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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 29

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XIII
LA DÉNONCIATION

Le cardinal était enfoncé dans son fauteuil, sa barrette rabattue sur son front, les sourcils rapprochés, les lèvres pâles.

Sa main froissait deux papiers, l'un épais, qui avait d'abord formé un rouleau tel que celui d'une estampe; l'autre d'aspect sordide, sali de trois lignes d'une écriture grossièrement contrefaite.

Il sortait de dessous ses paupières des éclairs pareils à ceux qui sillonnent un ciel d'orage.

Le tonnerre grondait sourdement dans ce cerveau altier. De Jars ne s'y était pas mépris: la cour était à la tempête.

Il n'y avait au monde qu'un seul homme capable de se présenter à lui en un pareil moment – le roi ne l'eût pas osé: c'était le père Joseph.

Il entra avec son assurance mêlée d'astuce, suivi de Philippe, calme comme à son ordinaire, et persuadé sans doute qu'il s'agissait d'une séance de peinture.

– Monseigneur, dit le franciscain en se penchant vers le grand fauteuil, voici votre jeune peintre.

Et il se retira à deux pas, épiant ce qui allait avoir lieu.

– Approchez, monsieur, fit sèchement le cardinal.

L'artiste s'avança et se plaça devant lui, respectueux mais tranquille.

Richelieu porta sur lui toute l'énergie de sa prunelle étincelante sans qu'il se troublât, et sa vue provoquant de nouveau la sensation qu'elle avait produite dès le premier jour sur le ministre, une expression douloureuse se mêla au courroux qui se lisait sur son visage.

Cependant ce sentiment fut le plus fort.

– Vous êtes un fier ingrat, monsieur, lui dit-il.

– Moi, monseigneur?..

– Je croyais que c'était le vice des hommes faits, mais vous, vous commencez de bonne heure; je vous en adresse mon compliment…

– Que Votre Éminence me pardonne; j'ignore comment j'ai pu mériter ce reproche.

– Vous ignorez!.. insista le cardinal, s'animant en présence du sang-froid et de l'attitude ferme de l'artiste.

– Sur mon âme!

– Avez-vous eu à vous plaindre de moi?

– Monseigneur!..

– Je me sentais porté à vous aimer, moi! Vous avez une figure trompeuse qui m'abusait; et puis vous ressemblez à quelqu'un… qui n'eût jamais fait ce que je vous reproche!

– De grâce, veuillez me dire…

– Répondez-moi d'abord. Ne vous ai-je pas accueilli avec bonté dès le premier jour? Lorsque j'ai étendu sur vous ma protection, n'étiez-vous pas dans un de ces moments critiques qui brisent une existence, et surtout une existence d'artiste?

– Tout cela est vrai; mais je n'ai pas cessé de vous en être reconnaissant.

– Laissez-moi parler. Lorsque je vous offris de vous nommer mon maître peintre, de vous attacher à ma maison, à ma personne, pourquoi refusâtes-vous?

– J'eus l'honneur d'en expliquer les raisons à Votre Éminence.

– Les raisons?.. les prétextes, monsieur! Les vrais motifs, je les sais aujourd'hui. Vous étiez parmi mes ennemis, et vous y vouliez rester.

– Si Votre Éminence entend parler de Madame Mère, je ne lui ai pas caché que Sa Majesté fut ma première protectrice; je tiens à demeurer près d'elle par gratitude et par dévouement.

– Nous connaissons ces grands mots, j'en suis assailli à la journée. Mais cette gratitude, ce dévouement à la reine-mère vous obligeaient-ils à travailler contre moi?

– Contre vous, monseigneur?

– Oh! vous êtes aussi fort sur la dissimulation que sur le reste, nous savons cela. Malheureusement, vous ne me trompez plus… Connaissez-vous ceci…?

Il déroula l'un des papiers, et le lui mit sous les yeux.

C'était une caricature sanglante, qui courait tout Paris, sous le manteau, avec un formidable succès13.

Elle représentait le cardinal et Satan se donnant la main, et se disant réciproquement: Nihil sine te (rien sans toi).

Une heure auparavant, Richelieu, entrant chez la reine Anne d'Autriche pour lui faire sa cour, avait vu toutes les dames se détourner pour rire à sa vue, et son regard avait surpris aux mains de la princesse un exemplaire de l'odieuse planche.

Pour un homme d'État tel que lui, le ridicule était la plus amère comme la plus redoutable des hostilités.

Ses espions lui avaient déjà transmis des indices sur l'existence de cette estampe, mais sans parvenir à se la procurer. En la voyant chez la reine, et en reconnaissant l'effet qu'elle produisait, il était rentré chez lui dans une colère qui avait fait trembler tout son entourage.

C'est alors qu'il avait reçu, par un envoyeur mystérieux, l'exemplaire qu'il présentait à Philippe de Champaigne.

Celui-ci le prit, y jeta un coup d'œil, et le lui rendit avec un signe de dédain.

– Que vous semble de ceci? demanda le cardinal en l'interrogeant plus encore du regard que de la voix.

– Une œuvre misérable, indigne de l'attention d'un homme comme vous.

– Ah! fit ironiquement Richelieu, vous trouvez? Et l'auteur de cette œuvre, quel est votre avis sur son compte?

– Quelque mécontent ou quelque pauvre artiste qu'on aura gagé.

– Vous êtes indulgent pour vos confrères.

– Pardon, monseigneur, je suis artiste. Ne prostituant point mon crayon à de semblables objets, je ne reconnais pas leurs auteurs pour mes confrères.

La noble droiture de ces paroles ne désarma pas le cardinal.

– A merveille! Alors vous m'aiderez dans le choix de la peine qu'ils méritent?

– Il n'en est qu'une: le mépris.

– Peste! vous croyez donc les misérables qui commettent de tels attentats contre la majesté du pouvoir susceptibles de sentir le poids d'un châtiment purement moral? Qui m'attaque attaque la royauté, monsieur; et la royauté est chose sacrée, car elle est ici-bas la représentation du pouvoir divin.

Nous avons des lois et des supplices contre les sacrilèges. J'entends que l'auteur de cette planche infâme, qui me vilipende comme représentant du roi et comme représentant de l'Église, subisse la peine réservée aux sacrilèges.

Cet arrêt ne vous paraît-il pas équitable?

– Veuillez me permettre de m'abstenir, monseigneur. Je suis peintre et non membre du Saint-Office. Et puis, l'auteur, ce me semble, ne s'est pas fait connaître; ce dessin ne porte pas de signature.

– Enfin! je vous attendais là! s'écria Richelieu. Oui, n'est-ce pas, l'infâme s'est retranché sous l'abri commode de l'anonyme. A une œuvre diffamatoire et calomnieuse, à un pamphlet, point de signature! Le venin est lancé et le reptile jouit dans son repaire inconnu du mal qu'il cause. Mais tous les autres ne sont pas inaccessibles. La vérité est plus malaisée à cacher que les méchants ne le supposent…

Je connais le coupable!

En prononçant ce mot comme une sentence, le cardinal se leva, et parut dominer l'artiste de sa haute taille et de son air imposant.

Celui-ci, cependant, ne répondit rien; seulement, une marque de commisération pour le malheureux caricaturiste se montra sur sa physionomie.

Richelieu y lut un autre sens, et ajouta vivement.

– Vous le connaissez donc aussi?

– Moi, monseigneur?.. Je vous jure…

– Pas de vains serments. Lisez!

Cette fois, ce fut le second papier qu'il lui tendit.

Une vive rougeur alluma le front élevé de Philippe en parcourant ces lignes; puis il les rejeta avec dégoût sur la table voisine.

– Que répondez-vous, monsieur? demanda le cardinal.

– Rien, monseigneur.

– Rien? quand cette lettre vous dénonce comme l'auteur de cette planche infâme!

– Que puis-je objecter à cela, monseigneur? Cette lettre est plus infâme encore que le dessin, et comme lui elle est anonyme.

– Alors, vous saurez me prouver votre innocence.

– Mon innocence parle d'elle-même, monseigneur, et l'on ne prouve point ce que l'on n'a point fait.

– J'admire votre orgueil, lorsque tout vous accuse.

– Moi?

– Vous-même! le refus d'entrer dans ma maison; la ressemblance de cette image, car c'est en faisant mon portrait que vous traciez ma caricature… et, plus encore, vos affinités avec mes ennemis, votre présence aux conciliabules de la reine-mère! Ah! je suis bien informé, n'est-ce pas, et vous ne comptez plus m'imposer votre superbe assurance!..

– Nous parlions d'ingratitude tout à l'heure; certes, c'est une qualité que vous professez à ravir, et je n'ai pas à m'étonner que vous l'appliquiez à mon égard, après avoir vu comment vous agissiez vis-à-vis de votre maître de peinture!

– Mon maître Duchesne?

– Au moment où vous le rendiez la fable de la cour ne cherchiez-vous pas à séduire sa fille?

– Henriette?.. Ah! silence, au nom du ciel! Monseigneur, c'est l'ange le plus pur…

– Vous l'avez affolée cependant; le père Joseph me l'a dit…

Et se tournant vers le franciscain, peu satisfait d'intervenir dans ce débat:

– Voyons, parle, ordonna-t-il; en imposé-je?

Le capucin pouvait bien dire tout ce qui lui plairait, Philippe n'entendait plus.

Il restait atteint de stupeur, à cette idée que tout le monde paraissait connaître une passion dont lui seul n'avait pas eu conscience jusqu'à ce jour, et qu'il ne s'avouait pas encore franchement.

Que faire?.. Son âme flottait dans un émoi sans égal. Son admiration pour Louise, les doux propos échangés avec elle, était-ce de l'amour? Il avait dû le croire… Mais son amitié pour Henriette, son bonheur à se rapprocher d'elle, qu'était-ce donc?

Choisir entre elles deux, c'était en renier une! Louise si tendre… Henriette si dévouée!..

Son combat intérieur se reflétait sur son visage, et ses deux observateurs ne voulaient y voir que la confusion d'un coupable écrasé par l'évidence.

– Que penseriez-vous, monsieur, reprit Richelieu, si l'on vous envoyait rejoindre à la Bastille l'un de vos protecteurs, M. de Châteauneuf?

– Monseigneur, répondit-il en retrouvant sa fermeté, il est impossible qu'un homme tel que vous sacrifie à ce point à un ressentiment personnel, qu'il immole un innocent sur un indice honteux comme celui-ci.

Comme il se trouvait près de la table, il prit dédaigneusement la dénonciation du bout des doigts, puis désignant le franciscain:

– Je penserais, si cela arrivait, qu'une influence injuste vous a indisposé contre moi.

– N'accusez pas le père Joseph, monsieur! Dès le premier moment, convaincu comme moi de votre crime, il a pris parti pour vous, et si je l'eusse écouté, au lieu de vous réserver à cet entretien et à un châtiment sévère, je me fusse contenté de vous expédier au loin, sans vous revoir.

Philippe reconnut à ce trait la pensée opiniâtre qui tendait à l'éloigner de la France, et surtout de Paris.

Comme il tenait toujours l'écrit anonyme, on le vit tout à coup pâlir, s'agiter, balbutier des syllabes incohérentes.

– Qu'est-ce encore? demanda Richelieu; que voyez-vous dans ce papier?

– La preuve de mon innocence, que je regardais comme impossible, monseigneur!

– Quelle est cette preuve? fit ironiquement le cardinal.

Le père Joseph se rembrunit et perdit un peu de son impassibilité factice.

– Cet écrit ne porte pas de nom, monseigneur; mais pour un œil exercé, chaque mot présente comme une signature celui de son auteur…

Il n'acheva pas, un sentiment inexplicable le retint, et rejetant avec un mélange de dédain et d'amertume le billet parmi les autres papiers où il l'avait pris, il se contenta de murmurer:

– C'est vraiment misérable!

Le père Joseph s'avança vivement, et s'interposant entre les deux interlocuteurs:

– Je vais l'emmener, dit-il, en montrant Philippe.

Cet empressement peu habituel lui valut, de la part de Richelieu, un de ces longs coups d'œil sous lesquels la dissimulation fondait presque inévitablement comme la neige au feu.

– Vous êtes trop pressé, dit-il en se levant; ne voyez-vous pas que, malgré la longueur de cet interrogatoire, nous arrivons à peine au point capital?

Et se tournant vers l'artiste:

– Il me faut ce nom! ordonna-t-il.

– Sur ma foi de chrétien, j'éprouve, rien qu'à y penser, un invincible dégoût…

– Ce nom, vous dis-je! Ne comprenez-vous pas que vous ne pouvez le taire à présent?..

– Soit donc, monseigneur! Exercé comme je le suis à l'étude des lignes et des aspects, je vous le déclare, celui qui a tracé cette dénonciation est maître Duchesne.

– Voilà une parole grave, monsieur, fit froidement Richelieu.

– Une accusation insensée, ou plutôt une hallucination d'accusé… interrompit encore le franciscain.

– Ainsi, reprit le premier, vous attribuez cette lettre au peintre de Madame Mère.

– Dieu m'est témoin, monseigneur, que cette déclaration me navre l'âme; il m'en coûte plus que je ne saurais l'exprimer de m'en prendre à un tel homme d'une action si noire… mais la vérité avant tout… Maître Duchesne nourrit contre moi, vous ne l'ignorez pas, une rancune profonde…

– Toute cette affaire se complique, monsieur, interrompit le cardinal. Heureusement la justice et la loi ont des moyens d'arriver à la lumière et à la vérité.

– Je ne demande pas autre chose.

Le cardinal revint à son confident:

– Mon père, dit-il, vous allez consigner monsieur dans une des petites pièces des salles basses.

Philippe suivit sans objection le capucin, qui le conduisit dans cette partie à moitié souterraine du Louvre que nous connaissons, et l'enferma dans une cellule voisine de celle où déjà il tenait confiné Labadie.

– Commencez-vous à comprendre, lui dit-il en le quittant, que vous eussiez mieux fait de suivre mes avis, et que ce Louvre est plein de périls pour un jeune homme étranger au monde et sans expérience.

Philippe se contenta de lui répondre:

– Il se peut que vos intentions et vos conseils fussent sages, mais je garde la paix de ma conscience, et je ne vois de pénible, dans ce qui m'arrive, que le chagrin qu'en pourront éprouver mes amis.

Après sa sortie, le cardinal demeura assez longtemps en proie à un combat intérieur, provoqué par la sympathie spontanée que lui avait inspirée le jeune peintre et par la crainte qu'il éprouvait, peut-être pour la première fois, de persécuter en lui un innocent.

Mais revenant, par une conséquence obligée, à l'incident qui dominait pour l'heure toutes les considérations, il fit entendre le cri sec et perçant de son sifflet, auquel Desnoyers accourut.

– Qui est là-dedans? lui demanda-t-il en désignant l'antichambre.

– Messieurs de Bois-Robert, Beautru et M. le lieutenant-civil.

– Laffémas? Qu'il entre!

Desnoyers introduisit ce personnage, dont le nom et le caractère ne sauraient être ignorés de nos lecteurs.

Instrument servile des exigences sanglantes de Richelieu, il n'y eut pas d'exemple qu'il lui marchandât jamais la tête d'un prévenu.

L'échafaud et la torture étaient son élément.

– Que m'annoncez-vous, monsieur de Laffémas? lui demanda son patron dès qu'il se montra.

– Que voilà, monseigneur, une superbe journée pour pendre!

Il montrait le soleil qui resplendissait à travers la fenêtre.

Ce lazzi, qui lui était familier, – Bois-Robert le constate dans ses écrits, – annonçait chez lui un excès de belle humeur14.

– Il y a toujours des mécontents, monsieur le lieutenant-civil; la cour est un foyer de conspirations; les femmes s'en mêlent, et par hasard elles sont discrètes… Le temps est beau, mais vous n'avez personne à pendre, quoi que vous en disiez.

– Peut-être bien, Éminence.

– Par la mordieu! parlez alors.

– Vous avez embastillé M. de Châteauneuf, consigné M. de Jars; vous tenez en surveillance la duchesse et l'entourage de Madame Mère; M. de Bassompierre est en disgrâce, et cependant l'audace des ennemis de l'État est encore telle qu'ils lancent contre vous des pamphlets et des caricatures. C'est tout simple: Votre Éminence faiblit depuis quelque temps; la chambre ardente chôme. C'est à peine si le Parlement a, pour s'entretenir la main, quelques affaires de pillerie et de fausse monnaie.

«Ah! si Votre Éminence voulait, nous aurions bientôt le mot de tous ces conspirateurs!»

– Il y a du bon dans ce que vous dites là. Nous y reviendrons. Parlons d'abord de cette odieuse estampe…

– Au fait, je venais précisément annoncer à Votre Éminence que j'ai amené avec moi, et laissé en bas, sous bonne escorte de soldats du guet, un certain marchand d'images qui a, le premier, fait circuler celle-ci.

– Vive-Dieu! mon cher lieutenant, ce faquin va nous désigner l'insolent dessinateur et ceux qui l'ont mis en œuvre!

– Eh! eh! monseigneur, la chose va moins vite que Votre Éminence. Cependant je compte bien délier la langue de ce maraud!

– A la bonne heure! Usez de tous les moyens: l'argent, les promesses…

– Votre Éminence est trop bonne, ricana le chacal avec un air hypocrite; c'est là ce qui fait le mal. Promettre?.. à quoi bon? Menacer, plutôt.

– Agissez à votre guise, pour peu que vous agissiez promptement.

– Du moment que Votre Éminence s'exprime ainsi, je réponds du succès. J'avouerai même que, plein de confiance en sa sagesse, j'avais déjà pris quelques petites dispositions, d'accord avec le père Joseph.

– Ah! très bien!

– Un de mes hommes a dû mettre en état la salle de la galerie souterraine du Louvre où sont déposés certains ustensiles…

– La salle de la torture?

– Votre Éminence l'a dit, nous allons procéder tout à l'heure à une question anodine, qui déliera la langue de ce pleutre… Ah! si Votre Éminence n'était pas si faible, si clémente, je sais bien quelqu'un dont nous tirerions de beaux renseignements, rien qu'avec un ou deux coins…

– Et celui-là, vous l'appelez?..

– Oh! inutile de le nommer, car Votre Éminence refuserait.

– Qu'en savez-vous? Je veux en finir avec mes ennemis de toute espèce et de tout sexe. Si donc vous connaissez un homme capable de me livrer leurs plans, indiquez-le-moi, et je vous l'abandonne.

– Pas celui-ci, vous dis-je, monseigneur, répéta le pourvoyeur du bourreau, en attisant l'impatience du maître.

– Celui-là comme les autres!

– En vérité, insinua Laffémas, vous me confieriez, pour causer avec lui un quart d'heure, dans cette précieuse salle dont nous parlons, ce beau chevalier de Jars…

– Hein! fit le cardinal, emporté par la surprise… de Jars?

– Je le disais bien, Votre Éminence refuse.

– Je l'ai déjà exilé…

– Un enfantillage; au lieu de conspirer à Paris, il conspirera à Lagny.

– Je ne dis pas. Mais écoutez donc: le chevalier n'est pas un libraire, un marchand d'estampes, un premier venu. S'il n'était même que commandant de Lagny, mon Dieu, l'on pourrait voir. Par malencontre, il est, en outre, de l'ordre de Malte, abbé de Saint-Satur. Lui faire subir la question, sans un motif bien déterminé, c'est nous exposer à des ennuis avec son ordre et les hauts bénéficiaires ses collègues…

– L'intérêt du roi, monseigneur, l'intérêt du roi! Le chevalier, j'en suis sûr, a la clef de tout ce qui se prépare contre votre personne et votre puissance… Au besoin, pour prévenir les criailleries, le Parlement ne nous refuserait pas un ordre d'interrogatoire… Ce chevalier est d'une impertinence… Je suis sûr que notre excellent père Joseph verrait avec satisfaction qu'on rabattît sa morgue et son persiflage…

– Richelieu réfléchissait: il détestait cordialement de Jars, comme tout ce qui était droit et franc, et aussi en raison de ses rapports avec la duchesse et Châteauneuf.

Il ne réfléchit donc pas longtemps.

– Au fait, répondit-il, l'intérêt du roi est là, et, grâce au Parlement, nous agirons en pleine légalité… Eh bien, réussissez avec votre croquant d'imagier… et nous verrons.

– Je réussirai!.. affirma la hyène, se pourléchant déjà les lèvres à l'idée d'attacher à son chevalet l'un des plus vaillants gentilshommes de France.

XIV
DEUX CŒURS POUR UN AMOUR

Laffémas, on vient de le voir, était bien servi par ses espions et par son instinct de bête fauve. Il avait du premier bond flairé la meilleure proie.

De Jars, ennemi-né du cardinal, était entré corps et âme dans le complot suscité par la duchesse pour en finir avec ce despote qui, non content de dominer les choses, voulait soumettre aussi les cœurs. Renverser le tyran et délivrer Châteauneuf, c'était une belle entreprise, car de Jars était un ami aussi ardent que Chevreuse était une maîtresse dévouée.

Se servir de Louise de Lafayette pour atteindre le but, c'était une de ces conceptions heureuses que la duchesse seule pouvait former.

Il y avait des difficultés, mais le mérite était de les vaincre.

L'attraction du roi vers la charmante fille d'honneur devenait plus évidente, par cent petits incidents insaisissables pour un œil ordinaire, mais très significatifs pour une attention intéressée.

L'objet de cette recherche ne paraissait pas s'en apercevoir, et cependant son indifférence ne décourageait pas le monarque. Il est vrai que la timidité de celui-ci ne lui avait jamais permis d'aborder clairement la matière, mais c'était encore un motif assuré du triomphe de la favorite en perspective, le jour où, d'elle-même, elle viendrait en aide à cette insurmontable timidité.

Rendre Lafayette toute-puissante sur le cœur et sur les conseils du roi, qui se montrait fort désireux de subir ce joug; continuer à dominer, par l'amitié et l'adresse, l'esprit de Lafayette, c'est-à-dire imprimer par son entremise à la volonté du faible monarque sa propre volonté, tel était en résumé le plan de la duchesse.

Que Louise arrivât à ce rang de favorite, avec elle arrivaient au pouvoir ses amis, et Richelieu était détrôné.

Mais, disons-nous aussi, Louise ne voyait pas, ou ne voulait pas voir, les aspirations du prince. L'ambition était étrangère à cette nature exquise et délicate. Chez elle, le cœur dominait tout… et le cœur était pris.

C'est ici surtout qu'il nous faut admirer le génie de madame de Chevreuse, – ce génie que les historiens n'ont vraiment pas trop vanté.

Le but de sa vie était devenu la délivrance de son amant, tous les expédients étaient légitimes pour y atteindre, même celui qui consistait à pousser mademoiselle de Lafayette dans les bras du roi.

La moralité du lecteur se récrie peut-être à cette idée; nous le prions, dans ce cas, de se rappeler que nous sommes ici dans la vérité historique et que ce n'est pas nous qui avons fait l'histoire. Nous avons entrepris de dévoiler quelques-uns des mystères immoraux du vieux Louvre, et certes ce n'est encore là que l'un des plus anodins.

Or, la duchesse, qui trouvait très simple et très désirable qu'une fille d'honneur de la reine devînt la maîtresse du roi, était cependant l'amie de Louise et de Philippe; de plus, elle avait la première deviné leur affection naissante.

Mais elle ne s'était jamais piquée, pour son compte, d'une fidélité éternelle. Châteauneuf avait succédé dans ses faveurs au duc de Lorraine, à Buckingham et au comte de Hollande. Elle pensait que toutes les femmes étaient façonnées à son image, qu'il fallait aimer son amant présent, comme si l'on ne devait jamais le quitter, et qu'il était bon de le quitter dès qu'on s'apercevait qu'on ne pourrait l'aimer toujours.

Elle se représentait, d'ailleurs, une union sérieuse entre Louise et le jeune peintre comme irréalisable, et se persuadait de très bonne foi que c'était rendre service à l'un et à l'autre d'élever entre eux des obstacles adroits, moins pénibles qu'une séparation brutale.

Elle les aimait de très franche amitié en leur dressant ces embûches, et s'il lui en revenait quelques scrupules, elle rassurait sa conscience par la conviction où elle se plaisait qu'elle asseyait la fortune de Louise et qu'elle faisait le bonheur de Philippe en le forçant à se déclarer pour Henriette.

Se doutant bien de la répugnance qu'elle rencontrerait chez Lafayette si elle l'engageait elle-même à s'adoucir vis-à-vis du roi, elle avait donc eu cette idée profonde de l'y faire pousser par Philippe lui-même.

Le lecteur sait les hésitations et la défiance innée qu'avaient inspirées à notre héros les ouvertures de M. de Jars dans ce sens.

On serait tenté de croire, maintenant, que les événements qui se succèdent d'une façon si imprévue devaient amener la ruine de ces plans de la duchesse, l'exil de de Jars, l'emprisonnement de Philippe, la certitude où était le cardinal des manœuvres ourdies chez la reine-mère, et enfin l'incident de la caricature, qui allait se rendre implacable contre ses ennemis, tout venait à l'encontre de ceux-ci.

Eh bien, tous ces faits, ou du moins l'un d'eux, contribuèrent au résultat souhaité, tant les choses d'ici-bas s'enchevêtrent souvent en dépit de la prévision des plus habiles!

Duchesne, qui n'avait jamais soupçonné la sympathie de sa fille pour son élève, ne tarda pas à en être instruit par un message qui vint le trouver au milieu de ses travaux du Luxembourg.

Ce message n'était point signé, mais le porteur était autorisé à faire connaître le nom de celui qui l'envoyait: on apprendra sans étonnement que c'était le père Joseph.

Depuis quelque temps il s'entendait trop bien avec le peintre de la reine-mère pour ne pas lui rendre ce bon office.

Il le prévenait donc, comme sa conscience lui en imposait le devoir, que la jeune Henriette paraissait éprise d'une folle et coupable passion pour cet élève, qui s'était, par son orgueil et son ingratitude, rendu indigne de son maître.

Puis, un triomphant post-scriptum rassurait les craintes que cette découverte lui pourrait inspirer, en lui annonçant que le séjour du Louvre était devenu sans inconvénients pour la jeune fille, vu l'incarcération de l'amoureux.

Duchesne, atterré par le premier avis, respira à celui-ci; mais il n'en accourut pas moins au palais, où il eut avec sa fille une querelle violente, dans laquelle il finit par la menacer de l'enfermer dans un couvent si elle s'avisait de manifester la moindre attention pour ce misérable barbouilleur qui déshonorait son école.

Henriette soutint le choc plus bravement que sa timidité et son innocence ne permettaient de l'espérer. A chaque menace elle se réclama de l'amitié de la reine-mère, qui ne permettrait pas qu'on la persécutât.

C'était le meilleur argument vis-à-vis de Duchesne, qui devait tout à Marie de Médicis et n'osait encore rompre vis-à-vis d'elle.

Mais il résulta surtout ceci de particulier de cette explication, que ce fut par elle que Henriette apprit l'arrestation de Philippe.

On prévoit ce qu'il en advint. Sa première idée, après avoir pleuré et soupiré bien fort, fut de chercher les moyens de lui venir en aide, et tout naturellement elle se souvint de l'entretien avec le chevalier dans la galerie des combles.

Elle résolut de tenter pour son ami ce qu'elle avait songé à faire pour Châteauneuf, et elle courut trouver Louise.

A ce cri:

– Philippe est arrêté!

La fille d'honneur fut prise d'une pâleur et d'une émotion telles, que Henriette en demeura frappée. Elle-même n'avait pas été plus émue en apprenant cette nouvelle funeste.

Jusqu'alors chacune d'elles, renfermant en soi un secret qu'elle n'osait qu'à peine s'avouer à elle-même, n'avait laissé paraître aux yeux de l'autre aucun signe de cet amour, qui était venu à la sourdine, et s'était longtemps ignoré.

Mais le cœur, – le cœur des femmes surtout, – a pour saisir les témoignages de la passion une perspicacité plus subtile que le langage parlé. Elles comprennent avec leur âme tout ce qui touche à leur âme.

Ces deux jeunes filles innocentes n'eurent besoin que de cette minute pour reconnaître que le même sentiment les occupait alors.

Leur émoi, leur frisson, le tremblement de leur voix, l'instinct surtout, leur dirent qu'elles étaient rivales.

– Tu l'aimes!.. s'écria Louise.

– Conviens-en, répondit soudain Henriette, tu l'aimes aussi?

Et deux gros soupirs succédèrent à cette explosion.

Mais, prestige adorable d'un premier, d'un sincère amour, ce ne fut ni la haine, ni la jalousie qui sortirent de cet aveu mutuel. Ce fut une alliance plus intime pour le bonheur du bienheureux objet de cette double passion.

Il leur semblait si digne d'être aimé qu'elles ne s'étonnaient pas de l'avoir aimé à la fois, et puis elles s'avouaient, et c'était là comme leur consolation, qu'elles étaient venues à lui de leur propre mouvement, sans qu'il osât rien faire pour les attirer.

A toutes deux il avait adressé de caressantes et douces paroles, mais c'étaient des mots fraternels, tout pleins de retenue et d'exquise délicatesse. Au fond du cœur, elles se flattaient peut-être chacune d'être la préférée, mais il leur était encore permis de se demander s'il les aimait ensemble, ou seulement s'il aimait une d'elles.

Alors aussi elles eurent comme l'intuition des nuages de son âme, des deux courants qui l'attiraient tour à tour, et dans un adorable serment elles se jurèrent de travailler à sa délivrance, sans arrière-pensée, et de le forcer à se prononcer pour celle qui aurait le plus fait pour lui.

C'était un pacte héroïque, et ce qui ne le fut pas moins, c'est qu'elles l'exécutèrent sans une ombre d'hésitation.

L'amour est si puissant, si désintéressé à cet âge, qu'il n'exige même pas de réciprocité: il se suffit à lui-même.

Ce soir-là, il y avait une petite réception dans l'appartement de la jeune reine.

La cour était taciturne, car Richelieu, qui avait cru devoir se montrer, promenait à travers les groupes un visage soucieux, un regard préoccupé.

Anne d'Autriche causait, entourée de quelques dames, au nombre desquelles se faisait remarquer sa favorite, la duchesse de Chevreuse, qui cherchait par une gaieté factice à narguer le cardinal et à lui donner le change sur ses anxiétés mortelles.

Quelques seigneurs jouaient silencieusement; divers personnages allaient et venaient, et le roi, qui aimait assez à s'affranchir de la raideur de l'étiquette en ces circonstances de famille, avait quitté une partie avec Bassompierre et Roquelaure pour faire un tour dans la galerie.

On savait qu'alors il n'aimait pas à être entouré, et l'on s'abstenait de le suivre.

Soit hasard, soit préméditation, il se rencontra, vers l'un des points les plus isolés, avec mademoiselle de Lafayette.

Elle était venue décidée à faire un effort sur elle-même et à rendre au monarque le sourire dont il ne manquait pas de la saluer chaque fois qu'il la voyait, mais auquel d'ordinaire elle se dérobait sous une vive rougeur.

Innocente et pure comme elle était, ses visées étaient loin d'aller aussi avant que celles de la duchesse. Si elle eût compris à quoi on prétendait la pousser, elle eût reculé du premier coup plutôt que de sauver Philippe par un sacrifice indigne de lui.

Mais la réputation immaculée de Louis XIII était de nature à rassurer la plus craintive. Il ne s'agissait d'user envers lui que d'une coquetterie innocente; de lui accorder, non pas des faveurs, mais des semblants de faveurs. Un mot, un regard étaient suffisants pour le charmer; avec un serrement de main, elle était sûre de l'affoler15.

13.Chronique sur les Cours de France: Crespy-le-Prince.
14.Des Peisses, modifiant pour ce misérable la définition de l'avocat par Caton, écrivit au bas de son portrait: Vir bonus strangulandi peritus.
15.Le roi, dit l'auteur des Intrigues galantes de la cour, eut des maîtresses, mais ses amours étaient purement spirituelles et d'âme à âme, et les jouissances en étaient vierges.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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