Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.
Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 20
XXVII
LES DEUX MESSAGES
L'attitude des grands d'Espagne à son égard, compliquée de leur empressement autour de Marguerite de Valois, avait mortellement blessé le duc de Bourbon. Un sentiment pareil, dans une âme vindicative, pouvait amener de graves conséquences.
Il avait sacrifié à sa rancune contre la duchesse d'Angoulême, son honneur de prince du sang français, son pays, la vie de ses concitoyens. Il n'était pas à espérer qu'il ménagerait rien pour envelopper dans un échec commun la princesse et ses admirateurs.
Il se sentait fort parce que tous ces seigneurs réunis n'exerçaient pas sur l'esprit de l'empereur l'influence que ses services, son habileté et le besoin qu'on avait encore de ses talents, lui assuraient.
Quant à l'Inquisition, il s'en savait aussi peu aimé, et n'ignorait pas les bonnes relations existant entre elle et le roi de France, mais il avait déjà réussi à diviser Charles-Quint et le Saint-Père, et, en fait d'intrigues, il se sentait aussi adroit que les révérends fils de Saint-Dominique.
Il commença à déployer toutes ses ressources, s'efforçant de présenter Marguerite comme une rusée comédienne qui ne cherchait qu'à se créer des amis à la cour d'Espagne et à endormir la prudence du monarque, dans un but aisé à entrevoir, et dont il alla jusqu'à donner de prétendues preuves, celui d'opérer l'évasion de François Ier.
Charles dressa l'oreille, mais une considération le retenait, il était résolu de se remarier, et l'union avec une princesse de France lui souriait, par la haute considération dont jouissait cette famille et ce royaume.
Bourbon avait en poche un argument tout prêt. C'était le portrait de la princesse Élisabeth, fille d'Emmanuel, roi de Portugal.
– Sire, lui dit-il, ceci est ma réponse. Tandis que mes ennemis et vos flatteurs ne songeaient qu'à vous trahir, je m'occupais des intérêts de votre auguste personne et de votre gloire. Je suis chargé de vous offrir la main de l'infante dont voici les merveilleux attraits, et l'union intime avec son père…
La sagacité diplomatique de Charles-Quint saisit avidement des ouvertures aussi inespérées, et bien supérieures à ce qu'il rêvait.
– Quoi! s'écria-t-il, vous avez conçu et amené à ce point un tel projet!..
– Rien n'est impossible, sire, à qui se dévoue à Votre Majesté. J'ai voulu que mes services pour elles me vengeassent des misérables persécutions des envieux.
Sire, la princesse Marguerite est veuve, son avoir n'est pas proportionné à son rang, elle est la sœur d'un roi, votre prisonnier, que vous tenez à votre merci. Que Votre Majesté compare: l'infante Élisabeth est à la fleur de l'âge et n'a connu aucun homme; sa dot est immense, et avec sa dot elle apporte des droits éventuels à la couronne de Portugal…
Charles sourit silencieusement, et regarda son favori avec cette finesse qui le caractérisait.
– En vérité, dit-il, vous soupçonnez la princesse Marguerite de méditer quelque plan pour m'enlever mon prisonnier?
– Les indications que j'ai eu l'honneur de soumettre à Votre Majesté, les colloques mystérieux qu'entretient le prisonnier avec les agents du saint office, ne sont-ils pas des preuves?..
– Par saint Jacques de Compostelle! cette rusée Française ne sait pas à qui elle s'attaque!.. Mon cher duc, il m'est venu une idée aussi…
– Elle ne saurait qu'être bonne.
– Que diriez-vous si, prenant nos ennemis à leur piège, au lieu d'un prisonnier, je me trouvais en avoir deux?
– Je crois comprendre, sire. Mais la princesse Marguerite, dont la prévoyance aurait pu éveiller les soupçons d'un prince moins magnanime que Votre Majesté, la princesse n'est entrée en Espagne que sur un sauf-conduit…
– Que nous avons eu soin de restreindre à un délai fort court.
– Qui est expiré!.. exclama le duc, saisissant déjà avec une infâme satisfaction l'idée de la captivité de la duchesse d'Alençon.
– Qui expire dans quelques jours, reprit l'empereur.
– Ah! fit le duc avec regret, dans quelques jours seulement?..
– Mais, insinua Charles de son accent le plus perfide, comme nous sommes un ennemi généreux, nous nous garderons que rien rappelle ce terme à la princesse qui daigne nous visiter. Nous voulons, au contraire, que les fêtes, les distractions se multiplient autour d'elle, l'enivrent et ne lui laissent pas le loisir de respirer.
– Je recommence à comprendre.
– Sur Dieu! la chose est claire; nous tenons à lui laisser un grand souvenir de l'hospitalité castillane; après cela, ce ne sera pas notre faute si elle oublie que tous les armistices ont une fin, et que cette échéance venue, les princes de France doivent se tenir sur leur territoire, sous peine de demeurer plus qu'ils ne souhaiteraient sur celui d'autrui… Ne vous inquiétez donc de rien, cher duc; si mes gentilshommes fêtent la princesse Marguerite, c'est pour me complaire.
– Oh! Votre Majesté est l'intelligence la plus profonde!.. Mais ne daignera-t-elle rien me répondre touchant cette affaire de Portugal?..
– Par Dieu! vous êtes d'une hâte!.. vous voudriez tout faire en un jour!..
– Les négociations restent pendantes, l'infante est un parti fort envié…
– Laissez-moi son portrait, et si vous êtes mis en demeure de donner une réponse, dites que je l'ai trouvé charmant…
Charles-Quint ne croyait pas plus que le duc de Bourbon au projet de fuite de François Ier. Mais, dirigés, l'un par sa rancune vivace, l'autre par sa politique égoïste, ils saisissaient volontiers ce prétexte pour ajouter la captivité de la sœur à celle du frère, et obtenir une double rançon.
L'alliance portugaise offrait à l'empereur un attrait plus puissant que celle de la France, et dès lors il rentrait, vis-à-vis de cette dernière, dans l'attitude la plus hostile. On sait que toute la vie de ce prince s'écoula dans ces alternatives sans pudeur ni générosité.
Suivant le dessein arrêté entre le duc et lui, Marguerite se vit l'objet d'une recrudescence d'hommages et de plaisirs.
Seulement, les ingénieux diplomates ignoraient que sous son visage affable et riant, elle portait un cœur cruellement ulcéré, et que l'enjouement n'était qu'au bord de ses lèvres.
Plus que ses ennemis, elle supputait les heures, les minutes, et celles-ci apportaient une aggravation à sa peine, à son anxiété, car il n'arrivait aucun courrier de France à son adresse.
Que faisait le vieux Michel?.. Triboulet était-il coupable de nouvelles trahisons?.. ou bien, plutôt, les nouvelles étaient-elles si fâcheuses qu'ils n'osassent les lui transmettre?..
Pour le roi, il se retranchait avec l'opiniâtreté des gens faibles dans son invariable argument:
– Apporte-moi les preuves, et, foi de gentilhomme! je signe l'acte de grâce.
Et le temps s'envolait, et le terrain devenait brûlant, et déjà des avis non suspects lui faisaient soupçonner la duplicité de l'empereur et ses méchants desseins.
Avoir accompli une telle entreprise, traversé deux royaumes, affronté tant d'obstacles, rendu la vie et la santé à son frère, et repartir sans cette faveur que lui seul pouvait accorder! Retomber vaincue au milieu de cette cour livrée à la merci d'un intriguant infâme, quelle perspective!
Trois jours encore, et le terme du sauf-conduit expirait, c'était à peine le laps suffisant, en faisant la plus grande diligence, pour gagner la frontière.
La princesse prétexta une indisposition et s'enferma chez elle, s'en remettant à mademoiselle de Tournon de disposer tout pour le départ devenu urgent.
Le roi voyait ces préparatifs et cette tristesse de sa sœur avec chagrin; mais il sentait l'œil de l'Inquisition sur lui, et se flattait qu'en raison de tant de sacrifices, l'appui de ces cautauleux alliés lui viendrait puissamment en aide, pour conclure ce traité sans cesse ajourné par l'empereur.
Au milieu de ces perplexités, et comme Marguerite se disposait à adresser ses adieux à son frère, le bruit d'un cheval entrant à bride abattue dans la cour de son hôtel la fit tressaillir et pâlir.
– Va! va!.. dit-elle à Hélène de Tournon, n'osant y aller elle-même, vois ce que c'est!..
Hélène était déjà à la fenêtre:
– Un courrier!.. repartit-elle, un courrier de France!..
– De France?.. répéta Marguerite éperdue.
Et elle voulut regarder aussi, mais ses jambes se dérobèrent sous elle; elle fut forcée de se rasseoir.
– Ne vous dérangez pas, lui dit Hélène, il descend de cheval… Oh! ni l'homme ni la bête n'en peuvent mais!.. Des varlets les reçoivent; on amène le messager… Entendez-vous ses pas?.. Il monte… il approche…
Certes elle entendait car chacun de ses pas retentissait dans son cœur.
Enfin la portière s'entr'ouvrit, et l'huissier, au courant de l'impatience de sa maîtresse, introduisit sur-le-champ un homme haletant de fatigue, et dont les vêtements disparaissaient sous une couche de poussière épaisse d'un pouce.
Il tira de son pourpoint, un paquet où la princesse reconnut son cachet, confié à son intendant.
Le messager ne s'était arrêté depuis Paris que pour changer quatre fois ses chevaux, crevés sous lui.
– Prenez, madame, dit-il, c'est la bonne nouvelle!
C'était le mot d'ordre qu'il devait prononcer, et ce soin rempli, il fut obligé de demander à se reposer et à se rafraîchir. Mademoiselle de Tournon le confia à l'huissier, qui était à ses ordres.
La princesse n'avait pas encore brisé le sceau, à peine avait-elle pu répéter avec cet homme:
– La bonne nouvelle!..
Un éblouissement, un vertige l'avait prise.
– Regarde, dit-elle à sa compagne, je n'ai pas la force.
Mademoiselle de Tournon rompit l'enveloppe:
– Madame! s'écria-t-elle, madame, ce sont les ordres et les quittances écrits et signés par madame la duchesse!
– Les preuves!.. ce sont les preuves!.. Oh! merci, merci, mon Dieu!..
Et la princesse, saisissant les feuillets dérobés par Triboulet au coffre d'Antoine Duprat, tomba à genoux devant une image du Christ.
– Madame, reprit mademoiselle de Tournon, les minutes sont brûlantes… Chez le roi, courons chez le roi!
Et la saisissant par le bras, elle la força à se relever et l'entraîna, folle éperdue, mourante de joie, de saisissement, auprès de François Ier.
– Justice, sire! s'écria-t-elle dès qu'elle l'aperçut: c'est justice que je veux, vous me l'avez jurée au nom de votre foi de gentilhomme.
– Qu'apportez-vous donc, ma sœur?
– Ce que vous avez exigé: les preuves!.. Voyez, reconnaissez-vous cette écriture?..
– Oui, répondit-il en frémissant et en levant au ciel un regard désolé; je la reconnais, c'est celle de ma mère…
– Eh bien, lisez aussi ce qu'elle a ordonné, et vous ne douterez plus de ma foi, et vous comprendrez pour quelles fins votre déloyal ministre avait confisqué et retenu ces papiers.
François Ier était d'une pâleur effrayante: sa mère si coupable, son ministre favori si infâme!
Il se souvint cependant, au milieu de sa stupeur, qu'il était roi.
– Je n'ai qu'une parole, ma sœur, dit-il; en échange de ces papiers, prenez celui-ci.
Et ayant signé la grâce expresse du chevalier de Pavanes, il alla brûler les lettres de la régente au brasero placé au fond de sa chambre.
– J'ai tenu mon serment, dit-il avec tristesse, êtes-vous contente?
– Recevez mes adieux, sire; je pars, je vais porter moi-même cet acte de grâce…
– Allez, soyez heureuse; moi, je reste seul avec mes chagrins!..
Il retomba près de sa table dans un épuisement profond.
Marguerite fit un pas pour se rapprocher de lui; elle se penchait pour l'embrasser une dernière fois: un bruit précipité dans la galerie l'arrêta.
– Sire, madame, fit un huissier tout troublé, c'est un messager de France.
– Un messager?.. répétèrent le frère et la sœur.
– Quelque malheur encore, murmura le roi à demi-voix.
– Qu'ils entre, ordonna la princesse.
Un homme se présenta, si pâle, si défait, que ni le roi ni elle ne le reconnurent d'abord, quoique ce fût leur serviteur le plus fidèle.
Cependant Marguerite, égarée, l'œil halluciné, s'avança jusqu'à le toucher, et, reculant avec un grand cri vers le roi, qui la reçut dans ses bras:
– Ah! Michel Gerbier!.. toi ici?.. il est donc mort?..
– Quoi! demanda le roi, le chevalier de Pavanes dont je viens de signer la grâce?..
– Trop tard, sire!..
Marguerite n'entendit pas, elle était évanouie.
Le dévoué Michel n'avait voulu confier à personne cette mission terrible. Il s'était mis en route, pour informer lui-même sa maîtresse de ce dénouement fatal. Il savait qu'elle voudrait connaître toutes les circonstances, et qu'elle n'aurait pas trop d'amis autour d'elle pour la consoler. Et puis, le chevalier mort, que restait-il à faire au Louvre?
Le conciliabule tenu chez le chancelier avait porté ses fruits; le tribunal de la foi avait condamné Jacobus de Pavanes, et la chambre ardente, spécifiant la peine, avait ordonné que le supplice aurait lieu, par l'estrapade et le bûcher réunis, sur la place de Grève.
Mais un autre raffinement, appliqué fort communément depuis aux condamnés déclarés, comme Jacobus, mal sentants de la foi, lui fit couper la langue avant de le sortir de prison. On craignait que par ses discours il n'influençât la foule11.
Jacobus de Pavanes fut le premier luthérien qui subit en France la peine capitale. Nous eussions voulu atténuer l'horreur du dénouement, mais l'histoire oblige.
La nuit qui précéda son supplice, deux hommes, munis d'un laisser-passer signé du chancelier, c'est-à-dire d'un blanc seing dérobé sur sa table par Triboulet, étaient descendus près de lui.
Il connaissait déjà son sort, que frère Roma n'avait eu garde de lui cacher, et se tenait en prières, récitant à haute voix la traduction qu'il avait faite des psaumes.
– C'est vous, ami? dit-il en présentant sa main chargée de fers au vieillard; merci! Je n'espérais plus voir un visage bienveillant avant de mourir.
– Et vous en voyez deux, repartit Gerbier, en amenant le bouffon, qui se tenait timidement près de la porte.
Une contraction de mépris involontaire passa sur le visage du condamné.
– Oui, une âme repentie et sincère, insista le vieillard.
– Qui sollicite son pardon… ajouta Triboulet, agenouillé devant lui.
– A l'heure où j'arrive, prononça gravement le chevalier, les haines et les ressentiments s'effacent; Dieu m'attend. Maître, je meurs sans rancune contre vous.
– Et il a mérité cette parole, reprit Gerbier; car ce qui pouvait être fait pour vous sauver, je l'atteste, il l'a tenté; hélas, trop tard!
– Non, murmura sourdement Triboulet, je n'ai pas tout fait; au lieu d'élixir, c'est du poison que je devais verser dans la coupe du monstre!.. Dieu m'est témoin que j'ai hésité, et ce sera mon remords éternel d'avoir causé la mort de bien des innocents, peut-être, pour ménager la vie d'un scélérat!
– Ne vous repentez point, dit Jacobus, la vie des hommes n'appartient qu'à la Providence; malheur à Caïn!
– Ce poison, balbutia Triboulet, je l'ai apporté, je l'ai sur moi… Messire, on a dû vous notifier votre peine… Elle dépasse les forces d'un martyr… C'est une offre désespérée que celle-ci; mais si vous souhaitiez d'échapper à ces tigres… au moyen de ce flacon, demain, au lieu de leur victime, ils ne trouveraient qu'un cadavre…
– Maudits sont ceux qui disposent de la vie d'autrui, mais également maudit celui qui dispose de la sienne… Fût-ce l'enfer, j'attendrai mon heure!..
«Mais c'est trop parler de moi… Maître, d'elle, n'avez-vous rien à me dire?
– Oh! sans doute, car elle serait près de vous, comme nous y sommes, si l'espoir de vous sauver ne la retenait au loin, à Madrid, où elle est allée chercher votre grâce.
– Elle a fait cela!.. Chère et révérée dame!..
Le condamné, si calme et si ferme jusqu'alors, laissa couler de grosses larmes, puis, cet épanchement passé:
– Vous la reverrez, vous, mes derniers consolateurs, chargez-vous donc de lui transmettre mes paroles suprêmes.
– Je les lui porterai moi-même, mot pour mot, dit Gerbier.
– Eh bien, elle saura comprendre ceci: Qu'elle se rappelle les enseignements de mon père… La vie des âmes n'est pas un vain mot; et je meurs tranquille, soutenu par la foi qu'il arrivera un jour, fût-ce dans un ou plusieurs siècles, je le lui ai dit moi-même, où nos esprits se rencontreront avec plus de bonheur. S'il nous est accordé alors, par l'intuition des sympathies, de nous rappeler cette phase de notre existence passée, qu'il en reste un gage matériel.
Maître, j'ai là, passé sous mon pourpoint, un talisman confectionné par mon père, le savant alchimiste. Prenez-le, je vous prie, et remettez-le à madame Marguerite…
Le vieillard obéit. C'était un bijou de métal précieux, où deux cœurs étaient figurés enlacés dans une formule astrologique.
– Comptez sur moi, messire; cette commission sera remplie. Est-ce tout?
– Ajoutez, en lui remettant cela, que je suis mort content de savoir qu'elle m'aimait toujours, et que je serai pleuré par ses yeux.
Michel Gerbier l'avait alors serré dans ses bras, tandis que Triboulet baisait ses mains chargées de fers; puis il avait fallu s'arracher à cette étreinte, s'éloigner et laisser, pour ne plus le revoir, le martyr en compagnie du Dieu qui le soutenait.
Michel avait prévu juste, sa maîtresse, dont son récit excitait le désespoir, voulut connaître jusqu'au moindre mot, jusqu'au plus petit détail.
Elle pressa convulsivement pendant plusieurs minutes le talisman sur ses lèvres, comme si c'était encore son cher chevalier qu'elle embrassât. Puis, l'ayant à son tour posé sur son sein, elle sembla revêtir avec lui son courage, et se dressant devant son frère:
– Sire, lui dit-elle, je vous quitte, ne comptez plus me revoir dans votre Louvre.
François Ier ne répondit rien d'abord.
L'heure irrévocable du départ avait sonné; au moment où elle montait dans sa litière, il la prit dans ses bras, la combla de caresses, et d'un ton affectueux mais énigmatique:
– Va, lui dit-il, je te consolerai, ma mignonne. Le chevalier t'a pris ton amour, je te donnerai un trône!
On voit que François Ier avait profité à l'école de Charles-Quint, il pratiquait aussi la diplomatie.
Mais disons-le à l'honneur du cœur féminin, la perspective d'une couronne n'était pas même capable de consoler le désespoir de l'infortunée Marguerite. Elle les eût sacrifiées toutes, si un tel sacrifice eût pu désarmer l'inflexible mort.
Ce fut moins une femme qu'un pauvre corps insensible et prêt à s'éteindre, que la litière royale ramena en France.
ÉPILOGUE DE LA PREMIÈRE PARTIE
Nous allons ouvrir l'histoire, pour lui demander un dernier mot sur les principaux personnages de cette première époque de notre récit.
Charles-Quint épousa l'infante Élisabeth de Portugal, mais il ne pardonna pas à Marguerite de Valois de s'être soustraite au guet-apens dressé pour la retenir en Espagne. Ne pouvant s'en venger directement sur elle, il ne voulut plus entendre parler des négociations pendantes et présenta pour la libération de son captif des exigences judaïques.
Il fallait qu'elles fussent bien inacceptables, puisque le roi, auquel les soins et les visites de sa sœur avaient rendu la vigueur et la santé, prit la résolution d'abdiquer plutôt que de s'y soumettre. Il écrivit à sa mère et au conseil de ne plus le regarder que comme une personne privée. A l'appui de cette déclaration, il envoya le pouvoir de remettre la couronne au dauphin Henri, et l'ordre de le faire sacrer au plus tard dans deux mois.
Charles comprit alors seulement qu'il n'avait rien à gagner par la violence. Il rabattit quelque chose de ses conditions, et François Ier put enfin quitter ses fers.
Louise de Savoie se vit alors dépouiller de la régente. C'était la peine méritée par ses crimes. Mais la colère du roi ne dura guère; grâce à son aversion pour les affaires, à son besoin de plaisirs, il ne tarda pas à la lui rendre.
Elle connaissait la destruction des pièces accusatrices, et ne craignant plus rien de ce côté, elle recommença à nier toute participation à l'affaire de Semblançay. Il fallut que le ciel intervînt pour faire jaillir la vérité de ce drame odieux.
Oui, ce fut comme un miracle! La peste régnait à Paris, on était en 1532; la duchesse d'Angoulême se retira à Fontainebleau pour fuir la contagion; mais celle-ci gagnant la contrée, elle prit la route de Romorantin, et, atteinte du mal, elle fut forcée de s'arrêter dans le village de Grez en Gâtinais. On espérait la sauver, lorsque survint une circonstance inouïe. S'étant éveillée pendant la nuit, il lui sembla voir sa chambre tout en feu. C'était une comète qui jetait cette clarté.
En proie comme elle était à des croyances superstitieuses, cette apparition l'affecta si vivement, qu'elle s'écria aussitôt:
– Voilà un signe qui n'apparaît pas pour une personne de basse qualité! Dieu le réserve pour nous autres grands et grandes de la terre. Fermez ces rideaux, je ne veux plus le voir… C'est une comète qui annonce l'heure de mon agonie; c'est aussi celle des aveux et du repentir (Voyez les Mémoires des Reines de France).
Elle envoya chercher son confesseur, et quoique les médecins s'efforçassent de la tranquilliser:
– C'est vrai, leur dit-elle, je ne me sens pas faible ni souffrante comme on doit l'être à l'approche de la mort, et si je n'avais vu le signe de la mienne, je n'y croirais pas; mais, je vous le répète, mon heure est venue.
Et trois jours après elle succomba à cet effroi, comme devait succomber, trois ans plus tard, Charles-Quint à la vue d'une autre comète. Mais avant de mourir, et seulement alors, elle avoua sa conduite criminelle dans l'affaire Semblançay, et justifia la mémoire de l'infortuné surintendant.
Et témoignant son irritation à sa mère, François Ier comptait briser Antoine Duprat. Mais il arriva qu'il fallait payer la rançon à Charles-Quint et remonter sur un pied fastueux la maison royale. Or, de grosses sommes étaient indispensables, et le trésor était à sec. Où donc puiser? Un seul homme pouvait résoudre ce problème, – Duprat inventa un nouvel impôt, celui de la gabelle. – Comment disgracier un génie si précieux?
Il est juste de dire, d'ailleurs, qu'il ne devint pas pape, comme il s'en était flatté. Le trône de Saint-Pierre demeura intact de cette affliction. Seulement, on le créa cardinal.
Puis, vieilli avant l'âge par les suites de ses excès, étant devenu morose, et comprenant l'énormité des persécutions exercées à l'abri de son indolence et de ses faiblesses pour ses favoris, François Ier prit en détestation le plus coupable d'entre eux, et disgracia enfin cet infâme Duprat.
Triboulet, protégé par Marguerite de Valois, arriva, en revanche, au comble de la faveur.
Quant à cette princesse, son frère lui tint parole. Il la laissa pleurer suffisamment l'ami qu'elle avait perdu, et un beau jour, revenant à son idée fixe:
– Mignonne, lui dit-il, ton dévouement à mes intérêts t'a fait manquer la couronne d'impératrice. Je sais que tu ne l'as pas regrettée; mais je t'ai donné ma foi de t'en assurer une autre. Le moment est venu de m'acquitter.
– Me remarier! Y pensez-vous, sire! Ne connaissez-vous pas les désenchantements qui ont desséché mon cœur!
Mais François Ier ne croyait pas à la perpétuité des douleurs de ce genre. Il insista, et pour lui être agréable, bien plus que par une ambition qui n'était pas en elle, elle consentit à épouser Henri d'Albret, roi de Navarre.
Tout entière alors à ses devoirs, elle devint le modèle des souveraines; aucun soin important n'échappa à sa haute sagesse. Elle fit fleurir l'agriculture, encouragea les arts, protégea les savants, embellit ses villes et les fortifia. Son nom est demeuré immortel par ses grandes œuvres, par ses productions littéraires, et aussi par la gloire qu'elle eut de donner le jour à Jeanne d'Albret, l'illustre mère de Henri IV.
La mémoire de Jean Poncher fut réhabilitée, comme celle de Semblançay, par des actes authentiques.
Voilà, si nous ne nous trompons, nos comptes réglés avec tous nos principaux personnages.
Nous eussions voulu ajouter quelques renseignements sur les opérations astrologiques du vieux Jean de Pavanes; mais sa disparition subite, qui ne fut jamais expliquée à Louise de Savoie, laissa cette princesse indécise sur l'envoûtement de son ennemi Antoine Duprat, les pratiques jugées indispensables au succès de cette entreprise n'ayant pu être menées à terme par l'alchimiste.
Si le progrès des lumières nous a élevés au-dessus de ces croyances superstitieuses, nous n'avons cependant pas le droit de mépriser de même les idées philosophiques du vieux savant.
Il se pourrait donc que toute trace de nos héros ne fût pas perdue avec le dénouement fatal et historique de cette première partie de notre récit, et que celle qui va suivre présentât à nos lecteurs quelque trace de ces âmes si pleines de foi en l'avenir.
