Kitabı oku: «Comment on construit une maison», sayfa 5
Fig. 12.
«Vous voyez que chaque détail mérite attention et qu’il faut se rendre compte de tout dans les constructions.
«En toutes choses, on n’apprend à éviter le mal qu’en l’analysant et cherchant ses causes, en constatant ses effets; c’est pourquoi, pour devenir un bon constructeur, il ne suffit pas de se familiariser avec les règles de la construction qui ne peuvent prévoir tous les cas; il faut voir beaucoup, beaucoup observer, constater les points défectueux dans les bâtisses anciennes; de même, les médecins n’arrivent-ils à définir une bonne constitution physique qu’en étudiant les maladies et leurs causes. Nous n’apprécions ce qui est bon le plus souvent que par la connaissance du mal, si bien qu’en l’absence du mal, nous pouvons admettre que le bon existe. Un vieux maître architecte qui, quand j’avais à peu près votre âge, voulait bien m’aider de ses conseils, me disait souvent: «Mon ami, je puis vous dire ce qu’il faut éviter dans l’art de bâtir; quant à vous expliquer en quoi consiste le bon et le beau, c’est affaire à vous de le trouver. Si vous êtes né architecte, vous saurez bien le découvrir; sinon, tout ce que je pourrais vous montrer, les exemples que je placerais sous vos yeux ne vous donneraient pas du talent.» Et le maître parlait sagement. La vue des plus belles œuvres d’architecture peut fausser l’esprit des étudiants si, en les leur montrant, on ne leur explique pas comment leurs auteurs sont arrivés à les faire belles, parce qu’ils ont évité de tomber dans telles et telles fautes.
«Mais en voilà assez pour votre rédaction de ce jour. Mettez ces croquis au net, en regard de votre texte, et nous verrons cela ce soir.»
CHAPITRE VI
COMME QUOI M. PAUL EST INDUIT À ÉTABLIR CERTAINES DIFFÉRENCES ENTRE LA MORALE ET LA CONSTRUCTION
Lorsque le soir, le compte rendu rédigé par Paul fut lu en famille, M. de Gandelau interrompit la lecture à cette phrase infidèlement reproduite: «Le bien n’est que l’absence du mal.»
«Oh! oh! dit le père: la charité est autre chose que l’absence du mal. Si tu ne donnes rien au pauvre qui te demande du pain; si, sachant nager, tu ne cherches pas à sauver un homme qui se noie, tu ne fais pas de mal, mais tu ne fais pas le bien.
–Ce n’est pas, reprit le grand cousin en souriant, tout à fait ce que j’ai dit à Paul. À propos des défauts constatés dans les constructions, j’ai dit, je crois, que le bon est l’absence du mal; c’est-à-dire qu’en fait de constructions, et peut-être en beaucoup d’autres choses qui tiennent à l’ordre purement matériel, éviter ce qui est mauvais, c’est faire bien, mais non le bien. J’avoue d’ailleurs que je n’ai pas suffisamment développé ma pensée.
«Deux choses sont nécessaires pour devenir un bon constructeur: un esprit juste—ce qui tient à la nature morale de chacun de nous,—et l’expérience que l’on acquiert.
«L’observation et l’expérience qui en sont la conséquence nous servent à reconnaître le mal et à l’éviter; mais si, malgré cela, on n’est pas doué d’un esprit juste, ordonné naturellement, l’expérience, en permettant de se garder du mal, ne suffit pas à elle seule pour trouver ce qui est bon.
«D’ailleurs si, en morale, le bien est absolu et indépendant des circonstances, il n’en est pas de même en construction. Ce qui est bon ici est mauvais ailleurs, en raison du climat, des habitudes, de la qualité des matériaux et de la façon dont ils se comportent suivant telle ou telle circonstance locale. S’il est bon, par exemple, de couvrir un comble en ardoises dans un climat tempéré et humide, ce procédé ne vaut rien dans un climat chaud, sec et venteux. Des constructions de bois seront excellentes dans telles situations, mauvaises dans d’autres. S’il est bon, dans les habitations, d’ouvrir des jours larges, de vitrer de grandes surfaces sous les climats du nord, parce que la lumière est voilée, cela est mauvais dans des contrées méridionales où la lumière est intense et où il faut se garantir contre la chaleur. Si donc on peut faire un code de morale, on ne peut établir des règles absolues en construction, et c’est pourquoi l’expérience, le raisonnement et la réflexion doivent toujours intervenir lorsqu’on prétend bâtir. Bien souvent de jeunes architectes m’ont demandé quel était le meilleur traité de construction à consulter. Il n’y en a point, leur disais-je, par la raison qu’un traité ne saurait prévoir tous les cas, toutes les circonstances particulières qui se présentent dans la carrière de l’architecte. Le traité établit des règles; mais, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, vous vous trouvez en face de l’exception et n’avez plus que faire de la règle. Un traité de construction est bon pour habituer l’esprit à concevoir et à faire exécuter suivant certaines méthodes; il vous donne les moyens de résoudre les problèmes posés; mais ne les résout pas, ou du moins n’en résout qu’un seul sur mille. C’est donc à l’intelligence, à l’observation à suppléer, en ces mille cas présentés, à ce que la règle ne peut prévoir.»
Troisième leçon
«Hier, dit le grand cousin à Paul, lorsque celui-ci entra dans sa chambre, nous avons visité les caves et le rez-de-chaussée, aujourd’hui nous irons nous promener dans les greniers du château. Mais d’abord je vais vous montrer ce qu’on entend par une ferme30 de charpente… La ferme la plus simple (fig. 13) se compose de quatre pièces de bois: deux arbalétriers31, un entrait32 et un poinçon33. Les deux pièces inclinées A sont les arbalétriers, la pièce horizontale B l’entrait, et la pièce verticale C le poinçon. Les bouts supérieurs des arbalétriers s’assemblent dans le poinçon, ainsi que je vous le fais voir par le détail D, c’est-à-dire à l’aide de deux tenons34 E qui entrent dans deux mortaises35 F et d’un épaulement G qui fait que toute la force du bois bute dans l’encoche I que nous appelons embrèvement36. Les bouts inférieurs des arbalétriers s’assemblent de même aux deux extrémités de l’entrait, ainsi que nous le fait voir cet autre détail H. Le poinçon s’assemble aussi par un tenon, dans le milieu de l’entrait, mais librement et sans appuyer sur cet entrait. Les tenons entrés dans les mortaises, on enfonce des chevilles de bois dans les trous que je vous marque, pour bien relier le tout. Plus vous appuyez sur le sommet M, plus vous tendez à faire écarter du pied les deux arbalétriers; mais ceux-ci étant fixés aux deux bouts de l’entrait, raidissent celui-ci comme la corde d’un arc. Donc cet entrait est d’autant moins disposé à se courber qu’il est mieux tendu, et le poinçon n’est là que pour le suspendre à son milieu et pour assembler la tête des arbalétriers. Mais de M en N ces arbalétriers peuvent fléchir sous le bois de la couverture: alors on ajoute deux liens O P qui arrêtent cette flexion en reportant les charges sur le poinçon, de telle sorte que celui-ci est à son tour tendu de M en P. Le bois ne pouvant s’allonger, le point P est fixe, donc les deux points O le sont aussi.
Fig. 13.
«Maintenant que vous savez ce qu’est la ferme la plus simple, montons dans les combles.»
Ces combles étaient vieux, réparés, consolidés bien des fois, et formaient un enchevêtrement de charpentes assez difficile à comprendre. «Autrefois, dit le grand cousin, il y a plus d’un siècle, on faisait les charpentes ainsi que vous le voyez ici: chaque chevron37 portant ferme, c’est-à-dire que chacun des chevrons composait une ferme, sauf l’entrait que l’on ne plaçait que de distance en distance. Alors le bois était à foison et on ne songeait guère à l’économiser. Aujourd’hui il est moins commun et il est difficile de se procurer un nombre considérable de pièces d’une grande dimension. Les belles futaies qui couvraient le sol de la France ont été gaspillées sottement et les bois longs d’essence de chêne sont rares. Il a donc fallu les économiser. Aussi a-t-on pris le parti d’établir des fermes solides à une distance de 4 mètres environ l’une de l’autre. Sur ces fermes on a placé des pannes qui sont ces pièces horizontales que vous voyez de ce côté, et, sur ces pannes, des chevrons plus ou moins longs ont été posés pour recevoir le lattis des tuiles ou la volige de l’ardoise. Mais toute charpente de comble doit être établie sur des semelles, qui sont ces pièces horizontales reposant sur la tête des murs, qui relient et isolent les entraits de la maçonnerie, car il faut observer que les bois se conservent indéfiniment à l’air libre, sec, mais qu’ils se pourrissent rapidement au contact d’un corps humide comme est la pierre. Voyez ici cette pièce de bois presque engagée dans la maçonnerie, elle est à moitié réduite à l’état d’amadou, tandis que l’arbalétrier au-dessus qui est à l’air libre, à l’air sec, est aussi pur de pourriture que s’il était neuf.
Fig. 14.
«On faisait autrefois les planchers en plaçant des solives reposant sur des poutres et les murs. Ces solives et ces poutres restaient apparentes, ainsi que vous pouvez le voir encore dans la cuisine et la grande salle du rez-de-chaussée qui sert de dépôt. L’air circulait donc autour de ces bois et ceux-ci pouvaient durer des siècles. Mais on a trouvé que ces bois apparents n’étaient point agréables à la vue, qu’ils n’étaient point propres et permettaient aux araignées de tendre leurs toiles dans leurs intervalles. On a donc cloué des lattes sous ces solives et on a couvert ce lattis d’un enduit que nous appelons le plafond. Les bois ainsi enfermés, privés d’air, se sont échauffés (comme on dit en terme de charpenterie), c’est-à-dire qu’ils ont fermenté, et la pourriture les a bientôt attaqués. Si bien que des planchers à solives apparentes, qui avaient résisté à l’action du temps pendant des siècles, sont tombés de pourriture au bout de peu de temps du moment qu’ils ont été enfermés. J’ajouterai qu’autrefois, avant d’employer des bois dans les constructions, on avait la précaution de les laisser plusieurs années dehors à l’action de la pluie et du soleil. On les faisait baigner même un certain temps dans l’eau, afin de les purger de la sève (car la sève est le ferment qui cause la pourriture du bois). Quand ces bois écorcés et grossièrement équarris étaient restés à l’air pendant cinq ou six ans, on les employait. Mais nous sommes pressés à cette heure, et on met en œuvre des bois qui souvent n’ont pas une année de coupe. Ils ne sont pas secs, ont gardé leur sève, et, si on les enferme alors, ils fermentent rapidement, si bien qu’en quelques années les plus grosses poutres sont complètement pourries. Aussi les architectes prudents hésitent à employer du bois pour les planchers. Cependant leur emploi—même à l’état de dessication imparfaite—n’aurait pas de graves inconvénients si on ne les enfermait pas entre des enduits. Le pis qui pourrait arriver, ce serait des gerçures et des chantournements. Ils sécheraient employés, comme ils auraient séché à l’air libre.
«Il n’y a donc pas grand inconvénient à employer des bois fraîchement coupés pour des charpentes de combles, lesquelles sont généralement laissées libres. Elles sèchent sur place. Elles se déforment, mais ne pourrissent pas.
«Comme nous ne pourrons trouver, pour la maison de votre sœur, des bois absolument secs, nous ferons donc des planchers à solives apparentes et nous tâcherons, par des moyens simples et peu dispendieux, de leur donner une apparence qui ne soit pas désagréable.
«Mais il faut que vous compreniez bien quelles sont les qualités des bois. Je ne vous dirai pas que la nature a fait pousser ces grands végétaux que nous employons, pour notre agrément ou nos besoins. La nature s’est, je crois, fort peu préoccupée de savoir si le chêne, le sapin nous seraient bons à quelque chose; et si l’intelligence humaine a su tirer parti de ces matériaux qui croissent devant nos yeux, c’est après avoir reconnu et constaté par l’expérience leurs propriétés. Malheureusement il semblerait que les résultats de cette expérience ne tendent pas à s’accroître, et, à voir la façon dont on emploie le plus habituellement ces bois aujourd’hui, on pourrait admettre que nous sommes moins instruits que nos devanciers ou que nous avons perdu cette habitude de l’observation avec laquelle ils étaient familiers.
«Le bois étant un composé de fibres plus ou moins lâches ou serrées, possède une puissance de résistance considérable à une pression qui s’exerce suivant la longueur de ses fibres, mais il fléchit ou s’écrase facilement au contraire sous une pression exercée sur le travers de ces mêmes fibres. Ainsi, une bûche de 0m,10c de diamètre, d’une longueur d’un mètre, posée debout, supportera sans s’écraser ou se tordre une pression de plusieurs milliers de kilogrammes, tandis que le même poids brisera ou écrasera cette bûche posée horizontalement, comme vous écraseriez une tige de roseau sous votre pied. Prenez un fétu de paille bien sain, de 0m,10c de longueur, et posez votre doigt sur un bout en tenant ce fétu verticalement sur une table; il vous faudra appuyer assez fortement pour le faire fléchir, tandis que la moindre pression exercée sur ce même fétu, s’il est posé horizontalement, l’aplatira. Le fétu est un tube. L’arbre est composé d’une série de tubes les uns dans les autres. Plus ces tubes sont nombreux, serrés, fins, plus le tronc résiste à une pression, soit dans le sens de la longueur, soit dans le sens de l’épaisseur. Mais ceci nous indique que, pour conserver au bois ses qualités de résistance, il faut l’employer tel que la nature le donne, et c’est bien ainsi, en effet, qu’on procédait jadis. Chaque pièce de charpente était prise dans un brin d’arbre plus ou moins gros, suivant le besoin, mais on ne refendait pas les arbres dans leur longueur pour composer plusieurs pièces de charpente; car le cœur étant plus dur et compacte que n’est l’aubier (qui est l’enveloppe spongieuse placée sous l’écorce), et les couches concentriques du bois étant d’autant plus serrées et résistantes qu’elles avoisinent le cœur, si vous fendez un arbre en deux dans sa longueur, une des parois est beaucoup plus résistante que l’autre, l’équilibre est rompu et la flexion se produit facilement sous la charge. Les couches externes étant les plus récentes, celles-ci sont plus spongieuses et plus lâches de tissus que ne le sont les couches anciennes qui avoisinent le cœur; par conséquent la dessiccation opère sur ces couches externes un retrait plus considérable que sur les couches internes; de là, courbure. Soit A (fig. 14) une pièce de bois refendue, les couches B sont plus dures, plus compactes que celles C qui contiennent plus d’humidité et dont les fibres sont plus molles. En séchant, cette pièce de bois produira donc une concavité du côté externe, ainsi que je vous marque en D. Si le bois est laissé entier comme je le trace en E, les effets se neutraliseront et la pièce se conservera droite.
Fig. 15.
«Voyez cette charpente ancienne dont les chevrons portent ferme (fig. 15): les sablières38 A sont équarries dans des brins de chêne, le cœur étant au centre. Il en est de même des chevrons B, des entraits C, des faux entraits D, des poinçons E, des blochets39 F et des jambettes G; aussi toutes ces pièces ont conservé leur rigidité et aucune d’elles ne s’est courbée parce qu’elles ont été employées sèches et en brins non refendus. Voyez au contraire cette panne H posée sur cette ferme I d’une date récente, elle est courbée, non pas tant à cause du poids des chevrons qu’elle porte, que parce qu’elle est refendue et que le charpentier a maladroitement posé le cœur du côté intérieur. S’il eût fait le contraire, si le cœur eût été posé du côté du chevronnage, il est à croire que cette panne n’aurait point fléchi, peut-être même aurait-elle pris du raide, c’est-à-dire qu’elle serait convexe sur sa face externe. Mais les charpentiers sont des hommes et ils n’aiment point à se donner du travail quand ils croient pouvoir l’éviter. Celui qui a posé cette panne a trouvé plus commode de la placer sur son plan de sciage au lieu de la retourner et de mettre ce plan sous les chevrons.
«Considérant cette qualité du bois, et du bois de chêne notamment, dont les fibres internes sont plus dures et plus serrées que ne sont les couches externes, quand on veut poser une pièce de bois horizontalement sur deux points d’appui ou piliers, et lui donner toute la résistance dont elle est susceptible pour porter un poids agissant sur son milieu, on la débite à la scie en deux, dans sa longueur, et, retournant les faces à l’extérieur, on boulonne ensemble ces deux pièces, ainsi que je vous l’indique ici (fig. 16). Alors les cœurs étant en dehors et les deux pièces tendant à se courber en formant deux surfaces convexes, ainsi que vous le voyez en A (fig. 17), si elles sont bien serrées par des boulons40 munis de bonnes platines, elles sont obligées de rester droites; la puissance de courbure de l’une neutralise la puissance de courbure de l’autre, ces deux efforts contraires tendent à donner plus de raide à la pièce, d’autant que, si vous prenez un bois quelque peu courbé naturellement et que vous placiez ces deux pièces de telle sorte que la concavité soit en dessous, après les avoir, bien entendu, chevauchées, mettant la queue de l’une contre la tête de l’autre, vous aurez donné à cette pièce de bois toute la résistance dont elle est susceptible.
Fig. 16.
Fig. 17.
«C’est d’après cette méthode qu’il faut poser les moises41 et toutes pièces doubles. Ici, par exemple (fig. 18), vous voyez que l’on a placé avec raison une paire de moises en mettant les sciages en dehors pour remplacer un entrait pourri. Nous appelons moises des pièces de bois qui, doublées habituellement, pincent deux ou plusieurs membres d’une charpente. Ces moises A saisissent au moyen d’entailles à mi-bois les arbalétriers B, le poinçon C et les deux liens D. Des boulons en fer avec écrous serrent exactement les entailles des moises comme feraient des mâchoires, contre les bois qu’il s’agissait de maintenir à leur place. Mais en voilà assez pour aujourd’hui, et vous aurez fort à faire de mettre au net, d’ici à ce soir, cette leçon de charpenterie.»
Fig. 18.
CHAPITRE VII
PLANTATION DE LA MAISON ET OPÉRATIONS SUR LE TERRAIN
Le lendemain, on recevait de Mme Marie N… une lettre datée de Naples, qui exprimait les plus vives et les plus patriotiques appréhensions à propos des derniers événements. La sœur de M. Paul engageait la famille à venir la rejoindre à Naples; son mari ne pouvait rentrer en France en ce moment; la mission qui l’appelait à Constantinople ne souffrait aucun délai et le forçait à s’embarquer très prochainement. Cette lettre se terminait ainsi: «Nous avons reçu les projets de Paul; il nous semble s’être un peu fait aider par notre cousin. Cela me plairait fort, à mon mari et à moi, si jamais on pouvait mettre la main à l’œuvre; mais qui peut aujourd’hui, dans notre pauvre pays, songer à bâtir? Venez bien plutôt nous trouver.»
«Eh bien, dit M. de Gandelau après la lecture de cette lettre, voilà vos projets approuvés, passons sans retard à l’exécution. Si MM. les Prussiens viennent jusqu’ici et qu’ils mettent le feu, suivant leur coutume, à notre vieille maison, ils ne brûleront pas les murs d’une bâtisse à peine commencée, et ce que nous aurons dépensé pour l’élever n’entrera pas dans leurs poches.»
Le grand cousin aidé de Paul qui faisait les calculs—jamais il n’en avait tant fait—rédigea le devis, qui donna un chiffre de 175 000 fr. La terrasse et la maçonnerie entraient dans la dépense prévue pour 85 000 fr.
Le père Branchu fut appelé: «C’est un homme bien comme il faut, monsieur votre père,» dit-il à Paul, lorsqu’il fut convenu qu’on commencerait dès le lendemain, «il fait travailler le monde quand on est obligé de renvoyer les ouvriers valides de partout et que les vieux comme moi, qui ne peuvent plus se battre, vont jeûner tout l’hiver. J’vas boire un bon pichet à sa santé avec Jean Godard le charpentier, qui sera rudement content tout de même!»
Le reste de la journée fut employé à mettre les cotes principales sur le plan, afin de pouvoir tracer les fouilles.
Le père Branchu, le lendemain, se trouvait sur le terrain, muni de cordeaux, de piquets, de clous, de broches, d’une grande équerre et d’un niveau d’eau quand arrivèrent Paul et son cousin, de bon matin.
«Vous voyez, dit à Paul le grand cousin, que les cotes indiquent sur ce plan les distances entre les axes des murs. Consultant ces mesures, nous allons, sur le terrain, planter ces axes à l’aide de cordeaux attachés à ce que nous appelons des broches (fig. 19), lesquelles se composent de deux piquets fichés solidement en terre et d’une traverse. La direction d’un des axes étant arrêtée suivant l’orientation qu’il nous convient de choisir, la disposition des autres axes s’ensuivra d’après les distances tracées sur le plan et les retours d’équerre.»
Fig. 19.
Le grand cousin eut bientôt fait d’arrêter la ligne d’axe A de la salle à manger et de la salle de billard, suivant l’orientation convenable. Puis, sur cette première ligne d’axe, il en fit établir une autre à angle droit, au moyen d’un petit graphomètre, laquelle fut la ligne d’axe du salon et du vestibule. Une fois ces deux lignes arrêtées, les autres furent disposées au moyen des cotes inscrites d’avance sur le plan. Les axes des murs principaux se trouvaient ainsi tracés sur le terrain par des cordeaux, attachés aux broches.
Comme on devait établir des caves sous tout le bâtiment principal, le grand cousin se contenta d’ordonner au père Branchu de fouiller tout le terrain à une distance de 1m,00 en dehors des lignes du périmètre. Deux terrassiers, avec leurs pioches, se mirent donc à tracer immédiatement la fouille. «Si vous trouvez (comme ce n’est pas douteux), dit-il aux terrassiers, de la roche à une faible profondeur et qu’elle soit de bonne qualité, vous aurez le soin de ne point la gâcher; exploitez-la comme du moellon, nous nous en servirons et nous vous payerons la fouille en conséquence. Si vous trouvez de la caillasse, faites-la sauter à la mine, et mettez de côté pour en faire usage les meilleurs morceaux. Demain ou après-demain, nous vous donnerons le plan et le profil des caves. En attendant, approvisionnez-vous de briques, de chaux et de sable; vous savez que dans ce pays-ci il est prudent de s’y prendre d’avance pour avoir ces matériaux à temps. Nous voilà en septembre et il faut que nos caves soient faites au moins avant les premières gelées.
«Ainsi donc, ajouta le grand cousin en s’adressant à Paul, au moment où ils revenaient vers la maison, je vous nomme inspecteur des travaux, et voici en quoi consistent vos fonctions: vous viendrez sur le terrain tous les matins et vous veillerez d’abord à ce que les ordres donnés devant vous soient strictement exécutés. Ainsi, vous aurez à reconnaître la quantité de moellon qu’on extraira de la fouille, à faire empiler proprement ce moellon sur 1m,00 d’épaisseur, une largeur de 2m,00 et une longueur indéfinie suivant le rendement de la carrière. Ayant ainsi chaque jour constaté l’augmentation du cube, nous serons assurés qu’il n’en sera rien détourné. Vous aurez dans votre poche un carnet sur lequel vous marquerez cette augmentation journalière, et vous ferez parafer chaque feuillet par le père Branchu. Ce n’est donc, pour le moment, qu’une surveillance; mais vos fonctions se compliqueront au fur et à mesure de l’avancement des travaux. S’il arrive des matériaux, vous reconnaîtrez la quantité soit comme nombre, si c’est de la brique, soit au cube, si c’est du sable ou de la chaux. À cet effet, je vais vous faire porter sur le chantier une de ces caisses de cantonnier qui ont 1m,00 sur 1m,00 et 0m,50c de hauteur. Chaque caisse remplie donnera donc un demi-mètre.
«Vous direz au père Branchu qu’il ait à élever une baraque en planches qui servira de magasin pour ses outils et permettra de mettre la chaux à couvert en attendant qu’on l’éteigne. Si nous avions un entrepreneur-adjudicataire ou avec lequel un marché aurait été passé, nous n’aurions pas à nous inquiéter de la quantité ou du cube des matériaux amenés sur le chantier; mais ici, nous sommes obligés d’employer les moyens élémentaires, car le père Branchu ne peut faire des avances de fonds. Nous lui donnerons les matériaux que nous achèterons ou qui proviennent de nos ressources, en compte. Vous sentez qu’il ne faut pas que ces matériaux soient détournés ou gaspillés. Nous lui payons seulement la mise en œuvre. Cela exige de notre part plus d’attention et de surveillance, mais nous sommes assurés au moins de ne pas être trompés sur la qualité des matériaux par un entrepreneur qui croirait peut-être avoir intérêt à nous fournir, s’il les achetait, de la marchandise d’une valeur inférieure à celle que nous aurions portée au devis.
«Nous nous engagerons de même avec le charpentier. Votre père m’a dit qu’il avait quelques brins de chêne coupés depuis plus de deux ans et mis en chantier près de la ferme de Noiret. Allons les voir, nous marquerons ceux qui pourront être employés. Notre plan coté nous donne les longueurs des solives des planchers.»
En passant le long du ru qui coule dans la petite vallée, le grand cousin regardait attentivement ses berges et en frappait les parois avec le bout ferré de son bâton. «Qu’est-ce que vous voyez donc là? dit Paul.—Je crois que nous trouverons ici de bons matériaux pour faire les voûtes des caves… Voyez cette pierre jaunâtre, poreuse comme une éponge. C’est un cadeau que nous fait ce cours d’eau si modeste. Il entraîne dans ses eaux du carbonate de chaux, qui vient chaque jour s’incruster sur les herbes et détritus de végétaux qui se trouvent sur ses bords et son lit. Ce ruisseau forme ainsi un tuf léger, très poreux, qui est mou et friable tant qu’il reste à l’humidité, mais qui acquiert une certaine dureté en séchant. Autrefois ce ruisseau était plus gros qu’il n’est aujourd’hui, et il me paraît avoir déposé une assez belle épaisseur de ce tuf qui apparaît sur ses rives actuelles. Prenez ce morceau et regardez-le attentivement… Vous voyez qu’il est rempli de cavités, de petites galeries cylindriques, ce sont les brindilles de végétaux autour desquelles s’est déposé le carbonate de chaux. Ces brindilles sont pourries et détruites depuis longtemps, l’enveloppe est restée et durcit à l’air. Observez comme ce moellon est léger, composé de cellules qui ne sont guère plus épaisses que des coquilles d’œuf. Cependant, essayez de l’écraser sous votre talon… Il résiste et à peine si la pression émousse ses aspérités. Eh bien, faites-le sécher, et dans huit jours il résistera bien mieux. Il faudra un bon coup de marteau pour le briser.
«Cette matière est la meilleure peut-être pour faire des voûtes, à cause de sa légèreté, de sa résistance, de ses cavités et de cette âpreté qui font que le mortier adhère si bien aux joints qu’on ne saurait l’en détacher et que le tout, suffisamment sec, semble ne former qu’une seule pièce.
«Nous enverrons deux terrassiers pour en exploiter quelques mètres. Ce n’est pas difficile; et quand ce tuf est humide sur son lit naturel, on le débite avec la plus grande rapidité en briquettes.»
On arriva bientôt à la ferme de Noiret; là, en effet, le long du mur de la grange, sous un appentis, étaient empilées des pièces de bois, grossièrement équarries et noircies par l’humidité. Le grand cousin en marqua un certain nombre avec son couteau, laissant de côté celles qui étaient torses, noueuses ou roulées.
»Qu’est-ce donc qu’une pièce de bois roulée?» dit Paul.
–Les bois roulés sont ceux dont les fibres tournent en spirale autour du cœur. Vous comprenez que les fibres du bois n’étant pas verticales et formant des spirales plus ou moins prononcées, perdent leur propriété de résistance: ces fibres, à cause du parcours qu’elles font, lequel n’est point régulier, se disjoignent et laissent entre elles de profondes gerçures. Ces bois sont donc rejetés comme défectueux, ainsi que ceux qui sont attaqués au cœur ou qui ont ce qu’on appelle des malandres, c’est-à-dire des parties malades entre leurs couches, sorte d’ulcères intérieurs qui d’abord enlèvent au bois son homogénéité de résistance et qui développent autour d’eux la pourriture. Il arrive souvent que l’on ne voie pas les malandres et qu’en peu de temps des bois de charpente qui paraissent très-sains tombent en poussière. Ces maladies cependant étant fréquentes ou rares en raison des terrains sur lesquels les bois ont poussé, il est essentiel de savoir la provenance des charpentes que l’on emploie dans les constructions. Telle forêt produit des bois de chêne admirables en apparence, mais qui pourrissent rapidement; telle autre en fournit qui sont toujours sains. En général les bois poussés dans des sols légers et secs sont bons; ceux qui viennent dans les terrains humides, argileux, sont mauvais.
«Vous ferez mettre de côté ces bois roulés et tors; ils seront bons pour faire les cintres des caves; ils ne sont propres qu’à cela ou à être brûlés. Quant à ces brins de sapin, ils serviront à faire nos échafauds.»
Il était tard, les deux compagnons demandèrent à déjeuner à la ferme. Pendant qu’on mettait la table: «Expliquez-moi donc, cousin, comment vous vous servez du graphomètre.
Fig. 20.
—Lorsqu’il s’agit d’une opération comme celle que nous venons de faire, c’est la chose du monde la plus simple. J’ai prié le père Branchu de faire porter mon instrument au château, pour ne pas en être chargé toute la matinée, mais il n’est pas besoin de l’avoir là pour vous faire comprendre comment on opère. Vous savez que le graphomètre se compose d’un cercle gradué, divisé en 360 degrés. Ce cercle, mobile sur son centre, est muni d’un niveau à bulle d’air et, au-dessus, d’une lunette, qui tous deux pivotent horizontalement sur le centre du cercle. Le niveau et l’axe de la lunette sont parfaitement parallèles au plan du cercle. On pose celui-ci sur un pied à trois branches et on établit tout d’abord le cercle horizontalement au moyen de trois vis de rappel et en faisant pivoter le niveau. Il faut que la bulle d’air soit toujours au centre sous quelque degré du cercle qu’on tourne le tube. Ceci fait, et le pied étant placé au point marqué sur le terrain,—ce qu’on vérifie au moyen d’un fil à plomb passant par le centre du plateau,—on dirige la lunette sur un point fixé et où est placée une mire. Le verre de la lunette est croisé par deux cheveux à angle droit qui en marquent le centre. Il faut que l’intersection des deux cheveux tombe sur le point que l’on vise. Mais au préalable, l’indicateur ou vernier, qui tient à la base de la lunette, est placé sur le zéro du cercle. C’est donc l’ensemble de l’instrument qu’on a fait tourner. Alors, si l’on veut, par exemple, former un angle droit sur la ligne réunissant le point où l’on est placé avec la première mire, on fait pivoter la lunette jusqu’à ce que son indicateur soit à 90 degrés (le quart du cercle). On envoie un homme avec une autre mire dans la direction de la lunette, et on fait porter cette mire à droite ou à gauche jusqu’à ce que son milieu soit exactement sur la ligne du cheveu vertical de la lunette. On fait fixer cette mire. Il est donc certain alors que la ligne tirée du point où vous êtes placé avec la seconde mire forme un angle droit avec la première ligne de base, puisque deux diamètres coupant à angle droit un cercle divisé en 360 degrés donnent 90 degrés pour chaque quart du cercle. À l’aide de cet instrument, ayant, au préalable, indiqué, sur le plan d’un bâtiment qu’il s’agit de planter, les angles que forment certaines lignes entre elles, partant d’un point, on peut donc reporter ces angles sur le terrain. Supposez qu’il s’agisse de planter un portique demi-circulaire. Ayant posé le centre et tracé le demi-cercle sur le terrain, en plaçant le graphomètre sur ce centre, vous pourrez envoyer des lignes qui couperont régulièrement cette circonférence et indiqueraient, par exemple, l’axe des colonnes ou piliers. Puisque du point A au point B vous avez 180 degrés (fig. 20), vous diviserez ces 180 degrés en autant de parties que vous voudrez sur le cercle du graphomètre, et le centre de la lunette vous donnera, à grande distance, les mêmes divisions sur le portique demi-circulaire. Par cette raison que le graphomètre sert à planter un bâtiment, il sert à relever un terrain. En effet, supposez que la base E F soit une longueur connue, que vous avez mesurée: plaçant votre instrument en E, vous visez avec la lunette un point C, soit un arbre, un clocher, un piquet; vous avez donc le nombre de degrés sur le cercle que comprend l’angle C E F. Vous reportez cet angle sur la planchette; puis transportant l’instrument sur le point F, de là vous visez ce même point C; vous obtenez de même l’angle C F E, qui, reporté sur la planchette, vous donne exactement la position du point C et la distance inconnue qu’il y a entre E et C, entre F et C; dès lors l’une ou l’autre de ces longueurs vous servent de base à leur tour, et opérant du point C et du point F, en visant un quatrième point D, vous connaissez les longueurs C D et F D. Ainsi pouvez-vous opérer sur toute une contrée; c’est ce qu’on appelle triangulation: la première opération à faire pour établir la carte d’un pays. Mais nous entrons là dans un autre domaine. Allons déjeuner!»