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Kitabı oku: «La corde au cou», sayfa 28

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Jacques n'en pouvait supporter davantage.

– Grand Dieu! s'écria-t-il, plutôt mille fois tout vous dire que de laisser un soupçon effleurer votre cœur! Écoutez et pardonnez-moi…

Mais elle l'arrêta en lui posant la main sur les lèvres, et toute palpitante:

– Non, je ne veux rien savoir, dit-elle, rien!… J'ai foi en vous! Rappelez-vous seulement que vousêtes tout pour moi: l'espérance, l'avenir, la vie… Si vous m'aviez trompée, je sens bien, malheureuse, que je ne cesserais pas de vous aimer, mais je sais aussi que je n'aurais pas longtemps à souffrir…

Éperdu de douleur et d'amour:

– Denise, répétait Jacques, Denise, mon amie adorée, laissez-moi vous avouer ce qu'est cette femme, et pourquoi il faut que je la voie…

– Non, interrompit-elle, non! Faites ce que vous dit votre conscience, je crois en vous…

Et au lieu de lui tendre son front comme d'ordinaire, elle s'enfuit en entraînant la tante Élisabeth, et si vite qu'il se précipitât hors du parloir, il n'aperçut plus qu'une ombre glissant au fond du corridor.

Jamais encore, jusqu'à ce jour, Jacques n'avait pu prendre sur lui de haïr véritablement la comtesse de Claudieuse, de cette haine aveugle et farouche qui ne rêve plus que vengeance.

Bien des fois, sans doute, dans la solitude de sa prison, il l'avait maudite, mais toujours, au plus fort de ses colères, s'élevait du fond de sonâme un sentiment de miséricorde et de pitié pour cette maîtresse qu'il avait tant aimée. Car il l'avait adorée follement, il ne se le dissimulait pas. Il lui avait dû les premières ivresses de son adolescence, ces sensationsâpres ou exquises qu'on ne saurait oublier. Dans sa cellule même, il tressaillait au souvenir de certaines de ses attitudes, il revoyait ses yeux noyés de voluptueuses langueurs, il entendait le timbre charmant de sa voix, il respirait le parfum qu'elle portait d'habitude.

Situation, avenir, honneur, elle l'avait mis dans le cadre de tout perdre qu'il se sentait encore bien près de pardonner… Mais lui enlever le cœur de sa fiancée, lui ravir cet amour ardent et pur comme la flamme! Ah! c'était combler la mesure.

Et je la ménagerais encore! se disait-il, ivre de rage. J'hésiterais à la perdre! Je n'en ai plus le droit, c'est l'existence de Denise que je défends…

Plus que jamais, ilétait résolu à l'expédition du lendemain, sentant bien que le courage ne lui manquerait plus.

Précisément – et c'était une adresse du geôlier —, c'est Cheminot qui fut chargé de le reconduire à sa cellule, et selon l'expression des geôles, de l'y «boucler». Il le fit entrer, et tout de suite, carrément, il lui exposa ce qu'il attendait de lui.

Sur la foi de Blangin, ilétait persuadé qu'à la seule idée de s'évader, le vagabond allait bondir de joie. Il n'en fut pas ainsi. La visage souriant de Frumence Cheminot s'assombrit, et se grattant l'oreille d'un air perplexe:

– C'est que, répondit-il, faites excuse, je n'ai pas du tout envie de m'ensauver.

Jacques en tressauta de stupeur sur sa chaise. Cheminot lui refusant son concours, c'était sa sortie manquée, ou tout au moins remise.

– Parlez-vous sérieusement, Frumence? demanda-t-il.

– Dame! oui, mon pauvre monsieur! Ici, voyez-vous, je ne suis point mal, j'ai un bon lit, je mange deux fois tous les jours, je n'ai rien à faire et j'attrape par-ci par-là, de l'un ou de l'autre, quelques sous pour m'acheter du vin et du tabac.

– Mais la liberté, mon brave…

– Eh bien! quoi, on me la rendra… Je n'ai point commis de crime, n'est-ce pas? J'ai escaladé un brin le mur d'un verger; on n'est pas pendu pourça. J'ai consulté monsieur Magloire et il m'a dit tout net mon affaire. Je passerai en police correctionnelle et j'en aurai pour trois ou six mois. Ce n'est pas le diable à tirer. Tandis que si je m'évade, on mettra les gendarmes à mes trousses, ils me rattraperont, je serai ramené ici, et alors, comment me traitera-t-on! Sans compter que de s'évader et de dégrader une prison, c'est grave…

Comment combattre une résolution si sage et de si bonnes raisons! L'inquiétude prenait presque Jacques.

– Pourquoi les gendarmes vous reprendraient-ils, mon brave? fit-il.

– Parce qu'ils sont les gendarmes, mon bon monsieur. Et puis, ce n'est pas tout, si nousétions au printemps, je vous dirais: «J'en suis». Mais nous voilà en automne, les mauvais temps vont venir, l'ouvrage va manquer…

Fainéant incurable, Cheminot se préoccupait toujours beaucoup de l'ouvrage.

– Les vendanges se feront donc sans vous! reprit Jacques.

Le vagabond eut un geste de regret.

– C'est vrai qu'on s'amuse aux vendanges, dit-il.

– Eh bien!…

– Mais c'est l'affaire d'une quinzaine. Après les vendanges, l'hiver vient. Et l'hiver, bonne gent! c'est mon ennemi. Je me suis vu, des fois qu'il gelait à pierre fendre et qu'il tombait de la neige, ne savoir où gîter… brrr!… Ici, il y a des poêles et l'administration donne des chaussons bien chauds…

– Oui, mais il n'y a pas de veillées… hein! Frumence… de ces bonnes veillées où l'on boit du vin cuit et où l'on conte des gaillardises aux filles enécossant des haricots ou enégrenant du maïs…

– Oh! je sais… J'ai bien ri à des moments. Mais le froid!… où aller sans le sou!

C'était là justement que Jacques en voulait venir.

– J'ai de l'argent, dit-il.

– Je le sais bien.

– Croyez-vous donc que je vous laisserais filer les poches vides! Ce que vous me demanderiez, je vous le donnerais…

– Vrai! s'écria le vagabond. (Et arrêtant sur Jacques un regard où se peignaient à la fois la surprise, l'espérance et la joie): C'est qu'il me faudrait beaucoup, reprit-il. L'hiver est long… Il me faudrait, oh, oui! il me faudrait bien cinquante pistoles.

Cinquante pistoles, c'est cinq cents francs.

– Je vous en donnerai cent, dit Jacques.

L'œil de Cheminotétincela. Il dut avoir comme une vision de ces irrésistibles cabarets de Rochefort, où il avait mené si joyeuse vie. Mais hésitant à croire à tant de bonheur:

– Monsieur ne voudrait-il pas se moquer de moi? fit-il timidement.

– Voulez-vous la somme tout de suite, répondit Jacques, attendez…

Il sortit du tiroir de la table un billet de mille francs. Mais à la vue de ce billet, le vagabond retira vivement la main qu'il tendait déjà.

– Oh! comme cela, fit-il, non!… Je sais ce que vaut ce papier, en ayant eu de pareils autrefois. Mais en ce moment, qu'en ferais-je? Ce serait dans ma poche comme une feuille d'arbre, car au premier endroit où je voudrais le changer, on me mettrait la main au collet…

– Ce n'est pas une difficulté. Avant demain je me serai procuré de l'or, des pièces de cent sous ou des petits billets, à votre choix.

Cette fois, Cheminot battit gaiement des mains.

– Mettez un peu de l'un et un peu de l'autre! s'écria-t-il, et je suis votre homme!… Vive la liberté!… Où est le mur à percer?

– Je vous le montrerai demain… Et d'ici là, Cheminot, silence…

C'est le lendemain seulement, en effet, que Blangin montra à Jacques l'endroit où la muraille avait le moins d'épaisseur. C'était dans une espèce de cellier où personne jamais ne venait, où l'on serrait des outils de rebut et où se trouvaient des pics et des leviers.

– Et pour que nul ne vous dérange, dit le geôlier, j'aurai ce soir à dîner deux camarades, et j'inviterai le sergent de garde. On rira, on ne pensera pas aux prisonniers… Ma femme aura l'œil au guet, et s'il se présentait quelque ronde, elle viendrait vite vous prévenir, et dare-dare vous remonteriez chez vous.

Tout bien convenu, sitôt la nuit venue, Jacques et Frumence Cheminot, munis d'une bougie, se glissaient dans le cellier et se mettaient à la besogne.

Rude besogne que de percer ce vieux mur, et jamais Jacques n'en fût venu à bout tout seul. L'épaisseur n'était même pas ce qu'avait annoncé Blangin, mais la solidité passait toute attente. Nos pères bâtissaient bien. Le temps aidant, le ciment avait fait corps avec la pierre et en avait acquis la dureté. C'était comme si l'on eût attaqué un bloc de granit.

Le vagabond, heureusement, avait la poigne solide. Et, malgré les précautions qu'il prenait pour que son travail ne s'entendît pas, en moins d'une heure il eut creusé un trou par où un homme pouvait passer.

Il y avança la tête, et après un moment d'observation:

– Tout va bien! dit-il, la nuit est noire et l'endroit est désert! Ma foi! je me risque…

Il passa, Jacques le suivit, et instinctivement ils se hâtèrent de gagner une place où les arbres faisaient l'ombre encore plusépaisse.

Une fois là:

– Tenez, dit Jacques en tendant à Cheminot une liasse de billets de cinq francs, joignez ceci aux cent pistoles que je vous ai données tantôt… Merci, vousêtes un brave garçon, et si je me tire d'affaire, je ne vous oublierai pas… Et maintenant, séparons-nous. Jouez des jambes, soyez prudent, et… bonne chance.

Ayant dit, il s'éloigna à grands pas. Mais Cheminot ne tira pas de son côté, comme c'était convenu.

Tout de même, pensait le vagabond, c'est une drôle d'histoire que celle de ce pauvre monsieur! Où peut-il bien aller ainsi?

Et la curiosité l'emportant sur la prudence, il suivit.

28. C'est rue Mautrec que se rendait Jacques de Boiscoran…

C'est rue Mautrec que se rendait Jacques de Boiscoran. Mais il savait de quelle réprobation effroyable ilétait l'objet. À prendre le chemin le plus court, à traverser les rues fréquentées, il eût risqué d'être reconnu et peut-être arrêté. Il s'était donc résigné à un long détour, et il s'était engouffré dans le dédale des ruelles sombres et tortueuses de la vieille ville. Il s'en allait d'un pied fiévreux, se détournant des rares passants, son chapeau de feutre rabattu sur les yeux, et, pour plus de sûreté encore, tenant son mouchoir appliqué contre sa figure.

Ilétait bien près de neuf heures et demie lorsqu'il arriva à la maison qu'habitaient le comte et la comtesse de Claudieuse. Le portillonétait enlevé et la porte fermée. N'importe, Jacques avait son plan. Il sonna.

Une bonne qui ne le connaissait pas vint ouvrir.

– Madame la comtesse de Claudieuse? demanda-t-il.

– Madame ne peut recevoir personne, répondit cette fille. Madame est près de monsieur qui est au plus mal ce soir.

– Il faut pourtant que je lui parle…

– Impossible.

– Allez lui dire qu'un monsieur, qui est envoyé par le juge d'instruction, désire l'entretenir un instant. C'est pour l'affaire Boiscoran.

– Que ne le disiez-vous tout de suite! fit la servante. Venez…

Et dans sa précipitation, oubliant de refermer la porte, elle précéda Jacques à travers le jardin. Une fois dans le vestibule, ouvrant le salon:

– Que monsieur entre, dit-elle, et s'assoit pendant que je monte prévenir madame…

Et, ayant allumé les bougies d'un des candélabres de la cheminée, elle s'éloigna.

Tout, jusqu'à ce moment, marchait au gré de Jacques, et mieux même qu'il n'eût osé le souhaiter. Restait à empêcher la comtesse de se retirer en l'apercevant et de luiéchapper. Très heureusement, la porte du salon ouvrait en dedans. Il alla se poster derrière le battant resté ouvert et attendit.

Depuis vingt-quatre heures qu'il se préparait à cette entrevue, il avait arrangé dans sa tête ce qu'il aurait à dire. Mais voici qu'au dernier moment, de même que les feuilles mortes au souffle de la tempête, toutes ses idées s'éparpillaient… Son cœur battait avec une telle violence qu'il lui semblait remplir du bruit de ses battements ce grand salon délabré. Il se croyait de sang-froid pourtant, et de fait, il avait cette lucidité particulière qui donne à certains actes des fous une apparence de logique.

Il commençait à s'étonner d'attendre si longtemps, quand enfin des pas légers et le frôlement d'une robe lui annoncèrent Mme de Claudieuse.

Elle entra, vêtue d'un long peignoir de couleur sombre, et fit quelques pas dans le salon, étonnée de n'apercevoir pas celui qui la demandait.

C'était bien ce qu'avait prévu Jacques.

Violemment, il repoussa le battant de la porte, et se dressant devant:

– À nous deux! fit-il.

Se retournant au bruit: – Jacques! s'écria la comtesse.

Et terrifiée, comme d'une apparition, elle regardait autour d'elle, cherchant une issue. Une des portes-fenêtres du salonétait demeurée entrebâillée, et elle allait s'y précipiter.

Jacques s'avança.

– N'essayez pas de m'échapper, prononça-t-il; car je vous le jure, je vous poursuivrais jusque dans la chambre de votre mari, jusqu'au pied de son lit.

Elle le regardait comme si elle n'eût pas compris.

– Vous! balbutia-t-elle, ici!

– Oui, répondit-il, moi! Cela vousétonne, n'est-ce pas? Vous vous disiez: il est prisonnier, bien gardé par les verrous et par les geôliers, je puis dormir tranquille… Pas de preuves, il ne parlera pas… J'ai commis le crime et c'est lui qui sera condamné. Coupable, je suis sauvée; innocent, il est perdu!… Vous pensiez que toutétait dit? Eh bien! non, me voici!

L'expression d'une indicible horreur contractait les traits si beaux de la comtesse.

– C'est monstrueux! fit-elle.

– Monstrueux, en effet!

– Assassin! Incendiaire!

Iléclata de rire, d'un rire strident, convulsif, terrible.

– C'est vous, dit-il, qui m'appelez ainsi!

En un suprême effort, Mme de Claudieuse rassemblait toute sonénergie.

– Oui, répondit-elle, oui! À moi, vous ne pouvez pas nier le crime. Je sais, moi, les mobiles que les juges ignorent… Croyant que j'allais exécuter mes menaces, vous avez eu peur… Lorsque je vous ai quitté en courant, vous vousêtes dit: c'est fini, elle va tout révéler à son mari!… Et alors vous avez allumé l'incendie pour attirer mon mari dehors, incendiaire! Et vous avez fait feu sur lui, assassin!…

– Et voilà ce que vous avez trouvé! interrompit-il. À qui espérez-vous faire croire cette explication absurde? Nos lettresétaient brûlées, et de même que vous niez avoirété ma maîtresse, je pouvais nier avoirété jamais votre amant! Et d'ailleurs, est-ce moi qu'un scandale eût atteint? Vous savez bien que non! Vous n'ignorez pas que la même chose qui déshonore une femme décore un homme d'un lustre nouveau. Telles sont nos mœurs!… Et quant à redouter monsieur de Claudieuse, on me connaît assez pour savoir que je ne crains personne. Au temps où nous cachions nos amours au fond de la rue des Vignes, oui, je pouvais avoir peur de votre mari, venant nous surprendre, le Code d'une main, un revolver de l'autre, fort de cette loi sauvage et stupide qui fait du mari le juge de sa propre cause et l'exécuteur du jugement qu'il prononce… Hors de là, hors ce cas de flagrant délit qui permet à un homme de tuer comme un chien un autre homme qui ne peut ou ne veut se défendre, que m'importait le comte de Claudieuse! Que m'importaient vos menaces à vous et sa haine à lui!

C'est froidement qu'il s'exprimait ainsi, d'un accentâpre et tranchant comme un glaive, et avec cette certitude qui pénètre, qui s'enfonce dans l'esprit.

La comtesse chancelait.

– Est-ce imaginable! bégayait-elle, est-ce possible! (Puis tout à coup, redressant le front): Mais je deviens folle! reprit-elle. Si vousétiez innocent, qui donc serait le coupable?…

D'un mouvement frénétique, Jacques lui saisit les poignets, et les serrant à les meurtrir, et se penchant vers elle, si près qu'elle sentit son souffle comme une flamme sur son visage:

– Toi! exécrable créature, dit-il, toi! (Et la repoussant avec une si furieuse violence qu'elle tomba sur un fauteuil): Toi! poursuivit-il, qui voulaisêtre veuve pour m'empêcher de briser ma chaîne!… À notre dernier rendez-vous, te croyantécrasée de douleur et bouleversée par tes larmes hypocrites, n'ai-je pas eu l'indigne faiblesse, la stupide lâcheté de te dire que si j'épousais Denise, c'était uniquement parce que tu n'étais pas libre! Alors, ne t'es-tu pasécriée: «Ô mon Dieu! heureusement cetteépouvantable idée ne m'est pas venue plus tôt!»De quelle idée s'agissait-il, Geneviève?… Allons, réponds et avoue qu'elle venait trop tôt encore, puisque tu l'as mise à exécution… (Et répétant d'un ton d'écrasante ironie la phrase que venait de prononcer Mme de Claudieuse): Qui donc serait le coupable, ajouta-t-il, si vousétiez innocente?…

Hors de soi, elle bondit de son fauteuil, et plongeant dans les yeux de Jacques un de ces regards qui fouillent jusqu'aux plus sombres profondeurs de l'âme:

– Est-il bien possible, demanda-t-elle, que vous n'ayez pas commis le crime affreux?…

Il haussa lesépaules.

– Mais alors, insista-t-elle, haletante, c'est donc vrai, c'est donc réel, vous croyez que c'est moi qui l'ai commis?

– Peut-être l'avez-vous seulement commandé!

D'un geste délirant, elle leva au ciel ses mains jointes, et d'une voix déchirante:

– Ô mon Dieu! s'écria-t-elle, il le croit! Il le croit sincèrement…

Un grand silence suivit, sinistre, formidable, tel que celui qui succède au fracas de la foudre.

Debout en face l'un de l'autre, Jacques et la comtesse de Claudieuse s'examinaientéperdument, comprenant que l'heure suprême de leur destinée sonnait. En chacun d'euxéclatait, fulgurante, la conviction de l'innocence de l'autre. Pas besoin d'explications. Ils avaientété abusés par les apparences, et ils le reconnaissaient, ils enétaient sûrs. Et telétait pour eux l'effarement de cette découverte que l'idée ne leur venait pas de rechercher quel pouvaitêtre le coupable.

– Que faire? interrogea enfin la comtesse.

– Dire la vérité! répondit Jacques.

– Quelle?

– Que j'étais votre amant… Que si je suis allé au Valpinson, c'est que vous m'y aviez donné rendez-vous… Que si on a retrouvé l'enveloppe d'une de mes cartouches, c'est que je l'avais brûlée pour obtenir du feu… Que si j'avais les mains noircies, c'est que j'avaisémietté, pour leséparpiller au vent, les débris carbonisés de nos lettres…

– Jamais! s'écria la comtesse.

Des flots de sang empourpraient le visage de Jacques, et d'un accent d'impitoyableénergie:

– Ce sera, cependant, prononça-t-il; je le veux, il le faut…

Mme de Claudieuse se tordait les bras.

– Jamais! répéta-t-elle, jamais… (Et avec une précipitation convulsive): Ne comprends-tu donc pas, poursuivit-elle, que la vérité est impossible à dire? Ce n'est pas à notre innocence qu'on croirait, mais à notre complicité…

– N'importe! Je ne veux pas périr.

– Dites que vous ne voulez pas périr seul…

– Soit!

– Tout avouer ne serait pas vous sauver, mais ce serait me perdre sûrement! Est-ce là ce que vous exigez? Quand il y aura deux victimes au lieu d'une, votre sort vous paraîtra-t-il moins cruel?…

Il l'arrêta d'un geste menaçant.

– Toujours la même! s'écria-t-il. Je sombre, je me noie, et elle réfléchit, elle calcule, elle se marchande… Et elle disait m'aimer!…

– Jacques! interrompit Mme de Claudieuse. (Et se rapprochant de lui): Ah! je calcule, fit-elle. Ah! je réfléchis! Eh bien, écoute… Oui, c'est vrai, je tenais à mon intacte renommée d'honnête femme mille fois plus qu'à la vie, mais, au-dessus de ma vie et de ma renommée, il y a toi! Tu sombres, dis-tu… Eh bien, partons! Un mot de tes lèvres et j'abandonne tout, honneur, pays, famille, mon mari, mes enfants. Parle, et je te suis sans détourner la tête, sans un regret, sans un remords…

De grands frissons lui couraient par tout le corps, sa poitrine haletait, ses yeuxétincelaient d'un insupportableéclat. Dans l'emportement de ses gestes, son peignoir attaché à la hâte se dénouait, et sur son sein et sur sesépaules qui avaient les blancheurséblouissantes du marbre, ses cheveux déroulés retombaient en masses fauves.

Et d'une voix frémissante de passions contenues, douce et molle comme une caresse ou sonore comme un cuivre:

– Qui nous retient? poursuivait-elle. Puisque tu as su sortir de prison, le plus difficile est fait. Je songeais d'abord à emmener notre fille, ta fille, Jacques, mais elle est bien malade, et d'ailleurs un enfant nous trahirait. Seuls, on ne nous rejoindra jamais… Ce n'est pas l'argent qui nous manquera, n'est-ce pas? Nous nous envolerons vers ces contrées lointaines dont on voit les descriptions féeriques dans les livres de voyages… là, inconnus de tous, oubliés, ignorés, notre vie ne sera plus qu'un long enchantement! Tu ne diras plus alors que je me marchande, je serai bien à toi, toute et uniquement à toi, corps etâme, ta femme, ta maîtresse, ton amie, ton esclave…

Elle renversait la tête en arrière, et les paupières mi-closes, avançant les lèvres avec des inflexionsénervantes:

– Dis, insista-t-elle, veux-tu?… Jacques!

Il l'écarta d'un geste farouche. Ce lui semblait un sacrilège qu'elle osât, de même que Denise, lui proposer de fuir.

– Plutôt le bagne! s'écria-t-il.

Elle blêmit, un spasme de rage convulsa ses traits, et se reculant, roide et tout d'une pièce:

– Que voulez-vous donc? interrogea-t-elle.

– Que vous m'aidiez à me sauver, répondit-il.

– Quitte à me perdre moi-même? Il ne répondit pas.

Alors elle, si humble l'instant d'avant, se redressant tout à coup, et d'un accent de haineuse raillerie:

– En d'autres termes, reprit-elle, tu viens me demander de me sacrifier, et de sacrifier du même coup tous les miens. Pour toi? oui. Mais bien plus encore pour mademoiselle de Chandoré. Et cela te paraît tout simple!… Je suis le passé, moi, le rassasiement, le dégoût. Elle est l'avenir, elle, le désir, le rêve… Et tu trouves tout naturel que la vieille maîtresse fasse litière de son amour et de son honneur à la jeune fiancée. Il t'importe peu que je sois avilie, pourvu qu'elle soit honorée, que je pleure pourvu qu'elle sourie!… Eh bien, non! et c'est de la folie que de venir me prier de te sauver pour te jeter dans les bras d'une autre. C'est de la démence, quand, pour t'arracher à Denise, je suis prête à me perdre, pourvu que tu sois à jamais perdu…

– Misérable! s'écria Jacques.

Elle le regardait en ricanant, et de ses yeux s'irradiait une infernale audace.

– Ne me connais-tu donc pas? insista-t-elle. Va, parle, dénonce. Maître Folgat a dû te dire comment je sais nier et me défendre…

Ivre de colère, arrivé à ce degré où la raison s'égare, Jacques de Boiscoran marchait la main levée sur Mme de Claudieuse, quand tout à coup:

– Ne frappez pas cette femme! dit une voix.

Jacques et la comtesse se retournèrent, et un même cri aigu et terrible, qui dut s'entendre au loin, s'échappa de leur gorge.

Dans le cadre de la porte, le comte de Claudieuse se tenait debout, le revolver prêt à faire feu. Ilétait plus pâle qu'un spectre, et la robe de chambre de flanelle blanche qu'il avait jetée sur sesépaules flottait comme un linceul autour de ses membres amaigris.

Le premier cri de Mme de Claudieuseétait monté jusqu'au lit où il se mourait. Un pressentiment horrible lui avait traversé le cœur. Il s'était levé. Et se traînant, et s'accrochant à la rampe, ilétait venu.

– J'ai tout entendu, dit-il, foudroyant les coupables d'un regard implacable.

Avec un gémissement sourd, la comtesse s'affaissa sur un fauteuil. Mais Jacques se redressa.

– L'outrage est flagrant, monsieur, dit-il, vengez-vous!

Le comte haussa lesépaules.

– C'est la cour d'assises qui me vengera, dit-il.

– Dieu juste! me laisseriez-vous condamner pour un crime que je n'ai pas commis! Ah! ce serait une lâcheté indigne…

M. de Claudieuseétait si faible qu'il enétait réduit à s'accoter contre le montant de la porte.

– Serait-ce une lâcheté? fit-il. Alors, comment appelez-vous l'acte du misérable qui, bassement, honteusement, vole la femme d'un autre homme et le charge de ses bâtards?… C'est vrai, vous n'êtes ni un incendiaire, ni un assassin… Mais qu'est l'incendie de ma maison, près de l'effondrement de toutes mes croyances! Que sont les blessures du corps, comparées à cette autre blessure de l'âme, que rien ne saurait cicatriser!… À vous la cour d'assises, monsieur…

Terrifié, Jacques se sentait rouler au fond d'indéfinissables abîmes.

– La mort, plutôt! s'écria-t-il, la mort! (Et entrouvrant ses vêtements): Mais tirez donc, monsieur, tirez donc, le sang vous fait-il peur? Tirez… j'aiété l'amant de votre femme, votre plus jeune fille est ma fille…

Le comte, au contraire, abaissa son arme.

– La cour d'assises est plus sûre, prononça-t-il. Vous m'avez pris mon honneur, je veux le vôtre. Et s'il le faut, pour que vous soyez condamné, je dirai, et j'en ferai le serment, que je vous ai reconnu… Vous irez au bagne, monsieur de Boiscoran…

Il voulut s'avancer, mais ses forcesétaient à bout, et il tomba roide, en avant, la face contre terre, les bras en croix.

Saisi d'horreur, éperdu, fou, Jacques s'enfuit.