Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.
Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 18
XXIV
QUI TROMPE-T-ON
Rien d'impossible à un cœur soutenu par un véritable amour.
En cette circonstance mémorable, Marguerite de Valois en fournit une éclatante preuve. Ni la fatigue, ni les ennuis, ni les privations d'une si longue course à travers des provinces hostiles ou à demi-sauvages, par des chemins qu'il fallait créer, avec des étapes de périls et de dénûment, rien ne la rebuta, rien ne lui arracha une plainte pour ses propres souffrances.
Si elle exhala quelques paroles de ce genre, ce fut pour compatir à la mauvaise étoile de ses compagnons, de sa chère Hélène et de ses gens, qu'elle dédommageait ainsi amplement des incidents fâcheux de l'expédition.
– Ne nous affligeons pas, ne nous désespérons pas, répétait-elle à chaque mésaventure, nous sommes encore favorisés de notre sire Dieu, car nous possédons notre liberté, et notre seigneur et roi se consume dans les fers!
Ce fut ainsi, en relevant le moral de sa petite escouade, en se jouant des obstacles, qu'elle atteignit la frontière.
Les Pyrénées, fort arides encore aujourd'hui, étaient à cette époque une région entièrement sauvage, très peu et très mal hantée, ce qui n'eût pas été un obstacle pour l'intrépide voyageuse. Mais elle dut s'arrêter avant de les franchir, par une autre raison.
La sœur de François était une femme trop supérieure en toute espèce de choses, notamment en politique, pour ne pas se tenir en garde contre la duplicité de l'empereur Charles-Quint.
Ce n'était pas tout d'entrer en Espagne, il fallait être sûr d'en sortir, et, de l'humeur dont on connaissait le monarque espagnol, d'après sa conduite envers François Ier, qu'il continuait d'appeler son frère, il était à craindre qu'il ne mît en avant le premier subterfuge venu, pour retenir également la duchesse d'Alençon, et réunir dans la même captivité le frère et la sœur. L'histoire nous prouve que cette appréhension, si injurieuse qu'on la trouve, était loin d'être chimérique.
François Ier n'y regardait pas d'aussi près que sa sœur, malheureusement pour lui, car il eût alors évité plus d'une mauvaise affaire, celle d'Italie, par exemple, à laquelle il devait ses mésaventures actuelles.
C'est ici le cas de rappeler, en jetant un regard un peu rétrospectif, que lorsqu'il était question au Louvre d'entreprendre cette campagne, on tenait de grands conseils chez le roi, et chacun cherchait le moyen de s'ouvrir passage dans la Péninsule. Les généraux présentaient chacun le leur, en sorte qu'on passa bientôt de cet embarras à celui du choix. Triboulet s'était glissé dans une de ces réunions, et se montrait fort grave.
– Foi de gentilhomme! s'écria le roi, nous voilà bien empêchés, messieurs, entre tant d'excellents avis; il n'y a que Triboulet qui puisse trancher la difficulté. Ça donc, maître fou, que pensez-vous sur tout cela?
– Je pense, sire, riposta le bouffon, que ces messieurs parlent à merveille; seulement, ils oublient le plus important.
– Oui-da! et c'est, à votre avis?..
– C'est le moyen de sortir dont personne ne parle.
Triboulet avait en cette circonstance le don de prophétie. Le roi devait passer par la captivité avant de revenir, et c'était évidemment aussi en se rappelant la déloyauté de Charles-Quint, que, plus tard, le bouffon, moins fort sur les lois de la chevalerie que sur celles des représailles, donnait son opinion au roi.
Charles-Quint demandait alors à passer par la France, pour aller plus vite châtier ses sujets flamands révoltés, et François Ier, avant de lui répondre, prenait l'avis de son fou.
– Si l'empereur, dit celui-ci, exécute ce beau dessein, et s'avise de mettre le pied sur le territoire d'un souverain qu'il a si odieusement maltraité, je lui donne mon bonnet de fou.
– Et si je le laisse passer sans obstacle?
– Oh! alors, sire, je lui reprends mon bonnet et vous en fais cadeau.
Ces anecdotes prouvent qu'avant comme après la mésaventure de son maître, Triboulet appréciait à sa valeur son ennemi. Mais revenons au départ de la sœur du roi.
Il était donc sage de ne pas s'aventurer sur les domaines de ce monarque sans générosité. Marguerite le savait et ne le tenta pas. Mis en demeure de lui envoyer ou de lui refuser un sauf-conduit pour visiter son frère, il se vit, sous peine d'assumer aux yeux du monde un odieux vernis, contraint de le lui accorder. Mais il prit soin d'y fixer une durée de quelques jour. (Voyez Anquetil.)
Dès qu'elle fut maîtresse de ce sauf-conduit, la princesse songea à rattraper les moments perdus dans l'attente. Elle ne voulut plus prendre de repos qu'elle ne fût arrivée à Madrid.
Si ce n'était pour son amour, du moins pour son frère était-il grand temps qu'elle atteignît cette ville. Le chagrin, le désespoir dévoraient le malheureux captif.
Marguerite le trouva au lit, sérieusement malade, dans un état de marasme, de prostration effrayants chez un homme aussi vigoureusement constitué. Un peu plus, et l'inflexible Charles-Quint n'eût conservé dans sa prison que le cadavre de son ennemi.
Avant de songer à son bonheur, la princesse songea à ce frère adoré dont on ne soupçonnait pas en France la misérable condition. Elle s'installa auprès de lui, véritable garde-malade, et lui prodigua les soins sans lesquels il eût inévitablement péri.
Aborder en un pareil instant le but de son voyage, répondre aux épanchements, à la reconnaissance attendrie de son frère, qui se croyait le seul objet de ce dévouement, par l'exposé des intrigues du premier ministre, par une demande qui devenait une affaire d'État, ce n'était pas le fait d'une âme délicate et affectueuse.
Avant de parler affaires, Marguerite parla guérison. Avant d'aborder la délivrance du chevalier de Pavanes, elle s'occupa de celle de son frère.
François espérait beaucoup de sa présence à Madrid, pour hâter cette grosse solution. Duprat avait trouvé un moyen de neutraliser les efforts de la régente, et d'empêcher que l'empereur prît en considération le traité qui lui offrait la main de la duchesse d'Alençon.
Mais le roi se rappelait que Charles avait été naguère fort épris de sa sœur; Marguerite atteignait, nous l'avons dit au commencement de notre récit, au déploiement de sa beauté et de ses charmes. Sa vue, son entretien, pouvaient ranimer la passion de l'empereur, et lui rendre désirable un hymen qui trancherait toutes les difficultés.
Pour Marguerite, si enviable que fût un trône comme celui d'Occident, elle bornait généreusement son ambition à rendre la liberté à son frère, à sauver la vie de l'homme qu'elle aimait. Mais pour remplir ce double but, ce but sacré, elle était résolue à tous les sacrifices compatibles avec sa dignité.
Quoi que cette démarche pût lui coûter, pour être agréable à son frère, elle sollicita une audience de l'empereur, qui n'avait pas jugé à propos, s'abritant sous les rigueurs de l'étiquette espagnole, de venir le premier à elle. Satisfait de cet acte de déférence d'une princesse aussi illustre, il s'empressa de lui envoyer sa réponse par un des seigneurs de sa chambre.
De ce côté donc, si les choses éprouvaient d'insurmontables lenteurs, elles n'offraient du moins que des symptômes satisfaisants.
En était-il de même au Louvre?
La régente avait éprouvé un vif chagrin du départ subit de sa fille, et surtout du secret observé vis-à-vis d'elle.
Elle ne se dissimulait pas ses torts, son manque de foi; elle comprenait que Marguerite eût voulu recourir à la seule ressource qui lui demeurât, la tendresse de son frère. Et cependant, elle la taxait d'ingratitude, pour n'avoir pas compris qu'elle-même était victime d'une tyrannie détestée, et persécutée par un ennemi commun.
Apprenant que Michel Gerbier était resté à Paris, et se doutant bien que c'était pour maintenir et représenter les intérêts de sa maîtresse, elle le fit venir, afin de s'entendre avec lui sur les messagers à envoyer à Madrid, et sur les moyens de servir et de renseigner la duchesse d'Alençon.
Le vieillard accepta ces offres, qui avaient leur importance, tout en se réservant de ne se confier que dans des limites fort circonspectes, à une princesse dont le bon vouloir avait lui-même des bornes si funestes.
Quant à Duprat, on pense comment il accueillit son confident, lui annonçant, quand depuis une heure c'était chose accomplie, le dessein de la sœur du roi de partir rejoindre son frère.
Mais Triboulet reçut les reproches, les injures avec une résignation parfaite. Il s'excusa humblement de son retard, ainsi que de son absence involontaire aux événements de la nuit, récriminant fort contre le piège que lui avait tendu le majordome, mais se gardant bien, on doit le croire, de se vanter de celui qu'il avait préalablement tendu à la princesse.
A cette confidence astucieuse, le front du chancelier s'obscurcit.
– Oui, murmura-t-il, ce majordome, ce conseiller se mêle trop des affaires de sa maîtresse… C'est décidément un homme dangereux. Je gagerais qu'il a charge d'espionner mes actions, pour en instruire le roi par le canal de madame Marguerite…
– La supposition est au moins vraisemblable, monseigneur, appuya le bouffon; et que me conseillez-vous à son égard?
– De ne pas le perdre de vue, sangdieu! et de le surveiller plus qu'il ne me surveillera moi-même.
– Vous connaissez mon talent en cette matière, messire.
– Oui, tu m'as bien servi; mais il faut redoubler de zèle, cet homme m'inquiète.
– Fi donc! un malheureux, un varlet!
– Le père nourricier de madame Marguerite!.. C'est plus grave que tu ne l'imagines. Je la connais, cette princesse renommée pour sa bienveillance; quand on s'attaque à ceux qu'elle aime, c'est une louve en furie.
– Vous lui avez, cependant, parfaitement pris son amant! fit le bouffon d'un air de bonhomie!
– Oh! pour celui-là, pas de pitié! murmura Duprat en serrant ses poings avec fureur. Hérétique au premier chef, l'inquisition réglera son affaire; et le frère Roma lui infligera désormais, soir et matin, une de ses homélies, avec le régime du pain et de l'eau.
– Eh bien, messire, est-ce qu'en cas de forfaiture à votre endroit, la sainte inquisition, en y mettant du sien, ne pourrait pas un peu décréter aussi ce majordome d'hérésie? cela ferait deux néophytes au lieu d'un à ce bon père Roma…
Triboulet accompagna cette heureuse insinuation d'un éclat de rire à donner la chair de poule. Mais le chancelier était homme à comprendre à merveille ces plaisanteries sinistres. Il daigna accorder un sourire à son conseiller, et lui jeta sa bourse.
– Tu as des idées sages, sur ma foi, maître fou! et si tu n'étais pas un si utile bouffon, tu ferais un fier agent de nos frères Démocharès et Roma. Pour l'heure, il suffit de surveiller le majordome, sa maîtresse va trouver auprès du roi, sur lequel elle exerce un ascendant considérable; ne nous créons pas à plaisir des complications sans profit.
– Que Votre Seigneurie se tienne en paix, alors. Je m'incorpore à la personne de maître Gerbier; je veux savoir non seulement ce qu'il fait, mais ce qu'il pense. Il apprendra qu'on ne joue pas impunément des tours comme celui de son vin sophistiqué au bouffon du roi!
– Ce pauvre intendant s'est jeté dans la gueule du loup!.. murmura avec satisfaction le chancelier, en regardant le bouffon qui s'éloignait, sa marotte à la main.
Triboulet s'en allait joyeux aussi, raffermi qu'il était dans la confiance de son redoutable et détesté patron.
Il avait promis de joindre Michel Gerbier. Ce fut, en effet, l'un de ses soins, mais il n'y réussit pas aussi vite qu'il l'espérait, car, moins indulgent, moins facile que sa maîtresse, le brave intendant conservait rancune au complice de tant de chagrin. Il n'était pas sans s'apercevoir de ses poursuites, et s'arrangeait de façon à ne pas le rencontrer.
Cependant, quand Triboulet voulait une chose de ce genre, il savait s'y prendre de manière qu'elle arrivât. Aussi, un beau jour, tomba-t-il comme une bombe, sans crier gare, dans l'appartement de la princesse, où Michel Gerbier se promenait seul, en donnant à chaque objet un regard mélancolique.
– Oui, fit une voix derrière lui, voilà le fauteuil où elle s'asseyait, le dernier livre qu'elle ait lu, la fenêtre par laquelle elle aimait à voir rouler les nuages et s'écouler la rivière…
Le vieillard se retourna vivement et reconnut le bouffon.
– Vous ici! s'écria-t-il en fronçant les sourcils. Vous êtes le seul peut-être que je n'y eusse pas attendu! Ces lieux, ces meubles que vous détaillez, ne sont-ils pas empreints de souvenirs tout frais qui devraient vous parler le langage des remords, si vous étiez capable de le comprendre?
«Pourquoi cette salle est-elle déserte et morne? Pourquoi ressemble-t-elle à un logis mortuaire? sinon parce que vous avez réduit celle qui en était la vie et le mouvement à un cruel exil!.. Vous regardez ce volume! C'est un livre d'Heures; voyez, il est marqué à l'office des morts…
«C'est la mort, en effet, c'est le désespoir, plus cruel encore, que vous avez attirés sur nous… Est-ce pour contempler votre œuvre ou pour en jouir, que vous vous y glissez comme un voleur ou comme un espion?
– Vous avez la douleur amère, maître Gerbier, fit tranquillement le bouffon de la cour.
Ce calme et surtout ce sérieux peu habituel à un tel personnage, éveillèrent l'attention du père nourricier de Marguerite, et ne sachant démêler la vérité sur le visage grimaçant et fardé de son interlocuteur:
– Enfin, demanda-t-il, que venez-vous faire ici?
– Vous voir et vous parler, mon maître.
– Soyez bref, alors; j'ai peu de temps à donner aux ennemis de ceux que j'aime.
– Hum! vous êtes prompt aux mauvaises paroles… Soyez tranquille, je ne vous cherchais pas pour vous en adresser.
– Au fait.
– J'y arrive, l'homme pressé! Vous parliez de souvenirs, tout à l'heure? Dites-moi, n'assistiez-vous pas au départ de madame Marguerite?..
Le cœur gonflé de l'intendant exhala à cette idée un souvenir plaintif.
– Eh bien! poursuivit le bouffon, ne vous rappelez-vous plus ce qui se passa comme elle franchissait la portière de sa voiture?
– Oui, vous étiez là…
– Le front dans la poussière, implorant mon pardon.
– Et ma chère maîtresse, ange de clémence…
– M'a pardonné… Vous l'avez entendue. Çà donc, ne me regardez plus de ce coup d'œil sombre et plein de menaces.
Un serviteur, tel que vous êtes, n'a pas le droit de garder rancune à ceux que ses maîtres ont absous.
– Que souhaitez-vous, enfin?.. demanda le vieillard, cédant peu à peu.
– Maître, mon repentir avait touché l'âme miséricordieuse de madame Marguerite; sa grâce ne s'est pas bornée à des mots: elle m'a tendu sa main généreuse… N'en fûtes-vous pas témoin?
– J'en conviens…
– Eh bien! vous ne ferez pas moins qu'elle… Une main loyale est le gage d'une sincère alliance… ou, tout au moins, d'une franche réconciliation: ne me refusez pas la vôtre, maître.
Le vieillard ne la lui avança peut-être pas, mais il la lui abandonna.
– De cette minute, prononça Triboulet avec une espèce d'entraînement, le bouffon a cessé d'exister pour vous, maître. Vous comptez un auxiliaire, un aide dévoué, dans la tâche que vous accomplissez.
– Si vous me trompiez, dit le vieillard, ce serait bien mal, car je ne sais pas me défendre contre un bon mouvement, et j'aurais du bonheur à vous croire… Déjà je vous crois…
Triboulet leva sur lui son regard rayonnant, sa laideur s'affaiblissait sous l'éclat de sa prunelle; une expression de joie honorable le transfigurait.
– Le bien est plus difficile à accomplir que le mal, dit-il; mais il procure un contentement inconnu des méchants… Allons! plus de perte des heures qui s'envolent. Maître, prêtez-moi toutes vos oreilles!
«Vous m'avez pris naguère dans un piège adroit et bien mérité. Le nécroman du quartier des Tuileries s'était joué de moi, et c'était de bonne guerre. Mais il n'a pas dû vous donner seulement une fiole, car je lui en avais commandé deux: l'une contenant un soporifique, l'autre un poison. Or, ces instruments de mort et de crime, il faut qu'ils deviennent pour nous des moyens de justice et de vie.
– Je ne sais ce que vous prétendez faire, répondit Gerbier avec inquiétude.
Mais, sans s'interrompre, son compagnon poursuivit:
– Il vous reste encore le poison tout entier et une partie du philtre?
– Pourquoi me demandez-vous cela?
– Parce qu'il me faut ces deux fioles.
A la manière dont cette déclaration fut dite, l'intendant se sentit pâlir.
– Impossible!
– Il me les faut, vous dis-je!
– Qu'en prétendez-vous faire, enfin?..
– Du poison?.. sauver tes jours, si on les menace… Du philtre?.. venger ta maîtresse et lui rendre le bonheur!
– Si tu dis vrai, exclama le vieillard en l'entraînant près du guéridon où reposait le livre saint, pose ta main sur ces feuillets, et atteste ta sincérité par ton salut éternel.
– Par mon salut éternel!.. prononça avec force Triboulet.
– Alors que notre Seigneur, qui scrute les consciences, te récompense suivant tes œuvres, et qu'il prenne en pitié ma détresse!
Il se recueillit encore une minute; puis, cédant à l'impulsion que l'accent et la physionomie de son compagnon excitaient en lui:
– Viens!.. lui dit-il.
Celui-ci se laissa entraîner plutôt qu'il ne le suivit. Un charme cruel l'enchaînait à ces lieux. Marguerite lui semblait vivre en chacun de ces objets; son haleine embaumait cette atmosphère, ses regards étaient encore empreints sur ces tentures, sur ces tableaux. Tout ici était elle-même.
Le pauvre fou eût accepté comme une félicité suprême d'y demeurer toujours. Mais c'était pour elle qu'il était appelé ailleurs, il se décida à s'éloigner.
Le vieillard lui fit traverser la longue file des appartements et l'introduisit dans le retrait le plus reculé, le plus sombre et le plus recueilli.
Triboulet le reconnut avec un serrement de cœur, c'était l'oratoire de la princesse. Le candélabre était toujours là sur la petite table, le coussin du prie-Dieu gardait l'impression des genoux qui s'étaient posés; l'étroite et longue croisée tamisait un jour douteux à travers ses vitres coloriées. Le grand chêne frôlait ses branches contre le mur.
Chaque pas dans ce sanctuaire éveillait un remords chez le malheureux, qui en avait surpris le secret solennel.
Le vieillard souleva un coin de tapisserie, et, prenant une clef, ouvrit une armoire pratiquée dans la muraille.
Il en retira un coffret qu'il remit à son compagnon.
– Les fioles sont dans cette boîte, dit-il; vous reconnaîtrez celle qui contient le philtre à son bouchon qui a été ouvert: l'autre est intacte. Souvenez-vous de votre serment, si vous vous en servez.
Triboulet s'en saisit avec une ardeur fiévreuse.
– Vive Dieu! s'écria-t-il, je les tiens donc!
Le vieillard ne s'en fut pas dessaisi qu'il éprouva comme un regret et fit un geste pour les reprendre; mais le bouffon les étreignit contre sa poitrine.
– Ayez donc confiance, maître!.. Sur mon âme, si j'eusse possédé plus tôt ce trésor, madame Marguerite ne serait pas partie pour l'Espagne, et le chevalier Jacobus de Pavanes serait libre!
«N'importe! j'en ferai aujourd'hui l'usage que j'en eusse fait alors, et si notre sire Jésus nous assiste, quand elle reviendra, l'illustre princesse, et ce sera bientôt, j'aurai le droit de toucher sa main bénie, comme j'ai touché la vôtre, et celui de la baiser comme son féal serviteur.»
XXV
MADRID
Charles-Quint se montra, pour Marguerite de Valois, dans leur première entrevue, empressé et galant, connue s'il entretenait toujours les sentiments sur lesquels avait compté naguère la régente de France.
Il la présenta lui-même à sa cour, la plus aristocratique et la plus somptueuse du monde, comme celle de François Ier en était la plus aimable et la plus élégante; et ce fut, entre ces fiers hidalgos, à qui témoignerait le plus de déférence, de respect et d'admiration pour l'étoile qui venait du Louvre luire jusqu'à l'Escurial.
Animée par ces sympathies, Marguerite déploya en retour les ressources de ses grâces et de son esprit; son triomphe devint complet, toute la cour d'Espagne tomba à ses genoux.
Charles-Quint ordonna pour elle des fêtes splendides, telles que les comportaient alors les mœurs castillanes; ce furent des carrousels, dont elle était la reine, des processions fastueuses à travers la capitale, des représentations scéniques, dans lesquelles nos voisins se montraient d'un goût et d'une habileté supérieurs aux nôtres. Puis, vinrent les combats de taureaux, où l'on convoquait les torreros les plus renommés et dans lesquels une population immense venait, moins pour l'attrait de ces spectacles nationaux, que pour admirer la perle de la France.
Charles, enfin, par une courtoisie sans précédent, voulut faire à la sœur de son captif les honneurs de ses principaux sitios, c'est-à-dire de ces résidences féeriques consacrées, aux alentours de Madrid, au repos, aux plaisirs des monarques espagnols.
Mais une marque de déférence qui dépassa toutes les autres, et qui mit le comble à l'estime conçue par les courtisans pour Marguerite, fut l'entrevue accordée par l'empereur à François Ier.
Par une succession de subterfuges et d'excuses de mauvais aloi, le fier et implacable vainqueur avait toujours, nous croyons l'avoir dit, ajourné cette démarche. François Ier, roi et gentilhomme aussi, en dépit de ses revers, avait cessé de renouveler une demande qui n'aboutissait qu'à des attermoiements, devenus blessants par leur persistance.
Ce fut dans une promenade à Aranjuez, la splendide résidence des rois, que Marguerite obtint cette faveur. Charles se plaisait à lui montrer les attraits de ce palais, le parc qui l'entoure, et où, par une exception, sous ce dévorant soleil de la Péninsule, on trouve à chaque pas des bosquets, des berceaux partout, de l'ombrage à toutes les heures.
Le Tage et la Xarama baignent ses murs, et lui font une ceinture de leurs eaux transparentes; on peut suivre leur cours sur un rivage verdoyant qu'ils quittent à regret pour s'enfoncer dans les terrains crayeux et arides du reste du pays.
Marguerite, amazone hardie, marchait de concert avec son hôte deux fois couronné, au fond de la vallée qu'on nomme Calle de la Reyna, la perfection de ce paradis terrestre.
L'empereur s'efforçait de lui en détailler les aspects ravissants; auprès de la muse du Louvre, il devenait en quelque sorte poète; mais, à son extrême surprise, elle ne lui répondait que par monosyllabes, et son beau front obscurci s'inclinait sur le chemin.
– De grâce, demanda le conquérant, devenu cicérone par galanterie, parlez, Altesse, quelle souffrance vous tourmente, quelle peine vous absorbe, au point de passer, indifférente, au milieu de ces merveilles?
– Pardonnez-moi, Majesté, répondit-elle en soupirant; je dois vous paraître bien ingrate; je réponds mal à la bienveillance dont vous daignez me combler; c'est qu'il est en moi un chagrin que votre bonté même rend plus cruel.
Le conquérant parut flatté d'entendre ce titre de Majesté, qu'il fut le premier des souverains d'Europe à prendre, confirmé par cette charmante bouche.
– Un chagrin… ici! se récria-t-il, dans mon royaume, au milieu de ma cour!.. Je ne saurais le souffrir; et s'il est en mon pouvoir de vous consoler, j'atteste Notre-Dame d'Atocha que j'en userai à l'instant.
– Parole d'empereur?
– Je vous la renouvelle!.. Parlez donc, Altesse.
– Je suis bien téméraire et bien insatiable, senor, car je ne me contente pas du bonheur inespéré qui m'arrive, je souhaiterais en faire rejaillir quelques rayons sur autrui.
Charles devint plus grave; la princesse affecta de ne pas s'en apercevoir, et poursuivit:
– Une pensée douloureuse a traversé mon âme, en me trouvant à la droite de Votre Majesté, en me reconnaissant l'objet de ses discours les plus gracieux, c'est qu'il y a, non loin de moi, à Madrid, un autre moi-même qui ne prend aucune part à ces joies; qui se consume et se meurt de langueur, tandis que je nage dans les distractions, dans les honneurs.
Charles fronça imperceptiblement ce sourcil qui, comme Jupiter, ébranlait le monde. La princesse ne se laissa pas décourager, et, puisant sa fermeté et son éloquence dans les grandes résolutions qui la dominaient, elle le désarma de ses regards les plus séduisants, de ses sourires les plus irrésistibles.
– Senor, vous êtes le soleil, l'astre vivifiant de cet empire; votre ennemi, vaincu, se désespère dans l'ombre; que vos rayons pénètrent jusqu'à lui!.. Vous l'appeliez votre frère, autrefois; oubliez les jours de discorde, souvenez-vous seulement de ceux de l'union. Vous m'avez donné votre serment, mais je ne m'adresse qu'à votre grand cœur: rendez une visite au roi de France.
Nous ne saurions dire au juste quelles pensées, quelles prévisions traversèrent l'esprit de Charles-Quint; répondant par un sourire à son interlocutrice:
– Je suis le souverain ici, dit-il, mais vous êtes la souveraine.
Et, se retournant vers les caballeros qui venaient, à quelques pas en arrière, il leur fit signe d'avancer:
– Senores, leur dit-il, nous vous invitons à venir avec nous, dès notre rentrée dans notre ville royale de Madrid, rendre visite à notre frère de France, François Ier.
– Seigneur, prononça Marguerite, vous êtes un héros!
La joie l'avait emportée un peu loin, mais l'épithète ne déplut pas.
– Je voudrais le devenir du moins, très gracieuse dame, pour justifier vos éloges, et vous retenir à cette cour transformée par vos charmes.
Sur ce terrain et dans ce coin enchanté de l'Espagne, l'entretien pouvait se prolonger en termes encourageants. Les seigneurs du cortège, tenus à une distance respectueuse par leur rigoureuse étiquette, ne saisissaient que quelques mots, mais c'en était assez pour autoriser bien des conjectures.
Nous n'avons pas besoin d'expliquer la plus accréditée; chacun connaissait les précédentes négociations tendant à un mariage entre la princesse Marguerite et l'empereur encore simple archiduc. Les événements politiques avaient porté l'un et l'autre à des unions différentes, mais le veuvage les rendait également libres, et l'on n'ignorait pas non plus l'existence du projet de traité offert par la régente de France et entravé par Duprat.
Aux yeux des plus fins diplomates, la présence de Marguerite de Valois n'avait pour but que la conclusion de cet arrangement, et la courtoisie de l'empereur vis-à-vis d'elle devenait un symptôme significatif.
De ce moment, les hommages redoublèrent; ce fut à qui renchérirait sur les égards du souverain pour la traiter en reine.
Charles exécuta avec fidélité sa promesse, chose assez rare chez lui pour mériter une mention.
Il alla, escorté de ses principaux dignitaires, rendre visite au prisonnier.
Il est vrai que François Ier, dont ce grand nombre de témoins gênait l'expansion, eût préféré une simple entrevue à ce déploiement un peu théâtral. Mais on s'adressa de part et d'autre des paroles obligeantes, et l'empereur, en partant, daigna l'assurer, en désignant la princesse, qu'avec un tel négociateur il était impossible qu'on ne s'entendît pas bientôt.
Cette entrevue était un grand pas de gagné, car le monarque français se trouvait autorisé à aller lui-même au devant d'une seconde.
Impressionnable et mobile comme on le connaît, il en ressentit un contentement qui exerça une salutaire influence sur son moral et sur sa santé.
Déjà, d'ailleurs, la présence de sa sœur l'avait transformé. En l'embrassant, il avait cru embrasser la France. Il respirait auprès d'elle l'air, les émanations de la patrie. Il retrouvait un cœur battant à l'unisson du sien, rempli des mêmes aspirations, et dont le sang était son sang.
Il la savait décidée à tous les engagements pour concourir à sa délibération, et cette certitude, en lui inspirant la crainte de la perdre, la lui rendait encore plus chère.
Elle avait attendu ces dispositions pour aborder l'autre but de son voyage, celui qu'elle voulait mener à bonne fin aussi, et pour lequel, comme pour le rachat de son frère, elle était disposée à s'immoler.
Nous ne savons même ce qu'il faudrait le plus admirer, ou de sa délicatesse envers son frère, ou du courage qu'elle avait mis à repousser toute trace de cette perplexité constante, pour ne laisser voir à l'empereur, aux courtisans ou au captif, qu'un visage souriant, pour ne tenir que des discours pleins de poésie et d'entrain, pour asseoir enfin dans tous les esprits qu'elle était heureuse et ambitieuse, lorsqu'elle portait en elle le deuil de son seul et irréparable amour!
François Ier, gâté par son entourage, entraîné à des excès fatals par sa passion pour le luxe, conservait intacte une vertu, le sentiment de la fraternité. Il ne voulait pas que l'alliance projetée devînt pour sa sœur un sujet d'affliction, il eût plutôt laissé se prolonger son exil.
Une fois donc, causant amicalement avec elle, il voulut en avoir le cœur net.
– Çà, ma mignonne, lui dit-il en se servant du terme familier qu'il employait vis-à-vis d'elle, j'exige qu'on me parle sans feintise: si tu deviens le gage de ma réconciliation avec mon cousin l'empereur, sera-ce sans arrière-pensée et sans regret?
– Ce sera avec contentement, mon cher sire, dès lors que j'assurerai par là la fin de vos ennuis.
– Tu ne ressentiras pas de contrariété à renoncer ainsi à notre belle cour de France, pour t'enchaîner à l'étiquette de ces rigides et vaniteux Castillans?
– Vous êtes bon, mon noble frère, vos scrupules me le prouvent une fois de plus. Mais ici ou ailleurs, à Madrid ou à Paris, à l'Escurial ou au Louvre, qu'importe où l'on souffre, si l'on est destiné à souffrir!
Et Marguerite, dont le cœur débordait enfin, lui adressa un regard si désolé, qu'il se précipita vers elle, et, lui prenant les mains, l'attira sur sa poitrine.
– Qu'est-ce cela? s'écria-t-il; tu as des chagrins, ma mignonne, et tu me les caches!.. Parle, je l'exige, et, tout prisonnier que je suis, je trouverai peut-être encore assez d'autorité pour consoler dans ses peines celle qui est venue me consoler dans ma prison!.. Pourquoi t'être tue si longtemps? Manques-tu de confiance en moi?
– Ah! soupira-t-elle, c'est qu'en demandant justice au roi, je craignais d'affliger le frère.
– Si c'est justice qu'il te faut, je te la ferai, ma fille! si c'est indulgence, n'es-tu pas assurée par avance de l'obtenir?
– Oui, vous êtes grand et libéral, et pour cela même j'ai reculé devant une révélation qui incrimine des personnes qui vous sont chères.
