant.
Lignière !… Hé, qu’est-ce qui t’arrive ?
CUIGY.
Il te cherche !
BRISSAILLE.
Il ne peut rentrer chez lui !
CYRANO.
Pourquoi ?
LIGNIÈRE, d’une voix pâteuse, lui montrant un billet tout chiffonné.
Ce billet m’avertit… cent hommes contre moi…
À cause de… chanson… grand danger me menace…
Porte de Nesle… Il faut, pour rentrer, que j’y passe…
Permets-moi donc d’aller coucher sous… sous ton toit !
CYRANO.
Cent hommes, m’as-tu dit ? Tu coucheras chez toi !
LIGNIÈRE, épouvanté.
Mais…
CYRANO, d’une voix terrible, lui montrant la lanterne allumée que le portier balance en écoutant curieusement cette scène.
Prends cette lanterne !…
(Lignière saisit précipitamment la lanterne.)
Et marche ! – Je te jure
Que c’est moi qui ferai ce soir ta couverture !…
(Aux officiers.)
Vous, suivez à distance, et vous serez témoins !
CUIGY.
Mais cent hommes !…
CYRANO.
Ce soir, il ne m’en faut pas moins !
(Les comédiens et les comédiennes, descendus de scène, se sont rapprochés dans leurs divers costumes.)
LE BRET.
Mais pourquoi protéger…
CYRANO.
Voilà Le Bret qui grogne !
LE BRET.
Cet ivrogne banal ?…
CYRANO, frappant sur l’épaule de Lignière.
Parce que cet ivrogne,
Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli,
Fit quelque chose un jour de tout à fait joli.
Au sortir d’une messe ayant, selon le rite,
Vu celle qu’il aimait prendre de l’eau bénite,
Lui que l’eau fait sauver, courut au bénitier,
Se pencha sur sa conque et le but tout entier !…
UNE COMÉDIENNE, en costume de soubrette.
Tiens, c’est gentil, cela !
CYRANO.
N’est-ce pas, la soubrette ?
LA COMÉDIENNE, aux autres.
Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ?
CYRANO.
Marchons !
(Aux officiers.)
Et vous, messieurs, en me voyant charger,
Ne me secondez pas, quel que soit le danger !
UNE AUTRE COMÉDIENNE, sautant de la scène.
Oh ! mais, moi, je vais voir !
CYRANO.
Venez !…
UNE AUTRE, sautant aussi, à un vieux comédien.
Viens-tu, Cassandre ?…
CYRANO.
Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre,
Tous ! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol,
La farce italienne à ce drame espagnol,
Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque,
L’entourer de grelots comme un tambour de basque !…
TOUTES LES FEMMES, sautant de joie.
Bravo ! – Vite, une mante ! – Un capuchon !
JODELET.
Allons !
CYRANO, aux violons.
Vous nous jouerez un air, messieurs les violons !
(Les violons se joignent au cortège qui se forme. On s’empare des chandelles allumées de la rampe et on se les distribue. Cela devient une retraite aux flambeaux.)
Bravo ! des officiers, des femmes en costume,
Et, vingt pas en avant…
(Il se place comme il dit.)
Moi, tout seul, sous la plume
Que la gloire elle-même à ce feutre piqua,
Fier comme un Scipion triplement Nasica !…
– C’est compris ? Défendu de me prêter main-forte ! –
On y est ?… Un, deux, trois ! Portier, ouvre la porte !
(Le portier ouvre à deux battants. Un coin du vieux Paris pittoresque et lunaire paraît.)
Ah !… Paris fuit, nocturne et quasi nébuleux ;
Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus ;
Un cadre se prépare, exquis, pour cette scène ;
Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine,
Comme un mystérieux et magique miroir,
Tremble… Et vous allez voir ce que vous allez voir !
TOUS.
À la porte de Nesle !
CYRANO, debout sur le seuil.
À la porte de Nesle !
(Se retournant avant de sortir, à la soubrette.)
Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle,
Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis ?
(Il tire l’épée et, tranquillement.)
C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis !
(Il sort. Le cortège, – Lignière zigzaguant en tête, – puis les comédiennes aux bras des officiers, – puis les comédiens gambadant, – se met en marche dans la nuit au son des violons, et à la lueur falote des chandelles.)
RIDEAU.
Acte II – La Rôtisserie des Poètes
La boutique de Ragueneau, rôtisseur-pâtissier, vaste ouvroir au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue de l’Arbre-Sec qu’on aperçoit largement au fond, par le vitrage de la porte, grises dans les premières lueurs de l’aube.
À gauche, premier plan, comptoir surmonté d’un dais en fer forgé, auquel sont accrochés des oies, des canards, des paons blancs. Dans de grands vases de faïence de hauts bouquets de fleurs naïves, principalement des tournesols jaunes. Du même côté, second plan, immense cheminée devant laquelle, entre de monstrueux chenets, dont chacun supporte une petite marmite, les rôtis pleurent dans les lèchefrites.
À droite, premier plan avec porte. Deuxième plan, un escalier montant à une petite salle en soupente, dont on aperçoit l’intérieur par des volets ouverts ; une table y est dressée, un menu lustre flamand y luit : c’est un réduit où l’on va manger et boire. Une galerie de bois, faisant suite à l’escalier, semble mener à d’autres petites salles analogues.
Au milieu de la rôtisserie, un cercle en fer que l’on peut faire descendre avec une corde, et auquel de grosses pièces sont accrochées, fait un lustre de gibier.
Les fours, dans l’ombre, sous l’escalier, rougeoient. Des cuivres étincellent. Des broches tournent. Des pièces montées pyramident, des jambons pendent. C’est le coup de feu matinal. Bousculade de marmitons effarés, d’énormes cuisiniers et de minuscules gâte-sauces. Foisonnement de bonnets à plume de poulet ou à aile de pintade. On apporte, sur des plaques de tôle et des clayons d’osier, des quinconces de brioches, des villages de petits-fours.
Des tables sont couvertes de gâteaux et de plats. D’autres, entourées de chaises, attendent les mangeurs et les buveurs. Une plus petite, dans un coin, disparaît sous les papiers. Ragueneau y est assis au lever du rideau ; il écrit.
Scène I
Ragueneau, pâtissiers, puis Lise ; Ragueneau, à la petite table, écrivant d’un air inspiré, et comptant sur ses doigts.
PREMIER PÂTISSIER, apportant une pièce montée.
Fruits en nougat !
DEUXIÈME PÂTISSIER, apportant un plat.
Flan !
TROISIÈME PÂTISSIER, apportant un rôti paré de plumes.
Paon !
QUATRIÈME PÂTISSIER, apportant une plaque de gâteaux.
Roinsoles !
CINQUIÈME PÂTISSIER, apportant une sorte de terrine.
Bœuf en daube !
RAGUENEAU, cessant d’écrire et levant la tête.
Sur les cuivres, déjà, glisse l’argent de l’aube !
Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau !
L’heure du luth viendra, – c’est l’heure du fourneau !
(Il se lève. – À un cuisinier.)
Vous, veuillez m’allonger cette sauce, elle est courte !
LE CUISINIER.
De combien ?
RAGUENEAU.
De trois pieds.
(Il passe.)
LE CUISINIER.
Hein ?
PREMIER PÂTISSIER.
La tarte !
DEUXIÈME PÂTISSIER.
La tourte !
RAGUENEAU, devant la cheminée.
Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants
N’aillent pas se rougir au feu de ces sarments !
(À un pâtissier, lui montrant des pains.)
Vous avez mal placé la fente de ces miches.
Au milieu la césure, – entre les hémistiches !
(À un autre, lui montrant un pâté inachevé.)
À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit…
(À un jeune apprenti, qui, assis par terre, embroche des volailles.)
Et toi, sur cette broche interminable, toi,
Le modeste poulet et la dinde superbe,
Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe
Alternait les grands vers avec les plus petits,
Et fais tourner au feu des strophes de rôtis !
UN AUTRE APPRENTI, s’avançant avec un plateau recouvert d’une assiette.
Maître, en pensant à vous, dans le four, j’ai fait cuire
Ceci, qui vous plaira, je l’espère.
(Il découvre le plateau, on voit une grande lyre de pâtisserie.)
RAGUENEAU, ébloui.
Une lyre !
L’APPRENTI.
En pâte de brioche.
RAGUENEAU, ému.
Avec des fruits confits !
L’APPRENTI.
Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.
RAGUENEAU, lui donnant de l’argent.
Va boire à ma santé !
(Apercevant Lise qui entre.)
Chut ! ma femme ! Circule,
Et cache cet argent !
(À Lise, lui montrant la lyre d’un air gêné.)
C’est beau ?
LISE.
C’est ridicule !
(Elle pose sur le comptoir une pile de sacs en papier.)
RAGUENEAU.
Des sacs ?… Bon. Merci.
(Il les regarde.)
Ciel ! Mes livres vénérés !
Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés !
Pour en faire des sacs à mettre des croquantes…
Ah ! vous renouvelez Orphée et les bacchantes !
LISE, sèchement.
Et n’ai-je pas le droit d’utiliser vraiment
Ce que laissent ici, pour unique paiement,
Vos méchants écriveurs de lignes inégales !
RAGUENEAU.
Fourmi !… n’insulte pas ces divines cigales !
LISE.
Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami,
Vous ne m’appeliez pas bacchante, – ni fourmi !
RAGUENEAU.
Avec des vers, faire cela !
LISE.
Pas autre chose.
RAGUENEAU.
Que faites-vous, alors, madame, avec la prose ?
Scène II
Les mêmes, deux enfants, qui viennent d’entrer dans la pâtisserie.
RAGUENEAU.
Vous désirez, petits ?
PREMIER ENFANT.
Trois pâtés.
RAGUENEAU, les servant.
Là, bien roux…
Et bien chauds.
DEUXIÈME ENFANT.
S’il vous plaît, enveloppez-les-nous ?
RAGUENEAU, saisi, à part.
Hélas ! un de mes sacs !
(Aux enfants.)
Que je les enveloppe ?…
(Il prend un sac et au moment d’y mettre les pâtés, il lit.)
« Tel Ulysses, le jour qu’il quitta Pénélope… »
Pas celui-ci !…
(Il le met de côté et en prend un autre. Au moment d’y mettre les pâtés, il lit.)
« Le blond Phœbus… » Pas celui-là !
(Même jeu.)
LISE, impatientée.
Eh bien ! qu’attendez-vous ?
RAGUENEAU.
Voilà, voilà, voilà !
(Il en prend un troisième et se résigne.)
Le sonnet à Philis !… mais c’est dur tout de même !
LISE.
C’est heureux qu’il se soit décidé !
(Haussant les épaules.)
Nicodème !
(Elle monte sur une chaise et se met à ranger des plats sur une crédence.)
RAGUENEAU, profitant de ce qu’elle tourne le dos, rappelle les enfants déjà à la porte.
Pst !… Petits !… Rendez-moi le sonnet à Philis,
Au lieu de trois pâtés je vous en donne six.
(Les enfants lui rendent le sac, prennent vivement les gâteaux et sortent. Ragueneau, défripant le papier, se met à lire en déclamant.)
« Philis !… » Sur ce doux nom, une tache de beurre !…
« Philis !… »
(Cyrano entre brusquement.)
Scène III
Ragueneau, Lise, Cyrano, puis le mousquetaire.
CYRANO.
Quelle heure est-il ?
RAGUENEAU, le saluant avec empressement.
Six heures.
CYRANO, avec émotion.
Dans une heure !
(Il va et vient dans la boutique.)
RAGUENEAU, le suivant.
Bravo ! J’ai vu…
CYRANO.
Quoi donc !
RAGUENEAU.
Votre combat !…
CYRANO.
Lequel ?
RAGUENEAU.
Celui de l’hôtel de Bourgogne !
CYRANO, avec dédain.
Ah !… Le duel !…
RAGUENEAU, admiratif.
Oui, le duel en vers !…
LISE.
Il en a plein la bouche !
CYRANO.
Allons ! tant mieux !
RAGUENEAU, se fendant avec une broche qu’il a saisi.
« À la fin de l’envoi, je touche !…
À la fin de l’envoi, je touche !… » Que c’est beau !
(Avec un enthousiasme croissant.)
« À la fin de l’envoi… »
CYRANO.
Quelle heure, Ragueneau ?
RAGUENEAU, restant fendu pour regarder l’horloge.
Six heures cinq !… « … je touche ! »
(Il se relève.)
… Oh ! faire une ballade !
LISE, à Cyrano, qui en passant devant son comptoir lui a serré distraitement la main.
Qu’avez-vous à la main ?
CYRANO.
Rien. Une estafilade.
RAGUENEAU.
Courûtes-vous quelque péril ?
CYRANO.
Aucun péril.
LISE, le menaçant du doigt.
Je crois que vous mentez !
CYRANO.
Mon nez remuerait-il ?
Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !
(Changeant de ton.)
J’attends ici quelqu’un. Si ce n’est pas sous l’orme,
Vous nous laisserez seuls.
RAGUENEAU.
C’est que je ne peux pas ;
Mes rimeurs vont venir…
LISE, ironique.
Pour leur premier repas.
CYRANO.
Tu les éloigneras quand je te ferai signe…
L’heure ?
RAGUENEAU.
Six heures dix.
CYRANO, s’asseyant nerveusement à la table de Ragueneau et prenant du papier.
Une plume ?…
RAGUENEAU, lui offrant celle qu’il a à son oreille.
De cygne.
UN MOUSQUETAIRE, superbement moustachu, entre et d’une voix de stentor.
Salut !
(Lise remonte vivement vers lui.)
CYRANO, se retournant.
Qu’est-ce ?
RAGUENEAU.
Un ami de ma femme. Un guerrier
Terrible, – à ce qu’il dit !…
CYRANO, reprenant la plume et éloignant du geste Ragueneau.
Chut !…
Écrire, – plier, –
(À lui-même.)
Lui donner, – me sauver…
(Jetant la plume.)
Lâche !… Mais que je meure,
Si j’ose lui parler, lui dire un seul mot…
(À Ragueneau.)
L’heure ?
RAGUENEAU.
Six et quart !…
CYRANO, frappant sa poitrine.
… un seul mot de tous ceux que j’ai là !
Tandis qu’en écrivant…
(Il reprend la plume.)
Eh bien ! écrivons-la,
Cette lettre d’amour qu’en moi-même j’ai faite
Et refaite cent fois, de sorte qu’elle est prête,
Et que mettant mon âme à côté du papier,
Je n’ai tout simplement qu’à la recopier.
(Il écrit. – Derrière le vitrage de la porte on voit s’agiter des silhouettes maigres et hésitantes.)
Scène IV
Ragueneau, Lise, le mousquetaire, Cyrano, à la petite table, écrivant, les poètes, vêtus de noir, les bas tombants, couverts de boue.
LISE, entrant, à Ragueneau.
Les voici vos crottés !
PREMIER POÈTE, entrant, à Ragueneau.
Confrère !…
DEUXIÈME POÈTE, de même, lui secouant les mains.
Cher confrère !
TROISIÈME POÈTE.
Aigle des pâtissiers !
(Il renifle.)
Ça sent bon dans votre aire.
QUATRIÈME POÈTE.
Ô Phœbus-Rôtisseur !
CINQUIÈME POÈTE.
Apollon maître-queux !…
RAGUENEAU, entouré, embrassé, secoué.
Comme on est tout de suite à son aise avec eux !…
PREMIER POÈTE.
Nous fûmes retardés par la foule attroupée
À la porte de Nesle !…
DEUXIÈME POÈTE.
Ouverts à coups d’épée,
Huit malandrins sanglants illustraient les pavés !
CYRANO, levant une seconde la tête.
Huit ?… Tiens, je croyais sept.
(Il reprend sa lettre.)
RAGUENEAU, à Cyrano.
Est-ce que vous savez
Le héros du combat ?
CYRANO, négligemment.
Moi ?… Non !
LISE, au mousquetaire.
Et vous ?
LE MOUSQUETAIRE, se frisant la moustache.
Peut-être !
CYRANO, écrivant, à part, – on l’entend murmurer de temps en temps.
Je vous aime…
PREMIER POÈTE.
Un seul homme, assurait-on, sut mettre
Toute une bande en fuite !…
DEUXIÈME POÈTE.
Oh ! c’était curieux !
Des piques, des bâtons jonchaient le sol !…
CYRANO, écrivant.
… vos yeux…
TROISIÈME POÈTE.
On trouvait des chapeaux jusqu’au quai des Orfèvres !
PREMIER POÈTE.
Sapristi ! ce dut être un féroce…
CYRANO, même jeu.
… vos lèvres…
PREMIER POÈTE.
Un terrible géant, l’auteur de ces exploits !
CYRANO, même jeu.
… Et je m’évanouis de peur quand je vous vois.
DEUXIÈME POÈTE, happant un gâteau.
Qu’as-tu rimé de neuf, Ragueneau ?
CYRANO, même jeu.
… qui vous aime…
(Il s’arrête au moment de signer, et se lève, mettant sa lettre dans son pourpoint.)
Pas besoin de signer. Je la donne moi-même.
RAGUENEAU, au deuxième poète.
J’ai mis une recette en vers.
TROISIÈME POÈTE, s’installant près d’un plateau de choux à la crème.
Oyons ces vers !
QUATRIÈME POÈTE, regardant une brioche qu’il a prise.
Cette brioche a mis son bonnet de travers.
(Il la décoiffe d’un coup de dent.)
PREMIER POÈTE.
Ce pain d’épice suit le rimeur famélique,
De ses yeux en amande aux sourcils d’angélique !
(Il happe le morceau de pain d’épice.)
DEUXIÈME POÈTE.
Nous écoutons.
TROISIÈME POÈTE, serrant légèrement un chou entre ses doigts.
Ce chou bave sa crème. Il rit.
DEUXIÈME POÈTE, mordant à même la grande lyre de pâtisserie.
Pour la première fois la Lyre me nourrit !
RAGUENEAU, qui s’est préparé à réciter, qui a toussé, assuré son bonnet, pris une pose.
Une recette en vers…
DEUXIÈME POÈTE, au premier, lui donnant un coup de coude.
Tu déjeunes ?
PREMIER POÈTE, au deuxième.
Tu dînes !
RAGUENEAU.
Comment on fait les tartelettes amandines.
Battez, pour qu’ils soient mousseux,
Quelques œufs ;
Incorporez à leur mousse
Un jus de cédrat choisi ;
Versez-y
Un bon lait d’amande douce ;
Mettez de la pâte à flan
Dans le flanc
De moules à tartelette ;
D’un doigt preste, abricotez
Les côtés ;
Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et, blondines,
Sortant en gais troupelets,
Ce sont les
Tartelettes amandines !
LES POÈTES, la bouche pleine.
Exquis ! Délicieux !
UN POÈTE, s’étouffant.
Homph !
(Ils remontent vers le fond, en mangeant, Cyrano qui a observé s’avance vers Ragueneau.)
CYRANO.
Bercés par ta voix,
Ne vois-tu pas comme ils s’empiffrent ?
RAGUENEAU, plus bas, avec un sourire.
Je le vois…
Sans regarder, de peur que cela ne les trouble ;
Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
Puisque je satisfais un doux faible que j’ai
Tout en laissant manger ceux qui n’ont pas mangé !
CYRANO, lui frappant sur l’épaule.
Toi, tu me plais !…
(Ragueneau va rejoindre ses amis. Cyrano le suit des yeux, puis, un peu brusquement.)
Hé là, Lise ?
(Lise, en conversation tendre avec le mousquetaire, tressaille et descend vers Cyrano.)
Ce capitaine…
Vous assiège ?
LISE, offensée.
Oh ! mes yeux, d’une œillade hautaine,
Savent vaincre quiconque attaque mes vertus.
CYRANO.
Euh ! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus.
LISE, suffoquée.
Mais…
CYRANO, nettement.
Ragueneau me plaît. C’est pourquoi, dame Lise,
Je défends que quelqu’un le ridicoculise.
LISE.
Mais…
CYRANO, qui a élevé la voix assez pour être entendu du galant.
À bon entendeur…
(Il salue le mousquetaire, et va se mettre en observation, à la porte du fond, après avoir regardé l’horloge.)
LISE, au mousquetaire qui a simplement rendu son salut à Cyrano.
Vraiment, vous m’étonnez !…
Répondez… sur son nez…
LE MOUSQUETAIRE.
Sur son nez… sur son nez…
(Il s’éloigne vivement, Lise le suit.)
CYRANO, de la porte du fond, faisant signe à Ragueneau d’emmener les poètes.
Pst !…
RAGUENEAU, montrant aux poètes la porte de droite.
Nous serons bien mieux par là…
CYRANO, s’impatientant.
Pst ! pst !…
RAGUENEAU, les entraînant.
Pour lire
Des vers…
PREMIER POÈTE, désespéré, la bouche pleine.
Mais les gâteaux !…
DEUXIÈME POÈTE.
Emportons-les !
(Ils sortent tous derrière Ragueneau, processionnellement, et après avoir fait une râfle de plateaux.)
Scène V
Cyrano, Roxane, la duègne.
CYRANO.
Je tire
Ma lettre si je sens seulement qu’il y a
Le moindre espoir !…
(Roxane, masquée, suivie de la duègne, paraît derrière le vitrage. Il ouvre vivement la porte.)
Entrez !…
(Marchant sur la duègne.)
Vous, deux mots, duègna !
LA DUÈGNE.
Quatre.
CYRANO.
Êtes-vous gourmande ?
LA DUÈGNE.
À m’en rendre malade.
CYRANO, prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir.
Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade…
LA DUÈGNE, piteuse.
Heu !…
CYRANO.
… que je vous remplis de darioles.
LA DUÈGNE, changeant de figure.
Hou !
CYRANO.
Aimez-vous le gâteau qu’on nomme petit chou ?
LA DUÈGNE, avec dignité.
Monsieur, j’en fais état, lorsqu’il est à la crème.
CYRANO.
J’en plonge six pour vous dans le sein d’un poème
De Saint-Amant ! Et dans ces vers de Chapelain
Je dépose un fragment, moins lourd, de poupelin.
– Ah ! Vous aimez les gâteaux frais ?
LA DUÈGNE.
J’en suis férue !
CYRANO, lui chargeant les bras de sacs remplis.
Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue.
LA DUÈGNE.
Mais…
CYRANO, la poussant dehors.
Et ne revenez qu’après avoir fini !
(Il referme la porte, redescend vers Roxane, et s’arrête, découvert, à une distance respectueuse.)