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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 17
XXII
SUR LA GRÈVE
Qu'avait donc comploté et que savait donc Triboulet, ce séide assidu d'Antoine Duprat?
D'abord, son flair diabolique l'avait mis sur la voie des projets désespérés de la princesse; il n'avait pas été une minute dupe de la joie factice qui lui faisait donner une fête. Mais s'il voyait clairement que cette fête n'avait pour but que d'égarer l'attention, il ne se doutait pas des tortures qu'elle imposait à la pauvre Marguerite.
Triboulet valait mieux que Duprat.
Rien au monde n'était capable de détourner celui-ci d'un mauvais dessein. La vie de ses adversaires, le bonheur de ses ennemis étaient de faibles hochets qu'il brisait sans plus de scrupules qu'un enfant brise ses jouets.
Le bouffon, au milieu de ses penchants détestables, n'était pas aussi absolu, et quelquefois une bonne pensée surgissait parmi ses pires entraînements.
Il était possédé d'une passion insensée pour la même femme que son patron; mais on a vu déjà que, loin de prétendre comme celui-ci, à la réciprocité de sa tendresse, il se rendait justice et fût devenu, au prix de la plus légère faveur, son esclave dévoué.
Ses mépris, ses dédains avaient exaspéré son humeur; renonçant à la flétrir, il l'avait traquée pour la réduire au désespoir, pour perdre le rival heureux dont il enviait jusqu'à la captivité.
Maître de ses secrets, il avait livré le plus grave de tous à Duprat, dans un but horrible et qui ne pouvait être entrevu que par une imagination en proie à un délire infernal.
Tandis que le chancelier dresserait un piège à sa victime, lui, Triboulet, maître de leurs plans à tous, usant du philtre qu'il tenait précieusement en réserve, plongerait la princesse dans une sommeil insurmontable, et, s'introduisant près d'elle, aurait à sa merci cette beauté superbe.
C'était odieux, c'était infâme, c'était lâche, mais qu'attendre d'un tel être, transporté d'une telle frénésie!
Et vous l'avez vu, fidèle à son complot, ramper jusqu'à l'aiguière de la princesse, et y vider le flacon que la sage prévoyance de l'alchimiste avait rempli d'un liquide inoffensif.
Il aimait cette femme, pourtant; il l'aimait d'un amour sincère dans son exaltation. Ce qu'il faisait contre elle, c'était par la rage de cette passion misérable, à jamais condamnée à rester inassouvie.
Aussi, l'émoi qu'il ressentait en accomplissant la sophistication, sa défaillance après l'avoir accomplie, étaient autant des symptômes de désespoir et de remords que des marques de colère.
Il se voyait déjà maître de cette femme, livrée à lui par ce subterfuge; il allait la posséder à sa merci, plus heureux que Duprat, auquel elle ne serait jamais!.. Oui, mais à quel prix? dans quel état? Et ce philtre, était-ce bien un soporifique et non un poison?
A cette idée, d'avoir peut-être à se reprocher la mort de l'œuvre la plus accomplie de la création, il avait cru mourir lui-même.
C'est en proie à ces violences, à ces luttes, tout prêt à courir renverser le breuvage pernicieux, qu'il s'était égaré jusqu'à la porte du cabinet de toilette.
La découverte des angoisses de la princesse l'avait frappé en plein cœur, comme un dard acéré. Il ne l'eût pas crue malheureuse à ce point; la haine, l'amour, la compassion, la concupiscence, se livraient dans son esprit et dans ses sens un combat furieux, et suivant que l'une de ces passions triomphait, il éprouvait tour à tour de la rage, du désir, et de la pitié.
Tous les raffinements de l'enfer l'avaient torturé durant ce long repas, où chaque atteinte portée par la princesse à sa coupe lui étreignait la poitrine comme dans un étau.
Il s'attendait à la voir défaillir d'instant en instant, il tremblait que la dose de la mixture n'eût été trop considérable, que le sommeil n'arrivât trop tôt, que Marguerite n'eût pas le temps de regagner sa chambre, et puis surtout l'idée du poison.
Lorsqu'elle s'éloigna, il aurait voulu s'élancer sur ses traces; retenu par un instinct de sûreté personnelle, il espérait, dans son coin, échapper à la vigilance des varlets. Surpris par Michel Gerbier, il avait accepté son invitation parce qu'elle lui fournissait le moyen le plus naturel de ne pas quitter les appartements, et qu'il comptait, par un expédient ou un autre, peut-être en grisant le vieillard, rester maître de la place.
L'éloge de la princesse, le récit de ses chagrins, dont la révélation ne cessait de le poursuivre, avaient porté un coup décisif à son esprit ébranlé.
Il songeait à réparer ses crimes, à prévenir les manœuvres du chancelier, à mériter, par un aveu, par un avertissement salutaire, le pardon de celle qu'il avait persécutée, au moment où, tombé lui-même dans le piège où il comptait la prendre, il avait perdu la faculté de parler et de se mouvoir.
Ses regrets venaient trop tard, et les bonnes intentions de Michel Gerbier tournaient au détriment de sa maîtresse.
A l'instant où le refrain du rameur retentissait sur la rivière, une clarté brillait à l'une des fenêtres du Louvre, retombé depuis une heure, c'est-à-dire depuis la clôture de la fête, dans les ténèbres; une clarté brillait et disparaissait rapide comme l'éclair.
Le batelier s'était tu aussitôt, n'essayant plus de lutter de poumons avec le meuglement de la tempête qui agitait la Seine, et soufflait en rafales le long de la berge et contre l'aile méridionale du vieux palais.
Michel Gerbier traversant les galeries, les salles, le lieu du festin, se lança, la tête perdue, dans la chambre de sa maîtresse.
Trop tard! les appartements ne comptaient pas un varlet, et la chambre était vide.
Où courir, où la trouver, où lui annoncer qu'un piège est sous ses pas, que le plus redoutable de ses ennemis veille dans l'obscurité, et qu'un danger plane sur sa tête?
Autant de problèmes insolubles.
Si du moins ce danger était connu, il se jetterait au-devant pour sauver sa chère Marguerite; mais non, rien! Triboulet s'est endormi avant d'avoir livré le mot de cette redoutable énigme.
Il s'approcha d'une croisée, de celle peut-être où avait lui peu auparavant cette clarté, qui pouvait bien n'être autre chose qu'un signal; machinalement encore, il tira le petit verrou qui en fermait l'un des châssis carrés, et l'ouvrit.
Le vent se précipita par la trouée et vint le fouetter au visage, chargé d'une pluie piquante comme de la grêle.
Les éléments étaient ce qu'il craignait le moins en cet instant; il avança la tête et chercha à découvrir ce qui se passait au dehors.
Il lui fallut quelques minutes pour se faire à cette obscurité mêlée de brume et de pluie.
La fenêtre donnait sur la berge étroite qui séparait le Louvre de la rivière.
Il ne distingua d'abord que les flots houleux, se creusant en vallons et s'élevant en monticules, avec des mugissements pleins de présages funestes. Puis, son œil plus aguerri reconnut un objet qui, tantôt grimpant sur les vagues, tantôt descendant avec elles, et s'efforçant de les prendre par le travers, se rapprochait du palais par de pénibles manœuvres.
Il y avait là une arche en plein cintre, conduisant, comme un tunnel, du Louvre à la rivière. C'était une sorte d'embarcadère terminé par un quai de dalles d'une ou deux toises de longueur, et par un escalier en moellons.
Une épaisse porte en madriers de chêne, bardés de traverses de fer, fermait l'ouverture du cintre, et ne s'était pas ouverte depuis plusieurs règnes. La cour élégante et raffinée de François Ier n'eût songé à se servir de ce chemin fangeux pour se rendre à une partie de batelets sur la Seine. C'était un travail appartenant au système de fortification du Louvre, et destiné dans l'origine au service des défenseurs de la place.
L'attention du majordome se concentra cependant vers cet endroit.
Était-ce l'effet de la crainte, ou une cause réelle? Il lui semblait apercevoir parfois des formes vagues au milieu des amoncellements de pierres et des arbres qui entouraient ce petit quai.
Ce qu'il avait vu glisser à travers les flots et les brisant était un bachot, dirigé par un batelier sombre comme toute cette scène, et qui parvint, non sans peine, à atteindre les degrés et à s'y maintenir.
Un bruit singulier se manifesta bientôt; c'était la porte antique et massive qui roulait sur ses gonds oxydés.
Le batelier se leva tout debout dans son bachot et fit mine de s'avancer vers le bord; il étendait les bras, et deux personnes, un homme et une femme, répondant par leurs gestes muets à cet appel, s'approchaient de lui.
Enfin, un seul pas les séparait encore… Michel Gerbier ne respirait plus; identifié à cette scène, il en ressentait toutes les émotions.
Tout à coup, il se rejeta avec effroi dans la chambre, ferma la fenêtre et ne voulut plus voir. La berge s'était éclairée; des torches avaient surgi, allumées par l'enfer, de chaque côté de l'arcade. Les deux personnages, sortis par la porte de chêne, se virent entourés par une escouade d'archers bardés comme pour un assaut.
Deux d'entre eux s'emparèrent du jeune homme qui ne put faire usage de ses armes.
Le batelier, bondissant sur le quai, l'aviron levé en forme de massue, en asséna un coup terrible sur le pot de fer qui coiffait le plus proche, et le renversa.
– Que faites-vous, mon père? s'écria le captif, saisi aussitôt par d'autres mains redoutables.
Mais le vieillard, c'était un vieillard, dont le feutre s'était envolé au vent, laissant voir une épaisse chevelure et une longue barbe blanches, le vieillard ne répondit pas.
Une hache s'était abattue sur son front, et le flot s'était ouvert pour l'engloutir avec un bruit funèbre.
A ce bruit, les archers eux-mêmes avaient frissonné; les voix s'étaient tues, on n'entendait que celle du jeune homme, qui répéta avec un long gémissement, en cherchant à sonder l'abîme de son regard désolé:
– Mon père! mon père! mon père!..
L'écho de la voûte voisine répéta trois fois ce triple appel; mais le fleuve s'était refermé, et la victime ne reparut plus.
Sa compagne s'élança alors, frémissante et résolue, pour l'enlever à ses persécuteurs, les domina un instant du regard et du geste:
– Arrière! ordonna-t-elle.
Cette attitude, cet accent faillirent leur faire rendre leur proie. Mais un homme, vêtu d'un toge noire bordée d'hermine, le visage caché sous un masque, et la tête couverte du mortier de la magistrature suprême, apparut alors à son tour entre eux et cette femme:
– Place!.. s'écria-t-il d'une voix vibrante qui la fit tressaillir.
– Soldats, reprit-elle, je suis la sœur du roi.
– La sœur du roi ne court pas la nuit en compagnie d'aventuriers; sorcière ou femme, arrière, à votre tour! Je ne vous connais pas!.. Cet homme est hérétique, décrété d'accusation, revendiqué par le sacré tribunal de l'inquisition.
– L'inquisition!..
– Oui, l'inquisition, dont un message de notre gracieux et très catholique souverain François Ier autorise l'établissement.
– C'est impossible! Le roi François Ier, mon frère, ne peut avoir signé cela!
– Vous en demanderez la certitude au parlement, qui, demain, enregistrera l'édit, et nommera les membres de la chambre ardente.
– Calomnie, vous dis-je, calomnie!.. Et vous, qui que vous soyez, qui savez de telles épouvantables nouvelles, reconnaissez en moi, je le veux, la duchesse d'Alençon, la fille de la régente et la sœur de votre maître!
L'homme à la toge noire affecta de ne rien répondre à cet ordre, et d'un geste impérieux:
– Archers, au Châtelet! prononça-t-il.
Ainsi, ce n'était même plus dans les fosses du Louvre que le prisonnier allait être conduit.
Les hommes d'armes, impassibles comme leur consigne, se mirent en devoir d'obéir.
La princesse, c'était bien elle, hélas! se précipita vers son cher chevalier et s'attacha à lui, luttant contre ces hommes de fer pour le leur reprendre.
Alors seulement il parut se ranimer et la voir. Depuis la disparition de son père, il était demeuré anéanti, les yeux obstinément fixés à la place où le gouffre s'était entr'ouvert, puis refermé sur la noble victime.
– Merci, chère dame, dit-il en lui donnant un dernier baiser; merci, il faut nous rendre à la fatalité, vous voyez bien qu'elle est contre nous… Souvenez-vous des paroles et des enseignements de celui qui vient de mourir: «Le corps s'éteint dans le trépas; les âmes survivent, et leur récompense est de se retrouver dans une existence plus heureuse!..» Fût-ce dans un siècle, Marguerite, quelque chose me dit que nous serons réunis.
Les archers l'entraînèrent.
L'homme noir, avant de les suivre, lança un long regard ironique et venimeux sur la pauvre femme dont il venait de briser le cœur, et qui s'affaissa lentement, anéantie, sur la dalle humide et glacée.
Le lendemain, des mariniers trouvèrent un bachot chaviré, et le cadavre d'un vieillard jeté par le flot sur la berge en face du Louvre.
Le bachot s'était crevé en plusieurs places en talonnant contre les degrés de pierre, et le vieillard avait le crâne fendu d'un coup de hache.
XXIII
LE DÉPART
L'inquisition!.. Duprat n'en imposait pas, c'était bien le cadeau que, du fond de sa captivité lointaine, et pour le prix des sympathies dont il était l'objet, François Ier faisait à son royaume.
La Sorbonne ne suffisait pas au zèle du chancelier, il lui fallait un tribunal spécial entièrement composé de ses créatures.
Ce fut d'abord aux livres et aux auteurs que l'on s'en prit, l'arrestation et le crime réel de Jacobus de Pavanes en donnent l'explication; le ministre avait à se venger du jeune lettré.
Antoine Duprat triomphait.
La nuit sanglante à laquelle nous assistions dans le chapitre précédent, ne cédait la place qu'à une œuvre encore plus sanglante.
Le jour le surprit présidant le conclave de ses nouveaux séides, leur délivrant leur charte, et préludant par ses instructions aux violences dont nous venons de donner une faible peinture.
Tous les luthériens étaient à ses yeux des Jacobus de Pavanes; afin de frapper celui-ci, il voulait les frapper en masse. Des aspirations sanguinaires rugissaient en lui, et il espérait les assouvir, comme si le sang n'appelait pas le sang, et comme si la hyène est jamais repue de cadavres.
Atteindre cette secte audacieuse et maudite, c'était d'ailleurs frapper du même coup Marguerite dans son affection de femme, dans sa foi de chrétienne. C'était s'attaquer à son cœur et à sa conscience, ces deux forteresses inaccessibles à sa passion et à son fanatisme.
Ah! c'était un grand calculateur, que ce grand misérable!
Une pensée importune ne laissait pas, au milieu de son conclave de jacobins inquisiteurs, de lui revenir sans cesse, comme ces aiguillons douloureux qui sont restés dans une plaie. Qu'était devenue la princesse? Que faisait-elle à cette heure?
Oui, l'idée de cette femme était inhérente à lui, comme la tunique du Centaure; il n'eût pu s'en délivrer qu'en enlevant les lambeaux de sa poitrine. C'était son châtiment.
Il l'avait laissée, elle, la sœur adorée du roi, seule, brisée, au sein de la nuit, sur les dalles imprégnées du sang de Jean de Pavanes, se tordant de désespoir, au bord du fleuve dont l'écume venait lui fouetter le visage.
Il l'avait méconnue, reniée, bravée. Il eût souhaité la rendre plus malheureuse encore, si la chose eût été possible. Et cependant, il essayait de descendre au fond de lui-même, il était contraint de s'avouer avec des rugissements intérieurs qu'il la trouvait belle, plus séduisante qu'aucune autre; que nulle n'avait soulevé en lui de pareilles tempêtes, et que sa détresse la rendait plus irrésistible que jamais.
Ses séides, étonnés, suivaient sans en pénétrer les vrais motifs les nuages qui obscurcissaient son front; et chaque fois qu'il avait suspendu son discours, dominé par ses tourments, il ne reprenait la parole que pour ajouter une rigueur aux rigueurs déjà prescrites.
Une circonstance l'étonnait aussi, c'était l'absence prolongée de Triboulet.
Le bouffon n'était pas de ceux que la plus auguste assemblée intimide, sa qualité de fou le rendait inviolable et couvrait ses témérités. D'où vient donc qu'il ne se montrait pas?
C'était lui qui avait mis son chef sur la voie du plan d'évasion combiné entre la princesse, l'ancien guichetier, le vieux Pavanes et les deux serviteurs dévoués, Hélène de Tournon et Michel Gerbier.
Triboulet, pénétrant partout, surveillant, espionnant tout, avait saisi les fils de cette tentative et les avait livrés à Duprat, qui avait organisé la contremine, trop bien exécutée.
Que le bouffon, conspirateur prudent, ne se fût pas montré au moment critique, rien de plus naturel; mais que devenait-il maintenant? N'avait-il pas vingt choses à apprendre à son patron et à lui demander?
Le lecteur, mieux instruit, connaît le motif insurmontable qui l'avait arrêté et mis à la discrétion de Michel Gerbier.
Il faisait jour lorsque son épais sommeil se dissipa.
Il se retrouva sur son escabelle, la tête appuyée sur la table chargée de mets, de flacons et de vaisselle, et tout d'abord il se crut en proie à un rêve moqueur.
Ce qui confirma un instant cette supposition, c'est qu'ayant voulu se remuer, allonger les bras, détirer ses jambes, il ressentit un engourdissement qui lui interdisait l'usage de ses membres.
La vue du gobelet perfide où il avait puisé le sommeil et l'ivresse finit pourtant par le remettre sur la voix. Il se reconnut. Il était dans l'office, mais il y était seul.
Alors il fut pris d'une profonde inquiétude sur les événements de cette nuit pleine d'embûches. Il se rappela, à son tour, la princesse trahie par lui et si malheureuse!
Quel que fût le résultat de ses projets, il comprenait que son affliction était au comble, soit que Duprat eût ressaisi sa proie, soit que le captif fût parvenu à s'enfuir, pour un exil perpétuel sans doute.
Ainsi Jacobus de Pavanes, ce rival détesté, n'était plus à craindre, et Duprat, le persécuteur, restait avec sa passion odieuse et sa méchanceté. A cette réflexion, Triboulet sentit croître la haine qu'il lui portait si sincèrement depuis longtemps, depuis surtout qu'il avait consenti à le servir.
L'impression qu'il en éprouva lui rendit le mouvement. Il bondit de son siège et courut vers une croisée donnant sur la cour du Louvre.
Un spectacle inattendu s'offrit à ses regards.
Michel Gerbier, entouré de serviteurs de la maison de madame Marguerite, présidait à un grand mouvement. Il y avait là une litière de voyage attelée de deux mules, dans laquelle on disposait des objets indiquant un départ immédiat, et d'autres mules sur lesquelles les pages et les varlets assujettissaient des bagages.
Tout ce monde, très-affairé, s'agitait dans un va-et-vient précipité, mais plein de circonspection, et prenait soin d'échanger ses observations à voix basse.
Le reste du palais paraissait dormir encore. Les rideaux des appartements de la duchesse d'Angoulême étaient clos, et rien ne trahissait la séance qui tenait le premier ministre debout dans son cabinet de travail.
Quelqu'un allait partir, quelqu'un de conséquence, assurément. Mais qui donc? Mais pourquoi ces préparatifs si soudains?
La réponse ne tarda pas. Une jeune femme en costume de voyage se montra sur le perron et vint parler au majordome. C'était Hélène de Tournon; elle paraissait précéder et attendre une personne, ce ne pouvait être que sa maîtresse.
Triboulet comprit le reste, et quitta précipitamment son observatoire.
C'était en effet Marguerite de Valois qui partait, et cette résolution n'avait pas été longue à germer en elle.
A peine le chancelier s'était-il éloigné avec ses soldats, entraînant le chevalier de Pavanes, et la laissant abimée dans sa fatalité, qu'un homme était sorti de la porte de chêne pour lui prêter son assistance.
C'était l'ancien guichetier, dont l'habileté avait tiré le captif de sa cellule et l'avait amené jusqu'au port, où il venait d'échouer. Cet homme avait craint de paraître devant Duprat; mais, plus compatissant que lui, il ne voulait pas laisser une pauvre femme sans secours en un pareil lieu, dans un tel moment.
A peine conservait-elle l'instinct de sa situation, les forces lui manquaient entièrement; heureusement il en avait pour deux. Il l'enleva dans ses bras, la rapporta dans la cour du palais, et joignant bientôt mademoiselle de Tournon, qui se tenait en vedette, réussit à la ramener dans son appartement.
Revenue à elle, sans vouloir entendre parler de soins ni de repos, elle avait mandé son intendant et lui avait ordonné de disposer, sur l'heure, son équipage de route avec le plus de prudence et le moins d'embarras possible.
– Mais où donc allez-vous, madame? s'était écriée Hélène, doutant qu'elle possédât son sang-froid.
– Tu le sauras, chère Hélène, pour peu que tu consentes à m'accompagner.
– Et moi, Altesse, obtiendrai-je la même faveur? demanda Gerbier.
– Toi, mon fidèle, tu resteras… N'insiste point, il faut que cela soit. Je n'ai que vous deux à m'aimer; si je vous emmène l'un et l'autre, qui prendra mes intérêts, qui veillera pour moi ici? Va, mon ami, mon père, ta tâche ne sera pas la plus douce; ainsi, ton zèle n'aura pas à se plaindre.
– Vous avez des paroles qui affoleraient les gens… Je resterai heureux de vous servir; mais serez-vous bien du temps partie?
– Autant qu'il en faut pour aller à Madrid voir l'empereur, voir le roi mon frère, et revenir.
A cette époque, une pareille expédition offrait des longueurs, des obstacles et des périls innombrables.
– Madrid!.. Vous allez en Espagne! exclama son père nourricier tout ému.
– Avec du courage on va partout, et l'on en revient!
Que répondre, qu'objecter à une telle résolution? Et puis, s'il restait une dernière chance à la cause, à l'existence qu'elle défendait, cette ressource suprême ne se trouvait-elle pas dans l'affection que lui portait François Ier qui ne saurait pas résister à ses larmes?
Le vieillard essuya du revers de sa main ses yeux humides, et sentant bien la nécessité d'agir vite, il s'occupa de tout disposer. En sorte qu'au même moment le chancelier préparait la ruine du chevalier de Pavanes, et Marguerite de Valois son salut:
Le bon et le mauvais ange étaient aux prises.
Tout fut prêt avant que Duprat en reçût avis, car son auxiliaire lui manquait.
Marguerite apparut alors sur le perron; adressant à ses serviteurs un geste de bienveillance, et s'appuyant sur le bras de sa compagne de route, elle commença à descendre les marches.
Au moment de franchir les dernières, elle poussa un cri de surprise et se rejeta en arrière. Le bouffon était là, prosterné, comme s'il eût voulu se faire écraser sous ses pieds.
– Encore lui!.. dit-elle avec amertume.
Mais il se souleva à genoux, et ses mains jointes tendues vers elle:
– Madame, supplia-t-il, ne partez pas sans me pardonner!
Le malheur rend les méchants impitoyables, mais il augmente la générosité des bons cœurs. La princesse trouva tant de douleur et de repentir dans cette attitude, dans cet accent, qu'elle n'eut pas la force de tenir rigueur à ce triste complice de ses chagrins.
– Devenez donc meilleur, lui dit-elle, sans colère, sans mépris.
Et pour prouver qu'elle pardonnait en effet, elle lui tendit sa main.
Il fit un mouvement pour la porter à ses lèvres, mais il s'arrêta.
– Non, dit-il, plus tard, quand j'en serai devenu digne… et je le deviendrai!
Puis il se contenta de baiser le bas de sa mante, et se relevant avec une énergie étrange:
– De cette heure, Altesse, prononça-t-il, vous pouvez compter sur un esclave, et le chancelier sur un ennemi à la vie, à la mort.
