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Kitabı oku: «Comment on construit une maison», sayfa 10

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CHAPITRE XVII
M. PAUL DEMANDE CE QUE C’EST QUE L’ARCHITECTURE

Le grand cousin s’attendait bien à ce que Paul reviendrait sur la discussion de la veille au soir, et, en effet, en allant tous deux, de bon matin, visiter les travaux, Paul ne manqua pas de tâter le terrain. Mais il ne savait pas trop ce qu’il voulait demander. Le grand cousin ne l’aidait pas, il prétendait lui laisser tout le loisir de résumer ses idées.

«Est-ce que M. Durosay se connaît en architecture? dit enfin Paul.

–Mais il en parle comme une personne à laquelle cet art n’est pas étranger.

–Cependant vous n’avez pas paru lui accorder ce qu’il demandait.

–Et que demandait-il?

–Mais… vous le savez bien… Il aurait désiré que la maison de Marie fût… plus…

–Plus quoi?

–Plus… moins sévère; qu’elle eût un portique, une loggia… Qu’est-ce qu’une loggia?

–C’est un large balcon couvert et le plus souvent fermé des deux côtés, mais s’ouvrant sur sa face, soit au rez-de-chaussée, soit aux étages supérieurs, sur la voie publique ou la campagne.

–Pourquoi ne ferait-on pas une loggia à la maison de Marie?

–On pourrait en faire une ou plusieurs.

–Alors?

–Alors il faudra nécessairement la placer devant une des pièces, soit le salon, par exemple au rez-de-chaussée, au milieu de la façade sur le jardin, et au premier devant la grande chambre à coucher.

–Est-ce que cela ne ferait pas bon effet?

–Peut-être; mais la pièce à la suite, qui s’ouvrirait sur cette loge, serait triste et sombre, puisque ses fenêtres donneraient sous son plafond.

–Ah oui, c’est vrai; mais au fait, nous en avons des loges au bout du salon, de la salle de billard et de la salle à manger.

–Oui, seulement elles sont fermées au lieu d’être ouvertes sur le dehors, et ces pièces bénéficient de leur surface. Ces loges sont alors des cages, ce qu’on appelait autrefois des bretêches. On a ainsi tous les avantages d’une loge, sans en avoir, dans notre climat, les inconvénients.

–Pourquoi n’avez-vous pas dit cela à M. Durosay?

–Mais il le voyait de reste; il n’était pas besoin de le lui dire.

–Il aurait voulu aussi un portique.

–Pour quoi faire?

–Je ne sais pas… Il disait que cela serait joli, que ma sœur et ses enfants seraient groupés là-dessous, et que de loin cela ferait très bien.

–Et serait-il très agréable à madame votre sœur de faire très bien de loin?

–Oh, je crois que cela lui serait indifférent.

–Et pour qui faisons-nous la maison?

–Mais pour ma sœur.

–Et non pour les flâneurs, n’est-ce pas? Or ce portique aurait les inconvénients des loges, il rendrait sombres et tristes les pièces qui s’ouvriraient sous les arcades ou colonnades. Donc, comme on vit plus souvent chez nous dans les pièces que sous un portique, ce serait payer un peu cher le plaisir de former des groupes agréables aux yeux des gens qui passent.

–Sans doute. D’ailleurs, devant la salle de billard, nous avons une serre avec descente au jardin qui peut servir de portique, sans assombrir la pièce, puisque ce sera vitré.

–Assurément.

–M. Durosay n’y a pas fait attention peut-être.

–Si fait, mais ce n’est pas monumental. Il eût voulu un vrai portique couvert, à la façon des portiques italiens.

–Il semble aimer beaucoup l’architecture italienne?

–Laquelle?

–Mais celle dont il parlait.

–C’est qu’il y a bien des sortes d’architecture en Italie, suivant les époques, les latitudes et les usages des populations de la péninsule.

–Vous ne le lui avez pas fait observer.

–Il doit le savoir.

–Je vois bien que vous ne prenez pas au sérieux les opinions de M. Durosay.

–M. Durosay est un homme recommandable, ses opinions sont sincères et par conséquent je les prends au sérieux; seulement il apprécie les choses à un point de vue qui n’est point le mien. Il juge les questions d’art comme un homme du monde, avec son sentiment, et je crois que pour nous, architectes, il les faut juger avec le raisonnement. Le sentiment ne raisonne pas; c’est comme la foi; donc nous ne saurions nous entendre, puisque nous parlons chacun une langue différente.»

La lumière ne se faisait pas dans l’esprit de Paul. Jusqu’alors il avait pensé que l’architecture s’apprenait comme on apprend la grammaire et l’orthographe, et voilà que son cousin lui déclarait qu’il y avait plusieurs langages, et qu’en supposant que l’on sût l’un des deux, l’autre demeurait inintelligible. Il ne comprenait pas comment le raisonnement avait à intervenir dans une affaire toute de forme, d’apparence, et il ne savait même comment poser à son cousin des questions à ce sujet, qui pussent l’éclairer. Il s’en allait donc la tête baissée, abattant, avec son bâton, les chardons jaunis qui encombraient les bords du chemin. Le cousin, de son côté, ne paraissant pas désireux de rompre le silence, on arriva ainsi au chantier; il était presque désert.

«Il a gelé la nuitée passée, dit le père Branchu, et ça va prendre dur.

–Eh bien, il faut couvrir les maçonneries avec du fumier ou du chaume et nous nous arrêterons. Mettez des plats-bords sur les murs, le chaume par-dessus et des dosses avec des moellons de distance en distance. Ayez le soin que les plats-bords débordent les parements des murs. Si vous n’avez pas assez de chaume, mettez de la terre sur les plats-bords ou des mottes de gazon. Pour les voûtes des caves, répandez dessus une bonne couche de terre avec pentes, et ménagez quelques ouvertures dans les reins pour que la pluie ou l’eau des fontes de neiges puisse s’écouler. Allons! vivement, faites-moi disposer tout cela, que ce soit terminé demain soir; puis nous nous reposerons jusqu’à la fin des froids.—Aussi bien, dit le père Branchu, tous les gars sont partis et n’y a plus au chantier que des impotents.

«Cette suspension des travaux, dit le grand cousin, en reprenant le chemin du château, va nous permettre d’étudier les détails de la construction sans nous presser.

–Oui, répondit Paul; mais je voudrais bien savoir comment vous vous y prenez, lorsqu’il s’agit de tracer un détail?

–Vous l’avez bien vu, depuis deux mois que nous en faisons?

–Pas tout à fait: j’entends bien que vous dites ce que vous voulez, et ce que vous voulez se trouve tracé sur le papier; j’ai essayé de faire de même, et, tout en sachant bien ce que je voulais, il ne venait rien sur le papier, et même ce que je traçais me faisait oublier ce que j’avais dans l’esprit. Cependant, pour chaque chose que l’on veut faire en architecture, il doit y avoir un moyen, un procédé, un… comment dirais-je? une recette…

–Allons donc! vous y voilà. Vous voyez bien, petit cousin, que l’on croit comprendre et vouloir, bien que l’on ne sache réellement pas toujours ce que l’on veut, que l’on ne comprenne pas nettement une proposition; depuis ce matin votre pensée tourne autour de cette question que vous venez seulement de m’adresser; j’ai voulu vous laisser le loisir de la préciser; il a fallu que votre cerveau travaillât. Maintenant, grâce à l’effort que vous avez fait, vous saisirez mieux ce que je puis vous répondre. Vous vous rappelez ces deux vers de Boileau:

 
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément,
 

et qui peuvent s’appliquer à tous les arts? L’important est de s’habituer à concevoir avec netteté; le malheur est qu’on apprend à faire une phrase avant d’apprendre à raisonner, et qu’on veut exprimer sa pensée avant qu’elle ait été entièrement élaborée dans le cerveau. Alors on croit suppléer à ce qu’il y a d’incomplet dans cette pensée, par un heureux assemblage de mots; en architecture on songe à des formes qui ont paru attrayantes, avant de savoir si elles rendront exactement ce que demande la raison, l’observation rigoureuse d’une nécessité de construction ou d’un besoin. S’il s’agit d’un discours, le vulgaire est facilement entraîné par une phrase brillante et ne s’aperçoit que trop tard du vide que recouvre cette forme séduisante. S’il s’agit d’architecture, de même aussi le vulgaire est séduit par un aspect pittoresque et une forme attrayante, et s’aperçoit à ses dépens des défauts de l’édifice. M. Durosay, tout pénétré de certaines formes qui l’avaient séduit comme touriste, n’a jamais songé à se demander si ces apparences étaient en harmonie avec les besoins auxquels il faut satisfaire, avec les nécessités de la structure; il n’a vu que le tour de la phrase et n’a point cherché si derrière elle il y avait une idée mûrie. Nous aurions donc pu discuter ainsi des journées sans espérer nous convaincre, lui ne s’occupant que de la forme ou de la façon dont la phrase est tournée, mais ne cherchant pas si cette forme a une signification, si cette phrase exprime une pensée nette. Tout est là, cher cousin; et, suivant ma manière de voir, notre pays, si voisin d’une ruine totale, ne se relèvera que du jour où il réfléchira avant de parler. Nous bâtissons des édifices immenses qui emploient des sommes fabuleuses et nous ne savons pas clairement ce qu’ils devront contenir. Ou plutôt, nous songerons à faire la boîte, quitte à l’utiliser pour tel ou tel usage. Et remarquez bien que cette fâcheuse habitude ne s’applique pas qu’aux monuments. Combien est-il d’honorables bourgeois, comme M. Durosay, qui, s’ils ont à se faire bâtir une maison, se préoccupent d’abord d’élever un chalet, ou une villa italienne, ou un cottage anglais, suivant leur fantaisie du moment, sans trop savoir si dans cette boîte ils vivront commodément? Ainsi verrez-vous des villas italiennes dans le nord de la France et des chalets suisses à Nice. Apprenez à raisonner, à observer d’abord, et vous serez un bon avocat, un bon médecin, un bon militaire, un bon architecte. Si la nature vous a doué du génie, tant mieux, ce sera un magnifique complément à vos facultés; mais si vous n’avez pas pris l’habitude de raisonner, le génie ne vous servira de rien, ou plutôt il ne saurait se développer. Or pour apprendre à raisonner, il faut travailler beaucoup et longtemps, et ne se pas laisser séduire par les apparences, si attrayantes qu’elles soient. Malheureusement notre éducation, notre instruction en France nous portent à nous contenter des apparences, à nous appuyer sur des traditions considérées comme articles de foi et que l’on ne saurait, par conséquent, discuter. Vous trouverez partout en face de vous le portique de M. Durosay. L’armée, l’administration, les lettres, la politique, les arts ont leur portique qu’il vous faudra accepter pour faire n’importe quoi ou entrer n’importe où; à moins que vous n’ayez assez d’énergie, de puissance de travail, d’indépendance de caractère, d’intelligence des affaires, de ténacité et par suite d’autorité, pour dire: Je n’accepte votre portique qu’autant que je jugerai utile de m’en servir. Et pour en revenir à votre question: «Y a-t-il, en architecture, des recettes, des procédés?» Je vous répondrai qu’il y a des procédés pratiques propres à la construction; mais comme les matériaux, les moyens d’exécution se modifient tous les jours, ces procédés doivent suivre ces variations. Quant à l’architecture, il y a une méthode à suivre dans tous les cas qui se présentent, il n’y a pas de recettes, de procédés. Cette méthode n’est autre chose que l’application de votre faculté de raisonner à tous ces cas particuliers; car ce qui est bon en telle circonstance ne l’est pas en telle autre. C’est donc sur l’observation de ces circonstances, des faits, des habitudes, du climat, des conditions d’hygiène que s’appuiera votre raisonnement avant de concevoir l’œuvre. Et quand cette opération sera complète et coordonnée dans votre cerveau, alors vous mettrez sans hésitation sur le papier le résultat de ce labeur intellectuel.

–Je crois bien saisir ce que vous dites, mais par où commencer?

–En prenant l’habitude d’observer tout et de réfléchir sur tout ce que vous voyez, entendez ou lisez. Quand vous avez devant vous un fossé que vous voudriez franchir, ne vous demandez-vous pas intérieurement si vos jarrets vous permettront de sauter sur l’autre bord; ne savez-vous pas, par suite d’observations précédentes, si vous pourrez ou non franchir ce fossé et ne vous décidez-vous pas pour l’un ou l’autre parti? Le résultat de ces observations établit donc une conviction chez vous qui vous permet d’agir sans hésitation. Vous ne vous demandez pas, avant de sauter, si Achille ou Roland, au dire des poètes, ont franchi des intervalles beaucoup plus larges. C’est vous, ce sont vos forces que vous consultez, non celles des héros, sous peine de tomber dans l’eau. Eh bien, si vous avez une maison à bâtir pour une personne que vous connaissez, vous vous dites d’abord qu’une maison est faite pour abriter les gens, puis vous vous représentez les habitudes du propriétaire, vous supputez le nombre de pièces qu’il lui faut, quels sont les rapports nécessaires entre elles. Vous savez s’il vit seul ou s’il reçoit beaucoup de monde, s’il habitera la maison en telle saison, s’il aime ses aises ou s’il vit très modestement, s’il a un nombreux domestique ou s’il se fait servir par une seule personne, etc.; et quand vous aurez bien médité sur toutes ces conditions essentielles, vous chercherez à mettre sur le papier le résultat de vos observations. Mais si vous vous occupez d’abord de placer cet homme et sa famille dans une maison de Pompéi ou dans un manoir du moyen âge, il y a beaucoup à parier que vous lui élèverez une habitation incommode, que vous serez contraint de torturer les services pour les arranger dans une construction appartenant à une époque et à une civilisation différentes de notre civilisation et de notre temps.

–Je comprends bien; et cependant on apprend comment il faut faire une porte, une fenêtre, un escalier.

–C’est-à-dire qu’on explique comment, avant nous, d’autres hommes s’y sont pris pour faire une porte, un escalier, un plancher; mais on ne prétend pas, et on ne doit pas prétendre, en vous enseignant les moyens employés par nos prédécesseurs, vous imposer de faire exactement ce qu’ils ont fait, puisque vous possédez peut-être des matériaux qu’ils n’avaient pas et que vos usages diffèrent des leurs. On vous dit, on doit vous dire: «Voilà les résultats de l’expérience acquise depuis l’antiquité jusqu’à notre temps; partez de là, faites comme ont fait vos devanciers, appliquez votre faculté de raisonner à l’emploi des connaissances acquises, mais en obéissant à ce que réclame le temps présent. Il ne vous est pas permis d’ignorer ce qui s’est fait avant vous, c’est une masse commune, un bien acquis, il faut en connaître l’étendue et la valeur; mais ajoutez-y l’apport de votre intelligence, faites un pas en avant, ne rétrogradez pas.»—Eh bien, pour ne pas rétrograder en architecture, il n’est qu’un moyen: c’est de faire que l’art soit l’expression fidèle des nécessités du temps où l’on vit, que l’édifice soit bien l’enveloppe de ce qu’il doit contenir.

–N’est-ce pas ce que l’on fait?

–Pas précisément; nous sommes un peu comme ces gens qui ont hérité de leurs ascendants d’un très riche mobilier, fort respectable et respecté, qui le gardent et s’en servent, bien que ce mobilier leur soit fort incommode et ne corresponde plus aux habitudes du jour; qui ont même préposé quelqu’un à la garde de ces vieilleries, avec charge de ne les pas laisser modifier. Si vous voulez alors, vous, maître de la maison, changer l’étoffe ou envoyer quelques-uns de ces objets plus gênants qu’utiles au grenier, le gardien que vous payez, que vous logez, prend un air digne et déclare que les fonctions dont vous l’avez investi, qu’il tient à remplir correctement, lui interdisent de laisser faire ces modifications ou suppressions; qu’il est de son honneur de ne pas laisser dilapider ou changer ces bibelots, puisqu’il est préposé à leur conservation. Pour avoir la paix chez vous, vous continuez à vous servir de ces meubles insupportables et vous gardez leur gardien.

–Je ne comprends pas parfaitement.

–Vous comprendrez plus tard. Tenez-vous seulement pour averti. Si vous entrez dans quelque vieil hôtel tout bourré de meubles hors d’usage, gardez-vous de les critiquer; si les maîtres de la maison se contentent de sourire, le préposé à la garde de ces curiosités fera si bien que vous n’y pourrez remettre les pieds.»

CHAPITRE XVIII
ÉTUDES THÉORIQUES

Le froid, les circonstances obligeaient d’interrompre les travaux. L’hiver pouvait être long. Le grand cousin et Paul se préparèrent donc à employer fructueusement ces loisirs forcés. Il fut décidé entre eux que non seulement on mettrait au net tous les détails nécessaires à l’achèvement des travaux, mais que le grand cousin profiterait de ces jours d’hiver pour donner à Paul bien des notions qui lui manquaient comme inspecteur des travaux.

Paul prenait chaque jour plus d’intérêt à ce travail. Jusqu’à ce moment, l’exécution avait suivi le labeur de cabinet, et l’exemple, la pratique venaient appuyer la théorie; mais il sentait bien que toute son attention et son désir de seconder le maître de l’œuvre ne suffisaient pas, et qu’à chaque pas il se trouvait en présence d’une difficulté. Plus le travail avançait, plus son impuissance lui semblait complète. Il se mit donc à l’œuvre avec la bonne envie d’apprendre, d’autant que tout ce qui l’entourait prenait un aspect plus triste et désolé. Paul n’avait point séjourné un hiver à la campagne; s’il venait dans sa famille aux fêtes du premier de l’an, les quelques jours passés au château de son père étaient si vite écoulés qu’il n’avait pas le loisir de se préoccuper de l’aspect des champs. D’ailleurs on recevait, à cette occasion, des amis; sa sœur aînée animait la maison; tout le monde était en fête. Il n’en était plus ainsi au commencement de décembre 1870; les villages des environs étaient déserts, ou occupés pendant quelques heures par des troupes mal vêtues, mourant de faim, allant combattre le plus souvent sans enthousiasme, laissant des traînards, des malades dans les chaumières. Puis c’étaient de longues files de voitures qui semblaient autant de convois funèbres.

La neige commençait à couvrir les champs et assourdissait les bruits lointains. Rarement un paysan se présentait-il au château; le facteur y venait encore régulièrement, et les lettres et journaux qu’il apportait ne faisaient qu’assombrir les visages. Parfois on logeait des mobiles ou des soldats, tous étaient muets; les officiers eux-mêmes demandaient à rester dans leur chambre, prétextant la fatigue, et ne descendaient pas au salon. M. de Gandelau, levé de grand matin, en dépit de sa goutte, semblait se multiplier; il était chez les fermiers, à la ville voisine, facilitant les transports, organisant des hôpitaux, approvisionnant des denrées, levant les difficultés imposées par la routine. «Faites travailler Paul, mon ami, disait-il chaque soir au grand cousin; c’est tout ce que je réclame de votre amitié, et c’est beaucoup; mais faites-le, je vous en prie.»

En effet, les journées se passaient en grande partie à étudier quelques questions de constructions; puis l’architecte et son inspecteur allaient faire une promenade avant la nuit, pendant laquelle le grand cousin ne manquait pas d’entamer quelque sujet intéressant. La campagne, les phénomènes naturels étaient le sujet habituel de ces conversations; et ainsi Paul apprenait à observer, à réfléchir, et il s’apercevait chaque jour combien il faut recueillir de connaissances pour faire peu de chose. Le grand cousin ne manquait pas de lui répéter souvent ceci: «Plus vous saurez, plus vous reconnaîtrez qu’il vous manque de savoir; et la limite de la science, c’est d’acquérir la conviction qu’on ne sait rien.

–Alors, répondit Paul un jour, à quoi sert d’apprendre?

–À être modeste; à remplir la vie d’autre chose que des préoccupations de la vanité; à se rendre quelque peu utile à ses semblables, sans exiger d’eux la reconnaissance.»

Le grand cousin faisait beaucoup dessiner Paul, et toujours d’après nature ou d’après des tracés préparés devant son élève, car il n’avait apporté avec lui aucun dessin d’architecture. Puis, Paul mettait au net les attachements des parties déjà élevées de la construction. Ainsi se rendait-il un compte exact de la structure de chacun des morceaux de pierre mis en œuvre.

Paul commençait donc à tracer proprement un détail d’architecture, et son cousin ne manquait jamais de répondre à chacune des questions qui lui étaient adressées. Paul eut bientôt laissé de côté toute timidité ou, si l’on veut, tout amour-propre, et, ne craignant plus de montrer son peu de savoir, il multipliait ses questions. Le grand cousin avait pour habitude d’attendre, pour faire une leçon sur un sujet, que son jeune inspecteur demandât à être éclairé. Il voulait que l’intelligence de son élève fût déjà préparée par la nécessité de savoir, avant d’enseigner. Aussi bien ces leçons traitaient de sujets très divers, mais le grand cousin avait le soin de les relier toutes par l’exposé de principes généraux qui revenaient sans cesse.

Un jour, Paul voulut savoir ce que c’est qu’un ordre et ce qu’on entend par ce mot, en architecture.

«Vous me faites là, petit cousin, une grosse question, à laquelle je ne sais trop si je répondrai de manière à vous éclairer. On peut entendre en architecture ce mot de deux manières: ordre signifie, si l’on veut, ordonnance, corrélation entre les parties. Mais je pense que ce n’est pas ainsi que vous l’entendez; vous me demandez probablement en quoi consistent ce qu’on appelle vulgairement les ordres d’architecture? L’idée d’ordre dans votre esprit implique une série de colonnes ou supports verticaux, portant un entablement ou une plate-bande horizontale! C’est bien cela, n’est-ce pas?

–Oui, c’est cela.

–Eh bien, à des époques reculées, les architectes ont eu la pensée, fort naturelle, d’élever des points d’appui verticaux, et de poser de l’un à l’autre sur leur sommet des traverses, soit de bois, soit de pierre; sur cette claire-voie ils ont établi un toit. Cela formait un abri ouvert par le bas, couvert: ce que nous appelons une halle. Mais comme en bien des cas il fallait aussi fermer ces espaces couverts, en arrière de ces points d’appui verticaux on a bâti des murs en laissant, entre eux et les supports isolés, un espace libre qu’on appelle portique. C’est ainsi, par exemple, que sont conçus certains temples des Grecs. Peu à peu, le génie des architectes, l’étude, l’observation de l’effet extérieur, ont fait donner à ces points d’appui verticaux et à ce qu’ils supportent, c’est-à-dire, à l’entablement, des proportions relatives, délicates, harmoniques, d’où l’on a déduit des lois; car, notez bien que l’exemple précède toujours la règle, que la règle n’est que le résultat de l’expérience. Les Grecs ont ainsi trouvé trois ordres: le Ionien, le Dorique et le Corinthien, qui possèdent chacun leur système harmonique de proportion et leur ornementation. Ces systèmes ne sont pas tellement absolus chez les Grecs qu’ils n’empiètent souvent l’un sur l’autre.

«Mais les Romains qui étaient des gens d’ordre et prétendaient l’imposer en tout et partout, en prenant ces dispositions aux Grecs, ont voulu formuler d’une manière à peu près absolue ces trois systèmes. Cela simplifiait les choses, et les Romains aimaient à enfermer les choses d’art dans un cadre administratif. On a fait pis, quand au seizième siècle on s’est mis à étudier l’antiquité; on a prétendu à tout jamais fixer les rapports entre les divers membres de chacun de ces ordres, et, pour laisser une certaine latitude aux architectes, on en a même ajouté deux aux trois premiers, qui sont: le Toscan et le Composite. Ces ordres momifiés ont été appliqués n’importe où et n’importe comment, ainsi qu’on attache une tapisserie à une muraille pour la décorer. Les architectes se sont souvent plus préoccupés de placer un ordre sur une façade que de disposer convenablement le bâtiment élevé derrière cette devanture. La colonnade du Louvre est certainement ce qui a été fait de plus contraire à la raison en ce genre, puisque son ordonnance n’a aucun rapport avec ce qu’elle couvre, et que cet immense portique, situé au premier étage, ne sert absolument qu’à obscurcir les jours ouverts dans sa longueur et que vous ne voyez jamais personne se promener sur son aire. Mais il fallait être majestueux quand même, alors. Nous ne sommes pas entièrement revenus de ces folies graves, et vous voyez encore aujourd’hui des ordres placés, sans qu’il soit possible de dire pourquoi, devant des bâtiments qui se passeraient volontiers de cette décoration parasite destinée à prouver au public qu’il existe des ordres et des architectes pour les mettre en proportion, suivant la formule.

«Mais vous étudierez ces parties de l’architecture un peu plus tard. Je crois que c’est une mauvaise méthode d’enseigner l’art de mettre des fleurs dans le discours, avant de savoir exprimer clairement sa pensée, et c’est ainsi qu’ont fait des auteurs ou des orateurs qui prennent le galimatias pour la saine rhétorique; des architectes qui, avant de songer à satisfaire pleinement aux exigences de la construction, à étudier les besoins de leur temps, s’amusent à reproduire des formes dont ils n’ont pas approfondi les origines, la raison d’être et le sens véritable. Pour le moment, tenons-nous terre à terre. Il s’agit d’une maison, non d’un temple ou d’une basilique. Il s’agit d’en étudier toutes les parties. La tâche nous suffit.

«Nous avons le loisir de bien étudier les détails de notre bâtisse, puisque le froid nous oblige à fermer le chantier. La construction, mon ami, c’est l’art de prévoir. Le bon constructeur est celui qui ne livre rien au hasard, qui n’ajourne aucune solution et qui sait donner à chaque fonction sa place, sa valeur par rapport à l’ensemble, et cela au moment opportun. Nous avons tracé les plans aux divers étages, nous avons donné les détails nécessaires à la construction des parties inférieures de la maison; maintenant, il nous faut combiner les détails des élévations avec l’ensemble. Nous allons donc, d’abord, établir le profil exact des murs de face, avec la hauteur des planchers, les niveaux des chaînages et les souches des combles.»

Le grand cousin, qui, comme on peut le supposer, avait par avance conçu, sinon tracé toutes les parties de la construction, eut bientôt fait d’établir ce profil devant Paul, qui s’émerveillait toujours de voir avec quelle promptitude son patron arrivait à tracer sur le papier un détail de construction. Il en fit l’observation encore cette fois.

«Comment pouvez-vous ainsi indiquer sans hésiter l’arrangement de toutes ces parties de la bâtisse? dit-il.

Fig. 42.—Coupe des murs de face et détails.


—Parce que j’y ai pensé, et que je me suis représenté toutes ces parties en traçant ou en vous faisant tracer les ensembles. Si elles ne sont pas sur le papier, elles sont dans ma tête; et quand il s’agit de les rendre intelligibles pour ceux qui sont chargés de l’exécution, je n’ai qu’à écrire, pour ainsi dire, ce que je sais d’avance par cœur. Et c’est toujours ainsi qu’il est utile de procéder. Voyez ce profil et ces quelques détails (fig. 42); examinons cela ensemble: vous reconnaîtrez bientôt que vous-même avez déjà vu tout ce que contient cette feuille de papier, et qu’avec un peu d’attention vous pourriez coordonner ces diverses parties. Vous voyez figurer l’épaisseur du mur à rez-de-chaussée, avec son axe ponctué; la hauteur de l’allége A et de son appui, la disposition du tableau de la fenêtre, son linteau, la hauteur du plancher, son épaisseur. Le bandeau B était à fixer; il doit avoir l’épaisseur de ce plancher, il s’accuse au dehors. Puis, réduisant les murs de face à 80 centimètres au premier étage, nous posons une assise de retraite en C; l’allége semblable à celle du rez-de-chaussée. La hauteur du premier étage de sol à sol a déjà été fixée. Le membre D inférieur de la corniche accuse l’épaisseur du deuxième plancher; reste à placer au-dessus la tablette en pierre dure qui reçoit le chéneau. Quant à la fenêtre de ce premier étage, elle est construite comme celle du rez-de-chaussée, seulement l’ébrasement est moins profond de 10 centimètres, puisque ce mur a 10 centimètres de moins d’épaisseur. Son linteau est le même, ainsi que les tableaux qui doivent recevoir les persiennes de tôle, et les chaînages passent sous ces linteaux. Comme nous avons des pignons, les corniches ne peuvent retourner et doivent s’arrêter contre une saillie E, laquelle, en s’élevant au-dessus du comble, permet de poser le chaperon F qui aura un filet saillant pour couvrir la rencontre de l’ardoise avec ce pignon. Je trace donc en G l’angle du bâtiment avec cette saillie E’, et l’appareil en besace dont nous avons parlé. Comme je prévois que les solives auront trop de portée en quelques points, je suppose les poutres H intermédiaires, pour les recevoir, et les cerceaux I pour soulager la portée de ces poutres.

«J’ai tracé en K le bandeau du premier étage avec les saillies cotées de l’axe du mur, l’assise de retraite au-dessus, puis en L la corniche et la tablette de couronnement. Vous observerez que cette tablette donne une pente vers l’extérieur, sous le chéneau, afin que, s’il survient une fuite, les eaux s’écoulent au dehors et ne pénètrent pas dans la maçonnerie. Cette tablette porte un larmier a aussi bien que le bandeau, afin que l’eau de pluie ne puisse baver le long des murs. Ces profils seront d’ailleurs tracés grandeur d’exécution pour le tailleur de pierres. C’est sur le bahut M que reposeront les lucarnes qui éclaireront l’étage du comble. Quant à la charpente, dont je ne trace ici qu’une amorce, je vous indiquerai ce qu’elle doit être. Prenez donc ces croquis et faites-en des dessins cotés à l’échelle de 5 centimètres pour mètre, afin qu’ils puissent servir à l’exécution.

«Pendant ce temps-là, je vais vous disposer un autre croquis perspectif des bretêches ou loges de la salle de billard et de la salle à manger, à l’aide duquel vous devrez établir ces détails. Nous verrons comment vous vous en tirerez.

«Les Anglais, dans leurs habitations de campagne, emploient volontiers ces sortes de cages saillantes ajourées. Ils les appellent bow-window et les construisent souvent en encorbellement. Tenez… voici un croquis, dans ce carnet, d’un bow-window d’une maison de Lincoln qui date du seizième siècle (fig. 43). Cette loge saillante portée sur un cul-de-lampe est terminée par un petit terrasson qui forme balcon au premier étage. Remarquez, en passant, comme cette construction est bien entendue. Cette partie de l’Angleterre possède de la pierre, mais cependant les matériaux sont moins communs que n’est la brique. Le constructeur n’a employé ces matériaux chers que pour la bretêche qu’il ne pouvait guère élever en brique et pour les jambages et linteaux des fenêtres. Le reste de la bâtisse est élevé en brique.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
298 s. 65 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain