Kitabı oku: «Comment on construit une maison», sayfa 8
CHAPITRE XII
DE QUELQUES OBSERVATIONS ADRESSÉES AU GRAND COUSIN PAR M. PAUL ET DES RÉPONSES QUI Y FURENT FAITES
Paul, la tête penchée sur le papier couvert de croquis, les mains entre ses genoux, ne laissait pas de penser, à part lui, que son cousin noircissait beaucoup de papier pour faire des plafonds, lesquels lui avaient toujours semblé la chose du monde la plus simple et la moins susceptible de complications. Entre une feuille de papier blanc tendue sur une planche et un plafond, M. Paul ne faisait guère la distinction, dans son esprit. Aussi, quand le grand cousin lui eut répété la formule: «Comprenez-vous bien?» Paul hésita quelque peu, dit: «Je crois que oui!» et ajouta après une pause:
«Mais, cousin, pourquoi ne pas faire des planchers et plafonds comme partout?
–Cela vous semble compliqué, mon ami, répondit le grand cousin, et vous voudriez simplifier la besogne.
–Ce n’est pas tout à fait cela, reprit Paul, mais comment fait-on ordinairement; est-ce qu’on emploie tous ces moyens? Je n’ai pas vu ce que vous appelez les lambourdes, et les solives d’enchevêtrure, et les chevêtres, et les corbeaux dans aucun des plafonds de ma connaissance; alors, on peut donc s’en passer?
–On ne se passe de rien de tout cela dans les plafonds faits de charpente, mais on le cache sous un enduit de plâtre; et, comme je vous le disais, cette enveloppe de plâtre est une des causes de la ruine des planchers de bois. Dans tous ces planchers, il y a des solives d’enchevêtrure et des chevêtres au droit des tuyaux de cheminée et des âtres; il y a aussi parfois des lambourdes; tout cela est relié à force de ferrements, pour se tenir entre deux surfaces planes ayant entre elles le moins d’épaisseur possible. À Paris, où les maisons sont bien sèches, ce mode passe encore; mais à la campagne, on peut difficilement se soustraire à l’humidité; ces sortes de planchers enfermés risquent de tomber bientôt en pourriture. Il faut aérer les bois, je vous le répète, pour les conserver longtemps. Cette anatomie du plancher de bois existe dans tous ceux que l’on construit avec ces matériaux, seulement vous ne la voyez pas. Or il est bon, en architecture, de se servir des nécessités de la construction comme d’un moyen décoratif, d’accuser franchement ces nécessités. Il n’y a pas de honte à les faire voir, et c’est une marque de bon goût, de bon sens et de savoir, de les montrer en les faisant entrer dans la décoration de l’œuvre. À vrai dire même, il n’y a, pour les gens de goût et de sens, que cette décoration qui soit satisfaisante, parce qu’elle est motivée.
«On s’est habitué en France à juger tout, et les choses d’art par-dessus tout, avec ce qu’on appelle: le sentiment. Cela est commode pour une certaine quantité de personnes qui se mêlent de parler sur les choses d’art sans avoir jamais tenu ni un compas, ni un crayon, ni un ébauchoir ou un pinceau, et les gens du métier se sont peu à peu déshabitués de raisonner, trouvant plus simple de s’en rapporter aux jugements de ces amateurs qui noircissent des pages pour ne rien dire, mais flattent par-ci par-là le goût du public en le faussant. Peu à peu, les architectes eux-mêmes, qui sont de tous les artistes ceux qui ont plus particulièrement à faire intervenir le raisonnement dans leurs conceptions, ont pris l’habitude de ne se préoccuper que des apparences et de ne plus tenter de faire concorder celles-ci avec les nécessités de la structure. Bientôt, ces nécessités les ont gênés; ils les ont dissimulées si bien, que le squelette d’un édifice, dirai-je, n’a plus été en concordance avec l’enveloppe qu’il revêt. Il y a la structure qu’on abandonne souvent à des entrepreneurs qui s’en tirent comme ils peuvent, mais naturellement en obéissant à leurs intérêts, et la forme qui s’applique tant bien que mal à cette structure. Eh bien, nous ne suivrons point cet exemple, si vous le permettez, et nous ferons une bâtisse, si modeste qu’elle soit, dans laquelle on ne pourra trouver un détail qui ne soit la conséquence soit d’une nécessité de la structure, soit des besoins des habitants. Il ne nous en coûtera pas plus, et, la chose finie, nous dormirons tranquilles, parce que nous n’aurons rien de caché, rien de factice, rien d’inutile, et que l’individu-édifice que nous aurons bâti nous laissera toujours voir ses organes et comment ces organes fonctionnent.
–Comment se fait-il, alors, reprit Paul, que tant d’architectes ne montrent pas, ainsi que vous voulez le faire ici, ces… nécessités de la construction, les dissimulent, et… pourquoi agissent-ils de la sorte? qui les y oblige?
–Ce serait bien long de vous expliquer cela…»
M. de Gandelau entra sur ces derniers mots de la conversation…
«Nous avons des nouvelles de plus en plus mauvaises, dit-il, les armées allemandes se répandent partout; il faut nous attendre à voir ici les ennemis. Pauvre France! Mais que disiez-vous?
–Rien, répondit le grand cousin, qui ait de l’intérêt, en présence de nos désastres… Je cherchais à faire comprendre à Paul qu’en architecture, il ne faut dissimuler aucun des moyens de structure, et qu’il est même dans l’intérêt de cet art de s’en servir comme de motifs de décoration; en un mot, qu’il faut être sincère, raisonner et ne se fier qu’à soi…
–Certes! reprit M. de Gandelau, vous mettez le doigt sur notre plaie vive… Raisonner, ne se fier qu’à soi, se rendre compte de chaque chose et de chaque fait par l’étude et le travail, ne rien livrer au hasard, tout examiner, ne rien dissimuler à soi-même et aux autres, ne pas prendre des phrases pour des faits… ne pas se croire abrités par la tradition ou la routine… Oui, voilà ce qu’il eût fallu faire… Il est trop tard. Et qui sait si, après les malheurs que je prévois, notre pays retrouvera assez d’élasticité, de patience et de sagesse pour laisser là le sentiment et s’en tenir à la raison et au travail sérieux! Tâchez d’apprendre à Paul à raisonner, de l’habituer à la méthode, de lui donner l’amour du travail de l’esprit; qu’il soit architecte, ingénieur, militaire, industriel ou agriculteur comme moi, vous lui aurez rendu le plus grand service. Surtout, qu’il ne devienne pas un demi-savant, un demi-artiste ou un demi-praticien, écrivant ou parlant sur tout, et incapable de rien faire par lui-même. Travaillez! Plus les nouvelles que nous recevons prennent un caractère sinistre, plus elles pèsent sur notre cœur, et plus il faut nous attacher à un travail utile et pratique. Les lamentations ne servent à rien! Travaillez!
–Allons visiter le chantier,» dit le grand cousin, qui voyait que Paul demeurait pensif et n’était guère disposé à se remettre au travail.
CHAPITRE XIII
LA VISITE AU CHANTIER
La bâtisse commençait à prendre tournure; le plan se dessinait au-dessus du sol. Une vingtaine de maçons et tailleurs de pierre, quatre charpentiers, des garçons, animaient ce coin de la campagne. Puis, arrivaient des charrettes remplies de briques, de sable, de chaux. Deux scieurs de long débitaient des troncs d’arbres en madriers; une petite forge mobile abritée derrière un bouquet d’arbres était allumée et réparait les outils, en attendant qu’elle eût à forger des étriers, crampons, pattes, brides et plates-bandes. Un beau soleil d’automne répandait sur cet atelier une lumière chaude et un peu voilée. Ce spectacle parvint à effacer de l’esprit de Paul les tristes impressions laissées par les paroles de son père. Sous cet aspect, le travail ne lui paraissait pas revêtir les formes sévères et âpres qui avaient d’abord effarouché un peu notre écolier en vacances. En inspecteur attentif, Paul se mit donc à suivre son cousin sur le tas57 (fig. 35), en écoutant avec grand soin ses observations.
Fig. 35.—Le tas.

«Voilà, père Branchu, dit le grand cousin, une pierre qu’il ne faut pas poser, elle a un fil, et, comme elle va servir de linteau je n’en veux point.
–Eh, m’sieu l’architecte, il ne va pas ben loin le fil!
–Qu’il aille près ou loin, je n’en veux pas, vous entendez? Paul, vous veillerez à ce qu’on ne la pose pas… Voyez-vous bien cette petite fêlure à peine apparente, frappez avec ce marteau des deux côtés… Bon! le son que rend la pierre est mat de ce côté; eh bien, cela vous prouve qu’il y a solution de continuité, et, la gelée aidant, ce morceau de droite se détachera de son voisin… Voici des briques que vous ne laisserez pas employer: voyez comme elles sont gercées; puis, ces points blancs… ce sont des parcelles de calcaire, que le feu a converties en chaux. À l’action de l’humidité, ces parcelles de chaux gonflent et font éclater la brique. Vous aurez soin, avant de laisser employer les briques, de les faire bien mouiller. Celles qui contiennent des parties de chaux tomberont en morceaux, et, par conséquent ne seront pas mises en œuvre.
–Mais, mon bon m’sieu, dit le père Branchu, c’est pas ma faute à moi, j’suis pas dans la brique!
–Non; mais c’est à vous de renvoyer celles qui sont défectueuses au chaufournier et de ne pas les lui payer, puisque vous vous êtes chargé de cette fourniture: cela lui apprendra à bien purger sa terre des débris de calcaire.—Voilà du sable qui contient de l’argile; voyez comme il tient aux doigts! Père Branchu, je ne veux que de bon sable, bien âpre; vous savez bien où il y en a. Vous avez fait prendre celui-ci à côté, il n’est bon que pour mettre dans les reins des voûtes des caves, comme remplissage; ne le laissez pas employer dans le mortier, vous entendez, Paul! Il faut pour le mortier de l’arène bien grenue, propre, dont les grains n’adhèrent pas les uns aux autres; et encore, avant de l’employer, faites jeter dessus les tas quelques seaux d’eau. Veillez aussi à ce qu’on ne corroie pas le mortier sur la terre, mais sur une aire de madriers. Vous l’avez fait ainsi, c’est bien, mais il ne faut pas procéder autrement; si vous êtes pressés, dans ce cas, une aire étant insuffisante, établissez-en deux. Faites bien attention aussi, Paul, à ce que les pierres soient toutes posées à bain de mortier.
–Oh! soyez ben tranquille, m’sieu l’architecte, je n’faisons pas autrement.
–Oui, je le sais, pour les constructions en soubassement et en pierre dure, cela va tout seul, mais en élévation vos ouvriers posent volontiers les pierres sur cales et ils les coulent en mortier clair, c’est plus vite fait. Faites-y bien attention, Paul! Toutes les pierres doivent être posées à leur place, sur cales épaisses en forme de coin, laissant un vide de six à huit centimètres; le mortier doit être étendu là-dessous sur toute la surface et avoir une épaisseur de 0m,02c environ, puis on retire les quatre cales, et la pierre s’asseyant sur le mortier, il faut le damer avec une grosse masse de bois jusqu’à ce que le joint n’ait qu’un centimètre d’épaisseur partout et que l’excès de mortier ait débordé tout autour…

Fig. 36.
—Voilà des lits maigres, père Branchu; il faut les faire retailler.
–Qu’est-ce qu’un lit maigre? dit Paul, tout bas, à son cousin.
–C’est un lit de pose, concave;» et prenant son calepin:
«Tenez (fig. 36), vous comprenez que, si le lit d’une pierre donne la section A B, le milieu C étant plus creux que les bords, cette pierre pose sur ceux-ci seulement; dès lors, si la charge est quelque peu forte, les cornes D E éclatent; nous disons alors que la pierre s’épauffre. Il vaut mieux que les lits soient faits comme je vous le trace en G, et ne portent pas sur leurs arêtes.
«Jusqu’à présent, père Branchu, vous avez élevé vos constructions avec des plans inclinés; mais nous montons, il va nous falloir des échafaudages.
«Puisque nous construisons en moellon piqué, ne mettant de la pierre de taille, au-dessus du soubassement, qu’aux angles et aux tableaux des croisées ou des portes, vous laisserez des trous de boulins58 entre ces moellons piqués. Alors vous n’aurez besoin que d’échasses59 et de boulins. Pour le montage, le charpentier va vous faire une équipe, et vous emploierez le monte-charge que je vous ferai venir de Châteauroux, où je n’en ai que faire en ce moment.
–Si ça vous fait rien, m’sieu l’architecte, j’préférons not’mécanique.
–Quoi!… votre diable de roue, dans laquelle vous mettez deux hommes comme des écureuils?
–Tout de même.
–Comme vous voudrez, mais je n’en ferai pas moins venir le monte-charge; vous essayerez.
«De fait, dit tout bas le grand cousin à Paul, sa mécanique qui date, je crois, de la tour de Babel, monte les charges, quand elles ne sont pas trop pesantes, beaucoup plus facilement que ne le font nos engins, et comme nous n’avons pas de fortes pierres à monter, nous ne le contrarierons pas sur ce point.» Et se tournant vers le maître maçon:
«Il est bien entendu, père Branchu, que nous ne faisons pas de ravalements, sauf pour quelques moulures très délicates de chanfreins, s’il y a lieu; vous poserez vos pierres toutes taillées, et qu’il n’y ait plus que des balèvres à enlever par-ci par-là.
–Entendu, m’sieu l’architecte, entendu, c’est à ma convenance.
–Tant mieux, j’en suis aise.» Et s’adressant à Paul:
«Je ne connais rien de plus funeste que cette habitude prise dans quelques grandes villes de ravaler les constructions. Des blocs grossiers sont posés; puis, quand tout cela est monté, on vient couper, rogner, tondre, racler, moulurer et sculpter ces masses informes en dépit de l’appareil, le plus souvent; sans compter qu’on enlève ainsi, à la pierre douce notamment, la croûte dure et résistante aux intempéries qu’elle forme à sa surface lorsqu’elle est fraîchement taillée au sortir de la carrière; croûte qui ne se reforme plus lorsque les matériaux l’ont une fois produite et ont jeté ce qu’on appelle leur eau de carrière. Heureusement, dans beaucoup de nos provinces, on a conservé cette habitude excellente de tailler, une fois pour toutes, chaque pierre sur le chantier suivant la forme définitive qu’elle doit conserver, et, posée, l’outil du tailleur de pierre n’y touche plus. Indépendamment de l’avantage que je viens de vous signaler, cette méthode exige plus de soin et d’attention de la part des appareilleurs, et il n’est pas possible alors de faire passer des lits ou des joints à tort et à travers. Chaque pierre doit ainsi posséder sa fonction et par suite la forme convenable à la place. Puis enfin, quand une construction est montée, elle est terminée; il n’y a plus à y revenir. Il faut dire aussi que cette méthode exige de la part de l’architecte une étude complète et terminée de chaque partie de l’œuvre à mesure qu’il fournit l’ordonnance des parties de la structure.
CHAPITRE XIV
M. PAUL ÉPROUVE LE BESOIN DE SE PERFECTIONNER DANS L’ART DU DESSIN
Une chose surprenait Paul, c’était la facilité avec laquelle son cousin exprimait par quelques coups de crayon ce qu’il voulait faire comprendre. Ses croquis perspectifs, surtout, lui semblaient merveilleux, et à part lui, notre architecte en herbe cherchait à indiquer sur le papier les figures dont il voulait se rendre compte; mais, à son grand désappointement, il n’arrivait qu’à produire de véritables fouillis de lignes auxquels lui-même ne comprenait rien un quart d’heure après les avoir tracées. Et cependant, pour rédiger ses attachements auxquels le cousin attachait de l’importance, il sentait que les moyens employés par son chef lui seraient d’une grande utilité s’il pouvait les posséder60.
Un jour donc, après avoir passé plusieurs heures sur le chantier à essayer de se rendre compte, par des croquis, de la figure des pierres taillées, sans parvenir à obtenir un résultat qui le satisfît à peu près, Paul entra chez son cousin.
«Je sens bien, lui dit-il, que ce qu’on m’a enseigné de dessin linéaire ne me suffit pas pour rendre sur le papier les figures que vous savez si rapidement expliquer par un croquis; apprenez-moi donc, mon cousin, comment il faut s’y prendre pour reproduire clairement ce qu’on a devant les yeux ou ce qu’on veut expliquer.
–J’aime à vous voir ce désir d’apprendre, petit cousin, c’est la moitié du chemin de fait; mais ce n’est que la moitié et… la moins difficile. Je ne vous enseignerai pas en huit jours, ni même en six mois, l’art de dessiner sans difficultés, soit les objets que vous voyez, soit ceux que vous imaginez dans votre cerveau; mais je vous donnerai la méthode à suivre, et avec du travail, beaucoup de travail et du temps, vous arriverez, sinon à la perfection, au moins à la clarté et à la précision. Dessiner, c’est, non pas voir, mais regarder. Tous ceux qui ne sont pas aveugles voient; combien y a-t-il de gens qui savent voir, ou qui réfléchissent en voyant? Bien peu, assurément, parce qu’on ne nous habitue pas, dès l’enfance, à cet exercice. Tous les animaux d’un ordre supérieur voient comme nous, puisqu’à bien peu de chose près ils ont des yeux faits comme les nôtres; ils ont même la mémoire des yeux, puisqu’ils reconnaissent les objets ou les êtres qu’ils aiment, qu’ils redoutent ou dont ils font leur proie. Mais je ne pense pas que les animaux se rendent compte des corps ou des surfaces autrement que par une faculté instinctive, sans que ce que nous appelons le raisonnement intervienne. Beaucoup de nos semblables ne voient pas autrement, et c’est leur faute, puisqu’ils pourraient raisonner. Mais il ne s’agit pas de cela… Voici la méthode que je vous propose:
«Vous savez ce que c’est qu’un triangle, qu’un carré; vous avez étudié la géométrie élémentaire et vous me paraissez la connaître passablement, puisque j’ai vu que vous compreniez les plans, les coupes et même les projections des corps sur plan vertical ou horizontal, puisque mes croquis vous sont intelligibles; vous allez donc prendre des cartes à jouer, et traçant à une échelle quelconque, sur chacune d’elles, les diverses faces d’une pierre que vous verrez tailler, vous découperez ces surfaces avec des ciseaux, et à l’aide de languettes de papier et de la colle, vous les assemblerez de manière à représenter tel ou tel de ces morceaux de pierres taillées. Ce petit modèle vous sera donc bien connu, vous saurez comment ses surfaces se joignent, quels sont les angles qu’elles forment. Le soir, à la lampe, vous placerez ces petits modèles devant vous, de toutes les manières, et vous les copierez tels qu’ils se présentent à vos yeux, ayant le soin d’indiquer, par un trait ponctué, les lignes de réunion des surfaces que vous ne voyez pas. Tenez, voici sur ma table un rhomboèdre en bois, lequel, comme vous le savez et le voyez, se compose de six faces semblables et égales dont les côtés sont égaux, chacune de ces faces donnant deux triangles équilatéraux réunis à la base. Voyez (fig. 37), je saisis ce corps entre mes doigts par ses deux sommets; si je vous le montre de manière qu’une de ses faces soit parallèle au plan de vision, les deux autres faces se présenteront obliquement (voir en A); vous voyez donc trois faces, mais il en est trois autres par derrière qui vous sont cachées. Comment se présenteraient-elles, si ce corps était transparent, ainsi que l’indiquent les lignes ponctuées? Si je fais pivoter le rhomboèdre entre mes doigts, de manière que deux faces soient perpendiculaires au plan de vision, ainsi: (voir en B), je ne verrai plus que deux faces, deux autres me seront dérobées et deux suivant les deux lignes ab, cd. Maintenant je présente le rhomboèdre sans qu’aucune de ses faces se trouve parallèle ou perpendiculaire au plan de vision, ainsi: (voir en C). Eh bien, je verrai encore trois faces, mais en raccourci, déformées par la perspective, et les trois autres seront indiquées par les lignes ponctuées. Faites donc le soir autant de petits modèles que vous pourrez, reproduisant les pierres que vous avez vues sur le chantier, et copiez ces petits modèles dans tous les sens. Jetez-les au hasard sur la table, plusieurs ensemble, et copiez ce que vous voyez; indiquez ce qui vous est caché par un trait ponctué ou plus fin. Quand vous aurez fait cela pendant huit jours, bien des difficultés vous seront déjà familières. Après nous verrons.»
Fig. 37.

Cette méthode plut fort à Paul, qui, sans perdre de temps, à l’aide de quelques-uns de ses relevés, se mit à faire un petit modèle d’une des pierres dont il avait mesuré les faces. C’était un sommier d’arc avec parement en retour. Il obtint, non sans peine, un assez joli petit modèle de carton qu’il établit fièrement sur la table de famille après dîner et qu’il copia d’abord sur le lit de pose, puis en le plaçant de différentes façons (fig. 38). Il serait resté à la besogne toute la nuit, tant cela l’occupait et lui faisait faire des découvertes intéressantes, si, à onze heures, Mme de Gandelau n’eût donné le signal du départ. Paul eut quelque peine à s’endormir, et son sommeil fut rempli de modèles de carton fort compliqués, qu’il cherchait à assembler sans pouvoir y parvenir. Aussi se leva-t-il assez tard, et en entrant dans la chambre du grand cousin il ne manqua pas de mettre l’heure avancée sur le compte de sa mauvaise nuit. «Bon, dit le grand cousin, vous avez la fièvre de la géométrie descriptive, tant mieux; on ne l’apprend bien qu’avec passion. Nous la travaillerons ensemble quand les froids auront suspendu notre construction, et que le mauvais temps nous enfermera ici. Il faut qu’un architecte arrive à se servir de la géométrie descriptive, comme on écrit l’orthographe, sans s’en préoccuper. Il faut que la perspective lui soit absolument familière. On ne saurait savoir l’une et l’autre trop tôt, et ce n’est que pendant la première jeunesse qu’on peut apprendre ces choses-là de manière que l’on n’ait plus à y songer, dût-on vivre cent ans. Vous êtes bon nageur, et si vous tombez à l’eau, vous n’avez pas besoin de vous dire quels sont les mouvements qu’il faut faire pour vous tenir à la surface et pour vous diriger; eh bien, c’est de cette façon qu’il faut savoir la géométrie et la perspective. Seulement, il convient de donner un peu plus de temps à la pratique de cette partie essentielle de notre art qu’il n’en faut pour savoir nager comme une grenouille.»
Fig. 38.
