Kitabı oku: «Cyrano de Bergerac», sayfa 4
Scène VI
Cyrano, Roxane, la duègne, un instant.
CYRANO.
Que l’instant entre tous les instants soit béni,
Où, cessant d’oublier qu’humblement je respire
Vous venez jusqu’ici pour me dire… me dire ?…
ROXANE, qui s’est démasquée.
Mais tout d’abord merci, car ce drôle, ce fat
Qu’au brave jeu d’épée, hier, vous avez fait mat,
C’est lui qu’un grand seigneur… épris de moi…
CYRANO.
De Guiche ?
ROXANE, baissant les yeux.
Cherchait à m’imposer… comme mari…
CYRANO.
Postiche ?
(Saluant.)
Je me suis donc battu, madame, et c’est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
ROXANE.
Puis… je voulais… Mais pour l’aveu que je viens faire,
Il faut que je revoie en vous le… presque frère,
Avec qui je jouais, dans le parc – près du lac !…
CYRANO.
Oui… vous veniez tous les étés à Bergerac !…
ROXANE.
Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées…
CYRANO.
Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées !
ROXANE.
C’était le temps des jeux…
CYRANO.
Des mûrons aigrelets…
ROXANE.
Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais !…
CYRANO.
Roxane, en jupons courts, s’appelait Madeleine…
ROXANE.
J’étais jolie, alors ?
CYRANO.
Vous n’étiez pas vilaine.
ROXANE.
Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
Vous accouriez ! – Alors, jouant à la maman,
Je disais d’une voix qui tâchait d’être dure.
(Elle lui prend la main.)
« Qu’est-ce que c’est encor que cette égratignure ? »
(Elle s’arrête stupéfaite.)
Oh ! C’est trop fort ! Et celle-ci !
(Cyrano veut retirer sa main.)
Non ! Montrez-la !
Hein ? à votre âge, encor ! – Où t’es-tu fait cela ?
CYRANO.
En jouant, du côté de la porte de Nesle.
ROXANE, s’asseyant à une table, et trempant son mouchoir dans un verre d’eau.
Donnez !
CYRANO, s’asseyant aussi.
Si gentiment ! Si gaiement maternelle !
ROXANE.
Et, dites-moi, – pendant que j’ôte un peu le sang, –
Ils étaient contre vous ?
CYRANO.
Oh ! pas tout à fait cent.
ROXANE.
Racontez !
CYRANO.
Non. Laissez. Mais vous, dites la chose
Que vous n’osiez tantôt me dire…
ROXANE, sans quitter sa main.
À présent, j’ose,
Car le passé m’encouragea de son parfum !
Oui, j’ose maintenant. Voilà. J’aime quelqu’un.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Qui ne le sait pas d’ailleurs.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Pas encore.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Mais qui va bientôt le savoir, s’il l’ignore.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Un pauvre garçon qui jusqu’ici m’aima
Timidement, de loin, sans oser le dire…
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre. –
Mais moi, j’ai vu trembler les aveux sur sa lèvre.
CYRANO.
Ah !…
ROXANE, achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir.
Et figurez-vous, tenez, que, justement
Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment !
CYRANO.
Ah !…
ROXANE, riant.
Puisqu’il est cadet dans votre compagnie !
CYRANO.
Ah !…
ROXANE.
Il a sur son front de l’esprit, du génie,
Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau…
CYRANO, se levant tout pâle.
Beau !
ROXANE.
Quoi ? Qu’avez-vous ?
CYRANO.
Moi, rien… C’est… c’est…
(Il montre sa main, avec un sourire.)
C’est ce bobo.
ROXANE.
Enfin, je l’aime. Il faut d’ailleurs que je vous die
Que je ne l’ai jamais vu qu’à la Comédie…
CYRANO.
Vous ne vous êtes donc pas parlé ?
ROXANE.
Nos yeux seuls.
CYRANO.
Mais comment savez-vous, alors ?
ROXANE.
Sous les tilleuls
De la place Royale, on cause… Des bavardes
M’ont renseignée…
CYRANO.
Il est cadet ?
ROXANE.
Cadet aux gardes.
CYRANO.
Son nom ?
ROXANE.
Baron Christian de Neuvillette.
CYRANO.
Hein ?…
Il n’est pas aux cadets.
ROXANE.
Si, depuis ce matin.
Capitaine Carbon de Castel-Jaloux.
CYRANO.
Vite,
Vite, on lance son cœur !… Mais, ma pauvre petite…
LA DUÈGNE, ouvrant la porte du fond.
J’ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac !
CYRANO.
Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac !
(La duègne disparaît.)
… Ma pauvre enfant, vous qui n’aimez que beau langage,
Bel esprit, – si c’était un profane, un sauvage.
ROXANE.
Non, il a les cheveux d’un héros de d’Urfé !
CYRANO.
S’il était aussi maldisant que bien coiffé !
ROXANE.
Non, tous les mots qu’il dit sont fins, je le devine !
CYRANO.
Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
– Mais si c’était un sot !…
ROXANE, frappant du pied.
Eh bien ! j’en mourrais, là !
CYRANO, après un temps.
Vous m’avez fait venir pour me dire cela ?
Je n’en sens pas très bien l’utilité, madame.
ROXANE.
Ah, c’est que quelqu’un hier m’a mis la mort dans l’âme,
Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons
Dans votre compagnie…
CYRANO.
Et que nous provoquons
Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre
Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l’être ?
C’est ce qu’on vous a dit ?
ROXANE.
Et vous pensez si j’ai
Tremblé pour lui !
CYRANO, entre ses dents.
Non sans raison !
ROXANE.
Mais j’ai songé
Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes,
Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes, –
J’ai songé : s’il voulait, lui que tous ils craindront…
CYRANO.
C’est bien, je défendrai votre petit baron.
ROXANE.
Oh, n’est-ce pas que vous allez me le défendre ?
J’ai toujours eu pour vous une amitié si tendre.
CYRANO.
Oui, oui.
ROXANE.
Vous serez son ami ?
CYRANO.
Je le serai.
ROXANE.
Et jamais il n’aura de duel ?
CYRANO.
C’est juré.
ROXANE.
Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m’en aille.
(Elle remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et, distraitement.)
Mais vous ne m’avez pas raconté la bataille
De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï !…
– Dites-lui qu’il m’écrive.
(Elle lui envoie un petit baiser de la main.)
Oh ! je vous aime !
CYRANO.
Oui, oui.
ROXANE.
Cent hommes contre vous ? Allons, adieu. – Nous sommes
De grands amis !
CYRANO.
Oui, oui.
ROXANE.
Qu’il m’écrive ! – Cent hommes ! –
Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis.
Cent hommes ! Quel courage !
CYRANO, la saluant.
Oh ! j’ai fait mieux depuis.
(Elle sort. Cyrano reste immobile, les yeux à terre. Un silence. La porte de droite s’ouvre. Ragueneau passe sa tête.)
Scène VII
Cyrano, Ragueneau, les poètes, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets, la foule, etc., puis De Guiche.
RAGUENEAU.
Peut-on rentrer ?
CYRANO, sans bouger.
Oui…
(Ragueneau fait signe et ses amis rentrent. En même temps, à la porte du fond paraît Carbon de Castel-Jaloux, costume de capitaine aux gardes, qui fait de grands gestes en apercevant Cyrano.)
CARBON DE CASTEL-JALOUX.
Le voilà !
CYRANO, levant la tête.
Mon capitaine !…
CARBON, exultant.
Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine
De mes cadets sont là !…
CYRANO, reculant.
Mais…
CARBON, voulant l’entraîner.
Viens ! on veut te voir !
CYRANO.
Non !
CARBON.
Ils boivent en face, à la Croix du Trahoir.
CYRANO.
Je…
CARBON, remontant à la porte, et criant à la cantonade, d’une voix de tonnerre.
Le héros refuse. Il est d’humeur bourrue !
UNE VOIX, au dehors.
Ah ! Sandious !
(Tumulte au dehors, bruit d’épées et de bottes qui se rapprochent.)
CARBON, se frottant les mains.
Les voici qui traversent la rue !…
LES CADETS, entrant dans la rôtisserie.
Mille dious ! – Capdedious ! – Mordious ! – Pocapdedious !
RAGUENEAU, reculant épouvanté.
Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne !
LES CADETS.
Tous !
UN CADET, à Cyrano.
Bravo !
CYRANO.
Baron !
UN AUTRE, lui secouant les mains.
Vivat !
CYRANO.
Baron !
TROISIÈME CADET.
Que je t’embrasse !
CYRANO.
Baron !…
PLUSIEURS GASCONS.
Embrassons-le !
CYRANO, ne sachant auquel répondre.
Baron… baron… de grâce…
RAGUENEAU.
Vous êtes tous barons, messieurs ?
LES CADETS.
Tous !
RAGUENEAU.
Le sont-ils ?…
PREMIER CADET.
On ferait une tour rien qu’avec nos tortils !
LE BRET, entrant, et courant à Cyrano.
On te cherche ! Une foule en délire conduite
Par ceux qui cette nuit marchèrent à ta suite…
CYRANO, épouvanté.
Tu ne leur as pas dit où je me trouve ?…
LE BRET, se frottant les mains.
Si !
UN BOURGEOIS, entrant suivi d’un groupe.
Monsieur, tout le Marais se fait porter ici !
(Au dehors la rue s’est remplie de monde. Des chaises à porteurs, des carrosses s’arrêtent.)
LE BRET, bas, souriant, à Cyrano.
Et Roxane ?
CYRANO, vivement.
Tais-toi !
LA FOULE, criant dehors.
Cyrano !…
(Une cohue se précipite dans la pâtisserie. Bousculade. Acclamations.)
RAGUENEAU, debout sur une table.
Ma boutique
Est envahie ! On casse tout ! C’est magnifique !
DES GENS, autour de Cyrano.
Mon ami… mon ami…
CYRANO.
Je n’avais pas hier
Tant d’amis !…
LE BRET, ravi.
Le succès !
UN PETIT MARQUIS, accourant, les mains tendues.
Si tu savais, mon cher…
CYRANO.
Si tu ?… Tu ?… Qu’est-ce donc qu’ensemble nous gardâmes ?
UN AUTRE.
Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames
Qui là, dans mon carrosse…
CYRANO, froidement.
Et vous d’abord, à moi,
Qui vous présentera ?
LE BRET, stupéfait.
Mais qu’as-tu donc ?
CYRANO.
Tais-toi !
UN HOMME DE LETTRES, avec une écritoire.
Puis-je avoir des détails sur ?…
CYRANO.
Non.
LE BRET, lui poussant le coude.
C’est Théophraste,
Renaudot ! l’inventeur de la gazette.
CYRANO.
Baste !
LE BRET.
Cette feuille où l’on fait tant de choses tenir !
On dit que cette idée a beaucoup d’avenir !
LE POÈTE, s’avançant.
Monsieur…
CYRANO.
Encor !
LE POÈTE.
Je veux faire un pentacrostiche
Sur votre nom…
QUELQU’UN, s’avançant encore.
Monsieur…
CYRANO.
Assez !
(Mouvement. On se range. De Guiche paraît, escorté d’officiers. Cuigy, Brissaille, les officiers qui sont partis avec Cyrano à la fin du premier acte. Cuigy vient vivement à Cyrano.)
CUIGY, à Cyrano.
Monsieur de Guiche !
(Murmure. Tout le monde se range.)
Vient de la part du maréchal de Gassion !
DE GUICHE, saluant Cyrano.
… Qui tient à vous mander son admiration
Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre.
LA FOULE.
Bravo !…
CYRANO, s’inclinant.
Le maréchal s’y connaît en bravoure.
DE GUICHE.
Il n’aurait jamais cru le fait si ces messieurs
N’avaient pu lui jurer l’avoir vu.
CUIGY.
De nos yeux !
LE BRET, bas à Cyrano, qui a l’air absent.
Mais…
CYRANO.
Tais-toi !
LE BRET.
Tu parais souffrir !
CYRANO, tressaillant et se redressant vivement.
Devant ce monde ?…
(Sa moustache se hérisse ; il poitrine.)
Moi souffrir ?… Tu vas voir !
DE GUICHE, auquel Cuigy a parlé à l’oreille.
Votre carrière abonde
De beaux exploits, déjà. – Vous servez chez ces fous
De Gascons, n’est-ce pas ?
CYRANO.
Aux cadets, oui.
UN CADET, d’une voix terrible.
Chez nous !
DE GUICHE, regardant les Gascons, rangés derrière Cyrano.
Ah ! ah !… Tous ces messieurs à la mine hautaine,
Ce sont donc les fameux ?…
CARBON DE CASTEL-JALOUX.
Cyrano !
CYRANO.
Capitaine ?
CARBON.
Puisque ma compagnie est, je crois, au complet,
Veuillez la présenter au comte, s’il vous plaît.
CYRANO, faisant deux pas vers De Guiche, et montrant les cadets.
Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux ;
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Ce sont les cadets de Gascogne !
Parlant blason, lambel, bastogne,
Tous plus nobles que des filous,
Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux.
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups,
Fendant la canaille qui grogne,
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Ils vont, – coiffés d’un vieux vigogne
Dont la plume cache les trous ! –
Œil d’aigle, jambe de cigogne,
Moustache de chat, dents de loups !
Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux ;
De gloire, leur âme est ivrogne !
Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
Dans tous les endroits où l’on cogne
Ils se donnent des rendez-vous…
Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux !
Voici les cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux !
Ô femme, adorable carogne,
Voici les cadets de Gascogne !
Que le vieil époux se renfrogne.
Sonnez, clairons ! chantez, coucous !
Voici les cadets de Gascogne
Qui font cocus tous les jaloux !
DE GUICHE, nonchalamment assis dans un fauteuil que Ragueneau a vite apporté.
Un poète est un luxe, aujourd’hui, qu’on se donne.
– Voulez-vous être à moi ?
CYRANO.
Non, Monsieur, à personne.
DE GUICHE.
Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
Hier. Je veux vous servir auprès de lui.
LE BRET, ébloui.
Grand Dieu !
DE GUICHE.
Vous avez bien rimé cinq actes, j’imagine ?
LE BRET, à l’oreille de Cyrano.
Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine !
DE GUICHE.
Portez-les-lui.
CYRANO, tenté et un peu charmé.
Vraiment…
DE GUICHE.
Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers…
CYRANO, dont le visage s’est immédiatement rembruni.
Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
En pensant qu’on y peut changer une virgule.
DE GUICHE.
Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
Il le paye très cher.
CYRANO.
Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime,
Je me le paye, en me le chantant à moi-même !
DE GUICHE.
Vous êtes fier.
CYRANO.
Vraiment, vous l’avez remarqué ?
UN CADET, entrant avec, enfilés à son épée, des chapeaux aux plumets miteux, aux coiffes trouées, défoncées.
Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai,
Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes !
Les feutres des fuyards !…
CARBON.
Des dépouilles opimes !
TOUT LE MONDE, riant.
Ah ! Ah ! Ah !
CUIGY.
Celui qui posta ces gueux, ma foi,
Doit rager aujourd’hui.
BRISSAILLE.
Sait-on qui c’est ?
DE GUICHE.
C’est moi.
(Les rires s’arrêtent.)
Je les avais chargés de châtier, – besogne
Qu’on ne fait pas soi-même, – un rimailleur ivrogne.
(Silence gêné.)
LE CADET, à mi-voix, à Cyrano, lui montrant les feutres.
Que faut-il qu’on en fasse ? Ils sont gras… Un salmis ?
CYRANO, prenant l’épée où ils sont enfilés, et les faisant, dans un salut, tous glisser aux pieds de De Guiche.
Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ?
DE GUICHE, se levant et d’une voix brève.
Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte.
(À Cyrano, violemment.)
Vous, Monsieur !…
UNE VOIX, dans la rue, criant.
Les porteurs de monseigneur le comte
De Guiche !
DE GUICHE, qui s’est dominé, avec un sourire.
… Avez-vous lu Don Quichot ?
CYRANO.
Je l’ai lu.
Et me découvre au nom de cet hurluberlu.
DE GUICHE.
Veuillez donc méditer alors…
UN PORTEUR, paraissant au fond.
Voici la chaise.
DE GUICHE.
Sur le chapitre des moulins !
CYRANO, saluant.
Chapitre treize.
DE GUICHE.
Car, lorsqu’on les attaque, il arrive souvent…
CYRANO.
J’attaque donc des gens qui tournent à tout vent ?
DE GUICHE.
Qu’un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles
Vous lance dans la boue !…
CYRANO.
Ou bien dans les étoiles !
(De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs s’éloignent en chuchotant. Le Bret les réaccompagne. La foule sort.)
Scène VIII
Cyrano, Le Bret, les cadets, qui se sont attablés à droite et à gauche et auxquels on sert à boire et à manger.
CYRANO, saluant d’un air goguenard ceux qui sortent sans oser le saluer.
Messieurs… Messieurs… Messieurs…
LE BRET, désolé, redescendant, les bras au ciel.
Ah ! dans quels jolis draps…
CYRANO.
Oh ! toi ! tu vas grogner !
LE BRET.
Enfin, tu conviendras
Qu’assassiner toujours la chance passagère,
Devient exagéré.
CYRANO.
Hé bien oui, j’exagère !
LE BRET, triomphant.
Ah !
CYRANO.
Mais pour le principe, et pour l’exemple aussi,
Je trouve qu’il est bon d’exagérer ainsi.
LE BRET.
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire,
La fortune et la gloire…
CYRANO.
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et, donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? »…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Aimer mieux faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
LE BRET.
Tout seul, soit ! mais non pas contre tous ! Comment diable
As-tu donc contracté la manie effroyable
De te faire toujours, partout, des ennemis ?
CYRANO.
À force de vous voir vous faire des amis,
Et rire à ces amis dont vous avez des foules,
D’une bouche empruntée au derrière des poules !
J’aime raréfier sur mes pas les saluts,
Et m’écrie avec joie : un ennemi de plus !
LE BRET.
Quelle aberration !
CYRANO.
Eh bien ! oui, c’est mon vice.
Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse.
Mon cher, si tu savais comme l’on marche mieux
Sous la pistolétade excitante des yeux !
Comme, sur les pourpoints, font d’amusantes taches
Le fiel des envieux et la bave des lâches !
– Vous, la molle amitié dont vous vous entourez,
Ressemble à ces grands cols d’Italie, ajourés
Et flottants, dans lesquels votre cou s’effémine.
On y est plus à l’aise… et de moins haute mine,
Car le front n’ayant pas de maintien ni de loi,
S’abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi,
La Haine, chaque jour, me tuyaute et m’apprête
La fraise dont l’empois force à lever la tête ;
Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m’ajoute une gêne, et m’ajoute un rayon.
Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
La Haine est un carcan, mais c’est une auréole !
LE BRET, après un silence, passant son bras sous le sien.
Fais tout haut l’orgueilleux et l’amer, mais, tout bas,
Dis-moi tout simplement qu’elle ne t’aime pas !
CYRANO, vivement.
Tais-toi !
(Depuis un moment, Christian est entré, s’est mêlé aux cadets ; ceux-ci ne lui adressent pas la parole ; il a fini par s’asseoir seul à une petite table, où Lise le sert.)
Scène IX
Cyrano, Le Bret, les cadets, Christian de Neuvillette.
UN CADET, assis à une table du fond, le verre en main.
Hé ! Cyrano !
(Cyrano se retourne.)
Le récit ?
CYRANO.
Tout à l’heure !
(Il remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas.)
LE CADET, se levant, et descendant.
Le récit du combat ! Ce sera la meilleure
Leçon
(Il s’arrête devant la table où est Christian.)
pour ce timide apprentif !
CHRISTIAN, levant la tête.
Apprentif ?
UN AUTRE CADET.
Oui, septentrional maladif !
CHRISTIAN.
Maladif ?
PREMIER CADET, goguenard.
Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose.
C’est qu’il est un objet, chez nous, dont on ne cause
Pas plus que de cordon dans l’hôtel d’un pendu !
CHRISTIAN.
Qu’est-ce ?
UN AUTRE CADET, d’une voix terrible.
Regardez-moi !
(Il pose trois fois, mystérieusement, son doigt sur son nez.)
M’avez-vous entendu ?
CHRISTIAN.
Ah ! c’est le…
UN AUTRE.
Chut !… jamais ce mot ne se profère !
(Il montre Cyrano qui cause au fond avec Le Bret.)
Ou c’est à lui, là-bas, que l’on aurait affaire !
UN AUTRE, qui, pendant qu’il était tourné vers les premiers, est venu sans bruit s’asseoir sur la table, dans son dos.
Deux nasillards par lui furent exterminés
Parce qu’il lui déplut qu’ils parlassent du nez !
UN AUTRE, d’une voix caverneuse, – surgissant de sous la table où il s’est glissé à quatre pattes.
On ne peut faire, sans défuncter avant l’âge,
La moindre allusion au fatal cartilage !
UN AUTRE, lui posant la main sur l’épaule.
Un mot suffit ! Que dis-je, un mot ? Un geste, un seul !
Et tirer son mouchoir, c’est tirer son linceul !
(Silence. Tous autour de lui, les bras croisés, le regardent. Il se lève et va à Carbon de Castel-Jaloux qui, causant avec un officier, a l’air de ne rien voir.)
CHRISTIAN.
Capitaine !
CARBON, se retournant et le toisant.
Monsieur ?
CHRISTIAN.
Que fait-on quand on trouve
Des Méridionaux trop vantards ?…
CARBON.
On leur prouve
Qu’on peut être du Nord, et courageux.
(Il lui tourne le dos.)
CHRISTIAN.
Merci.
PREMIER CADET, à Cyrano.
Maintenant, ton récit !
TOUS.
Son récit !
CYRANO, redescendant vers eux.
Mon récit ?…
(Tous rapprochent leurs escabeaux, se groupent autour de lui, tendent le col. Christian s’est mis à cheval sur une chaise.)
Eh bien ! donc je marchais tout seul, à leur rencontre.
La lune, dans le ciel, luisait comme une montre,
Quand soudain, je ne sais quel soigneux horloger
S’étant mis à passer un coton nuager
Sur le boîtier d’argent de cette montre ronde,
Il se fit une nuit la plus noire du monde,
Et les quais n’étant pas du tout illuminés,
Mordious ! on n’y voyait pas plus loin…
CHRISTIAN.
Que son nez.
(Silence. Tout le monde se lève lentement. On regarde Cyrano avec terreur. Celui-ci s’est interrompu, stupéfait. Attente.)
CYRANO.
Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?
UN CADET, à mi-voix.
C’est un homme
Arrivé ce matin.
CYRANO, faisant un pas vers Christian.
Ce matin ?
CARBON, à mi-voix.
Il se nomme
Le baron de Neuvil…
CYRANO, vivement, s’arrêtant.
Ah ! c’est bien…
(Il pâlit, rougit, a encore un mouvement pour se jeter sur Christian.)
Je…
(Puis, il se domine, et dit d’une voix sourde.)
Très bien…
(Il reprend.)
Je disais donc…
(Avec un éclat de rage dans la voix.)
Mordious !…
(Il continue d’un ton naturel.)
que l’on n’y voyait rien.
(Stupeur. On se rassied en se regardant.)
Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince
J’allais mécontenter quelque grand, quelque prince,
Qui m’aurait sûrement…
CHRISTIAN.
Dans le nez…
(Tout le monde se lève. Christian se balance sur sa chaise.)
CYRANO, d’une voix étranglée.
Une dent, –
Qui m’aurait une dent… et qu’en somme, imprudent,
J’allais fourrer…
CHRISTIAN.
Le nez…
CYRANO.
Le doigt… entre l’écorce
Et l’arbre, car ce grand pouvait être de force
À me faire donner…
CHRISTIAN.
Sur le nez…
CYRANO, essuyant la sueur à son front.
Sur les doigts.
– Mais j’ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois !
Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde,
Quand, dans l’ombre, quelqu’un me porte…
CHRISTIAN.
Une nasarde.
CYRANO.
Je la pare, et soudain me trouve…
CHRISTIAN.
Nez à nez…
CYRANO, bondissant vers lui.
Ventre-Saint-Gris !
(Tous les Gascons se précipitent pour voir ; arrivé sur Christian, il se maîtrise et continue.)
avec cent braillards avinés
Qui puaient…
CHRISTIAN.
À plein nez…
CYRANO, blême et souriant.
L’oignon et la litharge !
Je bondis, front baissé…
CHRISTIAN.
Nez au vent !
CYRANO.
et je charge !
J’en estomaque deux ! J’en empale un tout vif !
Quelqu’un m’ajuste : Paf ! et je riposte…
CHRISTIAN.
Pif !
CYRANO, éclatant.
Tonnerre ! Sortez tous !
(Tous les cadets se précipitent vers les portes.)
PREMIER CADET.
C’est le réveil du tigre !
CYRANO.
Tous ! Et laissez-moi seul avec cet homme !
DEUXIÈME CADET.
Bigre !
On va le retrouver en hachis !
RAGUENEAU.
En hachis ?
UN AUTRE CADET.
Dans un de vos pâtés !
RAGUENEAU.
Je sens que je blanchis,
Et que je m’amollis comme une serviette !
CARBON.
Sortons !
UN AUTRE.
Il n’en va pas laisser une miette !
UN AUTRE.
Ce qui va se passer ici, j’en meurs d’effroi !
UN AUTRE, refermant la porte de droite.
Quelque chose d’épouvantable !
(Ils sont tous sortis, – soit par le fond, soit par les côtés, – quelques-uns ont disparu par l’escalier. Cyrano et Christian restent face à face, et se regardent un moment.)