Kitabı oku: «Comment on construit une maison», sayfa 4
CHAPITRE V
M. PAUL SUIT UN COURS DE CONSTRUCTION PRATIQUE
Cependant, les lettres, les journaux apportaient chaque matin les plus tristes nouvelles. Depuis huit jours, le territoire était envahi par l’ennemi. Bâtir n’était guère de saison. M. de Gandelau voyait entrer à chaque instant, dans son cabinet, des paysans qui venaient lui faire part de leurs craintes et chercher des conseils. Les jeunes gars étaient appelés pour être incorporés dans la mobile. Les usines du voisinage se fermaient faute de bras. On rencontrait sur les chemins des groupes de paysans et de paysannes qui, contrairement aux habitudes paisibles de cette province, parlaient avec animation; quelques-unes de ces femmes pleuraient. Les travaux des champs étaient suspendus; on sentait partout comme un frémissement douloureux; on voyait dans les chaumières des lumières à une heure avancée de la nuit; on entendait des voix qui s’appelaient. Les bestiaux rentraient plus tôt que d’habitude et sortaient tard le matin. Sur les chemins, dès que deux hommes se rencontraient, ils s’arrêtaient longtemps pour causer. Quelquefois, au lieu de s’en aller chacun de leur côté, ils hâtaient le pas ensemble et se dirigeaient vers le bourg voisin.
C’était le 20 du mois d’août 1870; en entrant chez son père de bon matin, M. Paul le trouva plus soucieux encore que les jours précédents; et ce n’était pas seulement sa goutte aggravée qui causait son souci. Le cousin était là. «Les uns sont trop vieux, les autres sont trop jeunes. Si cet enfant avait quatre ou cinq ans de plus, dit M. de Gandelau en embrassant son fils, je l’enverrais avec tous ces jeunes gars qui sont appelés sous les drapeaux; mais il est trop jeune, heureusement pour sa mère… Ce sera long! dit-on; Dieu sait ce qu’il adviendra de notre pauvre pays engagé dans une guerre insensée: mais nous n’avons qu’un parti à prendre: rester ici au milieu de toutes ces familles anxieuses et privées de leurs enfants; attendre et tâcher d’occuper tout ce monde qui perd un peu la tête. Ne nous abandonnons pas, ne cédons pas à des inquiétudes stériles; travaillons, c’est le remède à tous les maux; et le malheur ne nous trouvera pas plus dépourvus de courage après des journées de labeur qu’après l’oisiveté fiévreuse. Je prévois que Paul ne pourra rentrer de sitôt à son lycée, à Paris. Vous, grand cousin, rien ne vous oblige à demeurer en ce moment plutôt dans un lieu que dans un autre. Vos affaires vont être suspendues partout; restez ici, où vous pourrez vous rendre utile aussi longtemps que le pays n’aura pas besoin de vous.
«Qui sait? Si les choses traînent en longueur, nous essayerons quand même de bâtir la maison de Marie; ce sera une occasion de faire travailler des bras inoccupés. Vous pourrez enseigner, par la pratique, à Paul, les éléments de la construction. Nous manquerons peut-être de ce nerf indispensable pour bâtir: l’argent. Eh bien! cela nous mettra dans la nécessité de chercher les moyens de nous en passer. Nous avons les matières premières, nous avons des bras et de quoi les nourrir quelque temps. Ne nous laissons donc pas aller au découragement et à d’inutiles récriminations; travaillons, nous n’en serons que mieux préparés si, dans un suprême effort, il faut recourir à tous, vieillards et enfants, pour défendre le sol.»
Mme de Gandelau joignant ses instances à celles de son mari, il ne fut pas difficile de décider le grand cousin à venir s’établir au château. En effet, trois jours après, le grand cousin, ayant été régler quelques affaires, revenait avec une ample provision de papier et d’instruments nécessaires à l’exécution des détails d’une bâtisse.
Il fallait attendre que le projet envoyé à la sœur de Paul revînt approuvé ou amendé pour se mettre à l’œuvre. Il fut décidé que pendant cet intervalle, le grand cousin donnerait à Paul les premières notions de la construction d’une habitation, que ce cours serait fait le matin, et que, dans l’après-midi, notre architecte en herbe rédigerait la leçon, laquelle serait corrigée en famille le soir. Ainsi les journées devaient-elles être bien remplies.
Première leçon
«Si vous le voulez bien, petit cousin, nous ferons nos leçons en nous promenant, et pour cause.»
Cette façon de procéder plut tout d’abord à M. Paul qui n’était pas habitué au lycée à cette manière d’enseigner. La perspective d’un cours fait entre quatre murs, rédigé entre quatre murs, corrigé entre quatre murs ne lui avait pas semblé tout d’abord se concilier avec l’idée que l’on se fait, à seize ans, des heures consacrées aux vacances, et bien que l’architecture lui parût une fort belle chose après ses premiers essais; qu’il fût assez fier de penser que son projet était peut-être à ce moment sous les yeux de sa sœur Marie et de son beau-frère, cependant, au moment où il se dirigeait vers l’appartement de son cousin, il avait regardé d’un œil de convoitise les grands arbres du parc et les prairies verdoyantes qui brillaient entre leurs troncs noirs. Un soupir de satisfaction s’échappa de sa poitrine en descendant l’escalier du château.
«Allons-nous-en tout doucement vers la partie du domaine où nous devons bâtir la maison, reprit le grand cousin, dès qu’ils furent dehors; la connaissance du terrain est la première de toutes celles que l’architecte doit posséder. Il y a, comme vous savez, plusieurs natures de terrains; les uns sont résistants, les autres mous et compressibles à différents degrés. Les roches forment les terrains les plus fermes et sur lesquels on peut bâtir en toute assurance, à la condition toutefois que ces roches n’aient pas été excavées ou dérangées. On donne le nom de sol vierge à tous les terrains que l’on rencontre dans l’état où les phénomènes géologiques les ont placés, le nom de sol de rapport ou de remblai18 à tout terrain qui a été bouleversé ou apporté par la main de l’homme, par la végétation ou des alluvions torrentielles brusques. En règle générale, il ne faut fonder que sur le sol vierge, et cependant, parmi ceux-ci, il en est dont on doit se défier, comme je vous l’expliquerai tout à l’heure.
«Il faut donc s’appliquer à distinguer un sol vierge d’un sol rapporté ou bouleversé; pour ce faire, certaines connaissances de géologie élémentaire sont indispensables19. Ainsi, les roches cristallisées, les granits, les gneiss, les schistes cristallins demeurent dans l’état où le refroidissement du globe et les soulèvements de sa croûte les ont placés. Les grès, les calcaires, les marnes, les sables, même les argiles, déposés par les eaux sous une énorme pression, sont stratifiés, c’est-à-dire déposés par couches, comme des assises d’une construction, et présentent une assiette excellente. Le coteau que nous avons là sur notre droite, et vers lequel s’étend le bois de votre sœur, présente, vous le voyez d’ici, des escarpements érodés par les eaux du ru que nous allons traverser; remarquez que la pierre qui paraît dénudée, se présente par lits à peu près horizontaux. C’est un calcaire jurassique excellent pour bâtir, mais sur lequel aussi on peut s’appuyer en toute sécurité. Ainsi, dans ces bancs20, peut-on creuser des caves et se servir de ce qu’on a extrait de l’excavation pour élever les murs. Ici nous marchons sur des argiles sablonneuses entremêlées de pierre meulière. Cela forme aussi un très bon sol qui n’est pas compressible. Il en est autrement des argiles pures, non qu’elles soient compressibles; mais, si elles ne sont pas encaissées, si, par exemple, elles se trouvent sur une déclivité du sol, par l’effet des eaux qui s’infiltrent entre leurs couches, elles glissent et la maison qu’on a élevée sur leur surface descend avec elles. On voit parfois ainsi, sur des rampes argileuses, des villages tout entiers qui descendent dans la vallée. Il faut donc apporter une grande attention à la manière de fonder sur les argiles si l’on veut éviter ces dangers. Parfois aussi, lorsqu’elles sont fortement comprimées par une construction lourde, les argiles s’affaissent sous leur poids pour se relever d’autant un peu plus loin, par un mouvement de bascule. Les sables marins, purs, fins ou graveleux, sont excellents pour recevoir des fondations, parce que le sable se tasse naturellement pour peu qu’il soit mouillé. Si bien qu’on peut former, au besoin, un sol factice en apportant de bonnes couches de sable marin sur un sol douteux, et en mouillant fortement ces couches. Plus le sable est fin et dépourvu d’argile et meilleur est-il, car tous ces petits grains lourds, égaux, ne laissent entre eux que des intervalles très faibles et se touchent par plusieurs points. Si le poids comprime la couche de sable et la force à se tasser, ce tassement est régulier et par conséquent sans danger. La construction descend ainsi de quelques millimètres suivant son poids, mais ne se disloque pas parce qu’elle s’enfonce régulièrement. Les alluvions formées par des cours d’eau peu rapides, c’est-à-dire par des rivières ou par des lacs, composent aussi de bons sols, parce que les couches de gravier ou de limon ont été déposées peu à peu et bien tassées par le poids du liquide qui les charriait. Il en est tout autrement des sols marécageux, car les eaux n’ayant pas de courant, ont permis à des végétaux de pousser dans leurs lits. Ces végétaux venant à mourir sont remplacés chaque année par d’autres. Il se forme alors des couches successives de détritus sous une pression minime, qui laissent entre elles des cavités innombrables, comme serait un amas de foin pourri. On désigne ces dépôts sous le nom de tourbières. Là-dessus on ne peut rien asseoir, car ces dépôts s’affaissent sous la moindre charge. Tenez! nous voici près du ru, sur un point qui présente ce phénomène… Frappez du pied sur ce sol gazonné dru… Vous sentez que la terre sonne creux et s’ébranle sous le choc. Quelquefois ces tourbières atteignent des profondeurs telles par l’accumulation des détritus végétaux, qu’on ne peut en atteindre le fond; si vous bâtissez là-dessus, votre construction s’enfoncera peu à peu, et souvent inégalement, en raison de la déclivité du sous-sol, de telle sorte que la bâtisse s’inclinera d’un côté. C’est ainsi qu’à Pise, à Bologne en Italie, des tours se sont inclinées pendant qu’on les élevait, jusqu’au moment où la tourbe a été complètement comprimée sous la charge. Quand on trouve ces sols, ou bien il faut enlever la tourbe jusqu’à ce qu’on trouve la roche ou le gravier, ou bien il faut enfoncer des pilotis très rapprochés les uns des autres, comme un jeu de quilles, jusqu’à ce que les pieux refusent d’entrer plus avant. Alors, sur les têtes de ces pilotis, on établit ce qu’on appelle un radier, sorte de châssis de charpente, entre lequel on coule du béton21 et sur lequel on pose les premières assises de maçonnerie. Des villes entières sont ainsi bâties: Venise, Amsterdam, ne reposent que sur des forêts de pilotis enfoncés dans une vase spongieuse parce qu’elle s’est formée sous une mince nappe d’eau qui n’avait pas assez de puissance pour la comprimer.
«Mais il ne suffit pas de reconnaître la nature du sol sur lequel on doit établir une construction; il faut examiner les cours d’eau sous-jacents, ou comment se comportent les écoulements des eaux pluviales sur leur surface ou dans leurs interstices. La présence d’un banc d’argile, si faible qu’il soit, entre des couches calcaires, de grès ou de sable, doit préoccuper le constructeur, car ces bancs étant étanches, c’est-à-dire ne laissant pas pénétrer l’eau des pluies dans leur épaisseur, favorisent des courants ou nappes d’eau, qui peuvent occasionner les désordres les plus fâcheux dans les fondations. Examinez ici près, le long de l’escarpement, cette couche verdâtre… C’est de l’argile, elle est très mince et ne peut point retenir les eaux; mais supposez qu’elle ait 50 centimètres d’épaisseur. Les pluies, qui pénétreront facilement à travers le gravier placé au-dessus, s’arrêteront sur cette couche et feront leur chemin suivant le plan d’inclinaison de cette couche d’argile; peu à peu elles formeront des cavités comme de petites grottes, et un courant caché. Si vous faites un mur de cave ou de fondation qui descende au-dessous de cette nappe d’eau, celle-ci viendra se heurter contre votre mur, le pénétrera, quoi que vous fassiez, et remplira vos caves. C’est pourquoi, dans ce cas, il sera nécessaire, au préalable, de détourner cette nappe d’eau, en la recueillant dans un égout pour l’éloigner de vos constructions. Prêtez-moi votre carnet afin que je vous indique clairement, par un tracé, ce que je vous dis ici (fig. 6). Soit A B la couche d’argile, C D la couche de gravier ou de sable perméable. Il se formera une nappe d’eau courante, après chaque averse, de E en F. Cette nappe sera arrêtée par le mur de fondation ou de cave G H, et le traversera bientôt, puisqu’elle ne peut ni remonter, ni traverser l’argile. Il faut donc, en I, établir un égout transversal avec ouvertures en amont par lesquelles ces eaux s’introduiront dans le chenal, ainsi que vous le démontre le tracé K. Cet égout dirigera les eaux recueillies où bon vous semblera et laissera le mur G H parfaitement sec. Vous comprenez, n’est-ce pas?…
Fig. 6
«Mais si vous fondez en plein dans l’argile, faut-il prendre des précautions autrement sérieuses; car, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, il peut se faire que le banc d’argile tout entier vienne à glisser.
«Les bancs d’argile glissent, surtout lorsqu’en coupe22 ils présentent la section que je trace ainsi (fig. 7): soit A un banc de roche, B un banc d’argile. Les eaux pluviales qui tombent en amont, de D en C, passeront en C sous ce banc d’argile; et, si les pluies sont persistantes, elles formeront de C en E une couche molle, grasse, savonneuse, de telle sorte que le banc d’argile C B E glissera sur cette couche par son propre poids, mais surtout si, en G, on l’a chargé d’une construction.
Fig. 7
«Comment parer à ce danger? 1º en recueillant les eaux en C dans un égout ou une pierrée, de telle sorte qu’elles ne puissent passer sous le banc d’argile si celui-ci est très épais; 2º s’il n’a qu’une épaisseur de quelques mètres, en descendant le mur de fondation H jusqu’au roc ou gravier, et en faisant en I un égout collecteur, comme il vient d’être dit tout à l’heure. Alors le triangle d’argile C I K ne pourra glisser, retenu par le mur bien assis et chargé. La partie argileuse en aval, n’étant pas mouillée par dessous, ne glissera pas. Mais faut-il que ce mur H et son égout I soient assez épais pour résister à la charge du triangle C I K.
«Vous sentez donc combien il est important de se rendre compte des terrains sur lesquels on opère; et combien il est essentiel qu’un architecte possède quelques connaissances en géologie. Rappelez-vous bien ceci, car les architectes de la génération qui nous précède dédaignent ces études et s’en rapportent à leurs entrepreneurs en bien des cas.
«Nous parlerons aussi des terrains vaseux, plats, pénétrés d’eau et que l’on ne peut fouiller parce qu’ils n’ont guère que la consistance d’une boue compacte et dans lesquels plus on creuse, moins on rencontre de résistance. Quand ces terrains ne sont pas tourbiers, qu’ils ne contiennent guère de détritus de végétaux, qu’ils sont toujours pénétrés de la même quantité d’eau, on peut fonder dessus, car l’eau n’est pas compressible. Votre construction est alors comme un bateau: toute la question consiste à empêcher l’eau de s’échapper, de fuir sous le poids de la bâtisse comme elle fuit sous le poids d’un bateau. Quand vous vous plongez dans une baignoire à moitié pleine, l’eau remonte le long des bords d’une quantité égale au volume de votre corps. Mais supposez qu’une planche, découpant exactement le contour de votre corps, empêche l’eau de remonter autour de vous, vous ne pourrez entrer dans l’eau et cette eau vous portera sur sa surface. Eh bien, quand on doit bâtir sur un sol boueux, le problème consiste à empêcher cette boue de remonter autour de la maison à mesure qu’elle s’enfoncerait. Il faut encore un tracé pour vous expliquer les moyens propres à obtenir, en ce cas particulier, un bon résultat (fig. 8).
«Nous avons creusé dans un sol de remblais A, c’est-à-dire sur lequel on ne saurait bâtir avec sécurité. En B, nous atteignons le sol vierge; mais ce sol est très humide, c’est une ancienne vase pénétrée d’eau et dans laquelle on enfonce en marchant. Plus nous enlevons de cette vase et plus nous la trouvons molle. Une sonde enfoncée à deux ou trois mètres donne toujours le même fond, et les trous que l’on fait se remplissent d’eau immédiatement. Des pilotis battus s’enfoncent jusqu’à la tête. Or, vous pensez bien que, pour élever une construction ordinaire, on ne peut dépenser en fondations le double de ce que coûterait la bâtisse elle-même. Il faut donc aviser… Alors nous ferons, pour recevoir les murs qui forment le périmètre de la maison, une tranchée de 0m,50 à 0m,60c de profondeur environ, ainsi que je le trace en E; puis, dans ces tranchées et sur toute la surface de la construction, nous coulerons du béton ayant une épaisseur de 0m,60 à 0m,80c entre les tranchées, comme je le trace en F. Nous aurons fait ainsi comme un couvercle d’une matière homogène qui empêchera la vase G H, comprise sous ces bords, de remonter. Le poids du remblai A se chargera de comprimer le reste. Ainsi pourrez-vous, sur ce plateau, élever vos constructions en toute sécurité.
«Vous me demanderez peut-être ce que c’est que du béton et comment on le fait? Vous apprendrez cela plus tard.»
Fig. 8.
Tout en causant et faisant des croquis, Paul et le grand cousin étaient arrivés sur les rampes du coteau où devait s’élever la maison.
«La situation est bonne, dit le cousin. Nous avons un excellent sol calcaire d’où nous pourrons même tirer de la pierre ou du moellon propre à bâtir. Voilà, sur les basses rampes, des argiles sablonneuses assez nettes, avec lesquelles nous ferons de la brique. Voilà la source d’eau vive qui vient du bois et qui sort de dessous le dernier des bancs calcaires; nous pourrons facilement la capter, l’amener le long de la maison où elle sera doublement utile, car elle nous donnera de l’eau pour les besoins des habitants et entraînera, dans un égout, toutes les eaux ménagères et les immondices que nous enverrons se perdre dans cette ancienne excavation que je vois sur notre gauche.
«Toutefois nous devrons procéder après examen, car il me semble que ces bancs ont été déjà exploités sur quelques points. Nous pourrions bien rencontrer de ces excavations de carrières faites sans soin, comme cela n’arrive que trop souvent dans les campagnes.
–Comment, dit Paul, reconnaît-on la pierre bonne à bâtir?
–Cela n’est pas toujours aisé, et il en est de ces connaissances comme de beaucoup d’autres: l’expérience doit confirmer la théorie. Parmi les pierres calcaires, lesquelles comprennent généralement, avec certains grès, les matériaux que l’on peut facilement exploiter et tailler, les unes sont dures, d’autres tendres; mais les plus dures ne sont pas toujours celles qui résistent le mieux à l’action du temps. Beaucoup de calcaires contiennent de l’argile, et, celle-ci retenant l’eau, lorsque surviennent les gelées ces parties argileuses gonflent et font éclater les blocs dont la pâte est composée de carbonate de chaux et aussi de silice en plus ou moins grande quantité. Les calcaires purgés d’argile sont ceux qui résistent le mieux à l’humidité et qui ne craignent pas la gelée. Quand, comme ici, on peut voir les bancs dépouillés par une érosion, il est facile de reconnaître ceux qui sont bons de ceux qui sont défectueux. Ainsi remarquez ce gros bloc noirâtre dont la tranche unie et nue depuis des siècles s’est couverte de lichens; il est d’une excellente qualité, car les lichens ne viennent que très lentement; donc pour qu’ils aient pu s’attacher à cette pierre et lui donner cette apparence grise mouchetée, il a fallu que le calcaire ait résisté aux actions décomposantes de l’atmosphère. Au-dessus, voyez ce banc d’un blanc presque pur et qui paraît si sain. Eh bien, il n’a cette belle apparence que parce que, à chaque gelée, il a laissé tomber sa peau, que sa surface s’est décomposée. Allez toucher ce roc, vous verrez qu’il vous restera aux mains une poussière blanche… C’est ainsi, n’est-ce pas? Dès lors la qualité de ce bloc est mauvaise, et vous voyez en effet, qu’au-dessous, l’herbe est jonchée de petites exfoliations de calcaires, tandis que le gazon, sous le bloc gris, est pur de toute poussière. Il est donc très utile à un architecte, quand il veut bâtir, d’aller voir les carrières et comment les bancs qui les composent se comportent à l’air libre; or, entre nous, c’est ce que nos confrères ne font guère.»
Deuxième leçon
La méthode adoptée par le grand cousin, pour donner à M. Paul les premières notions sur la construction, plaisait fort à celui-ci. La veille il avait assez bien transcrit, dans la journée, tout ce que le maître avait pris soin de lui expliquer sur le terrain. Il avait même ajouté assez adroitement des figures à son texte; les corrections avaient été faites rapidement après dîner. Mais ce jour-là, une pluie serrée ne permettait guère de sortir, et le grand cousin décida que la deuxième leçon serait faite dans la maison. «Aussi bien, dit-il, nous aurons devant les yeux des exemples suffisants; le château nous les fournira. Nous allons le visiter de la cave au grenier et nous en étudierons les matériaux aussi bien que les moyens de construction, soit pour les critiquer s’ils sont mauvais, soit pour en prendre note s’ils sont bons.» Quand le maître et l’élève furent descendus dans les sous-sols, le grand cousin commença ainsi: «Voyez comme ce mur de cave, qui donne sur la cour, est humide et comme les mortiers qui joignent les pierres sont tombés presque partout et surtout vers le haut. Cela tient à deux causes: 1º on n’a pas eu la précaution, en élevant ces murs, de les bien enduire à l’extérieur de manière à faire glisser les eaux du sol jusqu’à la base; 2º on n’a pas employé dans la construction des mortiers faits avec de la chaux hydraulique. Il y a en effet deux natures principales de chaux: la chaux dite grasse et la chaux hydraulique; la première est obtenue par la cuisson de calcaires compacts que l’on trouve habituellement au sommet des bancs; on l’appelle grasse parce qu’elle est glutineuse lorsqu’elle est éteinte et s’attache au rabot avec lequel on la corroie; cette chaux, étant noyée dans l’eau, bout et jette une épaisse vapeur, comme vous avez pu voir, et, mêlée au sable, prend lentement. Employés au-dessus du sol, les mortiers faits avec cette chaux deviennent fort durs à la longue, mais conservent plus ou moins pendant un temps une certaine plasticité. Toutefois ces mortiers, prenant lentement, sont facilement délayés par les eaux, et ne peuvent alors jamais devenir durs. Les chaux hydrauliques obtenues par la cuisson de calcaires argileux, mêlées au sable, prennent au contraire rapidement une grande dureté et se maintiennent d’autant mieux que les mortiers sont dans des lieux humides. Aussi appelle-t-on cette chaux hydraulique parce qu’on l’emploie pour toutes les maçonneries que l’on établit dans l’eau. On fait des chaux hydrauliques factices quand le sol ne fournit pas des calcaires argileux, eu broyant une certaine quantité d’argile avec les calcaires propres à faire de la chaux ordinaire. On reconnaît la chaux hydraulique en l’éteignant, c’est-à-dire en la mêlant avec de l’eau; alors elle fuse sans presque produire de vapeur.
C’est avec la chaux hydraulique qu’on fait les bétons dont je vous parlais hier. Ayant préparé le mortier, on y mêle une certaine quantité de cailloux durs, de la grosseur d’un œuf environ; on corroie le tout et on jette le mélange dans les fouilles où on le pilonne avec des dames de bois. Si la chaux est bonne et que le béton soit bien fait, on compose ainsi un véritable rocher qui ressemble aux conglomérats ou poudingues produits naturellement. L’eau traversant difficilement ces bétons lorsqu’ils ont pris de la consistance, on peut ainsi éviter les infiltrations sous-jacentes qui se produisent dans les caves faites dans des terrains très humides.
«Si le mur que vous voyez là eût été maçonné en mortier fait avec de la chaux hydraulique, il serait net et les joints23 en seraient aussi durs que la pierre elle-même. Vous comprendrez facilement que quand les eaux, ont peu à peu détrempé et fait couler les mortiers des lits et joints à la base d’un mur, les pierres qui le composent tassent, et que tout le reste de la bâtisse en souffre. C’est pourquoi la façade de maison, sur la cour, présente un bon nombre de fissures que l’on rebouche de temps à autre, mais sans pouvoir, bien entendu, détruire la cause du mal.
Fig. 9.
«Vous voyez que le mur de cave qui reçoit le berceau de la voûte est très épais, bien plus épais que n’est le mur du rez-de-chaussée. Ce dernier n’a guère que 0m,60c d’épaisseur, tandis que celui-ci a trois pieds anciens, près d’un mètre. Ce supplément d’épaisseur est donné à l’intérieur en grande partie pour recevoir ce que nous appelons les sommiers de la voûte. Un croquis vous fera comprendre la raison de cette disposition (fig. 9). Soit A l’épaisseur du mur d’une maison à rez-de-chaussée et que cette épaisseur ait 0m,50c; si l’on veut faire des caves sous ce rez-de-chaussée, le sol intérieur étant en B et le sol extérieur en C, il sera bon, d’abord, d’indiquer le sol intérieur par une saillie, une plus forte épaisseur donnée à ce mur du côté extérieur; soit 0m,05c. En A’ le mur aura donc 0m,55c. Votre berceau de cave étant tracé en D, il faut réserver en E un repos d’au moins 0m,20c, pour recevoir les premiers claveaux des sommiers de la voûte; puis il est bon de donner du côté des terres une plus forte saillie pour bien asseoir le soubassement24; cette saillie étant de 0m,05c, nous aurons en F 0m,60c d’épaisseur et en G 0m,80c au moins, car il ne faut point que le mur, qui s’élève, porte sur les lits obliques de la voûte, autrement n’aurait-il pas une bonne assiette et serait-il affamé, comme nous disons, ou réduit d’épaisseur par cet arc qui le viendrait pénétrer ainsi que nous le montre le tracé I. Mais venez par ici dans cet autre caveau qui appartient à la partie la plus ancienne du château et qui est bâti en belles pierres. Le constructeur n’a pas voulu perdre de place à l’intérieur, et, bâtissant en pierres d’appareil25, il a entendu ne pas prodiguer les matériaux; qu’a-t-il fait (fig. 10)? Il n’a donné à son mur de cave que l’épaisseur de celui du rez-de-chaussée: de distance en distance, il a posé de gros corbeaux26 à 0m,60c au-dessus du sol; sur ces corbeaux, il a bandé des arcs de 0m,25c de saillie, et sur ces arcs, qui remplacent le surplus d’épaisseur ou le contre-mur dont je vous parlais tout à l’heure, il a bandé son berceau de voûte27. Ce croquis perspectif nous fera bien saisir ce système de structure. Ainsi le mur supérieur laisse-t-il la voûte indépendante et s’élève d’aplomb sur ses parements28 inférieurs.
Fig. 10.
«Vous avez compris, n’est-ce pas? Eh bien, allons voir ce petit escalier que peut-être vous n’avez jamais examiné attentivement. Il a quatre pieds anciens de largeur, ou 1m,30c, ce qui était la largeur suffisante pour descendre facilement les queues de vin. Voyez (fig. 11): la voûte rampante se compose d’autant d’arcs superposés qu’il y a de marches; cela est très bien vu, solide, et facile à construire. En effet, quand on a posé les marches en pierre, sur celles-ci on établit successivement un même cintre de bois qui, bien entendu, ressaute à chaque marche, et, sur ce cintre, on pose un arc, ce qui se fait rapidement, les pierres étant taillées d’avance. Ainsi les arcs suivent le profil de ces marches, et en une journée le cintre étant reporté, après la fermeture de chaque arc, sur la marche suivante, en commençant par celle du bas, deux hommes peuvent bander cinq ou six de ces arcs. S’il y a douze marches, en deux jours on peut donc fermer cette voûte rampante. Voici comme il faut indiquer cette construction en coupe perspective et en géométral dans votre résumé d’aujourd’hui, A et B.
Fig. 11.
«Montons au rez-de-chaussée: voyez à l’intérieur comme les murs laissent paraître des efflorescences qui ressemblent à du coton cardé. C’est le salpêtre qui se forme dans l’intérieur de la pierre et qui, par l’effet de l’humidité du sol, se cristallise sur le parement. Ce salpêtre altère la pierre, finit par la ronger, et fait tomber toute peinture que l’on prétendrait apposer sur la paroi intérieure. On fait des enduits hydrofuges pour arrêter l’effet du salpêtre, mais ces moyens ne font que retarder un peu son apparition sans détruire le mal, et cet enduit tombe bientôt comme une croûte. Il faut donc, quand on construit, à la campagne surtout, empêcher l’humidité du sol de remonter dans l’épaisseur des murs et l’arrêter au niveau du sol. On a essayé parfois d’interposer une couche de bitume entre les pierres du soubassement aux lieu et place du lit de mortier pour éviter l’aspiration de l’humidité par les pierres, ce qu’on appelle la capillarité; mais ce moyen est très insuffisant. Le bitume s’échappe sous la charge, parce qu’il ne durcit pas assez pour résister à cette charge, ou bien il s’altère et se combine avec la chaux. Le mieux est d’interposer, entre les premières assises inférieures d’un soubassement, un lit d’ardoises pris dans la couche de mortier. L’ardoise arrête complètement cet effet de capillarité et l’humidité ne peut remonter dans les murs.
«Regardez maintenant ce mur de face, sur la cour… Il forme comme une bosse à la hauteur du plancher du premier étage. Nous disons alors que c’est un mur qui boucle. Au lieu de se maintenir dans un plan vertical, comme cela devrait être, il a rondi; pourquoi? parce qu’il a été poussé par une force agissant de l’intérieur à l’extérieur. Quelle est cette force? Ce pourrait être une voûte, mais il n’y a pas ici de voûte au rez-de-chaussée. Ce ne peut donc être que le plancher. On ne comprend guère, au premier abord, comment un plancher, qui est un plan horizontal, peut pousser. Car pour pousser, il faudrait supposer que ce plancher s’étend dans un sens, ce qui ne peut être. Mais voici ce qui arrive. Suivez-moi bien… Autrefois, pour établir un plancher, on posait de grosses poutres d’un mur à l’autre, et, sur ces poutres, des pièces de bois plus légères, qu’on appelle solives; puis on chargeait ces solives d’une couche de terre, de gravier ou de sable, et là-dessus on formait une aire en mortier pour recevoir le carrelage. Tout cela est très lourd. Or, comme une pièce de bois, même d’un fort équarrissage, fléchit à la longue sous son propre poids, c’est-à-dire, de droite qu’elle était, devient courbe, à plus forte raison se courbe-t-elle lorsqu’on la charge. Plus elle se courbe et plus elle exerce une pression sur le parement intérieur des murs dans lesquels on a dû l’encastrer. C’est cette pression sur le parement intérieur qui tend à pousser le mur en dehors. Mais, si comme ici, pour soulager la portée des poutres, on a placé dessous des liens29 de bois (fig. 12), cet effet de poussée est d’autant plus sensible que le bras de levier est plus long. Je vois bien que vous ne comprenez pas parfaitement. Un croquis va vous mettre au fait. Soit A la coupe du mur, ou si vous aimez mieux, son épaisseur. Si la poutre vient à se courber suivant la ligne C D, il se produit une pression en D qui est traduite par une poussée en F et le rondissement du mur comme je vous l’indique par les courbes ponctuées. Supposez même qu’à la place du lien E, nous ayons un corbeau de pierre; l’effet produit sera le même, mais moins puissant, à moins que la queue de ce corbeau ne prenne toute l’épaisseur du mur, comme je vous le marque en I, et que cette queue K soit chargée de telle sorte que cette charge neutralise la pression que la poutre exerce à l’extrémité L. C’est ce qui n’a pas été fait ici, où, à la place du lien de bois, on a mis un corbeau. Ce corbeau n’a qu’une médiocre prise dans le mur, et celui-ci, bâti en petits matériaux assez mal maçonnés, n’a pas une consistance suffisante pour résister à la poussée qu’exerce le rondissement des poutres. Mais pourquoi, me direz-vous, cet effet s’est-il produit à la hauteur du plancher du premier étage et ne s’est-il pas produit au-dessus? Parce que, par l’effet du bouclement que nous signalons ici, le mur s’est incliné au-dessus vers l’intérieur, et qu’il a ainsi serré le second plancher, ses parements s’étant placés, par leur inclinaison même, perpendiculairement à la direction courbe des poutres supérieures, comme je vous le marque en M, en exagérant l’effet pour bien vous le faire saisir.